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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20111018


Dossier : IMM-2050-11

Référence : 2011 CF 1170

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

JOSE WILFREDO HERNANDEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Hernandez souhaite faire annuler une décision de la Section de la protection des réfugiés, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, par laquelle il a été exclu de la protection accordée aux réfugiés. Aux termes de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, « [l]a personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger ». La Commission a conclu que le demandeur était une personne visée à l’article 1Fa) de la Convention, qui est rédigé de la façon suivante :

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

(…)

 

[2]               La demande sera rejetée pour les motifs énoncés ci‑dessous.

 

Le contexte

[3]               Le demandeur est arrivé au Canada en septembre 2008 en compagnie de ses frères et sœurs et du conjoint de l’un d’eux. La Commission a conclu que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés et a rejeté les autres demandes d’asile à la lumière de la preuve produite. La présente demande et la décision visent uniquement l’exclusion dont le demandeur a été frappé.

 

[4]               M. Hernandez a servi dans l’armée du Salvador pendant deux ans, soit de 1988 à 1990. Il était un soldat sans grade. Il n’a obtenu aucun avancement; il a cependant touché une augmentation considérable de sa solde et a été muté dans un bataillon d’élite, le bataillon Atonal (Recondo-Battalion Atonal), qui collaborait étroitement avec les forces aériennes. Il est resté six mois dans ce bataillon, jusqu’à ce qu’il décide que le travail était trop difficile. Après son service militaire, il est retourné dans son village tout en demeurant réserviste.

 

[5]               C’est le service militaire, et en particulier l’affectation dans le bataillon Atonal, qui a amené la Commission à conclure que le demandeur devait être exclu de la protection accordée aux réfugiés.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[6]               Aucun élément de preuve ne permet de conclure que le demandeur a pris part à des crimes contre l’humanité. M. Hernandez a d’ailleurs nié avoir participé à de tels crimes. Se fondant sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1992] 2 C.F. 306, la Commission a toutefois conclu que le demandeur avait été complice de crimes contre l’humanité durant son service de deux ans dans l’armée salvadorienne. Pour tirer cette conclusion, la Commission a tenu compte des divers facteurs énoncés dans Ramirez, notamment la façon dont le demandeur avait été recruté, la nature de l’organisation, son poste ou grade dans l’organisation, sa connaissance des atrocités commises, la possibilité de quitter l’organisation et la durée du service.

 

Les facteurs énoncés dans Ramirez

1. La méthode de recrutement

[7]               Le demandeur s’est engagé de son plein gré dans l’armée en 1988, juste avant son 17e anniversaire. Il n’a pas été forcé ni obligé d’entrer dans l’armée, et il s’est enrôlé avant d’avoir 18 ans, l’âge de conscription. Le demandeur a déclaré qu’il se serait probablement enrôlé indépendamment du service obligatoire à 18 ans.

 

2. La nature de l’organisation

[8]               La Commission a accepté la preuve documentaire qui montre que, entre 1980 et 1992, l’armée du Salvador était connue pour commettre fréquemment et avec brutalité des violations des droits de la personne. De nombreux militaires et membres de la Garde nationale étaient également étroitement liés à des escadrons de la mort, responsables d’une grande partie des actes de violence commis à l’égard de civils innocents. En 1988, lorsque le demandeur est entré dans l’armée, le pays et le monde entier étaient au courant de ces violations des droits de la personne. La Commission a souligné que le gouvernement du Salvador et le Front Farabundo Marti de libération nationale (le FMLN) avaient signé un accord sur les droits de la personne en juillet 1990. La preuve documentaire donnait toutefois à penser que, vu le nombre de civils décédés ou blessés, les deux parties s’étaient servies de non-combattants pendant les combats. 

 

[9]               Selon la Commission, les forces militaires et paramilitaires avaient mené une « chasse aux sorcières » et ceux qui étaient seulement soupçonnés de soutenir le FMLN étaient pris pour cible; il s’agissait de civils, de paysans, de petits propriétaires fonciers, de journalistes, de prêtres jésuites et de riches hommes d’affaires.

 

3. Le poste ou grade dans l’organisation

[10]           La Commission a reconnu que le demandeur ne détenait aucun grade dans l’armée, mais elle a souligné qu’il avait été muté dans une unité d’élite spéciale, le bataillon Atonal, qui collaborait étroitement avec les forces aériennes. Le demandeur a déclaré qu’il ne voulait pas faire partie de cette unité spéciale, même si cela lui avait donné une augmentation salariale substantielle. Le demandeur est demeuré dans cette unité pendant six mois, jusqu’à ce que, trouvant le travail trop difficile, il décide de partir. La Commission s’est arrêtée au fait que ce bataillon et cinq autres ont été décrits dans un rapport daté du 14 août 2000 du Bureau de la citoyenneté et des services d’immigration des États‑Unis, intitulé El Salvador: Belloso Battalion, de la façon suivante :

[traduction]

 

[…] formés au début des années 1980 avec l’aide des États‑Unis […] [c]es BIRI, tous des bataillons aéroportés comptant un millier d’hommes spécialement formés, étaient le fer de lance des efforts de l’armée contre les guérilleros insurgés du FMLN. Il s’agissait sans aucun doute des unités militaires les plus agressives pendant la guerre, comme le démontre le taux élevé de violations des droits de la personne que leur attribue la base de données El Rascate sur les violations des droits de la personne pendant le conflit intérieur au Salvador. [Non souligné dans l’original.]

