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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date: 20111006

Dossier : IMM-555-11

Référence : 2011 CF 1142

Montréal (Québec), le 6 octobre 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

ISABEL MARTIN-EYZAGUIRRE

MAURICIO MARTIN MARTIN

 

 

partie demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

partie défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Martin-Eyzaguirre et son fils Mauricio se pourvoient à l’encontre de la décision rendue, le 13 janvier 2011, par la Section de la protection des réfugiés (la « SPR », ou le « Tribunal ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle ils n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention et ne sont pas des personnes à protéger, au terme des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

[2]               Après avoir examiné le dossier et avoir considéré les représentations écrites et orales des parties, la Cour en arrive à la conclusion que cette demande doit être rejetée. Non seulement le Tribunal pouvait-il raisonnablement conclure au manque de crédibilité des demandeurs, mais au surplus, la preuve ne démontre pas que la demanderesse a véritablement fait l’objet de persécution.

 

Faits

[3]               Les demandeurs, une mère et son fils, sont citoyens du Pérou. Ils allèguent craindre l’ex‑conjoint de la demanderesse et père de son fils, Carlos Alberto Lamella.

 

[4]               La demanderesse prétend avoir connu M. Lamella en 1986. Celui-ci aurait commencé à la maltraiter lorsqu’elle serait devenue enceinte. Leur relation aurait alors pris fin, et c’est le père de la demanderesse qui l’a soutenue financièrement.

 

[5]               À la fin de 2005, soit près de 18 ans plus tard, la demanderesse aurait obtenu l’adresse de M. Lamella. Elle se serait rendue chez lui et lui aurait demandé de l’argent afin de payer les études universitaires de leur fils. Il aurait refusé et l’aurait battue, suite à quoi la demanderesse aurait porté plainte contre lui.

 

[6]               Le 26 juillet 2006, la demanderesse se serait de nouveau rendue chez M. Lamella pour les mêmes raisons. Elle aurait une fois de plus essuyé un refus, aurait encore été battue et même menacée de mort. Elle aurait porté plainte une seconde fois.

 

[7]               Le 26 mars 2008, la demanderesse serait retournée une troisième fois chez M. Lamella pour les mêmes raisons, cette fois en compagnie de son fils. Carlos la bat de nouveau. Mauricio a avancé qu’il avait tenté de protéger sa mère, mais Carlos l’aurait également frappé. Madame Martin‑Eyzaguirre dépose une autre plainte à la police. Mauricio, quant à lui, aurait cessé ses études pour suivre une thérapie de groupe afin de surmonter sa peur.

 

[8]               Le 28 août 2008, la demanderesse aurait rencontré M. Lamella par hasard et lui aurait reformulé sa demande d’aide financière. Il aurait encore une fois refusé et l’aurait battue à un point tel qu’elle ne pouvait plus bouger.

 

[9]               Le 29 octobre 2008, alors qu’elle était accompagnée de son fils, Mme Martin‑Eyzaguirre rencontre de nouveau M. Lamella par hasard. Ce dernier les aurait alors menacés avec une arme à feu et leur aurait dit qu’il les tuerait si la demanderesse continuait de lui demander de l’argent. Ils auraient porté plainte pour une quatrième fois.

 

[10]           Les demandeurs sont arrivés au Canada le 19 décembre 2008, et ont demandé l’asile le même jour.

 

La décision contestée

[11]           Le Tribunal a conclu que les demandeurs ne sont pas crédibles. Il n’a pas cru à l’existence de Carlos, ni au fait que les demandeurs auraient été victimes de violence de sa part et qu’ils auraient porté plainte contre lui à quatre reprises.

 

[12]           Le Tribunal s’est d’abord étonné que la demanderesse ait attendu 18 ans pour retracer Carlos, alors qu’il semblait assez facile de le retrouver puisque c’est une cousine de ce dernier rencontrée par hasard qui lui aurait donné son adresse. Le Tribunal trouve surprenant que les demandeurs ne l’aient jamais croisé auparavant, puisque Carlos habitait apparemment dans le même quartier.

 

[13]           D’autre part, le Tribunal s’est étonné que la demanderesse ait cherché à rencontrer Carlos parce que sa situation financière se détériorait, alors même qu’elle avait un emploi au sein d’une compagnie à cette époque et qu’il s’agissait de sa plus longue période de travail avec la même compagnie.

 

[14]           Le Tribunal s’est également dit surpris que la demanderesse ne puisse fournir aucune preuve de l’existence de Carlos et qu’elle ait pu vouloir détruire toute trace de sa relation avec un homme dont elle se savait enceinte.

 

[15]           L’absence de preuve médicale pouvant corroborer les allégations d’agression physique est également apparue peu vraisemblable au Tribunal. La demanderesse a soutenu qu’elle ne s’était pas rendue à l’hôpital parce qu’elle n’a jamais été sérieusement blessée, ce qui a également étonné le Tribunal.

