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Date : 20111020


Dossier : IMM‑6224‑10

Référence : 2011 CF 1194

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

LEKAN AKINOSHO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire formée par Lekan Akinosho contre la décision par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent) a rejeté sa demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire (la demande CH). Par une décision parallèle, l’agent a aussi rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR) présentée par M. Akinosho.

 

[2]               M. Akinosho est arrivé au Canada, venant des États‑Unis, en 2002. Peu après, il a demandé l’asile en invoquant sa crainte d’être persécuté du fait de ses activités de journaliste et de militant des droits de la personne ayant critiqué le régime nigérian.

 

[3]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile de M. Akinosho aux motifs qu’il manquait de crédibilité et qu’il n’avait pas produit les éléments de corroboration qu’il était normal d’attendre. La Commission s’étonnait en particulier qu’il n’ait pas produit de copies des articles, nombreux selon lui, où il aurait critiqué le pouvoir nigérian. Elle a rejeté son explication selon laquelle cette omission était une erreur innocente et elle a conclu que ces éléments de preuve manquants lui étaient facilement accessibles. Cette explication paraissait d’autant plus douteuse à la Commission qu’il avait pu produire des coupures de presse confirmant le rôle qu’il avait joué dans le syndicat des étudiants entre 1986 et 1990. La Commission a également refusé de se satisfaire de la justification donnée par le demandeur de la non-production d’une carte de presse qu’il avait laissée chez son père au Nigéria, étant donné qu’il avait pu produire des informations provenant du Canada qui le présentaient comme un journaliste en exil. La Commission a rejeté ces éléments de preuve provenant du Canada aux motifs de leur caractère intéressé et de l’absence de confirmation de leurs sources.

 

[4]               Étant donné que M. Akinosho n’avait pas produit d’éléments de corroboration dignes de foi provenant du Nigéria, la Commission a refusé de croire qu’il était journaliste ou militant des droits de la personne. Elle a conclu subsidiairement que, le régime ayant changé au Nigéria, il ne serait pas dangereux pour lui d’y rentrer.

 

[5]               En outre, la Commission n’a pas ajouté foi aux déclarations de M. Akinosho selon lesquelles il aurait été arrêté et torturé en 1989, 1992 et 2001. Elle a fondé cette conclusion sur plusieurs omissions, contradictions et incohérences de sa preuve, à savoir : l’incapacité où il était de se rappeler en détail les événements pertinents de 2001, une contradiction au sujet de la manière dont il avait été blessé à l’œil, l’absence de mention dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) des tortures qu’il aurait subies en prison, l’absence de preuve documentaire confirmant sa participation aux émeutes graves survenues à Lagos en 2001 et une contradiction touchant le point de savoir s’il avait vécu dans la clandestinité après sa libération. La Commission a jugé ces failles du témoignage de M. Akinosho suffisamment graves pour conclure à sa non-crédibilité et pour rejeter sa preuve relative à la persécution.

 

[6]               Les demandes d’ERAR et CH de M. Akinosho se fondaient précisément sur le même exposé des risques qu’il avait présenté à la Commission et que celle-ci n’a pas retenu. La seule différence était qu’il a présenté à l’agent certains éléments destinés à corroborer ses dires, soit sa carte de presse nigériane, des copies de coupures de presse d’autres articles qu’il avait écrits, des récits de persécutions subies par d’autres journalistes au Nigéria, une lettre de sa mère, et des lettres d’Amnistie internationale tendant à confirmer son passé de journaliste et de militant des droits de la personne au Nigéria.

 

[7]               La demande d’ERAR de M. Akinosho a été rejetée au motif qu’il n’avait pas produit d’éléments de preuve nouveaux, c’est‑à‑dire qui n’étaient pas normalement accessibles au moment de l’audition de sa demande d’asile. L’agent a conclu avec raison que M. Akinosho aurait pu produire devant la Commission la plupart des éléments de preuve documentaire qu’il lui avait présentés à lui-même (c’est‑à‑dire les lettres d’Amnistie internationale, les coupures de presse et la carte de presse) et qu’on ne pouvait donc les prendre par la suite en considération dans un ERAR. Quant aux autres éléments présentés aux fins de l’ERAR, soit les récits tendant à établir les risques courus par les journalistes au Nigéria et la lettre de la mère du demandeur, l’agent les a estimés inapplicables à la situation personnelle de M. Akinosho ou insuffisants pour neutraliser les conclusions défavorables que la Commission avait déjà tirées sur sa crédibilité.

