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Cour fédérale

 

Federal Court

 Date : 20111031


Dossier : IMM-645-11

Référence : 2011 CF 1235

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

JIAN BIN LIN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision en date du 30 novembre 2011 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               Jian Bin Lin, le demandeur, affirme être un citoyen de la République populaire de Chine. Il dit s’être joint aux Témoins de Jéhovah, une secte chrétienne, en 2007.

 

[3]               Le demandeur allègue qu’après sa conversion au christianisme, des agents du Bureau de la sécurité publique (le BSP) l’ont arrêté le 21 mars 2008, et il a été détenu. Il affirme que les autorités l’ont ensuite libéré sous la condition qu’il ne pratique plus sa religion. À la suite d’une descente policière à son église le 26 avril 2008, le demandeur, qui faisait le guet ce jour-là, se serait alors, à ses dires, caché pour éviter que les agents du BSP ne l’arrêtent de nouveau.

 

[4]               Par la suite, craignant qu’il ne lui soit pas possible d’échapper aux autorités en Chine, le demandeur a fait appel à un passeur de clandestins pour aller au Canada. Il a commencé son voyage vers le Canada en se rendant à Hong Kong. Il est ensuite passé par l’Allemagne, muni d’un passeport allemand; le nom et la photo qui figuraient sur le document n’étaient pas les siens. Il est arrivé au Canada le 1er juillet 2008 et a déposé sa demande d’asile le lendemain. La SPR a tenu des audiences sur cette demande d’asile le 9 février 2010, le 18 mai 2010 et le 16 septembre 2010. Une agente de protection des réfugiés (l’APR), un commissaire de la SPR, un traducteur, le demandeur et son avocate ont pris part à ces audiences. Au terme de la dernière audience, la SPR a demandé à l’APR de soumettre ses observations et au demandeur de soumettre des observations écrites. Ce dernier a soumis des observations écrites par télécopieur le 1er novembre 2010.

 

[5]               À l’appui de sa demande d’asile, le demandeur a fourni à la SPR les neuf documents suivants en provenance de la République populaire de Chine : une carte d’identité de résident (la CIR); un certificat de résidence (hukou); un certificat de compétence professionnelle; une attestation d’études; un certificat de détention; un reçu; un certificat de baptême; une lettre de l’Église; des photos. Il a également soumis une modification de son FRP le 29 janvier 2010. À la suite de la première audience tenue le 9 février 2010, la CIR, le hukou, le certificat de compétence et l’attestation d’études ont été envoyés au Laboratoire judiciaire de la GRC pour une analyse de l’authenticité.

 

[6]               Étant donné que le laboratoire de la GRC ne disposait pas d’exemplaires authentiques pouvant lui servir de points de repère pour comparer les documents soumis, l’analyse de l’authenticité s’est avérée peu concluante. Toutefois, en ce qui a trait à la CIR, le laboratoire a signalé que [traduction] « les bords du plastifié ont été endommagés (coupés et recollés avec du ruban adhésif) ». Il a également signalé n’avoir relevé [traduction] « aucun indice de modification » sur le hukou, le certificat de compétence et l’attestation d’études.

 

LA DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE

 

[7]               Étant donné les doutes suscités par le témoignage du demandeur et les documents fournis, la SPR a rejeté la demande d’asile parce que le demandeur n’avait pas établi son identité. Conformément à l’article 106 de la Loi, la SPR a pris en compte, pour évaluer la crédibilité du demandeur, le fait que le demandeur n’était pas muni de papiers d’identité acceptables et les explications avancées pour justifier cette absence de papiers acceptables.

 

La carte d’identité de résident

 

[8]               Pour plusieurs motifs, la SPR a conclu que la CIR du demandeur n’était pas un document authentique.

