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Date : 20110928


Dossier : IMM-1114-11

Référence : 2011 CF 1114

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

SERGIO ANTONIO ACOSTA GALINDO,

ROSARIO BEATRIZ FLORES LEMUS,

JAIME ELIAS ACOSTA GALINDO

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qu’ont présentée Sergio Antonio Acosta Galindo, Rosario Beatriz Flores Lemus et Jaime Elias Acosta Galindo en vue de contester une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leur demande d’asile.

 

[2]               Les demandeurs sont tous citoyens du Salvador. Les deux demandeurs sont frères, et la demanderesse est la conjointe de fait du demandeur Sergio Acosta. Les trois sont entrés au Canada via les États-Unis en septembre 2009. Jaime Acosta a quitté le Salvador pour les États-Unis en 2004, et Sergio Acosta et Rosario Flores l’ont suivi en 2005. Aucun d’eux n’a demandé l’asile aux États-Unis même s’ils y ont vécu plusieurs années.

 

[3]               Selon les demandeurs, la Commission a manqué à l’obligation d’équité lors de l’audience relative à leur demande d’asile et a rendu par la suite une décision déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, je rejetterai leurs arguments.

 

[4]               L’avocat des demandeurs soutient que la Commission a agi de manière inéquitable en omettant d’informer ses clients des avantages d’une représentation juridique. Cette obligation, affirme-t-il, était rehaussée par le fait qu’aucun agent de protection des réfugiés n’était présent pour aider les demandeurs à présenter leurs éléments de preuve. Il s’agit là d’une question d’équité procédurale, pour laquelle la norme de contrôle est la décision correcte.

 

[5]               L’argument des demandeurs au sujet du droit d’être informé des avantages d’une représentation juridique est sans fondement. Il ressort du dossier qui m’a été soumis que les demandeurs avaient retenu les services d’un conseiller juridique pour les représenter devant la Commission. Ils ont révoqué le mandat de ce dernier pour des raisons qui ne sont pas expliquées dans leurs affidavits. Compte tenu de ces faits, on peut présumer sans se tromper que les demandeurs étaient au courant de l’utilité des services d’un avocat mais qu’ils ont décidé de s’en dispenser pour des raisons qu’eux seuls connaissent.

 

[6]               Après avoir examiné les notes sténographiques de l’audience, je suis convaincu que la Commission a agi de manière équitable pendant toute la durée de l’audience en donnant aux demandeurs amplement la possibilité de présenter leurs éléments de preuve. La Commission a également expliqué le processus et fait part aux demandeurs de ses doutes. Elle a admis la preuve documentaire déposée le jour même de l’audience, parce que les demandeurs n’étaient pas représentés et n’étaient peut-être pas au courant qu’un préavis était requis. En bref, les demandeurs ont pu relater leur récit avec force détails et la Commission a souscrit principalement sans réserve à leurs éléments de preuve. Il est difficile de voir en quoi la poursuite de ces demandes aurait pu bénéficier dans une large mesure de la présence d’un conseiller juridique mais, quoi qu’il en soit, la Commission n’est pas tenue d’expliquer à des parties non représentées un point qu'il faut tenir pour acquis qu’elles saisissent.

 

[7]               L’argument des demandeurs selon lequel leurs demandes n’auraient pas dû être entendues ensemble est lui aussi dénué de fondement. L’avocate de l’intimé a raison de dire qu’aux termes de l’article 49 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, il convient de joindre les demandes familiales liées sauf si l’on invoque une demande de séparation convaincante : voir la décision Gilbert c. Canada (MCI), 2010 CF 1186, au paragraphe 21, [2010] A.C.F. no 1484 (QL) (1re inst.). En l’espèce, les demandeurs n’ont soumis à la Commission aucune demande de séparation et celle-ci a donc suivi sa pratique habituelle. De plus, dans le dossier qui m’a été présenté, rien ne donne à penser que l’une des parties a subi un préjudice quelconque de la jonction des demandes. Par exemple, il n’y avait pas de contradictions ou d’incohérences marquées entre les parties, et ces dernières ont souscrit de plein gré à leurs témoignages corroborants respectifs. Il ne suffit pas de faire vaguement allusion à l’avantage hypothétique qui peut découler du fait que la Commission est en mesure de mieux se concentrer sur une seule demande à la fois. Il s’agit là d’un argument que l’on peut invoquer dans n’importe quelle situation, et il aurait pour effet d’invalider l’article 49 des Règles de la Section de la protection des réfugiés. La Commission n’a pas commis d’erreur en procédant comme elle l’a fait.