 

[8]               L’avocat de M. Akinosho soutient que l’agent avait l’obligation, dans le contexte de la demande CH, de prendre en considération les nouveaux éléments de preuve relatifs aux risques, qu’ils soient ou non admissibles dans le cadre de la demande d’ERAR. Il ajoute que, de l’absence de mention explicite de ces éléments, il faut conclure que l’agent n’en a pas tenu compte. Il avance aussi l’argument que l’agent a confondu les critères d’appréciation des risques respectivement applicables aux demandes d’ERAR et aux demandes CH. Enfin, il fait valoir que la décision de l’agent est abusive au sens où elle entre en contradiction avec les éléments prouvant que M. Akinosho était journaliste au Nigéria et serait donc toujours en danger s’il y rentrait. Aucun de ces arguments n’est fondé.

 

[9]               J’admets que, si elle avait disposé des éléments que M. Akinosho a apparemment obtenus plus tard, la Commission aurait peut-être tiré une conclusion différente sur l’étendue de son activité journalistique au Nigéria. Mais ces éléments n’auraient pas dissipé les doutes sur sa crédibilité pour ce qui concerne un bon nombre des multiples et importantes contradictions, omissions et incohérences que la Commission a relevées dans son témoignage.

 

[10]           L’agent était fondé à faire preuve de réserve à l’égard des conclusions de la Commission sur la crédibilité, et il est de jurisprudence constante que, pas plus que la demande d’ERAR, la demande CH ne peut servir de voie de recours détournée contre le rejet d’une demande d’asile. Le juge Marc Nadon a formulé sur ce point les observations suivantes au paragraphe 12 de Hussain c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 97 ACWS (3d) 726 (CF 1re inst.), [2000] ACF no 751 (QL):

12     Je veux faire remarquer que dans leur demande présentée à M. St. Vincent pour considérations humanitaires, les demandeurs ont procédé comme si M. Hussain était un membre du MMQ, nonobstant les conclusions très claires au contraire auxquelles était arrivée la Commission du statut de réfugié et l’agente chargée de la CDNRSRC. Les demandeurs semblent croire que s’ils continuent à ajouter des documents au dossier, les conclusions de la Commission du statut de réfugié quant à leur crédibilité seront « infirmées » ou « oubliées ». Selon moi, ils sont dans l’erreur puisque l’agent qui traite une demande pour motifs humanitaires ne siège ni en appel ni en contrôle de la Commission du statut de réfugié ou de la décision de l’agente chargée de la CDNRSRC. Par conséquent, en traitant la demande pour motifs humanitaires, M. St. Vincent ne pouvait se fonder sur le fait que M. Hussain aurait été membre du MMQ, étant donné les conclusions de la Commission du statut de réfugié sur cette question. En bref, l’objectif d’une demande pour motifs humanitaires n’est pas de rediscuter des faits dont avait été saisie la Commission du statut de réfugié, non plus que de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement, savoir contester les conclusions de la Commission du statut de réfugié.

 

 

Voir aussi Nkitabungi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 331, paragraphe 8, [2007] ACF no 449 (QL); et Potikha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 136, paragraphes 49 à 54, [2008] ACF no 167 (QL).

 

[11]           Dans la présente espèce, l’agent a manifestement examiné les nouveaux éléments de preuve présentés par M. Akinosho, mais il a conclu qu’ils n’étayaient pas suffisamment ses allégations de risques personnels ni ne réglaient les graves problèmes de crédibilité relevés par la Commission. S’il est vrai qu’il n’a pas mentionné explicitement la lettre d’Amnistie internationale dans sa décision CH, l’agent l’a bel et bien citée dans sa décision d’ERAR, de même qu’un bon nombre des autres éléments prétendument nouveaux que M. Akinosho aurait pu facilement produire devant la Commission. J’estime que l’agent a pris ces éléments en considération dans le contexte de la demande CH au motif qu’il y fait référence dans le passage suivant :

[TRADUCTION]

J’ai conclu dans le cadre de l’étude de la demande d’ERAR que les observations présentées par le demandeur ne réfutaient aucune des conclusions de la CISR. J’ai alors estimé qu’il n’avait pas produit d’éléments objectifs propres à établir l’apparition de nouveaux risques, afférents à la situation nationale ou à sa situation personnelle, depuis la date de la décision de la SPR.

 

Le demandeur soutient que l’État nigérian est parfaitement au courant de ses écrits et commentaires sur les événements politiques nationaux. Il fait valoir énergiquement qu’il reste une personne d’intérêt pour les autorités nigérianes. Cependant, je conclus qu’il n’a pas produit d’éléments objectifs qui suffiraient à corroborer ces affirmations.

 

 

[12]           Il est également certain que l’agent avait conscience de son obligation d’analyser les éléments de preuve relatifs aux risques produits dans le cadre de la demande CH du point de vue des difficultés excessives et non de la crainte de persécution. En fin de compte, cependant, l’agent a conclu que les éléments produits devant lui ne suffisaient pas à neutraliser les conclusions défavorables de la Commission touchant la crédibilité du demandeur. Il était raisonnablement permis à la Commission de tirer ces conclusions du dossier dont elle était saisie, et l’on ne peut les annuler en contrôle judiciaire pour la simple raison qu’un point de vue différent sur la preuve aurait pu se justifier.

