Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20111020

Dossier : T‑1104‑10

Référence : 2011 CF 1201

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, PEACE RIVER COAL INC. ET

L’ASSOCIATION CANADIENNE

DE TRANSPORT INDUSTRIEL

 

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]             La demanderesse sollicite une ordonnance de la nature d’un certiorari cassant et annulant le décret 2010‑0749, pris par le gouverneur en conseil le 10 juin 2010. Ce décret annulait la décision no 392‑R‑2008, en date du 18 juillet 2008, par laquelle l’Office des transports du Canada s’était déclaré incompétent pour modifier les conditions d’un contrat passé entre la demanderesse, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, et la défenderesse Peace River Coal Inc. Par les motifs qui suivent, la présente demande sera accueillie avec dépens.

TABLE

[2]             La matière des présents motifs est divisée comme suit pour la commodité du lecteur :

 

LES PARTIES

Paragr. 3 à 7

 

 

LA PREUVE

Paragr. 8 et 9

 

 

LE CONTRAT

Paragr. 10 à 18

 

 

LES TARIFS

Paragr. 19 à 22

 

 

LA DEMANDE PRÉSENTÉE À L’OFFICE PAR PRC

Paragr. 23 et 24

 

 

LA DÉCISION DE L’OFFICE

Paragr. 25

 

 

LA REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR L’ACTI AU GOUVERNEUR EN CONSEIL

Paragr. 26

 

 

LA DÉCISION DU GOUVERNEUR EN CONSEIL (LE DÉCRET)

Paragr. 27 et 28

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

Paragr. 29

 

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES DE LA LOI SUR LES TRANSPORTS AU CANADA

Paragr. 30 à 42

 

 

QUESTION NO 1 – Quelle est la nature de la demande que PRC a présentée à l’Office?

Paragr. 43 à 45

 

 

QUESTION NO 2 – Quelle est la nature de la décision par laquelle l’Office a rejeté la demande de PRC?

Paragr. 46 à 48

 

 

QUESTION NO 3 – Quelle est la nature de la requête que l’ACTI a présentée au gouverneur en conseil?

Paragr. 49 à 53

 

 

QUESTION NO 4 – Quelle est la nature de la décision formulée dans le décret?

 

Paragr. 54 et 55

QUESTION NO 5 – Le gouverneur en conseil, en prenant le décret, a‑t‑il agi dans le cadre du pouvoir que lui confère l’article 40 de la Loi sur les transports au Canada, ou l’article 41 de celle‑ci soustrayait‑il à ce pouvoir la question portée devant lui?

Paragr. 56 à 61

 

 

QUESTION NO 6 – Quelle norme de contrôle la Cour doit-elle appliquer au décret?

Paragr. 62 à 68

 

 

QUESTION NO 7 – Le décret est‑il correct ou raisonnable – selon la norme de contrôle applicable – au regard des dispositions de l’article 120.1 de la Loi sur les transports au Canada?

Paragr. 69 à 71

 

 

QUESTION NO 8 – Le décret est‑il correct ou raisonnable – selon la norme de contrôle applicable – compte tenu du fait que le contrat liant PRC et le CN est un « contrat confidentiel »?

 

Paragr. 72 à 75

 

 

CONCLUSION ET ADJUDICATION DES DÉPENS

Paragr. 76 et 77

 

LES PARTIES

[3]             La demanderesse, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN), est une entreprise ferroviaire relevant de la compétence fédérale qui offre des services de transport intégré au Canada.

 

[4]             La défenderesse Peace River Coal Inc. (PRC) est une société de droit britanno‑colombien exerçant ses activités en Colombie‑Britannique, qui exploite notamment une installation de chargement de charbon sise à Trend, dans cette même province.

 

[5]             La défenderesse Association canadienne de transport industriel (l’ACTI) est une association professionnelle qui représente au Canada les intérêts des expéditeurs tels que PRC. C’est l’ACTI qui a soumis au gouverneur en conseil la requête ayant donné lieu au décret en litige dans la présente espèce.

 

[6]             Le défendeur procureur général du Canada représente les intérêts du gouverneur en conseil dans la présente instance.

 

[7]             L’Office des transports du Canada (l’Office) n’est pas partie à la présente instance. L’Office est un tribunal administratif institué par la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10, qui lui donne mandat entre autres pour rendre des décisions sur le transport de marchandises au Canada.

 

LA PREUVE

[8]             Le CN a produit en preuve un affidavit de Me Jean Patenaude, chef adjoint de son contentieux, accompagné de plusieurs pièces. Le contre-interrogatoire de Me Patenaude par l’avocat de PRC a donné lieu à la production de trois autres pièces.

 

[9]             PRC a produit en preuve un affidavit de M. David Richard Evans, responsable des initiatives stratégiques en matière de transport et de logistique dans cette entreprise. Le contre‑interrogatoire de M. Evans par l’avocat du CN a entraîné la production de huit pièces.

 

LE CONTRAT

[10]         Le CN et PRC ont passé un contrat intitulé [TRADUCTION] Contrat confidentiel de transport par le CN no 662673‑AA, qui a pris effet le 1er janvier 2008. Ce contrat devait rester en vigueur jusqu’au 30 juin 2010. Le CN s’y engageait à transporter du charbon à partir des installations de PRC sises à Trend (C.‑B) jusqu’à Ridley (C.‑B.). La clause 6 dudit contrat en stipulait la confidentialité dans les termes suivants :

 

[TRADUCTION]

6.         CONFIDENTIALITÉ

 

Le présent contrat est confidentiel, et son contenu n’est pas porté à la connaissance de tiers sauf obligation légale ou réglementaire, ou consentement des parties.

 

 

[11]         Le même contrat contient aussi les dispositions suivantes :

                        [TRADUCTION]

2.         FRAIS DE TRANSPORT

 

A.         Le présent contrat porte sur le transport de la marchandise ou des marchandises indiquées à l’annexe 1 sous le titre « Spécification des marchandises et des services de transport » (ci‑après « la marchandise »).

 

 

4.         INCORPORATION PAR RENVOI

 

Sont incorporés par renvoi dans le présent contrat tous les tarifs, règles et règlements applicables au transport de la marchandise, sauf incompatibilité avec ses stipulations. En cas d’incompatibilité, celles‑ci l’emportent.

 

 

 

[12]         L’annexe 1 du contrat spécifie les prix par wagonnée, sous réserve de certaines conditions, notamment la suivante :

[TRADUCTION]

Note(s)            -           [. . .]

 

- Les prix ci‑indiqués sont soumis au tarif de supplément carburant CN 7402, ainsi qu’à ses additifs ou rééditions [...]

 

-           [. . .]  

 

 

 

[13]         L’annexe 2 du contrat contient d’autres stipulations, notamment celle‑ci :

                        [TRADUCTION]

8.         Supplément carburant

 

Le tarif de supplément carburant CN 7402 est d’application pour la durée du présent contrat.

 

[14]         Aucune des parties ne conteste que ce contrat est un « contrat confidentiel » au sens de la Loi sur les transports au Canada, dont les dispositions applicables seront examinées ci‑dessous. La preuve montre que le « supplément carburant » qui fait l’objet du tarif 7402 était considéré comme une partie du « prix » demandé par le CN. Je reproduis à ce propos le paragraphe 17 de l’affidavit de Me Patenaude :

 

[TRADUCTION]

17.       Cependant, le supplément carburant restait, et est encore, un élément du prix total demandé pour le transport susdit. Une partie des coûts de carburant est prise en compte dans le prix de base, et le reste est recouvré au moyen du supplément carburant.

 

 

[15]         Il ressort à l’évidence de la preuve que PRC et le CN s’entendaient sur le fait qu’il était permis à ce dernier, pendant la durée du contrat, de modifier unilatéralement le supplément carburant prévu au tarif 7402. PRC, bien sûr, s’attendait à ce qu’il diminue. M. Evans déclare à ce propos au paragraphe 7 de son affidavit :

 

[TRADUCTION]

7.         L’existence de la clause suivante [...] empêchait PRC de prévoir avec certitude les services et les conditions auxquelles ils seraient fournis, et lui interdisait de pouvoir compter sur l’invariabilité des modalités du contrat jusqu’à son expiration [...]

 

 

[16]         En réponse à la question 156 de son contre-interrogatoire, M. Evans déclare que PRC s’attendait à la diminution du supplément carburant, qu’il désigne comme un prix :

 

[TRADUCTION]

 

156.     Q.        Effectivement. Et vous avez confirmé encore une fois à la clause 8 que le tarif de supplément carburant CN 7402 serait d’application pour la durée du contrat.

