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Date : 20111014


Dossier : IMM-2288-11

Référence : 2011 CF 1164

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

JESUS ERNESTO PONCE URIBE

JUAN EDUARDO PONCE URIBE

IVONE MONSIVAIS GONZALEZ

JESUS EDUARDO PONCE MONSIVAIS

IVONE ARELY PONCE MONSIVAIS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les frères Ponce Uribe exploitaient un lave-auto dans un entrepôt où ils fabriquaient aussi des produits d’entretien pour l’automobile. Leur commerce était situé à Guadalupe, État de Nuevo Leon, au Mexique. Quelques mois après l’ouverture du lave-auto, un client, appelé Poncho, s’est présenté au service. Alors qu’il nettoyait son automobile, Juan Eduardo a découvert de nombreux paquets sous emballage en plastique contenant une substance blanche. Plus tard, Poncho et un collègue sont retournés au lave-auto, affirmant qu’ils étaient membres de l’organisation criminelle appelée Los Zetas et que l’entrepôt serait l’endroit parfait pour y abriter leurs « jouets », c’est-à-dire drogue et fusils.

 

[2]               Si les frères collaboraient, ils seraient récompensés. S’ils refusaient, ils seraient punis. Poncho a sorti son arme à feu et des photographies qu’il avait prises de l’épouse et des enfants de Jesus Ernesto. Les frères ont accepté de coopérer.

 

[3]               Ils n’ont pas cherché à obtenir de l’État une protection parce qu’ils craignaient qu’un rapport ne soit porté à l’attention du gang par les soins d’une police corrompue.

 

[4]               Lorsqu’ils ont été informés que Poncho arriverait avec un camion et deux voitures le lendemain, ils ont abandonné le lave-auto et peu après sont partis pour le Canada.

 

[5]               Le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada les a jugés crédibles. Néanmoins, il a considéré, avec raison, que, en tant que victimes de la criminalité, sans plus, ils ne pouvaient pas être considérés comme étant des réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies et au sens de l’article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). La question était de savoir s’ils pouvaient être considérés comme étant des personnes à protéger au sens du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, ainsi formulé :

 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

[….]

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

[…]

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

[…]

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

 

[6]               Le commissaire a relevé, à juste titre, qu’il n’est pas nécessaire, pour qu'un risque soit dit généralisé, que tout citoyen y soit exposé. Selon lui, le gang Los Zetas était un gang très actif au Mexique et, d’ailleurs, la documentation relative au pays montrait que c’était l’organisation numéro un responsable de la majorité des crimes liés aux stupéfiants qui sont commis au Mexique, à savoir homicides, décapitations, enlèvements et extorsions. Cependant, il ajoutait ce qui suit :

[26]      Aucune preuve ne montrait que les demandeurs d’asile étaient la cible du gang Los Zetas en raison d’un attribut particulier. La preuve révèle que le gang voulait seulement s’approprier des biens. En l’espèce, le gang voulait mettre la main sur un entrepôt et veiller à obtenir l’aide de ceux qui y travaillaient.

 

[27]      J’estime, en me fondant sur la preuve, que le risque auquel sont exposés les demandeurs d’asile est le même auquel sont généralement exposés les autres Mexicains.

 

[7]               Il s’agit de savoir, dans la présente procédure de contrôle judiciaire, si la décision de la SPR était raisonnable. Je suis d’avis qu’elle ne l’était pas parce que la SPR n’a pas fait une analyse suffisante de la situation personnelle des frères Ponce Uribe.

 

[8]               La distinction entre un « risque personnalisé » et un « risque généralisé » au sens de l’article 97 de la LIPR peut certainement donner lieu à des difficultés. J’ai récemment exposé, dans la décision Jimenez Palomo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1163, ma propre interprétation de certains des facteurs à considérer. L’obligation d’évaluer la situation personnelle d’un demandeur eu égard aux conditions ayant cours dans le pays a été explicitée par M. le juge Simon Noël dans la décision Aguilar Zacarias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 62, [2011] A.C.F. n° 144 (QL), où il s’exprimait ainsi, aux paragraphes 10 et 17 :

[10]      La Commission avait conclu que, bien que cette crainte subjective fût bien présente, le demandeur était exposé à un risque de persécution auquel la population en général était tout autant exposée. Ce risque généralisé provient de l’étendue des activités des gangs au Guatemala. Le demandeur faisait donc partie d’un groupe particulier de personnes, principalement des marchands, qui sont de façon générale pris pour cible par les gangs de rue. On avait donc jugé que le risque auquel le demandeur était exposé ne faisait pas partie de l’éventail de possibilités prévues par l’article 97 de la LIPR. De plus, aucun lien n’avait été démontré avec les motifs de la Convention. Sa demande d’asile fut donc rejetée.