 

[13]           M. Akinosho fait aussi valoir que la lettre d’Amnistie internationale établissait de manière concluante qu’il était une personne d’intérêt pour la police nigériane et qu’il risquait toujours l’emprisonnement arbitraire. Cette lettre citait des renseignements présentés comme provenant d’une source canadienne sûre, soit le Dr Owens Wiwa, frère du célèbre écrivain nigérian Ken Saro‑Wiwa. Selon M. Akinosho, cet élément de preuve était si convaincant qu’il donnait un caractère abusif à la conclusion contraire de l’agent.

 

[14]           Or il était raisonnable de la part de l’agent de conclure qu’il convenait de n’attribuer guère de poids à cette pièce. Les éléments prétendument corroborants qu’énumère la lettre d’Amnistie internationale y sont exposés de manière propre à étayer la décision de l’agent de les rejeter. L’opinion exprimée dans cette lettre selon laquelle M. Akinosho restait en danger se fondait sur des déclarations attribuées à une source non identifiée (dont rien ne dit qu’elle n’est pas le demandeur lui-même), qui aurait parlé au Dr Wiwa. Ce dernier, toujours selon la lettre d’Amnistie internationale, serait entré en rapport avec d’autres sources non identifiées au Nigéria au sujet de M. Akinosho. La lettre ne précise pas la nature des renseignements que le Dr Wiwa aurait ainsi obtenus, et il n’y a aucun moyen pour quiconque d’en vérifier la sûreté et la valeur probante. Il paraît légitime de supposer que le Dr Wiwa aurait facilement pu produire une lettre détaillant les résultats de ses recherches et indiquant ses sources. Pourtant, M. Akinosho a décidé d’invoquer des déclarations vagues et de troisième main pour des raisons qui restent inexpliquées.

 

[15]           L’agent a aussi examiné les articles de presse écrits par M. Akinosho et il a conclu que leur contenu ne justifiait pas sa prétention d’être un journaliste et militant connu dont l’activité aurait attiré l’attention défavorable des autorités. C’est là aussi une interprétation raisonnable de la preuve qui ne peut être infirmée en contrôle judiciaire.

 

[16]           Je ne puis relever aucune erreur donnant lieu à révision dans la décision de l’agent, en conséquence de quoi je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[17]           Le demandeur propose les trois questions suivantes à la certification :

1.         L’agent d’immigration saisi d’une demande CH manque‑t‑il à l’équité procédurale s’il ne fait pas explicitement mention d’éléments de preuve documentaire, produits à l’appui de cette demande, dont le contenu est pertinent quant aux faits contestés, mais adopte plutôt les motifs de la décision de la CISR concernant le demandeur et ceux de la décision d’ERAR dont il est lui-même l’auteur, et ce, sachant que lesdits éléments de preuve n’ont pas été produits au soutien de la demande examinée par la CISR ni de la demande d’ERAR?

 

2.         Les doutes sur la crédibilité exprimés par le commissaire du tribunal de la CISR dispensent‑ils l’agent saisi d’une demande CH d’examiner la preuve produite devant lui et de tirer, en se fondant sur cette preuve, ses propres conclusions touchant le degré des difficultés que pourrait subir le demandeur?

 

3.         Dans le cas où la demande CH, la demande d’ERAR et la demande d’asile ont le même fondement, l’agent saisi de la demande CH est‑il tenu de baser sa décision sur son propre examen de la preuve produite devant lui au soutien de cette dernière demande, de citer explicitement tous éléments de preuve susceptibles de se révéler pertinents quant à tout fait contesté et d’étudier ladite demande en fonction des difficultés que le demandeur risque de subir s’il est renvoyé dans son pays d’origine, ou suffit‑il que ledit agent adopte les motifs du tribunal de la CISR et ceux de l’agent d’ERAR, en dépit du fait que la plus grande partie de la preuve dont il dispose n’ait été produite devant ni l’un ni l’autre?

 

 

[18]           Le défendeur s’oppose à la certification d’une quelconque question dans la présente espèce, au motif que le présent dossier ne soulève aucune question grave de portée générale et que les questions posées par le demandeur sont réglées par une jurisprudence bien établie. J’abonde dans le sens du défendeur et ne certifierai ici aucune question. Les points déterminants dans la présente espèce se rapportent tous à la preuve et ne soulèvent aucune question de portée juridique générale.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑6224‑10

 

INTITULÉ :                                       AKINOSHO c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

STELLA IRIAH ANAELE

 

POUR LE DEMANDEUR

 

AMY KING

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stella Iriah Anaele

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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