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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20111007


Dossier : IMM-394-11

Référence : 2011 CF 1145

Ottawa, Ontario, le 7 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

ARMANDO PEREZ ROMANO

LETICIA MARTINEZ LOPEZ

ARMANDO PEREZ MARTINEZ

KAREN DAYANA PEREZ MARTINEZ

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défenderesse

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               Avant même de conclure à une possibilité de refuge intérieur, le décideur doit s’assurer d’assimiler la preuve documentaire et la preuve orale à l’audience. Il se doit d’apprécier la preuve dans son intégralité. Ce n’est que de cette façon qu’il est possible de tenter de comprendre autant les éléments d’un récit que possible. Ce n’est que suite à l’écoute du tricotage entier de chaque côté (subjectif et objectif) d’un récit que les fils d’une preuve peuvent former un ensemble prêt pour analyse.

 

II.  Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission, rendue le 15 décembre 2010, selon laquelle les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugié au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III.  Faits

[3]               Le demandeur principal, monsieur Armando Perez Romano, né le 22 novembre 1967, son épouse madame Leticia Marisol Martinez Lopez, née le 19 avril 1968, leur fils Armando Perez Martinez, né le 21 octobre 1989, et leur fille Karen Dayana Perez Martinez, née le 18 septembre 1996 sont citoyens mexicains.

 

[4]               Monsieur Perez Romano et sa famille vivaient dans la ville de Puebla où monsieur Perez Romano allègue y avoir eu son commerce. Depuis 1988, la résidence familiale aurait été mise à la disposition de la famille par le père de madame Martinez Lopez qui en est propriétaire.

 

[5]               Monsieur Perez Romano allègue que le dimanche 21 septembre 2008, deux individus identifiés, en raison de leurs tatouages, comme étant membres du gang criminel des Mara Salvatrucha [MS] ont fait irruption dans la résidence familiale afin de se l’approprier. Ils auraient menacé de mort les demandeurs et les auraient séquestrés et maltraités pendant quatre jours.

 

[6]               Dans la nuit du 25 au 26 septembre 2008, monsieur Perez Romano et sa famille se seraient enfuis pour trouver temporairement refuge chez un oncle résidant à Tlaxcal qui, selon une preuve entièrement non contredite, a été également menacé.

 

[7]               Les demandeurs n’ont pas porté plainte auprès des autorités mexicaines. Ils craignaient des représailles notamment en raison de l’assassinat d’une famille voisine qui avait déposé une plainte à l’encontre des MS.

 

[8]               Monsieur Perez Romano a quitté le Mexique le 6 octobre 2008 afin de demander l’asile au Canada. Son épouse et ses deux enfants l’y ont rejoint le 15 décembre 2008.

 

[9]               L’audience relative aux demandes d’asile des demandeurs a eu lieu le 15 décembre 2010.

 

IV. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[10]           La SPR a conclu que Monsieur Perez Romano et sa famille n’étaient pas des réfugiés au sens de l’article 96 de la LIPR puisque leur crainte n’était pas reliée à l’un des cinq motifs de la Convention. L’alinéa 97(1)a) de la LIPR n’a pas fait l’objet d’une analyse en raison de l’absence d’implication de l’État du Mexique ou de l’un de ses agents. En conséquence, la situation des demandeurs a été analysée à la lumière de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.

 

[11]           La crédibilité du demandeur principal n’a pas été remise en question du tout pour aucun des éléments du récit.

 

[12]           La SPR a conclu que le demandeur principal et sa famille étaient victimes de criminalité généralisée. Ainsi, les membres des MS auraient ciblé la résidence et non les résidents en leur titre personnel. 

 

[13]           De plus, se basant sur la preuve documentaire, la SPR a conclu à une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans les États du Yucatán et de Zacatecas. La SPR a également jugé peu probable que le gang criminel, qui voulait surtout s’approprier la maison, poursuive ou poursuivrait les demandeurs partout au Mexique.