 

[17]      Comme c’était le cas dans Martinez Pineda, la Commission a commis une erreur dans sa décision : elle s’était concentrée sur la menace généralisée à laquelle était exposée la population du Guatemala, en omettant toutefois de prendre en compte la situation particulière du demandeur. Parce que la crédibilité du demandeur n’était pas en cause, il incombait à la Commission d’apprécier rigoureusement le risque personnel auquel le demandeur était exposé afin de procéder à une analyse complète de sa demande d’asile au titre de l’article 97 de la LIPR. Il semble que le demandeur n’avait pas été pris pour cible de la même manière que n’importe quel autre marchand : il était menacé de représailles parce qu’il avait collaboré avec les autorités, qu’il avait refusé de se plier à la volonté du gang et qu’il connaissait les circonstances du décès de M. Vicente.

 

[9]               Les circonstances de la présente affaire ne sont pas sans rappeler celles de l’affaire Munoz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 238, [2010] A.C.F. n° 268 (QL), où M. le juge Lemieux écrivait ce qui suit, au paragraphe 32 :

[32]      Je souscris aux observations de l’avocate des demandeurs, à savoir que les actes d’extorsion et les menaces dont M. Munoz prétend avoir été victime n’étaient pas aléatoires. M. Munoz a été expressément et personnellement pris pour cible par M. Garcia en raison de sa position unique – le directeur des ventes d’une concession automobile, soit la raison pour laquelle M. Garcia et ses amis s’y rendaient. M. Munoz ne craint pas, s’il devait retourner dans son pays, d’y être victime d’actes de violence aléatoires perpétrés par des gangs de criminels inconnus. Il craint M. Garcia.

 

[10]           Il ne s’agit pas ici simplement d’un cas où les frères Ponce Uribe étaient ciblés parce qu’ils avaient un commerce. Ils étaient ciblés parce qu’ils exploitaient un commerce particulier qui répondait aux besoins précis du gang Los Zetas; des véhicules pouvaient être envoyés au lave-auto et, une fois qu’ils s’y trouvaient, des articles pouvaient être transférés des véhicules à l’entrepôt, et de l’entrepôt aux véhicules.

 

[11]           On ne sait pas combien d’autres personnes seraient exposées à un risque semblable. Il n’est certainement pas établi que le sous-groupe pourrait se chiffrer dans les milliers, un chiffre évoqué par M. le juge Crampton dans la décision Paz Guifarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, [2011] A.C.F. n° 222 (QL), au paragraphe 33 :

 

Compte tenu de la fréquence avec laquelle les arguments avancés en l’espèce continuent  d’être présentés quant à l'application de l’article 97,  j’estime qu’il est nécessaire de souligner qu’il est désormais bien établi en droit que les demandes d’asile fondées sur le fait que le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible de l’être à l’avenir ne répondront pas aux exigences du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR lorsque (i) le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible d’être ciblé dans son pays d’origine en raison de son appartenance à un sous-groupe de personnes rentrées de l’étranger ou considérées comme nanties pour d’autres raisons et que (ii) ce sous-groupe est suffisamment important pour que ce risque puisse raisonnablement être qualifié de répandu ou de courant dans ce pays. À mon sens, un sous-groupe formé de milliers de personnes serait suffisamment important pour que le risque auquel ces personnes sont exposées soit considéré comme répandu ou courant dans leur pays d’origine, et donc, comme « général » au sens du sous‑alinéa 97(1)b)(ii), et ce, même si ce sous-groupe ne représente qu’un faible pourcentage de la population de ce pays.

 

[12]           Après renvoi de l’affaire à la SPR, si la SPR juge que le risque est « personnalisé », alors une analyse plus détaillée de la protection offerte par l’État et de la possibilité de refuge intérieur devrait être effectuée. Le commissaire a évoqué l’influence du gang Los Zetas, mais il y a d’autres cartels de la drogue. Le pays peut être morcelé géographiquement. On doit se demander si les frères seraient traqués dans tout le pays et, assurément, si le gang Los Zetas se donnerait même la peine de les poursuivre. Une protection policière est peut-être illusoire à Guadalupe, État de Nuevo Leon, mais il ne s’ensuit pas qu’il ne serait pas possible d’obtenir ailleurs une protection de l’État, pour le cas où les frères seraient poursuivis.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS,

LA COUR STATUE comme suit :

1.                   La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                   La décision de la SPR est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour nouvel examen;

3.                   Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2288-11

 

INTITULÉ :                                       PONCE URIBE ET AL. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 5 OCTOBRE 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 14 OCTOBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS:

 

Laura Best

 

POUR LES DEMANDEURS

Sarah-Dawn Norris

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Embarkation Law Group

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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