 

            R.         C’est exact – le tarif et ses additifs ou rééditions. Nous ne voulions pas fixer définitivement le prix applicable au niveau prévu par le tarif 7402 parce que ce niveau baissait, et qu’on prévoyait qu’il baisserait encore considérablement par la suite à mesure que le CN récupérerait une plus grande part de ses coûts ailleurs, comme il l’avait fait dans tous ses autres – bref, nous nous attendions à ce que le supplément diminue.

 

 

[17]         Me Patenaude, en réponse aux questions 39 à 42 de son contre-interrogatoire, où l’avocat contre-interrogeant parle à la fois de prix (rates) et de frais (charges), confirme que selon l’interprétation du CN il était permis à celui‑ci d’augmenter ou de diminuer les suppléments carburant :

[TRADUCTION]

39.       Q.        Or on lit ce qui suit au paragraphe 10 de votre affidavit :

 

« La disponibilité de contrats a transformé les relations commerciales du CN avec les expéditeurs. » À quoi vous ajoutez : « Le CN et ses clients sont maintenant en mesure de prévoir avec certitude les services et les conditions auxquelles ils seront fournis. »

 

            Au paragraphe 11, vous déclarez que les clients du CN savent ce que seront les prix et les frais sur une certaine durée. Je ne crois pas me tromper, Maître Patenaude, en disant que vous répétez dans votre affidavit, notamment aux paragraphes 48 et 49, l’idée que les clients connaîtront les prix et les frais et pourront les prévoir sur une certaine durée. Selon le contrat passé entre Peace River Coal et le CN, celui‑ci avait‑il la possibilité de changer ses tarifs pendant la durée de ce contrat?

 

            R.         Vous voulez parler des tarifs de frais accessoires?

 

40.       Q.        Oui.

 

            R.         Oui.

 

41.       Q.        Et le CN pouvait changer les prix et les tarifs de frais accessoires en les augmentant?

 

            R.         En les augmentant, ou en les diminuant dans certains cas, oui.

 

42.       Q.        Et il pouvait changer les conditions stipulées dans ces tarifs de frais accessoires?

 

            R.         Oui, c’est exact.

 

 

 

[18]         On peut donc raisonnablement tirer les conclusions suivantes concernant le contrat en question :

 

  • c’était un « contrat confidentiel » au sens de la Loi sur les transports au Canada;

 

  • le supplément carburant prévu au tarif 7402 faisait partie du « prix », au sens de cette même loi, demandé à l’expéditeur;

 

  • il était permis au CN, pendant la durée du contrat, d’augmenter ou de diminuer unilatéralement le supplément carburant;

 

  • le contrat ne prévoyait pas de mécanisme par lequel PRC aurait pu contester, le cas échéant, la décision du CN de modifier le supplément carburant.

 

 

LES TARIFS

[19]         Le contrat cite un tarif, le CN 7402. D’autres tarifs l’ont précédé et suivi, notamment le CN 7403. Il faut préciser qu’un tarif qui en suit un autre ne le remplace pas nécessairement.

 

[20]         Les tarifs, comme l’explique Me Patenaude dans l’affidavit précité, prévoient des suppléments, calculés en fonction des variations du coût du carburant, qui s’ajoutent au prix de base demandé aux expéditeurs par le CN pour le transport de leurs marchandises.

 

[21]         Le contrat en question a pris effet le 1er janvier 2008. Le 21 février 2008, le CN a adressé à ses clients une circulaire les informant qu’il mettrait en vigueur le 1er avril de la même année un nouveau tarif, le CN 7403, qui prévoyait entre autres choses une réduction du supplément carburant. J’extrais de cette circulaire le passage suivant :

Les stipulations des contrats actuellement soumis au tarif de supplément carburant 7402 resteront en vigueur jusqu’à l’expiration de ces contrats, à partir duquel moment nous prévoyons d’appliquer le tarif 7403.

 

 

 

[22]         Le CN a aussi adressé à ses clients un avis concernant le nouveau tarif, où l’on peut lire ce qui suit :

AVIS :  Le 1er avril 2008, le CN mettra en vigueur un nouveau programme de supplément carburant en fonction du millage, le tarif CN 7403. Ce tarif prévoit un nouveau taux de base pour le calcul du supplément carburant faisant l’objet du tarif CN 7402.

 

§             Le CN présente aux clients un nouveau programme qui portera de 1,25 $ US à 2,30 $ US le prix de base qui sera utilisé pour le calcul du supplément carburant à compter du 1er avril 2008. Ce programme s’appliquera à l’expiration des ententes existantes. Tous les prix publics seront assujettis au tarif CN 7403 à compter du 1er avril 2008.

 

[. . .]

§         Les contrats confidentiels pour le transport de ligne, visés par les publications tarifaires assujetties à l’actuel supplément, resteront en vigueur jusqu’à leur expiration [...]

 

 

 

LA DEMANDE PRÉSENTÉE À L’OFFICE PAR PRC

 

[23]         Le 22 avril 2008, PRC a déposé devant l’Office des transports du Canada une demande tendant à obtenir une ordonnance qui prescrirait au CN de fixer ce qu’elle appelait un supplément carburant raisonnable pour le transport de son charbon. Je reproduis ici une partie de cette demande :

 

[TRADUCTION]

DEMANDE

 

            Peace River Coal Inc. (ci‑après « PRC ») demande sous le régime des articles 26, 37 et 120.1 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, dans sa version modifiée (ci‑après « la Loi »), une ordonnance établissant un supplément carburant raisonnable, tel que défini dans la présente demande, pour le transport de son charbon par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci‑après « le CN »). 

 

[. . .]

 

 

Le supplément carburant demandé à PRC par le CN

 

25.       Le supplément carburant que CN exige actuellement de PRC pour le transport de son charbon est le [supplément carburant que prévoit le tarif CN 7402]. [...]

 

26.       Après qu’elle eut été informée que le CN mettrait en vigueur le nouveau supplément carburant « compétitif » du tarif 7403, PRC lui a demandé par la voix de son représentant d’appliquer ce nouveau supplément au transport de ses marchandises à compter du 1er avril 2008, ce que le CN s’est refusé à faire [...] L’application du tarif CN 7403 au transport du charbon de PRC représenterait pour cette dernière un supplément de 126,56 $ par voyage aller-retour du point de chargement aux installations de Ridley Terminals, soit [...] de moins par wagonnée que le supplément que le CN demande actuellement à PRC par voyage aller-retour [...]

 

[. . .]

 

29.       PRC, par la présente plainte, prie l’Office de rendre une ordonnance établissant un supplément carburant raisonnable pour le transport de ses marchandises. À cette fin et conformément aux observations du CN, PRC prie l’Office de prescrire audit CN de changer les frais qu’il exige d’elle [...] de manière à les aligner sur les frais et les conditions afférentes que prévoit le tarif CN 7403.

 

[. . .]

 

Mesures correctives demandées

 

39.       En conséquence, PRC prie l’Office de rendre une ordonnance établissant des suppléments carburant raisonnables pour le transport de son charbon par le CN. Plus précisément, PRC prie l’Office d’ordonner au CN de changer les frais [...] [que stipule son tarif 7402] de manière à les aligner, pour une durée d’un an, sur les frais et les conditions afférentes que prévoit actuellement son tarif CN 7403.

 

 

 

[24]         Le CN a réagi en formant devant l’Office une requête en rejet de cette demande. Cette requête se fondait sur deux motifs : 1) les suppléments en question entraient dans le champ de l’exclusion prévue au paragraphe 120.1 (7) de la Loi sur les transports au Canada, et 2) le contrat, étant confidentiel, ne pouvait être modifié par l’Office. J’extrais le passage suivant de l’avis de requête du CN :

                                [TRADUCTION]

AVIS DE REQUÊTE

 

(présenté sous le régime de l’article 32 des Règles générales de l’Office des transports du Canada [ci‑après « l’Office »])

 

La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci‑après « le CN ») demande, sous le régime de l’article 32 des Règles générales de l’Office, une ordonnance rejetant la demande de Peace River Coal Inc. (ci‑après « PRC ») au motif que l’article 120.1 de la Loi sur les transports au Canada (ci‑après « la LTC ») ne s’applique pas aux prix relatifs au transport ni au contenu des contrats confidentiels liant les expéditeurs aux entreprises ferroviaires.

 

[. . .]

 

L’inapplicabilité de l’article 120.1 de la LTC

 

6.                  CN soutient que PRC, aux motifs suivants, ne peut se prévaloir de l’article 120.1 de la LTC :

 

i)                    le supplément carburant n’entre pas dans les frais accessoires, mais fait plutôt partie du prix du transport, de sorte que le paragraphe 120.1(7) de la LTC le rend insusceptible de recours devant l’Office;

 

ii)                  le supplément carburant fait partie d’un contrat confidentiel de transport entre le CN et PRC, et la LTC ne contient aucune disposition permettant à l’Office de modifier de tels contrats.