 

[14]           La décision de la SPR se fonde sur les éléments suivants :

a.       Le demandeur principal louait la maison convoitée par les MS;

b.      Les demandeurs n’ont pas été poursuivis ou menacés à Tlaxcala, lieu de leur premier refuge après l’incident du 21 septembre 2008;

c.       Au Mexique, le demandeur principal et sa famille n’ont pas été menacés et aucun événement en lien avec les MS ne s’est produit depuis le 21 septembre 2008;

d.      Le demandeur principal de même que le propriétaire de la résidence n’ont pas déposé de plainte auprès des autorités mexicaines.

 

 

 

V. Question en litige

[15]           La décision rendue par la SPR est-elle raisonnable compte tenu des circonstances particulières de l’affaire ainsi que de son contexte?

 

VI.  Dispositions législatives pertinentes

[16]           Les articles 96 et 97 de la LIPR s’appliquent au présent cas :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection

 

VII.  Position des parties

[17]           La partie demanderesse soumet une argumentation en deux parties selon laquelle la SPR a erré en fait et en droit en ne tenant pas compte de la preuve. D’une part, quant au risque généralisé, elle fait valoir que le risque est personnalisé à partir du fait que les demandeurs ont été délogés de leur maison. Autrement dit, de cette façon, ce sont les demandeurs qui ont été violentés et non leur maison. D’autre part, quant à la possibilité de refuge intérieur, elle fait valoir que la preuve documentaire met en évidence la présence d’associés des MS dans les États du Yucatán et de Zacatecas ce qui rend déraisonnable la possibilité de refuge à l’intérieur de ces États. Elle allègue également que si les demandeurs réclamaient leur résidence, les associés des MS pourraient les retracer partout au Mexique.

 

[18]           La partie défenderesse soumet que la conclusion à la possibilité de refuge intérieur, dans les États du Yucatán et de Zacatecas, tirée par la SPR, est raisonnable et respecte le test de l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA). Selon le défendeur, il ressort de la preuve que les demandeurs ne sont pas personnellement visés par les MS. De plus, il n’y aurait aucun obstacle à leur relocalisation dans les deux États susmentionnés en dehors d’une crainte purement spéculative.

VIII.  Analyse

[19]           Il est établi par la jurisprudence qu’une conclusion de PRI doit répondre à deux critères : la PRI envisagée doit être sécuritaire et ne doit pas être objectivement déraisonnable pour un demandeur d’y trouver refuge (Rasaratnam, ci-dessus; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, [1993] ACF no 1172 (QL/Lexis)).

 

[20]           Bien que la Cour doit démontrer une déférence à l’égard des conclusions de faits de l’organisme administratif, elle peut inférer que la SPR n’a pas tenu compte, d’éléments de preuves contraires à sa position s’il n’en est pas fait mention.

 

[21]           Dans l’affaire Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et d l'Immigration) (1998], 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425 (QL/Lexis), le juge John Maxwell Evans remarque :

[15]      La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

 

[...]

 

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]": Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait. [La Cour souligne].

 

[22]           Dans le cas présent, des parties cruciales de la preuve documentaire et de la transcription du témoignage du demandeur principal n’ont pas été examinées et analysées par la SPR. Pour les raisons suivantes, il semble difficile de conclure à une PRI viable.

 

[23]           Tout d’abord, la conclusion selon laquelle les États du Yucatán et de Zacatecas constituent une PRI valide est déraisonnable. En effet, cette conclusion n’est pas étayée par la preuve documentaire citée par la SPR.

