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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111027

Dossier : IMM-7586-10

Référence : 2011 CF 1189

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Kimbeca Vethtic KYDD

et

Jason Romell KYDD

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi) par Kimbeca Vethtic Kydd (la demanderesse). L’autre demandeur est Jason Romell Kydd, le fils de 3 ans de la demanderesse. La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Les demandeurs sont citoyens de St‑Vincent-et-les-Grenadines. La demanderesse a 25 ans et a peu d’éducation. Elle habitait avec un homme du nom de Mello Brown depuis l’âge d’environ 13 ans. M. Brown est le père de trois de ses enfants. Il n’est pas le père de Jason. La demanderesse soutient que sa relation avec M. Brown était abusive. Cependant, la demande d’asile présentée en application des articles 96 et 97 de la Loi est fondée sur un incident précis d’agression qui aurait eu lieu en 2008.

 

[3]               Le 28 septembre 2008, M. Brown a vu la demanderesse parler à l’un de ses amis et il est devenu très jaloux. Lorsque la demanderesse est retournée à la maison ce jour‑là, M. Brown l’a agressée physiquement et verbalement – il l’a frappée à la tête avec une machette. La demanderesse a été hospitalisée pendant une semaine. Lorsqu’elle a quitté l’hôpital, elle est retournée à la maison de M. Brown. Le même soir, elle a été agressée sexuellement et physiquement. Enfin, elle en a eu assez et le 1er novembre 2008, alors que M. Brown était au travail, elle a ramassé ses choses chez lui et a déménagé chez sa tante. Deux jours plus tard, M. Brown s’est rendu à la maison de la tante de la demanderesse, où il a menacé la tante et la demanderesse de les abattre et de brûler la maison si la demanderesse ne revenait pas chez lui. La tante a appelé la police, mais aucune mesure n’a été prise.

 

[4]               Par la suite, la mère de la demanderesse a communiqué avec une amie au Canada afin de s’arranger pour que la demanderesse puisse habiter avec elle. Le 21 décembre 2008, la demanderesse a quitté St‑Vincent et est arrivée au Canada. Elle a demandé l’asile le 13 janvier 2009 en raison de sa crainte de M. Brown. Son fils, l’autre demandeur, est arrivé au Canada le 3 juin 2010 et sa demande d’asile a été présentée le 7 juin 2010.

 

* * * * * * * *

 

[5]               La décision de la Commission a été largement fondée sur le manque de crédibilité de la demanderesse. Il existait de nombreux problèmes dans le témoignage de la demanderesse en ce qui a trait à la ligne du temps des principaux événements. La demanderesse a soutenu que sa confusion était due à son éducation limitée. La Commission n’a pas accepté cette excuse : la demanderesse était aisément capable de lire son formulaire de renseignements personnels (FRP) et elle a été en mesure de facilement se souvenir de certaines dates, comme des anniversaires.

 

[6]               Malgré les tentatives de la Commission d’aider la demanderesse à se souvenir des dates en les associant à divers événements dont elle se souvenait facilement, la demanderesse a été incapable d’établir la chronologie de sa relation avec M. Brown ou la chronologie des incidents d’agression. La séquence des événements n’avait aucun sens.

 

[7]               De plus, il existait de nombreuses contradictions entre son témoignage, les renseignements contenus dans son FRP et les renseignements qu’elle a fournis lors de son entrevue avec Citoyenneté et Immigration Canada quant aux dates des événements principaux, notamment :

-         différentes années ont été utilisées pour décrire le début et la fin de sa relation avec M. Brown;

-         elle a déclaré que sa pire agression a été lorsqu’elle a été coupée avec un coutelas en 2001, mais il existait un rapport d’hôpital au sujet d’un tel  incident qui aurait eu lieu en 2008;

-         les dates de son hospitalisation;

-         le moment à partir duquel elle est allée habiter avec sa tante. Dans son FRP, elle a déclaré qu’elle avait déménagé le 1er novembre 2010. Cependant, dans son témoignage, elle a déclaré qu’elle s’était rendue chez sa tante le jour où elle a quitté l’hôpital.

 

 

 

[8]               La demanderesse n’a pu fournir aucune explication pour ces incohérences. Par conséquent, la Commission a conclu que son témoignage n’était pas crédible. De plus, lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle était venue au Canada, la demanderesse n’a pas mentionné la crainte : elle a dit que c’était pour aider sa mère et pour obtenir une éducation. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait laissé ses trois autres enfants chez M. Brown, elle a répondu que la maison de ce dernier était plus confortable que celle de sa mère.

 

[9]               Par conséquent, compte tenu de ces incohérences et de ses réponses, la Commission a conclu qu’il y avait un manque de crainte subjective de la part de la demanderesse. La Commission a cru qu’elle tentait de modifier son récit afin de rendre sa crainte « plus réelle ». La Commission a rejeté la demande de la demanderesse parce que celle‑ci n’a pas établi une crainte fondée de persécution : elle ne faisait pas face à une possibilité sérieuse de persécution fondée sur un motif prévu par la Convention au sens de l’article 96 de la Loi. De plus, comme la demanderesse n’avait pas vu M. Brown lors des semaines précédant son départ pour le Canada, la Commission a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités au sens de l’article 97 de la Loi : si M. Brown cherchait réellement la deamnderesse, il l’aurait trouvée avant qu’elle quitte pour le Canada.