 

 

 

LA DÉCISION DE L’OFFICE

 

[25]         L’Office, après examen des observations des parties, a rendu la décision no 392‑R‑2008, en date du 31 juillet 2008, par laquelle elle rejetait la demande de PRC au second des deux motifs invoqués par le CN dans sa requête, à savoir que le contrat échappait à sa compétence. Elle y exposait comme suit son analyse et ses conclusions :

 

Analyse et constatations

 

Dans le cas présent, les deux parties ont convenu que le transport en question est couvert en vertu des modalités d’un contrat confidentiel, y compris les suppléments pour le carburant, qui sont intégrés par renvoi au contrat confidentiel qui lie les parties. Bien que PRC indique ne pas chercher à faire modifier les modalités du contrat confidentiel, l’Office conclut que PRC cherche en fait à faire modifier le supplément pour le carburant prévu au contrat de manière à tenir compte d’un autre supplément pour le carburant.

 

Les contrats sont des ententes par lesquelles les parties se lient en toute connaissance de cause et sans contrainte pour leur bénéfice mutuel. Un des principaux objectifs est d’assurer la certitude et la prévisibilité des points pour lesquels il y a eu entente, et ce, pour toute la durée du contrat. Les parties sont liées par le contrat et l’Office n’est pas habilité à modifier sur demande présentée en vertu de l’article 120.1 de la LTC les modalités d’un contrat et rejette la demande.

 

Par conséquent, l’Office n’a pas besoin de se pencher sur le second argument de CN qui touche le lien entre le supplément pour le carburant et les frais de transport.

 

 

 

LA REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR L’ACTI AU GOUVERNEUR EN CONSEIL

[26]         PRC n’a pas exercé de recours contre la décision de l’Office devant la Cour d’appel fédérale ni devant le gouverneur en conseil. Cependant, six mois plus tard, soit le 3 février 2009, l’ACTI, et non PRC, a soumis une requête au gouverneur en conseil, par l’intermédiaire de l’avocat même qui avait représenté PRC devant l’Office. Cette requête, dont j’extrais le passage qui suit, tendait à faire modifier la décision de l’Office :

 

[TRADUCTION]

ATTENDU QUE PRC est membre de l’Association canadienne de transport industriel / Canadian Industrial Transport Association, ci‑après désignée « l’ACTI », organisme qui représente les intérêts des expéditeurs à l’échelle du Canada;

 

ATTENDU QUE les membres de l’ACTI craignent vivement que la décision de l’Office n’ait en fait rendu inopérant le recours prévu par le législateur à l’article 120.1 de la Loi;

 

ATTENDU QUE l’ACTI estime être dans l’intérêt public que soit confirmé et clarifié le pouvoir de l’Office de contrôler sous le régime de l’article 120.1 de la Loi, de manière à faire en sorte qu’ils restent raisonnables, les tarifs de suppléments carburant applicables au transport ferroviaire, et qu’elle a décidé de soumettre à cette fin la présente requête au gouverneur en conseil;

 

[. . .]

 

PLAISE AU GOUVERNEUR EN CONSEIL modifier la décision de l’Office en lui ordonnant :

 

a)       de décider que l’ancien tarif de supplément carburant du CN a pour objet des frais accessoires aux fins d’application du paragraphe 120.1(7) de la Loi et qu’il peut donc être valablement contrôlé sous le régime de son article 120.1;

 

b)       de se déclarer compétent pour apprécier le caractère raisonnable de ce tarif, malgré le fait que les parties soient liées par un contrat confidentiel de transport où ledit tarif est incorporé.

 

[. . .]

 

 

SPÉCIFICATION DES MESURES CORRECTIVES DEMANDÉES

 

41.       En conséquence de ce qui précède, plaise au gouverneur en conseil modifier la décision de l’Office sous le régime de l’article 40 de la Loi sur les transports au Canada en lui ordonnant :

 

a)       de décider que l’ancien tarif de supplément carburant du CN a pour objet des frais accessoires aux fins d’application du paragraphe 120.1(7) de la Loi et qu’il peut donc être valablement contrôlé sous le régime de son article 120.1;

 

b)       de se déclarer compétent pour apprécier le caractère raisonnable de ce tarif, malgré le fait que les parties soient liées par un contrat confidentiel de transport où ledit tarif est incorporé.

 

 

LA DÉCISION DU GOUVERNEUR EN CONSEIL (LE DÉCRET)

 

[27]         Le gouverneur en conseil, ayant reçu les observations du CN et de PRC, a pris le 20 juin 2010 le décret 2010‑0749 par lequel il annulait la décision de l’Office. Après une récapitulation du contexte, ce décret portait ce qui suit :

 

Attendu que l’article 120.1 de la Loi prévoit un recours par voie de plainte contre des frais relatifs au transport ou aux services connexes ou des conditions afférentes déraisonnables qui sont imposés par une compagnie de chemin de fer, lequel recours doit profiter à tous les expéditeurs assujettis aux frais et aux conditions afférentes prévus dans le tarif contesté et non pas au seul plaignant;

 

Attendu que la plainte déposée par PRC, au titre de l’article 120.1 de la Loi, l’a été dans l’intérêt de tous les expéditeurs assujettis aux frais allégués relatifs au transport ou aux services connexes et aux conditions afférentes, prévus par le tarif CN no 7402, lequel s’applique à plus d’un expéditeur et n’est pas un tarif visé au paragraphe 165(3) de la Loi;

 

Attendu que le gouverneur en conseil estime que, bien que l’existence d’un contrat confidentiel entre une compagnie de chemin de fer et un plaignant au titre de l’article 120.1 de la Loi et les modalités de ce contrat aient une incidence sur la question de savoir si ce dernier tirera profit d’un décret pris par l’Office en vertu de cet article, ces facteurs n’ont aucune incidence sur le caractère raisonnable des frais relatifs au transport ou aux services connexes et des conditions afférentes prévus par un tarif qui s’applique à plus d’un expéditeur et n’est pas un tarif visé au paragraphe 165(3) de la Loi,

 

À ces causes, sur recommandation du ministre des Transports et en vertu de l’article 40 de la Loi sur les transports au Canada, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil annule la décision no 392-R-2008 du 31 juillet 2008 de l’Office des transports du Canada.

 

 

 

[28]         C’est ce décret qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[29]         S’il est vrai que la question fondamentale à trancher ici est celle de savoir si la Cour devrait rendre une ordonnance de la nature d’un certiorari cassant et annulant le décret 2010‑0749 et rétablissant la décision no 392‑R‑2008 de l’Office, il y a plusieurs autres points qu’il sera peut-être nécessaire de décider avant de passer à cette question fondamentale. Ces autres points sont les suivants :

 

1.                  Quelle est la nature de la demande que PRC a présentée à l’Office?

 

2.                  Quelle est la nature de la décision par laquelle l’Office a rejeté la demande de PRC?

 

3.                  Quelle est la nature de la requête que l’ACTI a présentée au gouverneur en conseil?

 

4.                  Quelle est la nature de la décision formulée dans le décret?

 

5.                  Le gouverneur en conseil, en prenant le décret, a‑t‑il agi dans le cadre du pouvoir que lui confère l’article 40 de la Loi sur les transports au Canada, ou l’article 41 de celle‑ci soustrayait‑il à ce pouvoir la question portée devant lui?

 

6.                  Quelle norme de contrôle la Cour doit-elle appliquer au décret?

 

7.                  Le décret est‑il correct ou raisonnable – selon la norme de contrôle applicable – au regard des dispositions de l’article 120.1 de la Loi sur les transports au Canada?

 

8.                  Le décret est‑il correct ou raisonnable – selon la norme de contrôle applicable – compte tenu du fait que le contrat liant PRC et le CN est un « contrat confidentiel »?

 

LES DISPOSITIONS APPLICABLES DE LA LOI SUR LES TRANSPORTS AU CANADA

[30]         Il convient ici d’examiner certaines des dispositions de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, c 10. Cette loi a subi plusieurs modifications depuis sa promulgation en 1996; on y a notamment ajouté l’article 120.1 en 2008, soit après la prise d’effet du contrat entre PRC et le CN.

 

[31]         L’article 5 de la Loi contient des dispositions de principe, notamment dans ses alinéas a) et b), qui prévoient la nécessité, pour le système de transport national du Canada, d’une part de la concurrence, et d’autre part de la réglementation et de mesures publiques stratégiques.