 

[9]               Premièrement, la SPR a conclu qu’il était déraisonnable que le demandeur ne soit pas en mesure de se souvenir à l’audience de son numéro de CIR; toutefois, il a affirmé que ce numéro comptait 18 chiffres. Confronté à une preuve documentaire indiquant que le numéro de CIR comptait en fait 15 chiffres, le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer son erreur. La SPR a également conclu qu’il était déraisonnable que le demandeur ne soit pas en mesure d’indiquer que le numéro de CIR de 18 chiffres ajoutait 19 à son année de naissance. Étant donné que le demandeur n’était pas en mesure de fournir son numéro de CIR de manière cohérente, la SPR a conclu que la valeur de la CIR à titre de document d’identité était compromise.

 

[10]           Deuxièmement, la SPR a conclu que la CIR était décolorée seulement dans les zones qui renfermaient les renseignements personnels du demandeur et qu’elle avait été coupée et recollée. La SPR a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle la CIR avait été pliée et recouverte de ruban adhésif pour la rendre à l’épreuve de l’eau. Elle a conclu qu’il était invraisemblable que la CIR ait subi une décoloration s’il l’avait toujours conservée dans son portefeuille, comme il l’a affirmé dans son témoignage.

 

[11]           Troisièmement, la SPR a conclu que le témoignage du demandeur concernant la date de délivrance de la CIR ne concordait pas avec la preuve documentaire. Elle a tenu compte d’éléments de preuve indiquant que les CIR sont délivrées aux citoyens de la République populaire de Chine à l’âge de 16 ans. Confronté à ces éléments de preuve, le demandeur a affirmé qu’à l’âge de 16 ans, il fréquentait l’école, si bien qu’il ne pouvait pas obtenir de CIR. La SPR a rejeté cette explication et conclu que le fait d’être aux études n’aurait pas empêché le demandeur d’obtenir une CIR.

 

[12]           La SPR a également tenu compte d’éléments de preuve indiquant qu’il était facile et peu coûteux d’obtenir des CIR contrefaites de la même génération que celle présentée à l’appui de l’identité du demandeur. Se fondant sur les éléments de preuve signalés ci-dessus, la SPR a conclu que la CIR n’était pas un document authentique et, par conséquent, n’établissait pas l’identité du demandeur.

 

Le hukou

 

[13]           La SPR a également examiné le hukou afin d’établir l’identité du demandeur. Elle a conclu que, comme la CIR, le hukou n’était pas un document authentique. Cette conclusion reposait en partie sur l’incapacité du demandeur à signaler des renseignements clés contenus dans son hukou, y compris sa profession. Confronté au fait que, selon le hukou, il exerçait la profession d’agriculteur, tandis que son FRP indiquait qu’il avait travaillé dans des restaurants, le demandeur a affirmé que la profession consignée dans un hukou était celle du père. De l’avis de la SPR, il y avait une contradiction entre l’incapacité initiale du demandeur à indiquer si le hukou contenait de l’information sur la profession et son affirmation subséquente selon laquelle la profession consignée était celle du père, si bien que la SPR a tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité du demandeur.

 

[14]           Pour justifier sa connaissance inadéquate du contenu du hukou, le demandeur a prétendu qu’il est une personne simple. La SPR a rejeté cette explication, car le demandeur avait indiqué qu’il avait neuf années de scolarité et dix années d’expérience de travail.

 

[15]           À la lumière des doutes concernant la CIR et le hukou, la SPR a conclu que la documentation fournie par le demandeur pour établir son identité était inadéquate.

 

Les autres documents

 

[16]           La SPR avait également des doutes au sujet du certificat de compétence et de l’attestation d’études soumis par le demandeur. Elle a signalé que le demandeur avait affirmé à l’audience avoir réussi son examen en cuisine chinoise en 2005 et avoir travaillé dans un restaurant de fruits de mer à Chang Le. La SPR a noté que, dans le FRP, il n’est pas indiqué que le nom de ce restaurant était le Chang Le Seafood Restaurant; toutefois, il y avait une entrée concernant le Wan Long Seafood Restaurant pour l’année 2004, et non pour 2005. D’après la SPR, prié d’expliquer la divergence entre son témoignage et la preuve qu’il avait présentée, le demandeur a affirmé avoir commis une erreur. La SPR a conclu qu’il était invraisemblable que le demandeur ne se souvienne pas de l’année où il a réussi son examen. À la lumière de ces doutes, elle a accordé peu de poids au certificat de compétence présenté à l’appui de l’identité du demandeur.