 

[16]           La demanderesse a également éprouvé de la difficulté à expliquer les étapes du processus de déposition d’une plainte à la police, alors même qu’elle a déclaré avoir porté plainte à quatre reprises contre Carlos. Elle a tout d’abord prétendu ne pas avoir relu les plaintes, pour ensuite dire qu’elle les avait lues au moment où l’agent prenait ses dépositions. Elle a également répondu dans un premier temps ne pas avoir signé les plaintes et avoir signé un autre document, pour finalement dire qu’elle croyait les avoir signées. Toutes ces contradictions ont amené le Tribunal à constater qu’elle tentait d’ajuster son témoignage, et à ne pas croire qu’elle soit effectivement allée porter plainte, d’autant plus que la preuve documentaire est à l’effet que l’agent de police relit la déposition au plaignant avant de lui demander d’apposer sa signature sur la plainte. Pour ces motifs, le Tribunal n’a accordé aucune valeur probante aux quatre plaintes déposées en preuve.

 

[17]           Le Tribunal constate aussi que Mauricio aurait été prêt à fréquenter une université publique gratuite s’il avait pu prendre part à un examen d’admission plus rapidement, et ne croit pas les allégations de menaces qu’il aurait reçues de la part de Carlos compte tenu qu’il serait surprenant qu’il ait tenu à poursuivre ses études dans une université privée au point d’imposer d’importantes séquelles physiques à sa mère. De la même façon, le Tribunal s’étonne que la demanderesse ait volontairement choisi de s’exposer à trois reprises à des violences physiques alors que son fils aurait pu tout simplement opter pour une université publique.

 

Question en litige

[18]           La seule question en litige dans le présent dossier est celle de savoir si le Tribunal a erré dans l’évaluation de la crédibilité des demandeurs.

 

Analyse

[19]           L’évaluation de la crédibilité des demandeurs par le Tribunal doit faire l’objet d’un degré élevé de déférence. La Cour n’interviendra que si les conclusions du Tribunal n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47, [2008] 1 RCS 190).

 

[20]           Les demandeurs ont essentiellement soutenu que le Tribunal avait erré en s’appuyant sur ses propres impressions plutôt que sur des incohérences ou des contradictions dans les témoignages ou dans la preuve au dossier. Lors de l’audition, leur procureur s’est employé à tenter de démontrer qu’il n’y avait rien d’invraisemblable dans le comportement des demandeurs, et en particulier dans les agissements de la demanderesse.

 

[21]           J’admets d’emblée que certaines des « invraisemblances » relevées par le Tribunal peuvent sans doute trouver explication et ne minent peut-être pas fatalement, considérées isolément, la crédibilité des demandeurs. Par exemple, il n’est pas impossible que la demanderesse ne se soit jamais rendue à l’hôpital suite aux agressions dont elle dit avoir été victime tout simplement parce que son état n’était pas suffisamment sérieux pour requérir des soins médicaux. De la même façon, il n’est pas impensable qu’elle ait pu détruire tous les documents susceptibles de prouver l’existence de Carlos au moment de leur rupture, par dépit ou parce qu’elle s’est sentie trahie par l’homme qu’elle aimait. Enfin, il est sans doute vrai que des mères sont prêtes à subir bien des affronts au nom d’un amour inconditionnel pour un enfant.

 

[22]           Il n’en demeure pas moins que le Tribunal pouvait tirer une inférence négative de l’ensemble de la preuve et du témoignage des demandeurs. Bien que chacun des agissements de madame Martin‑Eyzaguirre et de son fils puisse être rationnalisé, il n’en demeure pas moins que leur histoire, considérée globalement, pouvait soulever des doutes dans l’esprit du Tribunal. À cet égard, l’absence de preuve documentaire relativement aux agressions ou à l’existence même du persécuteur ajoute certainement à l’improbabilité de leur récit. Il en va de même des difficultés qu’a eues la demanderesse à expliquer le processus suivi lors du dépôt de ses plaintes; une lecture attentive de la transcription révèle le caractère laborieux de son témoignage à cet égard. Cela ne manque pas de laisser songeur, compte tenu du fait que la demanderesse prétend avoir déposé quatre plaintes.

 

[23]           Dans ces circonstances, le Tribunal pouvait tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité des demandeurs. Au surplus, il est permis de se demander si nous sommes vraiment ici en présence d’une situation de persécution. Il appert de la preuve et du témoignage de la demanderesse que cette dernière n’a été menacée et agressée par Carlos qu’après lui avoir demandé une aide financière pour son fils. Nous ne sommes pas ici en présence d’une situation où le persécuteur recherche activement sa victime. Il semble plutôt que madame Martin‑Eyzaguirre n’ait eu aucune altercation avec Carlos tant et aussi longtemps qu’elle ne cherchait pas à entrer en contact avec lui et à lui demander de l’argent. Dans ces circonstances, il m’apparaît douteux que l’on puisse parler de persécution, puisque les demandeurs peuvent aisément échapper à la violence de Carlos en renonçant au soutien financier qu’il pourrait leur apporter.

 

[24]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis donc d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question pour fins de certification, et aucune ne sera certifiée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.  Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-555-11

 

INTITULÉ :                                       ISABEL MARTIN-EYZAGUIRRE ET AL.

                                                            et   MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 4 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 6 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claude Whalen

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Marilyne Trudeau

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claude Whalen

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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