 

 Il est déclaré qu’un système de transport national compétitif et rentable qui respecte les plus hautes normes possible de sûreté et de sécurité, qui favorise un environnement durable et qui utilise tous les modes de transport au mieux et au coût le plus bas possible est essentiel à la satisfaction des besoins de ses usagers et au bien-être des Canadiens et favorise la compétitivité et la croissance économique dans les régions rurales et urbaines partout au Canada. Ces objectifs sont plus susceptibles d’être atteints si :

 

a) la concurrence et les forces du marché, au sein des divers modes de transport et entre eux, sont les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces;

b) la réglementation et les mesures publiques stratégiques sont utilisées pour l’obtention de résultats de nature économique, environnementale ou sociale ou de résultats dans le domaine de la sûreté et de la sécurité que la concurrence et les forces du marché ne permettent pas d’atteindre de manière satisfaisante, sans pour autant favoriser indûment un mode de transport donné ou en réduire les avantages inhérents;

 

 It is declared that a competitive, economic and efficient national transportation system that meets the highest practicable safety and security standards and contributes to a sustainable environment and makes the best use of all modes of transportation at the lowest total cost is essential to serve the needs of its users, advance the well-being of Canadians and enable competitiveness and economic growth in both urban and rural areas throughout Canada. Those objectives are most likely to be achieved when

(a) competition and market forces, both within and among the various modes of transportation, are the prime agents in providing viable and effective transportation services;

(b) regulation and strategic public intervention are used to achieve economic, safety, security, environmental or social outcomes that cannot be achieved satisfactorily by competition and market forces and do not unduly favour, or reduce the inherent advantages of, any particular mode of transportation;

 

[32]         L’article 7 de la Loi institue l’Office des transports du Canada (l’Office), et son article 37 confère à cet organisme la compétence pour connaître des plaintes qui portent sur des questions relevant d’une loi fédérale qu’il est chargé d’appliquer. Ces deux articles sont ainsi libellés :

 

 (1) L’Office national des transports est maintenu sous le nom d’Office des transports du Canada.

Composition

(2) L’Office est composé, d’une part, d’au plus cinq membres nommés par le gouverneur en conseil et, d’autre part, des membres temporaires nommés en vertu du paragraphe 9(1). Tout membre doit, du moment de sa nomination, être et demeurer un citoyen canadien ou un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés.

Président et vice-président

 

(3) Le gouverneur en conseil choisit le président et le vice-président de l’Office parmi les membres nommés en vertu du paragraphe (2).

. . .

 

 L’Office peut enquêter sur une plainte, l’entendre et en décider lorsqu’elle porte sur une question relevant d’une loi fédérale qu’il est chargé d’appliquer en tout ou en partie.

 

 (1) The agency known as the National Transportation Agency is continued as the Canadian Transportation Agency.

Composition of Agency

(2) The Agency shall consist of not more than five members appointed by the Governor in Council, and such temporary members as are appointed under subsection 9(1), each of whom must, on appointment or reappointment and while serving as a member, be a Canadian citizen or a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act.

Chairperson and Vice-Chairperson

(3) The Governor in Council shall designate one of the members appointed under paragraph (2)(a) to be the Chairperson of the Agency and one of the other members appointed under that paragraph to be the Vice-Chairperson of the Agency.

. . .

 

 The Agency may inquire into, hear and determine a complaint concerning any act, matter or thing prohibited, sanctioned or required to be done under any Act of Parliament that is administered in whole or in part by the Agency.

 

[33]         L’article 40 de la Loi confère au gouverneur en conseil le pouvoir, largement défini, de modifier ou d’annuler les décisions de l’Office à la requête de presque n’importe qui :

 

  Le gouverneur en conseil peut modifier ou annuler les décisions, arrêtés, règles ou règlements de l’Office soit à la requête d’une partie ou d’un intéressé, soit de sa propre initiative; il importe peu que ces décisions ou arrêtés aient été pris en présence des parties ou non et que les règles ou règlements soient d’application générale ou particulière. Les décrets du gouverneur en conseil en cette matière lient l’Office et toutes les parties.

 

 The Governor in Council may, at any time, in the discretion of the Governor in Council, either on petition of a party or an interested person or of the Governor in Council’s own motion, vary or rescind any decision, order, rule or regulation of the Agency, whether the decision or order is made inter partes or otherwise, and whether the rule or regulation is general or limited in its scope and application, and any order that the Governor in Council may make to do so is binding on the Agency and on all parties.

 

 

[34]         Le paragraphe 41(1) de la Loi prévoit le droit de recourir contre toute décision de l’Office devant la Cour d’appel fédérale – en précisant que le recours doit alors porter « sur une question de droit ou de compétence » –, sous réserve de l’autorisation de cette cour, qui doit être demandée dans le mois suivant le prononcé de la décision :

 

 (1) Tout acte — décision, arrêté, règle ou règlement — de l’Office est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale sur une question de droit ou de compétence, avec l’autorisation de la cour sur demande présentée dans le mois suivant la date de l’acte ou dans le délai supérieur accordé par un juge de la cour en des circonstances spéciales, après notification aux parties et à l’Office et audition de ceux d’entre eux qui comparaissent et désirent être entendus.

 

 (1) An appeal lies from the Agency to the Federal Court of Appeal on a question of law or a question of jurisdiction on leave to appeal being obtained from that Court on application made within one month after the date of the decision, order, rule or regulation being appealed from, or within any further time that a judge of that Court under special circumstances allows, and on notice to the parties and the Agency, and on hearing those of them that appear and desire to be heard.

 

 

[35]         Les articles 117 et suivants de la Loi portent sur les tarifs. Il faut prêter une attention particulière aux termes employés dans ces articles, notamment ceux de « tarif » (tariff), « prix » (rate) et « frais » (charges), dont la Loi ne définit explicitement aucun. L’article 117 dispose qu’une compagnie de chemin de fer ne peut exiger un « prix » pour le transport de marchandises que s’il est indiqué dans un tarif établi et publié conformément aux dispositions applicables :

 

 (1) Sous réserve de l’article 126, une compagnie de chemin de fer ne peut exiger un prix pour le transport de marchandises ou de passagers que s’il est indiqué dans un tarif en vigueur qui a été établi et publié conformément à la présente section.

Renseignements tarifaires

(2) Le tarif comporte les renseignements que l’Office peut exiger par règlement.

 

 

Publication des tarifs

(3) La compagnie de chemin de fer fait publier et soit affiche le tarif, soit permet au public de le consulter à ses bureaux.

Exemplaire du tarif

(4) Elle fournit un exemplaire de tout ou partie de son tarif sur demande et paiement de frais non supérieurs au coût de reproduction de l’exemplaire.

Conservation

(5) Elle conserve le tarif en archive pour une période minimale de trois ans après son annulation.

 

 (1) Subject to section 126, a railway company shall not charge a rate in respect of the movement of traffic or passengers unless the rate is set out in a tariff that has been issued and published in accordance with this Division and is in effect.

 

Tariff to include prescribed information

(2) The tariff must include any information that the Agency may prescribe by regulation.

 

Publication of tariff

(3) The railway company shall publish and either publicly display the tariff or make it available for public inspection at its offices.

Copy of tariff on payment of fee

(4) The railway company shall provide a copy of the tariff, or any portion of it, to any person who requests it and pays a fee not exceeding the cost of making the copy.

Record of tariff

(5) The railway company shall keep a record of the tariff for at least three years after its cancellation.

 

 

[36]         L’article 119 prévoit la possibilité de modifier les prix, à condition de publier un nouveau tarif qui remplace les tarifs antérieurs :

 

 (1) La compagnie de chemin de fer qui a l’intention de hausser les prix d’un tarif de transport publie la modification au moins trente jours avant la date de sa prise d’effet.

 

Prise d’effet des tarifs

(2) Une fois le tarif établi et publié conformément à la présente section et à la section VI :

a) les prix mentionnés sont les prix licites de la compagnie et, sous réserve du paragraphe (1), prennent effet à la date indiquée dans le tarif;

b) le tarif remplace tout ou partie des tarifs antérieurs dans la mesure où il comporte une modification du prix;

c) chaque compagnie propriétaire ou exploitante d’une ligne de chemin de fer visée par le tarif doit exiger les prix mentionnés jusqu’à la cessation d’effet

 

de ceux-ci, ou jusqu’au remplacement du tarif, au titre de la présente loi.

 

 (1) A railway company that proposes to increase a rate in a tariff for the movement of traffic shall publish a notice of the increase at least 30 days before its effective date.

 

Effect of freight tariff

(2) If a railway company issues and publishes a tariff of rates for the movement of traffic in accordance with this Division and Division VI,

(a) the rates are the lawful rates of the railway company and, subject to subsection (1), they take effect on the date stated in the tariff;

(b) the tariff supersedes any preceding tariff or any portion of it in so far as any rate in the tariff is varied; and

(c) a railway company that owns or operates a railway line in respect of which the tariff is issued shall charge the rates in the tariff until

 

they expire or until the tariff is superseded by a new tariff.