 

[24]           La conclusion de la SPR est résumée ainsi :

[18]      [...] Encore une fois, le tribunal est d’avis que les agresseurs ont atteint leur objectif, soit de prendre possession et occuper la résidence du demandeur, et non pas de menacer ou agresser le demandeur et les membres de sa famille. Ainsi, malgré que le tribunal se soit assuré de donner l’occasion au demandeur d’étayer sa preuve, ce dernier n’a pas donné de raison pour laquelle il pourrait s’avérer déraisonnable, tel que soulevé par la jurisprudence, de se rendre vers l’État du  Yucatán et de Zacatecas, afin d’y trouver refuge et il n’a pas non plus soumis de preuve réelle et concrète établissant l’existence de conditions qui feraient en sorte qu’il pourrait y courir le risque d’y être l’objet de menace à sa vie ou des traitements cruels et inusités. [La Cour souligne].

 

[25]           La SPR se base sur le cartable national de documentation pour conclure que les États du Yucatán et de Zacatecas constituent un véritable cas de PRI (Cartable national du Mexique, 26 novembre 2010, onglet 7.11, MEX103272.F. 7 octobre 2009. Information sur la présence et les activités de la Mara Salvatrucha (MS) et de la Mara 18 au Mexique et plus spécialement à Mexico, y compris les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre les maras et la protection offerte aux victimes des Maras (2004-septembre 2009) et l’onglet 7.12 MEX103264.F. 17 septembre 2009. Information sur la présence des groupes de la Mara Salvatrucha (MS) et de la Mara 18, y compris les villes ou municipalités où ils sont actifs (2006-septembre 2009)).

 

[26]           Toutefois, l’onglet 7.11 donne des informations claires à l’effet que la progression du gang criminel des MS sur le territoire mexicain est hors du contrôle des autorités mexicaines. L’extrait suivant tiré de l’onglet 7.11 est éloquent :

Plusieurs sources soulignent l'inefficacité du gouvernement du Mexique dans sa lutte contre les maras (AP 2 avr. 2008; É.-U. avr. 2006, 116; EIU 22 janv. 2008; IPS 3 nov. 2005). Cité dans un article publié par l'Associated Press (AP) en 2008, le président de la CNDH a affirmé que la police mexicaine n'était pas prête à combattre les gangs de rue et qu'il lui arrivait de ne pas pouvoir identifier les détenus qui sont membres des maras (AP 2 avr. 2008). Le Mexique n'aurait pas adopté de loi anti-maras (EIU 22 janv. 2008; É.-U. avr. 2006, 116) contrairement au Salvador et au Honduras (ibid.). Malgré la présence des maras et le fait [traduction] « qu'elles collaborent clairement avec les cartels », l'attention du gouvernement serait plutôt tournée vers les cartels (EIU 22 janv. 2008). Un article publié en 2005 par IPS affirme que selon les conclusions d'un rapport de l'Institut national de migration (Instituto Nacional de Migración - INAM) du Mexique, les efforts menés pour empêcher les gangs de l'Amérique centrale de gagner du terrain au Mexique se sont révélés insuffisants (IPS 3 nov. 2005). [La Cour souligne].

 

(Dossier du tribunal [DT] à la p 12).

 

[27]           Ce passage souligne fortement que la présence des MS n’est pas nécessairement restreinte aux 24 États mentionnés à l’onglet 7.12. À l’analyse du texte dans son intégralité, il semblerait plutôt que les autorités mexicaines soient aux prises avec un gang criminel en pleine expansion. Comme indiqué dans le texte, « le marché des maras se trouve au Mexique » (DT à la p 11). Rien dans le cartable national de documentation ne permet d’affirmer avec certitude, comme le fait la SPR, que « les Mara Salvatrucha ne sont pas actifs partout au Mexique et qu’ils seraient absents ou inactifs dans les États du Yucatán et de Zacatecas » (Décision au para 18).

 

[28]           Ensuite, la SPR n’a pas tenu compte de certains aspects de la preuve testimoniale présentée. Selon l’arrêt Al-Shammari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 364, le demandeur doit établir un lien entre sa situation personnelle qu’il invoque et la preuve documentaire présentée.