 

4. La connaissance des atrocités commises

[11]           La Commission a estimé que le demandeur, bien qu’il l’ait nié, avait connaissance des atrocités commises de manière généralisée par son organisation. Elle a souligné que le demandeur avait déclaré qu’il aimait beaucoup lire et qu’il suivait l’évolution de la guerre dans les journaux. La Commission a conclu que ces journaux devaient contenir de l’information sur les violations des droits de la personne. Elle a souligné que même si les violations commises par ces bataillons avaient diminué alors que la guerre se poursuivait, il y avait eu une augmentation des [traduction] « attaques aveugles par les militaires. La répression n’était pas moins délibérée ou systématique, mais les effets n’étaient pas aussi meurtriers [note de bas de page omise]. »

 

[12]           Bien que le demandeur n’ait pas beaucoup parlé de son service dans l’armée, il a déclaré qu’il avait, un jour, sauvé un couple de cultivateurs de maïs qui avaient été capturés par son unité. Il les a libérés même s’il avait reçu l’ordre d’amener tous les prisonniers. Au supérieur qui le réprimandait, le demandeur aurait demandé comment il réagirait si un membre de sa famille était assassiné. Se fondant sur cette déclaration, la Commission a conclu que même si le demandeur ne voulait pas l’admettre, il devait savoir que les cultivateurs allaient être assassinés sur l’ordre de ses supérieurs.

 

[13]           La Commission a également souligné que le demandeur avait admis qu’il y avait des bons et des méchants des deux côtés, mais qu’il n’avait donné aucun détail à ce sujet.

 

[14]           La Commission a conclu que, comme le bataillon du demandeur et les cinq autres étaient le fer de lance de l’armée dans sa lutte contre les insurgés, et en raison de la perception générale selon laquelle de nombreux habitants des régions rurales étaient des sympathisants du FMLN, le demandeur devait à tout le moins être au courant des attaques générales lancées contre la population civile.

 

5. La possibilité de quitter l’organisation

[15]           La Commission a souligné que le demandeur avait quitté l’organisation de son propre chef. Lorsqu’elle lui a demandé la raison de son départ, il a répondu qu’il n’aimait pas la façon dont ils se faisaient humilier et rabaisser. Il a dit aussi qu’il y avait beaucoup de mines dans la région et que le travail était très exigeant. La Commission a également remarqué que le demandeur était demeuré réserviste jusqu’à son départ du Salvador pour les États‑Unis.  

 

6. La période passée au sein de l’organisation

[16]           Le demandeur a servi un peu plus de deux ans dans l’armée avant d’en quitter les rangs. Il est demeuré réserviste par la suite.

 

Résumé

[17]           En résumé, la Commission a déclaré que, comme le demandeur s’était enrôlé dans l’armée de son plein gré, y était resté pendant deux ans et avait été muté dans un bataillon d’élite avec une augmentation de salaire, il avait dû être au courant des atrocités commises par son bataillon. La Commission a donc conclu que le demandeur avait été complice des crimes contre l’humanité commis durant ses deux années de service dans l’armée salvadorienne.

 

La question en litige

[18]           La Cour a une seule question à trancher : la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur a été complice de crimes contre l’humanité durant ses deux années dans l’armée salvadorienne est‑elle étayée par la preuve?

 

Analyse

[19]           La question soulevée en l’espèce est purement une question de fait qui doit être examinée selon la norme de raisonnabilité : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. 

 

[20]           L’article 98 de la Loi est ainsi libellé :

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

L’article 1Fa) de la Convention prévoit ce qui suit :

 

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes.

 

[21]           Le demandeur fait valoir que, contrairement à l’assertion de la Commission, aucune source documentaire n’attribue de violations des droits de la personne au bataillon Atonal. Il a tenté de fonder cet argument sur un affidavit faisant état d’une recherche du bataillon Atonal dans Internet; comme ce document n’avait pas été déposé devant la Commission, il a été rejeté comme élément de preuve n’ayant pas été déposé régulièrement dans la présente demande. 