 

 

[37]         Le texte de l’article 120.1 de la Loi a été présenté au Parlement en octobre 2007 dans le cadre d’un projet de loi qui a reçu la sanction royale le 28 février 2008, soit après la prise d’effet du contrat qui nous occupe. Cet article dispose que tout expéditeur assujetti à un tarif applicable à plus d’un expéditeur peut demander à l’Office de « fixer de nouveaux frais ou de nouvelles conditions par ordonnance ». La durée de l’effet d’une telle ordonnance est limitée à un an. Le paragraphe 120.1(7) se révèle d’une importance particulière dans la présente espèce : il porte en effet que l’article 120.1 ne s’applique pas aux « prix relatifs au transport ».

 (1) Sur dépôt d’une plainte de tout expéditeur assujetti à un tarif applicable à plus d’un expéditeur — autre qu’un tarif visé au paragraphe 165(3) — prévoyant des frais relatifs au transport ou aux services connexes ou des conditions afférentes, l’Office peut, s’il les estime déraisonnables, fixer de nouveaux frais ou de nouvelles conditions par ordonnance.

 

Validité

(2) L’ordonnance précise la période de validité de ces

frais ou conditions, qui ne peut excéder un an.

Facteurs à prendre en compte

(3) Pour décider si les frais ou conditions sont déraisonnables, l’Office tient compte des facteurs suivants :

a) le but dans lequel les frais ou conditions sont imposés;

 

(b) les pratiques suivies par l’industrie pour leur fixation;

c) dans le cas d’une plainte relative à des services connexes, l’existence d’une solution de rechange efficace, bien adaptée et concurrentielle;

d) tout autre facteur que l’Office estime pertinent.

 

 

Obligations

(4) Les frais ou conditions fixés par l’Office doivent être commercialement équitables et raisonnables tant pour les expéditeurs qui y sont assujettis que pour la compagnie de chemin de fer qui a établi le tarif les prévoyant.

Modification du tarif

(5) La compagnie de chemin de fer modifie le tarif en conséquence dès le prononcé de l’ordonnance par l’Office.

 

Pas de modification

(6) La compagnie de chemin de fer ne peut modifier son tarif à l’égard des frais et conditions fixés par l’Office avant l’expiration de la période de validité précisée au titre du paragraphe (2).

Précision

(7) Il est entendu que le présent article ne s’applique pas aux prix relatifs au transport

 

 (1) If, on complaint in writing to the Agency by a shipper who is subject to any charges and associated terms and conditions for the movement of traffic or for the provision of incidental services that are found in a tariff that applies to more than one shipper other than a tariff referred to in subsection 165(3), the Agency finds that the charges or associated terms and conditions are unreasonable, the Agency may, by order, establish new charges or associated terms and conditions.

Period of validity

(2) An order made under subsection (1) remains in effect for the period, not exceeding one year, specified in the order.

Factors to be considered

(3) In deciding whether any charges or associated terms and conditions are unreasonable, the Agency shall take into account the following factors:

(a) the objective of the charges or associated terms and conditions;

(b) the industry practice in setting the charges or associated terms and conditions;

(c) in the case of a complaint relating to the provision of any incidental service, the existence of an effective, adequate and competitive alternative to the provision of that service; and

(d) any other factor that the Agency considers relevant.

Commercially fair and reasonable

(4) Any charges or associated terms and conditions established by the Agency shall be commercially fair and reasonable to the shippers who are subject to them as well as to the railway company that issued the tariff containing them.

Duty to vary tariff

(5) The railway company shall, without delay after the Agency establishes any charges or associated terms and conditions, vary its tariff to reflect those charges or associated terms and conditions.

 

No variation

(6) The railway company shall not vary its tariff with respect to any charges or associated terms and conditions established by the Agency until the period referred to in subsection (2) has expired.

Clarification

(7) For greater certainty, this section does not apply to rates for the movement of traffic.

 

 

[38]         Les dispositions de l’article 126 de la Loi ont été adoptées dans le cadre d’une loi précédente en 1987. Le paragraphe 126(1) dispose que les compagnies de chemin de fer et les expéditeurs peuvent passer des « contrats confidentiels » :

 

 (1) Les compagnies de chemin de fer peuvent conclure avec les expéditeurs un contrat, que les parties conviennent de garder confidentiel, en ce qui concerne :

a) les prix exigés de l’expéditeur par la compagnie;

 

(b) les baisses de prix, ou allocations afférentes à ceux-ci, indiquées dans les tarifs établis et publiés conformément à la présente section;

c) les rabais sur les prix, ou allocations afférentes à ceux-ci, établis dans les tarifs ou dans les contrats confidentiels, qui ont antérieurement été exigés licitement;

d) les conditions relatives au transport à effectuer par la compagnie;

e) les moyens pris par la compagnie pour s’acquitter de ses obligations en application de l’article 113.

Arbitrage

(2) Toute demande d’arbitrage au titre de l’article 161 est subordonnée à l’assentiment de toutes les parties au contrat confidentiel.

 

 (1) A railway company may enter into a contract with a shipper that the parties agree to keep confidential respecting

(a) the rates to be charged by the company to the shipper;

 

 

(b) reductions or allowances pertaining to rates in tariffs that have been issued and published in accordance with this Division;

(c) rebates or allowances pertaining to rates in tariffs or confidential contracts that have previously been lawfully charged;

(d) any conditions relating to the traffic to be moved by the company; and

(e) the manner in which the company shall fulfill its service obligations under section 113.

No investigation or arbitration of confidential contracts.

(2) No party to a confidential contract is entitled to submit a matter governed by the contract to the Agency for final offer arbitration under section 161, without the consent of all the parties to the contract.

 

[39]         Les articles 161 et suivants de la Loi disposent que certaines questions peuvent se régler par une procédure d’arbitrage des « propositions finales »]. Plus précisément, peut recourir à cette procédure l’expéditeur insatisfait des prix appliqués ou proposés. Le paragraphe 161(1) est rédigé comme suit :

 

 (1) L’expéditeur insatisfait des prix appliqués ou proposés par un transporteur pour le transport de marchandises ou des conditions imposées à cet égard peut, lorsque le transporteur et lui ne sont pas en mesure de régler eux-mêmes la question, la soumettre par écrit à l’Office pour arbitrage soit par un arbitre seul soit, si le transporteur et lui y consentent, par une formation de trois arbitres.

 

 (1) A shipper who is dissatisfied with the rate or rates charged or proposed to be charged by a carrier for the movement of goods, or with any of the conditions associated with the movement of goods, may, if the matter cannot be resolved between the shipper and the carrier, submit the matter in writing to the Agency for a final offer arbitration to be conducted by one arbitrator or, if the shipper and the carrier agree, by a panel of three arbitrators.

 

 

[40]         Cependant, selon le paragraphe 126(2) de la Loi, une partie à un « contrat confidentiel » ne peut soumettre à l’arbitrage une question régie par ce contrat qu’avec l’assentiment de toutes les autres parties à celui‑ci. Par conséquent, une fois signé un tel contrat, il n’est plus possible de recourir à l’arbitrage :

126. (2) Toute demande d’arbitrage au titre de l’article 161 est subordonnée à l’assentiment de toutes les parties au contrat confidentiel.

 

126. (2) No party to a confidential contract is entitled to submit a matter governed by the contract to the Agency for final offer arbitration under section 161, without the consent of all the parties to the contract.

 

[41]         L’article 116 de la Loi prescrit à l’Office, sur réception d’une plainte selon laquelle une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114, de mener une enquête et de décider si cette plainte est justifiée. Dans le cas où les intéressés ont passé un « contrat confidentiel » stipulant la manière dont la compagnie de chemin de fer doit s’acquitter des obligations susdites, les clauses de ce contrat lient l’Office dans sa décision. Les paragraphes 116(1), (2) et (3) sont ainsi libellés :

 

 (1) Sur réception d’une plainte selon laquelle une compagnie de chemin de fer ne s’acquitte pas de ses obligations prévues par les articles 113 ou 114, l’Office mène, aussi rapidement que possible, l’enquête qu’il estime indiquée et décide, dans les cent vingt jours suivant la réception de la plainte, si la compagnie s’acquitte de ses obligations.

 

 

Contrat confidentiel

(2) Dans les cas où une compagnie et un expéditeur conviennent, par contrat confidentiel, de la manière dont la compagnie s’acquittera de ses obligations prévues par l’article 113, les clauses du contrat lient l’Office dans sa décision.

Obligation de l’Office

(3) Lorsque, en application du paragraphe 136(4), un expéditeur et une compagnie s’entendent sur les moyens à prendre par le transporteur local pour s’acquitter de ses obligations prévues par les articles 113 et 114, les modalités de l’accord lient l’Office dans sa décision.

 

 (1) On receipt of a complaint made by any person that a railway company is not fulfilling any of its service obligations, the Agency shall

(a) conduct, as expeditiously as possible, an investigation of the complaint that, in its opinion, is warranted; and

(b) within one hundred and twenty days after receipt of the complaint, determine whether the company is fulfilling that obligation.