 

[8]               Je ne suis pas d’accord non plus pour dire que la Commission, par souci d’équité, se devait d’aborder la question théorique du traumatisme psychologique. Rien dans le dossier ou dans les affidavits des demandeurs n’étaye une telle théorie. Il n’appartient pas à la Commission de soulever des questions de preuve qui ne figurent nulle part dans le dossier ou de prendre la place d’un conseiller juridique : voir Ngyuen c. Canada (MCI), 2005 CF 1001, aux paragraphes 17 et 18, [2005] A.C.F. no 1244 (QL) (1re inst.). En fait, il est fallacieux de la part des demandeurs de remercier leur conseiller juridique pour des raisons qu’ils n’expliquent jamais et de se plaindre ensuite que la Commission se trouvait dans l’obligation de défendre leurs demandes d’asile. C’est aux demandeurs, et non pas à la Commission, qu’il incombe de présenter des éléments de preuve pertinents et convaincants : voir Brad c. Canada (MCI), 2003 CFPI 808, au paragraphe 9, [2003] A.C.F. no 1035 (QL) (1re inst.). Si les demandeurs ont été psychologiquement traumatisés par ce qu’ils ont vécu, ils ont eu amplement la possibilité de le dire et de présenter toutes les preuves corroborantes qu’ils voulaient.

 

[9]               Le demandeur Sergio Acosta soutient également que la Commission a commis une erreur en ne faisant pas référence à sa preuve de cicatrisation et de brûlures, y compris un rapport médical corroborant. Dans les cas où la Commission passe sous silence de tels éléments de preuve, les décisions qu’elle rend peuvent être vulnérables dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Toutefois, dans le cas présent, la Commission a accepté sans réserve les allégations des demandeurs quant au fait d’avoir été harcelés, menacés et agressés par des gangs de rue criminels, une situation qui les avait amenés à quitter leur pays pour les États-Unis en 2004 et en 2005. Autrement dit, la Commission a souscrit à la preuve de mauvais traitements dont Sergio Acosta avait été victime et il n’était donc pas nécessaire qu’elle fasse référence à un élément de preuve corroborant.

 

[10]           La Commission a conclu avec raison que les frères Acosta ne craignaient pas d’être persécutés au Salvador pour l’un des motifs énumérés à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 28 (la LIPR). Il ressortait clairement de leur témoignage qu’ils n’étaient que les victimes d’actes criminels de rue, et rien de plus.

 

[11]           La Commission a également eu raison de conclure que les risques décrits par les demandeurs n’étaient pas parrainés officiellement ou par l’État. Leur demande ne tombait donc pas sous le coup de l’alinéa 97(1)a) de la LIPR.

 

[12]           La Commission a ensuite examiné la revendication que les deux frères fondaient sur l’alinéa 97(1)b) de la LIPR. Elle a conclu qu’étant donné que les risques auxquels ils disaient être exposés étaient des risques auxquels s’exposaient en général d’autres citoyens du Salvador, ils étaient exclus de la protection que confère cette disposition.