 

[22]           Le demandeur soutient en outre que même si la Commission n’a jamais attaqué expressément sa crédibilité, elle a conclu, contrairement à ses dénégations, qu’il « avait connaissance des atrocités commises de manière généralisée par cette organisation ». Le demandeur affirme que cette conclusion n’est pas étayée par les faits et qu’il n’existe aucune preuve directe selon laquelle le bataillon Atonal avait lancé une « chasse aux sorcières » contre les civils ou commis des « atrocités […] de manière généralisée » durant sa période de service.

 

[23]           Enfin, il prétend que, même si la preuve montre que l’armée salvadorienne a commis des violations des droits de la personne, la période en question ne coïncide pas avec sa période de service et qu’il n’occupait pas un poste de commandement, étant plutôt un fantassin au sein d’une vaste organisation militaire polyvalente. 

 

[24]           Je ne puis accepter aucune de ces observations.

 

[25]           Premièrement, il ressort de la preuve présentée à la Commission que le bataillon Atonal a commis des violations des droits de la personne. La pièce 9, reproduite en partie dans la décision de la Commission, précise ce qui suit :

[traduction]

 

Cinq des BIRI appartenaient à l’armée – les bataillons Atlacatl, Arce, Atonal, Belloso et Bracamonte […] Les six BIRI, tous des bataillons aéroportés comptant chacun un millier d’hommes spécialement formés, étaient le fer de lance des efforts de l’armée contre [le FMLN]. Il s’agissait sans aucun doute des unités militaires les plus agressives pendant la guerre, comme le démontre le taux élevé de violations des droits de la personne que leur attribue la base de données El Rescate sur les violations des droits de la personne pendant le conflit intérieur au Salvador […]

      (…)

[T]ous les BIRI étaient prêts à mettre en œuvre le même type de tactiques brutales, en particulier à terroriser de façon systématique les civils des régions rurales en recourant à ce que les experts de la répression au Salvador ont appelé une ‘stratégie d’assassinats collectifs’ et une ‘tuerie par secteur’ […] » [Non souligné dans l’original.]

 

 

[26]           Deuxièmement, la Commission a jugé le demandeur crédible en général, mais elle a rejeté sa déclaration quant à sa connaissance des atrocités commises par l’armée. Elle n’a donc pas commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur « avait connaissance des atrocités commises de manière généralisée par cette organisation ». Il ressort d’une lecture globale de la décision que la Commission a évalué à plusieurs reprises le témoignage oral du demandeur, y compris à cette occasion-ci. Dans ce cas particulier cité par le demandeur, la Commission a écrit que « [b]ien que le demandeur d’asile principal nie avoir personnellement pris part à des violations des droits de la personne, le tribunal estime qu’il avait connaissance des atrocités commises de manière généralisée par cette organisation ». La Commission a clairement attaqué la crédibilité du demandeur dans ce cas-là, même si elle a jugé qu’il était un témoin crédible en général.

 

[27]           Enfin, bien que le demandeur dise que la période durant laquelle des violations des droits de la personne ont été commises au Salvador ne coïncide pas avec sa période de service militaire, soit de 1988 à 1990, la Commission en a conclu autrement. Par conséquent, le demandeur souhaite essentiellement que la Cour réexamine la preuve et qu’elle tire une conclusion différente de celle de la Commission. Se référant à la preuve documentaire, la Commission a déclaré qu’« entre 1980 et 1992, l’armée du Salvador était reconnue comme une armée qui commettait fréquemment et avec brutalité des violations des droits de la personne ». À mon avis, cette conclusion était étayée par la preuve documentaire présentée à la Commission. Bien que les rapports ne parlent pas de violations des droits de la personne commises par le bataillon Atonal, comme je l’ai dit précédemment, la preuve confirme que ce bataillon a participé aux violations. Il était raisonnable pour la Commission de conclure, à la lumière de la preuve, que le bataillon du demandeur avait commis des violations des droits de la personne tout au long de la guerre contre le FMLN, même s’il n’est pas fait mention, dans les documents présentés, de violations qui auraient été commises par ce bataillon.

 

[28]           Quoi qu’il en soit, le défendeur a raison de dire que la période d’appartenance à une organisation n’est pas pertinente en ce sens qu’il n’est pas requis que les dates de l’adhésion d’un individu à l’organisation correspondent aux dates auxquelles cette organisation a commis des actes de terrorisme ou de renversement par la force : Gebreab c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CAF 274.

 

Conclusion

[29]           Pour ces motifs, j’estime que la Commission a rendu une décision raisonnable à la lumière de la preuve qui lui avait été présentée et que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[30]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit : la demande est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2050-11

 

INTITULÉ :                                       JOSE WILFREDO HERNANDEZ c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 SEPTEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 OCTOBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

R. Michael Birnbaum 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

R. MICHAEL BIRNBAUM

Avocat et notaire public

Calgary (Alberta)    

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Calgary(Alberta)    

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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