Confidential contract binding on Agency

(2) If a company and a shipper agree, by means of a confidential contract, on the manner in which service obligations under section 113 are to be fulfilled by the company, the terms of that agreement are binding on the Agency in making its determination.

Competitive line rate provisions binding on Agency

(3) If a shipper and a company agree under subsection 136(4) on the manner in which the service obligations are to be fulfilled by the local carrier, the terms of the agreement are binding on the Agency in making its determination.

 

 

[42]         Donc, un expéditeur tel que PRC peut soumettre à l’arbitrage les conditions d’un « contrat confidentiel » avant la passation de celui‑ci, quand elles sont encore à l’état de propositions, mais pas après la signature de ce contrat. De même, les « obligations prévues par les articles 113 et 114 » peuvent faire l’objet d’un arbitrage, mais seulement si elles ne sont pas fixées par le contrat. Au reste, aucune des parties ne soutient que les « obligations prévues par les articles 113 et 114 » comprennent les « prix ».

 

QUESTION NO 1       Quelle est la nature de la demande que PRC a présentée à l’Office?

[43]         Nous avons déjà examiné la demande de PRC plus haut. En résumé, PRC demandait à l’Office :

[TRADUCTION] une ordonnance établissant des suppléments carburant raisonnables [...] pour le transport de son charbon par [le CN].

 

 

[44]         PRC voulait donc en réalité faire modifier le contrat qui la liait au CN, et le moyen d’y arriver était de faire contrôler par l’Office le tarif de supplément carburant 7402. PRC espérait évidemment obtenir ainsi une diminution de ce supplément.

 

[45]         L’Office, selon la Cour, a eu entièrement raison de prendre la conclusion formulée dans les termes suivants sous la rubrique « Analyse et constatations » :

Bien que PRC indique ne pas chercher à faire modifier les modalités du contrat confidentiel, l’Office conclut que PRC cherche en fait à faire modifier le supplément pour le carburant prévu au contrat de manière à tenir compte d’un autre supplément pour le carburant.

 

 

 

QUESTION NO 2       Quelle est la nature de la décision par laquelle l’Office a rejeté    la         demande de PRC?

 

[46]         La requête du CN invitait l’Office à rejeter la demande de PRC à l’un et/ou l’autre de deux motifs :

                                 [TRADUCTION]

i)                    le supplément carburant n’entre pas dans les frais accessoires, mais fait plutôt partie du prix du transport, de sorte que le paragraphe 120.1(7) de la LTC le rend insusceptible de recours devant l’Office;

 

ii)                  le supplément carburant fait partie d’un contrat confidentiel de transport entre le CN et PRC, et la LTC ne contient aucune disposition permettant à l’Office de modifier de tels contrats.

 

 

[47]         L’Office a donné gain de cause au CN en rejetant la demande de PRC au second de ces motifs, c’est‑à‑dire parce qu’il n’avait pas compétence pour modifier le contrat. Par suite, il n’a pas estimé nécessaire d’examiner le premier de ces motifs, soit le point de savoir si le supplément carburant entre dans la catégorie des frais accessoires ou fait partie du prix du transport. On lit en effet ce qui suit dans sa décision :

 

Les contrats sont des ententes par lesquelles les parties se lient en toute connaissance de cause et sans contrainte pour leur bénéfice mutuel. Un des principaux objectifs est d’assurer la certitude et la prévisibilité des points pour lesquels il y a eu entente, et ce, pour toute la durée du contrat. Les parties sont liées par le contrat et l’Office n’est pas habilité à modifier sur demande présentée en vertu de l’article 120.1 de la LTC les modalités d’un contrat et rejette la demande.

 

Par conséquent, l’Office n’a pas besoin de se pencher sur le second argument de CN qui touche le lien entre le supplément pour le carburant et les frais de transport.

 

 

[48]         L’Office a donc conclu qu’il n’avait pas compétence pour connaître de la demande de PRC au motif que cette demande tendait en fait à obtenir l’examen et la modification d’un contrat.

 

QUESTION NO 3       Quelle est la nature de la requête que l’ACTI a présentée au       gouverneur en conseil?

 

[49]         L’ACTI a présenté au gouverneur en conseil, sous le régime de l’article 40 de la Loi sur les transports au Canada, une requête touchant la décision de l’Office de se dessaisir de la demande de PRC six mois après le prononcé de cette décision.

 

[50]         Sous le régime de l’article 41 de la Loi, seule PRC, en tant que partie à l’instance portée devant l’Office, aurait pu demander l’autorisation de recourir devant la Cour d’appel fédérale. Il aurait fallu qu’elle le fasse dans le mois suivant la décision de l’Office et qu’elle ait reçu l’autorisation demandée, et elle n’aurait pu ainsi mettre en litige que des questions de droit ou de compétence.

 

[51]         Les mesures correctives que l’ACTI demandait au gouverneur en conseil étaient d’ordonner à l’Office :

[TRADUCTION]

 

a)    de décider que l’ancien tarif de supplément carburant du CN a pour objet des frais accessoires aux fins d’application du paragraphe 120.1(7) de la Loi et qu’il peut donc être valablement contrôlé sous le régime de son article 120.1;

 

b)    de se déclarer compétent pour apprécier le caractère raisonnable de ce tarif, malgré le fait que les parties soient liées par un contrat confidentiel de transport où ledit tarif est incorporé.

 

 

[52]         On remarque une différence entre la requête de l’ACTI et la demande formée par PRC devant l’Office. L’ACTI, si l’on se reporte à l’alinéa b) immédiatement précité, voulait simplement que l’Office contrôle le tarif de supplément carburant malgré l’existence d’un contrat, tandis que PRC demandait à l’Office de modifier le contrat de manière à y incorporer le prix qu’elle l’invitait à déclarer « raisonnable ».

 

[53]         Donc, l’ACTI demandait au gouverneur en conseil, sous le régime de l’article 40 de la Loi sur les transports au Canada, de ne pas tenir compte du souhait exprimé par PRC de voir l’Office modifier le contrat, mais d’ordonner simplement à l’Office d’apprécier le [TRADUCTION] « caractère raisonnable » du tarif antérieur sans égard pour ledit contrat.

 

QUESTION NO 4       Quelle est la nature de la décision formulée dans le décret?

[54]         J’ai déjà cité plus haut l’essentiel du décret; je reproduis cependant ici cet extrait pour la commodité du lecteur :

 

Attendu que l’article 120.1 de la Loi prévoit un recours par voie de plainte contre des frais relatifs au transport ou aux services connexes ou des conditions afférentes déraisonnables qui sont imposés par une compagnie de chemin de fer, lequel recours doit profiter à tous les expéditeurs assujettis aux frais et aux conditions afférentes prévus dans le tarif contesté et non pas au seul plaignant;

 

Attendu que la plainte déposée par PRC, au titre de l’article 120.1 de la Loi, l’a été dans l’intérêt de tous les expéditeurs assujettis aux frais allégués relatifs au transport ou aux services connexes et aux conditions afférentes, prévus par le tarif CN no 7402, lequel s’applique à plus d’un expéditeur et n’est pas un tarif visé au paragraphe 165(3) de la Loi;

 

Attendu que le gouverneur en conseil estime que, bien que l’existence d’un contrat confidentiel entre une compagnie de chemin de fer et un plaignant au titre de l’article 120.1 de la Loi et les modalités de ce contrat aient une incidence sur la question de savoir si ce dernier tirera profit d’un décret pris par l’Office en vertu de cet article, ces facteurs n’ont aucune incidence sur le caractère raisonnable des frais relatifs au transport ou aux services connexes et des conditions afférentes prévus par un tarif qui s’applique à plus d’un expéditeur et n’est pas un tarif visé au paragraphe 165(3) de la Loi,

 

À ces causes, sur recommandation du ministre des Transports et en vertu de l’article 40 de la Loi sur les transports au Canada, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil annule la décision no 392-R-2008 du 31 juillet 2008 de l’Office des transports du Canada.

 

[55]         Le gouverneur en conseil, par ce décret, ordonne en fait à l’Office d’apprécier le caractère raisonnable du tarif en question malgré l’existence d’un contrat entre PRC et le CN; comme ce tarif s’applique à plus d’un expéditeur, explique‑t‑il, il est dans l’intérêt de tous les expéditeurs, et non pas seulement de PRC, que l’Office le contrôle. Le décret s’abstient explicitement d’ordonner à l’Office d’exiger que PRC et le CN modifient leur contrat en fonction du tarif révisé. Il réserve cette question, semble‑t‑il, à un examen ultérieur, peut-être par une autre instance.