 

[13]           Le demandeur Sergio Acosta soutient que la Commission a commis une erreur en appliquant le sous-alinéa 97(1)b)(ii) à sa revendication, lui qui a été victime d’un incident de torture aux mains de membres de gang à la fin de 2004. Je ne suis pas d’accord. La conclusion de la Commission selon laquelle les risques que disaient courir les frères n’étaient pas exceptionnels et correspondaient aux risques criminels reconnus auxquels font généralement face tous les Salvadoriens reposait sur la preuve. Dans ce contexte, cette partie-là de la décision appelle une certaine retenue. Les parties ont librement reconnu que, sur tout le territoire du Salvador, des gangs extorquent de l’argent à leurs victimes, souvent sous la menace directe ou l’application de graves préjudices ou de mort. Les faits relatés par les parties, même s’ils étaient sérieux et troublants, ne transcendaient pas les genres de risques que la Commission a reconnus comme courants au Salvador. En fait, la Commission s’est fondée en partie sur un rapport du département d’État des États-Unis qui décrit le Salvador comme l’un des pays les plus dangereux au monde, précisément à cause de l’omniprésence de la criminalité de rue liée aux gangs. C’est pour ce genre de situation qu’a été conçu le sous-alinéa 97(1)b)(ii). N’importe quelle autre interprétation donnerait à toutes les innocentes victimes de graves actes de violence perpétrés par les gangs au Salvador le droit de solliciter l’asile. Il ne s’agit manifestement pas là de l’intention de l’article 97 de la LIPR.

 

[14]           La Commission a abordé de manière différente la demande de Mme Flores. Elle a signalé avec raison que la demande de cette dernière tombait potentiellement sous le coup des articles 96 et 97 de la LIPR et que sa revendication fondée sur l’article 96 pourrait reposer sur des allégations d’agressions sexuelles liées à son sexe. Elle a conclu que la demanderesse disposait d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) et que, cela étant, ni l’article 96 ni l’article 97 ne pouvaient être invoqués.

 

[15]           La Commission a conclu avec raison que le récit relatif au risque auquel s’exposait Mme Flores mettait en cause le comportement d’un seul membre de gang, dans la petite ville de Metapan. La Commission n’a pas voulu admettre que ce risque personnel, hautement localisé et datant de 2004, aurait aujourd’hui cours sur tout le territoire salvadorien. Il s’agissait, là aussi, d’une conclusion raisonnablement tirée par la Commission sur la foi des éléments de preuve, et cette conclusion ne peut être infirmée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. La Commission a raisonnablement conclu aussi que Mme Flores pouvait facilement s’adapter et bénéficierait de l’appui de sa famille pour se rétablir au Salvador. Elle a conclu avec raison que le fait que Mme Flores, à son retour, s’exposerait aux mêmes niveaux de criminalité que d’autres citoyens ne faisait pas en sorte que d’autres parties du pays n’étaient pas aptes à servir de PRI.

 

[16]           La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

[17]           L’avocat des demandeurs propose deux questions à certifier. La première concerne la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions relatives aux PRI. La seconde a trait au caractère équitable du défaut de la Commission d’invoquer de sa propre initiative la question d’un traumatisme psychologique potentiel. Aucune de ces deux questions n’est fondée.

 

[18]           La norme de contrôle concernant l’évaluation des décisions que prend la Commission au sujet d’une PRI, dans la mesure où ces décisions concernent des questions mixtes de fait et de droit, est bien établie – il s’agit de la raisonnabilité. La seconde question que l’avocat a proposée soulève également un point bien établi. C’est au demandeur qu’il incombe d’établir le fondement factuel permettant d’accueillir une demande d’asile. La Commission ne joue pas un rôle de défense. Il appartient aux parties de produire les éléments de preuve requis. J’ajouterais que, dans une affaire comme celle-ci, les parties, qui se sont dispensées des services d’un représentant juridique, ne peuvent pas se plaindre ultérieurement qu’elles avaient besoin d’un avocat. Pour cette seule raison, la question proposée ne serait pas déterminante quant à l’issue de la présente instance.

 

[19]           La présente affaire ne soulève aucune question de portée générale, et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit : la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1114-11

 

INTITULÉ :                                       GALINDO ET AL. c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 AOÛT 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 SEPTEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David H. Davis

POUR LES DEMANDEURS

 

Meghan Riley

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Davis Law Office

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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