 

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[10]           La norme de contrôle applicable aux conclusions de crédibilité de la Commission est la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190). Les conclusions de la Commission ne doivent être annulées que si le processus de raisonnement de la Commission est vicié et que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Bien qu’il puisse exister plus d’un résultat possible, tant que le processus de décision de la Commission était justifié, transparent et intelligible, la cour de révision ne peut intervenir parce qu’à son avis, il existait un résultat préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59).

 

[11]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur susceptible de révision en ne tenant pas compte de la preuve dont elle était saisie, en particulier de trois lettres. Premièrement, la Commission aurait omis de tenir compte de la lettre de décharge de l’hôpital, qui clarifie les dates. La Commission aurait aussi omis de tenir compte de deux autres lettres, l’une datée du 18 octobre 2009, de la tante de la demanderesse qui décrit les événements du 1er novembre 2008, lorsque M. Brown s’est rendu à sa maison et les a menacées; et une autre lettre sans date de la mère de la demanderesse qui déclare que la demanderesse a vécu une relation abusive avec M. Brown et qu’elle a été hospitalisée et menacée alors qu’elle habitait avec sa tante. La demanderesse est d’avis que ces lettres auraient dû être analysées et que la Commission aurait dû les mentionner parce qu’il s’agit de preuves contredisant les conclusions de la Commission.

 

[12]           À l’inverse, le défendeur est d’avis que la Commission n’a pas l’obligation de mentionner chaque élément de preuve documentaire sur lequel elle se fonde ou qu’elle rejette (Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. No 1087 (C.A.F.), au paragraphe 1). Le défendeur soutient que la Commission n’a aucune obligation d’accorder de poids à la preuve documentaire qui soutient des allégations qui ne sont pas considérées crédibles (Ahmad c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 FCT 471, au paragraphe 26; Hamid c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.F. No 1293 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 18). Enfin, le défendeur soutient que le manque de crédibilité de la demanderesse au sujet des principaux éléments de son récit constitue une conclusion par la Commission selon laquelle il n’existait aucune preuve crédible à l’appui de sa demande (Obeng c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 636).

 

[13]           Bien que dans la décision Mladenov c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 74 F.T.R. 161, le défaut de la Commission de tenir compte des lettres a justifié l’intervention de la Cour pour accueillir une demande de contrôle judiciaire, ces lettres étaient la preuve la plus récente portant sur des événements qui avaient eu lieu depuis le départ du demandeur, portant ainsi sur la question de la crainte de persécution, contrairement aux lettres dont la Cour est présentement saisie. Bien que, comme dans Mladenov, il n’y a aucune façon de savoir si la Commission a tenu compte des lettres ou non, en l’espèce, les lettres ne divulguaient aucun nouveau fait. La Commission ne doute pas que la demanderesse a été hospitalisée, qu’elle a vécu une relation abusive et qu’elle a été menacée.

 

[14]           L’affaire en l’espèce se distingue aussi d’autres décisions sur lesquelles la demanderesse se fonde et dans lesquelles une conclusion défavorable en matière de crédibilité par la Commission a entraîné un contrôle judiciaire : en l’espèce, la Commission a fourni des motifs justifiant pourquoi elle a conclu que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible (contrairement à Armson c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1989), 101 N.R. 372).

 

[15]           À mon avis, bien que la Commission n’a pas inclus dans sa décision une phrase passe‑partout selon laquelle elle avait tenu compte de toute la preuve dont elle était saisie (Cepeda‑Gutierrez et al. v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 16), elle n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en ne mentionnant pas explicitement les lettres susmentionnées dans sa décision. La Commission a fourni des motifs justifiant pourquoi elle avait conclu que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible et elle a tenu compte de la preuve documentaire. La Commission n’a pas invalidé les faits résumés dans les lettres. Les lettres n’établissent rien de nouveau et la Cour ne doit pas supposer du silence de la Commission qu’elle a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve dont elle était saisie (Cepeda‑Gutierrez, précitée, au paragraphe 16). Enfin, la Commission n’avait pas à mentionner chaque élément de preuve qui était contraire à sa conclusion (Cepeda‑Gutierrez, au paragraphe 16) et la Cour doit faire preuve de déférence envers les conclusions de fait de la Commission.

 

[16]           Par conséquent, comme la norme de contrôle est la décision raisonnable, la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en ne mentionnant pas explicitement les lettres présentées par la demanderesse.

 

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[17]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[18]           Les avocats des parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et je suis d’accord .

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7586-10

 

INTITULÉ :                                       Kimbeca Vethtic KYDD et Jason Romell KYDD c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Arash Banakar                                     POUR LES DEMANDEURS

 

Thi My Dung Tran                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Arash Banakar                                                 POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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