 

QUESTION NO 5      Le gouverneur en conseil, en prenant le décret, a‑t‑il agi dans le cadre du pouvoir que lui confère l’article 40 de la Loi sur les transports au Canada, ou l’article 41 de celle‑ci soustrayait‑il à ce pouvoir la question portée devant lui?

 

[56]         Les articles 40 et 41 de la Loi sur les transports au Canada ont entre eux un rapport problématique. Est‑ce que le pouvoir particulier que l’article 41 confère à la Cour d’appel fédérale de connaître des questions de droit ou de compétence soustrait ces questions au pouvoir très largement défini du gouverneur en conseil de modifier ou d’annuler toute décision de l’Office, ou peut‑on porter devant l’une comme l’autre de ces instances même les questions de droit ou de compétence? Quel délice pour les avocats et les lobbyistes qui arpentent les couloirs du palais du Parlement ou déjeunent dans les salles privées des restaurants cotés d’Ottawa que d’avoir à établir où s’offrent les meilleures chances de succès!

 

[57]         Pour les raisons dont l’exposé suit, je conclus que la Cour d’appel fédérale et le gouverneur en conseil sont l’un et l’autre habilités à trancher les questions de droit ou de compétence, et que c’est seulement devant le gouverneur en conseil qu’il est permis de demander la modification ou l’annulation d’une décision de l’Office à des motifs d’un autre ordre.

 

[58]         La Cour d’appel de l’Ontario a examiné ce problème dans l’arrêt Re Davisville Investment Co Ltd and City of Toronto et al (1977), 15 OR (2d) 553, aux paragraphes 7 à 9 et 16 duquel le juge Lacourciere a formulé au nom de la majorité les observations suivantes à l’appui de sa conclusion reconnaissant des pouvoirs étendus au lieutenant-gouverneur en conseil :

[TRADUCTION]

 

7     Le paragraphe 94(1) de l’Ontario Municipal Board Act (Loi sur la Commission des affaires municipales de l’Ontario) est ainsi libellé :

 

94(1) À la requête de toute partie ou de tout autre intéressé, déposée auprès du greffier du Conseil exécutif dans les vingt‑huit jours suivant la date de toute ordonnance ou décision de la Commission, le lieutenant-gouverneur en conseil peut :

 

a) soit confirmer, modifier ou annuler, en tout ou en partie, cette ordonnance ou décision;

 

b) soit ordonner à la Commission d’examiner de nouveau en audience publique, en tout ou en partie, la demande qui a donné lieu à ladite ordonnance ou décision,

 

la décision rendue par la Commission après l’examen en audience publique prévu à l’alinéa b) ne pouvant faire l’objet d’une requête sous le régime du présent article.

 

8     La décision rendue en 1972 par la Commission des affaires municipales de l’Ontario pouvait être contestée de deux manières : 1) soit en vertu de l’article 95, par voie de recours judiciaire devant la Cour divisionnaire, sur une question de droit ou de compétence et sous réserve d’autorisation; 2) soit sous le régime de l’article 94, par la voie politique d’une requête au lieutenant‑gouverneur en conseil.

 

9     L’association intimée, après avoir hésité sur la marche à suivre, a en fin de compte opté pour la seconde voie. Le lieutenant‑gouverneur en conseil, responsable devant la Législature, exerce un pouvoir discrétionnaire de contrôle sur la Commission des affaires municipales, de sorte que son action peut dépasser le cadre des motifs énoncés dans la requête comme du dossier dont ladite Commission était saisie. La requête n’est pas assimilable à une demande de contrôle judiciaire ou à un appel. Elle constitue simplement un mécanisme de contrôle par l’exécutif, lui permettant d’appliquer sa perception de l’intérêt public aux faits établis devant la Commission, ainsi qu’aux faits complémentaires portés devant le Conseil. Le lieutenant-gouverneur en conseil ne s’occupe pas des questions de droit et de compétence, qui relèvent de l’autorité judiciaire. Mais il lui est permis de faire ce que ne peuvent les tribunaux, soit de substituer dans l’intérêt public son opinion à celle de l’instance inférieure sur une question d’utilité publique et de politique générale. Or c’est là ce qu’a fait l’exécutif au moyen du décret en question; s’il l’a fait sans commettre d’erreur de droit ni de compétence, la Cour divisionnaire n’avait pas le pouvoir de remettre sa décision en question et a eu raison de rejeter la demande dont elle était saisie.

 

[. . .]

 

16     L’article 94 de l’Ontario Municipal Board Act n’est pas susceptible d’une interprétation restrictive comme s’il s’y agissait d’un tribunal administratif inférieur auquel la Législature aurait confié certaines questions. Cet article me paraît plutôt l’expression de la volonté du corps législatif de réserver le pouvoir en question à l’exécutif, comme moyen d’appliquer une politique générale. Il n’y a aucune raison de limiter l’étendue ou d’entraver l’exercice de ce pouvoir par une interprétation judiciaire étroite.

 

[59]         Dans son arrêt récent Globalive Wireless Management Corp c Public Mobile Inc., 2011 CAF 194, [2011] ACF no 774, la Cour d’appel fédérale a posé, à propos de dispositions législatives semblables à celles qui nous occupent, qu’il existait deux instances de recours ou de contrôle possibles : elle-même et le gouverneur en conseil. Le juge Sexton écrivait en effet ce qui suit au paragraphe 26 des motifs de cet arrêt :

 

26     Tout d’abord, « contrairement [aux tribunaux], [le gouverneur en conseil] peut substituer ses vues concernant l’intérêt public à celles de la Commission » (CSP Foods c. Canada (Canadian Transport Commission), [1979] 1 C.F. 3, aux pages 9 et 10 (C.A.) [CSP Foods]; voir aussi Re Davisville Investment Co. and City of Toronto (1977), 15 O.R. (2d) 553, aux pages 555 et 556 (C.A.)). Une décision du CRTC peut être examinée de deux manières. Il peut en être appelé directement à la Cour avec son autorisation en vertu de l’article 64 de la Loi, et il est alors probable que les questions de fait ainsi que de droit seront examinées suivant la norme de la décision raisonnable (voir Telus Communications c. Canada (CRTC), 2010 CAF 191, aux paragraphes 33 et 34). La décision peut également être révisée par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 12. Il s’agit d’une procédure très différente de l’appel prévu à l’article 64 et le gouverneur en conseil révise la décision du CRTC en reprenant l’affaire depuis le début. La Cour procède par conséquent au contrôle du décret. Tous les éléments du décret peuvent faire l’objet du contrôle judiciaire.

 

 

[60]         Le juge Sexton confirme au paragraphe 31 que le législateur a choisi de prévoir deux voies concurrentes de recours :

 

[31]     [....]  Plutôt que de donner à la Cour le droit exclusif d’examiner les décisions du CRTC, le Parlement a choisi de conférer un pouvoir de contrôle concurrent au gouverneur en conseil.

 

 

 

[61]         Par conséquent, l’article 41 de la Loi sur les transports au Canada n’enlève pas au gouverneur en conseil le pouvoir de modifier ou d’annuler une décision de l’Office, même s’agissant de questions de droit ou de compétence.

 

QUESTION NO 6      Quelle norme de contrôle la Cour doit-elle appliquer au décret?

 

[62]         Il convient de commencer l’examen de cette question en se reportant au récent arrêt de la Cour suprême du Canada Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, en particulier aux paragraphes 55 à 59 des motifs de la majorité, où il est expliqué dans les termes suivants qu’on peut appliquer la norme du caractère raisonnable même à certaines questions de droit, mais que les organismes administratifs doivent statuer correctement sur les questions touchant véritablement à la compétence :

 

55     Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

 

Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

 

Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).

 

La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

 

56      Dans le cas où, ensemble, ces facteurs militent en faveur de la norme de la raisonnabilité, il convient de déférer à la décision en faisant preuve à son endroit du respect mentionné précédemment. Il n’y a rien d’incohérent dans le fait de trancher certaines questions de droit au regard du caractère raisonnable. Il s’agit simplement de confirmer ou non la décision en manifestant la déférence voulue à l’égard de l’arbitre, compte tenu des éléments indiqués.

 

[. . .]

 

59     Un organisme administratif doit également statuer correctement sur une question touchant véritablement à la compétence. Nous mentionnons la question touchant véritablement à la compétence afin de nous distancier des définitions larges retenues avant l’arrêt SCFP. Il importe en l’espèce de considérer la compétence avec rigueur. Loin de nous l’idée de revenir à la théorie de la compétence ou de la condition préalable qui, dans ce domaine, a pesé sur la jurisprudence pendant de nombreuses années. La « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. L’interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d’exercer sa compétence : D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), p. 14‑3 et 14‑6. L’affaire United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, 2004 CSC 19, constitue un bon exemple. Il s’agissait de savoir si les dispositions municipales en cause autorisaient la ville de Calgary à limiter par règlement le nombre de permis de taxi délivrés (par. 5, le juge Bastarache). Cette affaire relative aux pouvoirs décisionnels d’une municipalité offre un exemple de véritable question de compétence. L’examen relatif à l’une et l’autre questions a une portée restreinte. Il convient de rappeler la mise en garde du juge Dickson selon laquelle, en cas de doute, il faut se garder de qualifier un point de question de compétence (SCFP).