 

[29]           Le demandeur principal allègue que sa famille et lui ont été l’objet de menaces de mort lors de leur éviction de la résidence. Il soumet, par le fait même, avoir été personnellement ciblé; les présumés assaillants ayant eu la possibilité de fouiller la résidence et de recueillir des informations sur lui. Il soutient, par ailleurs, que sa famille et lui ont vécu dans la crainte d’être retracés par les MS lorsqu’ils ont brièvement trouvé refuge à Tlaxcala. (Formulaire de renseignements personnels [FRP], DT aux pp 31 et 32).

 

[30]           La SPR note dans sa décision que « le demandeur a témoigné de façon spontanée et sans contradictions » (Décision au para 15). La crédibilité du demandeur n’ayant pas été remise en question, il importe de tenir compte que le témoignage n’a pas été entaché (Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, [2007] 4 RCF 385).

 

[31]           Or, la preuve testimoniale n’étaye pas la conclusion de la SPR selon laquelle les MS ne retraceraient pas les demandeurs dans les États du Yucatán et de Zacatecas. En l’espèce, la SPR a utilisé l’écoulement du temps depuis l’évènement de septembre 2008 pour soutenir sa conclusion selon laquelle les demandeurs ne seraient plus ciblés par les MS.

 

[32]           En effet, elle a conclu que le demandeur principal et sa famille n’ont pas vécu d’incidents en lien avec les membres des MS depuis plus de deux ans alors que le demandeur principal a témoigné, lors de l’audience, à l’effet que son oncle à Tlaxcala, aurait été menacé par des membres des MS :

Q. Donc pourquoi, si vous retournez au Mexique, ils vont déployer énergie et efforts pour vous retracer partout au pays?

 

R. Là, où mon oncle vivait, ce n’était pas sa propre maison, il la louait. Donc, mon oncle m’a dit qu’il avait changé de maison, parce que là-bas aussi, à Tlaxcala, il y avait la Mara. Précisément à cause de ça, en fait il y avait quelque chose concernant la Mara. Il se sentait agressé, comme la même chose que nous avions subie.

 

[...]

 

Q. Est-ce qu’il y a quelque chose de concret ou c’est seulement une supposition?

 

R. Cette nuit-là, lorsque nous avions parlé avec mon oncle, il n’avait aucun problème avec personne. Tout ce qu’il nous a raconté au sujet de ce qu’il subissait, c’était après ce qui s’est passé avec nous.

 

[...]

 

Q. En quelle année, qu’il a reçu des menaces?

 

R. C’était en 2009.

 

(Procès verbal [PV], DT aux pp 200 et 202).

 

[33]           Cet élément de la preuve testimoniale indiquant que le demandeur pouvait avoir été personnellement ciblé n’a aucunement été considéré ni même mentionné dans la décision de la SPR. Bien au contraire, à plusieurs reprises, dans la décision de la SPR, il y est écrit que les MS n’ont pas inquiété le demandeur et sa famille depuis l’évènement de septembre 2008 (Décision aux para 17, 18, 19 et 20). En passant sous silence un témoignage, un organisme administratif peut commettre une erreur qui appelle une révision (Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 81).

 

[34]           Même si ces menaces à l’endroit de l’oncle du demandeur n’ont pas été proférées par les mêmes individus ayant évincé et maltraité les demandeurs, il n’en demeure pas moins qu’ils appartiennent au même groupe criminel à savoir les MS. Il serait illogique de ne pas reconnaître le risque auquel les demandeurs pourraient faire face suite à la preuve subjective et objective entourant leur situation.

 

[35]           Enfin,  la présomption de la SPR selon laquelle les demandeurs sont des victimes de criminalité généralisée n’est pas appuyée par des preuves objectives. La SPR fonde son argument sur le fait que les MS auraient ciblé la résidence des demandeurs en raison de ses caractéristiques et sur le fait que le demandeur n’est pas propriétaire de la résidence. Ce raisonnement est problématique pour deux raisons.