 

[63]         Dans l’arrêt Globalive, précité, la Cour d’appel fédérale explique que le gouverneur en conseil a le pouvoir de prendre en considération l’intérêt public et que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable. On lit en effet ce qui suit au paragraphe 26 des motifs de cet arrêt, rédigés par le juge Sexton :

 

26     Tout d’abord, « contrairement [aux tribunaux], [le gouverneur en conseil] peut substituer ses vues concernant l’intérêt public à celles de la Commission » (CSP Foods c. Canada (Canadian Transport Commission), [1979] 1 C.F. 3, aux pages 9 et 10 (C.A.) [CSP Foods]; voir aussi Re Davisville Investment Co. and City of Toronto (1977), 15 O.R. (2d) 553. aux pages 555 et 556 (C.A.)). Une décision du CRTC peut être examinée de deux manières. Il peut en être appelé directement à la Cour avec son autorisation en vertu de l’article 64 de la Loi, et il est alors probable que les questions de fait ainsi que de droit seront examinées suivant la norme de la décision raisonnable (voir Telus Communications c. Canada (CRTC), 2010 CAF 191, aux paragraphes 33 et 34). La décision peut également être révisée par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 12. Il s’agit d’une procédure très différente de l’appel prévu à l’article 64 et le gouverneur en conseil révise la décision du CRTC en reprenant l’affaire depuis le début. La Cour procède par conséquent au contrôle du décret. Tous les éléments du décret peuvent faire l’objet du contrôle judiciaire.

 

 

[64]         Dans la présente espèce, il faut envisager la décision du gouverneur en conseil sous deux aspects. Premièrement, ce dernier a « modifié » la décision de l’Office en lui ordonnant de n’examiner que le caractère raisonnable du tarif sans toucher au contrat entre PRC et le CN. De ce point de vue, il a agi dans le cadre du pouvoir que lui confère l’article 40 de « modifier » une décision.

 

[65]         Deuxièmement, il faut se poser à propos du décret la question de savoir si l’existence d’un contrat avait pour conséquence juridique de soustraire la demande de PRC à la compétence de l’Office.

 

[66]         La réponse à la seconde question dépend de la manière dont on définit la demande de PRC. Or j’ai déjà conclu que cette demande tendait à obtenir de l’Office qu’il modifie le contrat de PRC avec le CN. Si PRC avait simplement voulu, pour des raisons altruistes, promouvoir les intérêts des expéditeurs en général, elle aurait pu se contenter de demander un examen du tarif, que l’Office aurait été tenu d’effectuer. Dans ce cas, la décision du gouverneur en conseil aurait été à la fois correcte et raisonnable.

 

[67]         J’ai fait observer aux avocats des parties à l’audience que rien n’empêchait apparemment PRC ou n’importe quel autre expéditeur intéressé de demander à l’Office d’examiner le tarif. Ils en ont convenu. Je leur ai ensuite demandé ce qui résulterait de la modification s’il devait en résulter quelque chose. Cette question n’était-elle pas réservée à un examen ultérieur, peut-être par une autre instance? Ils en ont aussi convenu. Pourquoi alors le présent contrôle judiciaire? Le CN, et peut-être les autres parties, ont répondu que c’était la première fois qu’un bon nombre de ces questions se posaient et qu’ils y cherchaient une réponse judiciaire. Ce qui nous amène au point où nous en sommes.

 

[68]         J’estime que les décisions du gouverneur en conseil sur des questions touchant véritablement à la compétence, comme celle qui nous occupe, doivent être contrôlées suivant la norme de la décision correcte. La présente espèce ne met pas en jeu de question de politique générale, mais plutôt l’interprétation des dispositions pertinentes de la Loi sur les transports au Canada et leur applicabilité aux questions dont l’Office était saisi. Si l’on voulait voir modifier ces dispositions pour des raisons de politique générale, c’est au législateur qu’il faudrait s’adresser.

 

QUESTION NO 7      Le décret est‑il correct ou raisonnable selon la norme de contrôle applicable au regard des dispositions de l’article 120.1 de la Loi sur les transports au Canada?

 

[69]         J’ai conclu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[70]         Comme on l’a vu plus haut, l’article 120.1, qui est entré en vigueur après la passation du contrat en question mais avant son expiration, dispose que l’Office peut examiner et réviser un tarif applicable à plus d’un expéditeur à la demande de n’importe lequel des expéditeurs en question. Cependant, le paragraphe 120.1(7) porte que cet article ne s’applique pas aux prix relatifs au transport.

 

[71]         J’ai conclu plus haut que le supplément fixé par le tarif en question fait partie d’un « prix » demandé à l’expéditeur. Il entre donc dans le champ de l’exception prévue au paragraphe 120.1(7) et, par conséquent, n’est pas susceptible d’examen par l’Office. Celui‑ci a eu raison de rejeter la demande au motif de son incompétence, et le gouverneur en conseil a eu tort d’annuler cette décision.

 

QUESTION NO 8      Le décret est‑il correct ou raisonnable – selon la norme de contrôle applicable – compte tenu du fait que le contrat liant PRC et le CN est un « contrat confidentiel »?

 

[72]         J’ai déjà conclu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Par ailleurs, il n’est pas contesté que le contrat en question est un « contrat confidentiel » au sens de la Loi sur les transports au Canada.

 

[73]         La réponse à cette question dépend de la manière dont on définit la demande dont l’Office était saisi. Si PRC demandait à l’Office de modifier le contrat qui la liait au CN, ainsi que je l’ai conclu, l’Office n’avait pas compétence. En effet, aucune disposition de la Loi ne confère à ce dernier le pouvoir de modifier un contrat entre un expéditeur et un transporteur. Ce qu’il peut faire, c’est de modifier un tarif publié applicable à plus d’un expéditeur. Mais il n’a pas le pouvoir de décider l’effet de cette modification sur un contrat déjà signé.

 

[74]         La Loi dispose que l’expéditeur peut soumettre à l’arbitrage les conditions proposées par le transporteur avant qu’ils ne passent le contrat. Cependant, elle ne prévoit pas de mécanisme pour régler après la signature du contrat les questions telles que celle des prix y stipulés.

 

[75]         Je ne me prononce pas sur l’effet que pourrait avoir, à supposer qu’elle puisse en avoir un, une conclusion de l’Office concernant le caractère raisonnable d’un tarif. Je conclus simplement que l’Office n’avait pas compétence pour modifier le contrat passé par les parties. Or c’est précisément ce que tendait à obtenir la demande formée par PRC devant lui. Par conséquent, la décision du gouverneur en conseil ordonnant à l’Office de réexaminer l’objet de cette demande est incorrecte, puisque celui‑ci échappait à la compétence dudit Office.

 

CONCLUSION ET ADJUDICATION DES DÉPENS

[76]         Je conclus donc que le décret formule une décision à contrôler selon la norme de la décision correcte et que cette décision est incorrecte.

 

[77]         J’adjuge les dépens à la partie qui a gain de cause, soit la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, demanderesse. Les dépens seront taxés au maximum de la colonne IV, et ils comprendront les honoraires de deux avocats, un principal et un en second, au titre de l’audience. Les avocats m’ont donné à entendre à l’audience que les parties pourraient s’accorder sur le montant des dépens. Si elles n’y arrivent pas, je les inviterai à me présenter d’autres observations touchant ce montant.


JUGEMENT

 

PAR CES MOTIFS,

LA COUR STATUE COMME SUIT :

 

1.                  La demande est accueillie.

 

2.                  Le décret 2010‑0749 est annulé, et la décision no 392‑R‑2008 est rétablie.

 

3.                  La demanderesse a droit aux dépens, à taxer au maximum de la colonne IV conformément aux motifs.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T‑1104‑10

 

INTITULÉ :                                       LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA c.

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                            PEACE RIVER COAL INC. et L’ASSOCIATION CANADIENNE DE TRANSPORT INDUSTRIEL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             Les 28 et 29 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 octobre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Guy J. Pratte

Nadia Effendi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Forrest C. Hume

POUR LES DÉFENDERESSES

Peace River Coal Inc. et

Association canadienne de transport industriel

 

Robert MacKinnon

Peter Nostbakken

POUR LE DÉFENDEUR

procureur général du Canada

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden Ladner Gervais, s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Forest C. Hume Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDERESSES

Peace River Coal Inc. et

Association canadienne de transport industriel

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

procureur général du Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.