 

[36]           La première est qu’il nie la preuve testimoniale à l’effet que les occupants de la résidence ont été menacés de mort. En effet, la SPR accorde une grande importance à la présumée intention des MS de s’approprier la résidence. Toutefois, il faut analyser la preuve testimoniale dans sa totalité. Même s’il est vrai que le demandeur a témoigné que les MS « aimaient l’endroit » (DT à la p 185), il a également témoigné des mauvais traitements que sa famille et lui ont subis.

[37]           La seconde est que le raisonnement de la SPR ne repose pas sur une preuve documentaire de criminalité généralisée (Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 622). Celle-ci, dans sa décision, ne détaille pas la criminalité généralisée à laquelle elle fait allusion; la SPR n’a pas fait état de l’éviction de domicile au Mexique comme situation touchant la population mexicaine en général.

 

[38]           Le raisonnement du juge Yvon Pinard dans l’affaire Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 550, s’applique au cas présent :

[28]      [...] La Commission a établi à juste titre que la PRI est un élément déterminant quant à la demande d’asile présentée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. Dans la mesure où la Commission se sert de sa conclusion selon laquelle la menace de violence de la part du gang des maras constitue une menace généralisée pour réfuter l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle serait persécutée dans la PRI envisagée, le raisonnement mis de l’avant dans Pineda, précitée, montre qu’une telle présomption de généralisation est fautive [...] [La Cour souligne].

 

[39]           La SPR se base sur la théorie de criminalité généralisée pour réfuter des faits particuliers entourant des individus plutôt que la population au sens large. En trouvant comme « peu plausible que des criminels, qui visiblement avaient pour objectifs la possession et l’occupation de la résidence du demandeur, puissent mettre autant d’effort pour retracer le demandeur partout au Mexique », la SPR applique de façon inexacte le premier critère de l’arrêt Rasaratnam, ci-dessus (également, Zacarias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) 2011 CF 62)

 

[40]           L’affaire Cepeda-Gutierrez, ci-dessus, enseigne que l’organisme administratif a intérêt à mentionner les éléments de preuve probants et ce, même s’ils n’appuient pas ses arguments. Après analyse, il est possible d’inférer que la SPR n’a pas tenu compte de certaines parties de la preuve documentaire et testimoniale catégoriquement contraire à ses conclusions.

 

IX.  Conclusion

[41]           Pour les raisons précédemment exposées, la décision de la SPR n’est pas raisonnable. Celle-ci manque une vue d’ensemble de la preuve, notamment en raison de son omission de prendre en considération des éléments de preuve importants au cœur du sujet de refuge intérieur.

 

[42]           En effet, désigner les États du Yucatán et de Zacatecas comme PRI viable est en contradiction autant avec la preuve documentaire qu’avec la preuve testimoniale, non contredite, versée au dossier.

 

[43]           Comme démontré, il aurait fallu tenir compte de la preuve documentaire qui illustre l’étendue du gang criminel des MS. Il aurait également fallu analyser avec précision le témoignage du demandeur, nœud de la revendication, afin de saisir toute l’importance du contexte de la situation.

 

[44]           Il importe de mentionner que ce cas en est un d’espèce. En conséquence, une conclusion différente pourrait être tirée même au regard de faits minimalement divergents.

 

[45]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie et le cas est renvoyé pour examen à nouveau à un panel autrement constitué.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et le cas soit renvoyé pour examen à nouveau à un panel autrement constitué. Aucune question d’importance générale à certifier.

 

“Michel M.J. Shore”

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-394-11

 

INTITULÉ :                                       ARMANDO PEREZ ROMANO

LETICIA MARTINEZ LOPEZ

ARMANDO PEREZ MARTINEZ

KAREN DAYANA PEREZ MARTINEZ

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 27 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 7 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claudette Menghile

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Marilyne Trudeau

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claudette Menghile, avocate

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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