 

Certificat de détention

 

[17]           Ayant conclu que la CIR, le hukou et le certificat de compétence ne permettaient pas d’établir l’identité du demandeur, la SPR a accordé peu de poids au certificat de détention et au reçu. Le certificat de détention ne contenait ni son numéro de CIR, ni son adresse, ni son numéro de hukou, qui auraient permis de l’identifier, si bien que la SPR a conclu que ce document ne confirmait ni l’identité du demandeur, ni l’affirmation selon laquelle il avait été persécuté.

 

Les autres éléments de preuve

 

[18]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il se trouvait en Chine en 2007 et en 2008, soit la période pendant laquelle il affirmait avoir été persécuté. Elle a conclu qu’il n’y avait pas de documents démontrant qu’il était en Chine durant la période en cause, et a également conclu qu’il était déraisonnable qu’il n’ait pas obtenu les documents appropriés.

 

[19]           De plus, la SPR a conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle les agents du BSP étaient à sa recherche n’était pas crédible. Selon la SPR, le fait que le père du demandeur lui avait posté ses documents en utilisant son vrai nom mettait en doute cette allégation, car il est connu que le gouvernement chinois surveille le courrier. Poster des documents à un fugitif connu ferait en sorte que ce dernier serait exposé à un risque accru. De plus, la SPR a conclu que le récit de son passage par l’Allemagne avec un passeport allemand n’était pas crédible. Il était invraisemblable qu’un Asiatique muni d’un passeport allemand ne soit pas été arrêté ou questionné, comme l’avait prétendu le demandeur. Cela jette le doute sur le pays de référence signalé par le demandeur, ainsi que sur sa crédibilité.

 

Conclusion

 

[20]           La SPR a conclu que les documents et le témoignage livrés par le demandeur pour prouver son identité n’étaient pas acceptables et que les explications avancées pour justifier ces lacunes étaient inadéquates. Par conséquent, la SPR a conclu qu’il n’avait pas établi son identité, si bien qu’elle a rejeté la demande d’asile.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[21]           Le demandeur a soulevé la question suivante :

            La conclusion de la SPR concernant l’identité du demandeur était-elle raisonnable?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[22]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à l’espèce :


Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait

de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au

sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans

le cas suivant:

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

 

Crédibilité

 

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

Convention Refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard

of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health

or medical care

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations

as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Credibility

 

106. The Section de la protection des réfugiés must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

[23]           Les dispositions suivantes des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, s’appliquent également à l’espèce :

Documents d’identité et autres éléments de la demande

 

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour

établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

Documents establishing

identity and other elements of the claim

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[24]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu que l’analyse relative à la norme de contrôle n’avait pas à être effectuée dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut tout simplement appliquer cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs faisant partie de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[25]           Les conclusions concernant la crédibilité sont au centre des conclusions de fait de la SPR et, par conséquent, sont assujetties à la norme de la raisonnabilité. Voir Elmi c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 773, au paragraphe 21. De plus, dans Umba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 25, le juge Luc Martineau s’est penché sur l’appréciation des preuves d’identité par un agent d’immigration et les conclusions de ce dernier concernant l’acceptabilité de la documentation. Après avoir analysé les quatre facteurs contextuels établis par la Cour suprême du Canada dans Dr. Q. c College of Physicians and Surgeons of British Colombia, 2003 CSC 19, le juge Martineau a conclu, au paragraphe 31, que l’analyse de la preuve documentaire et l’évaluation de la crédibilité étaient assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable. Il a également conclu que l’appréciation des preuves d’identité soumises par un demandeur était assujettie à la norme de la décision raisonnable simpliciter. Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada a fondu ces deux normes en une seule, soit la norme de la raisonnabilité (paragraphe 45). La norme de contrôle qui s’applique à l’espèce est la raisonnabilité. Voir également Andryanov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 186, au paragraphe 14, et Najam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 425, aux paragraphes 13 et 14.

 

[26]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse s’intéressera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres mots, la Cour ne devrait intervenir que si la décision de l’agent est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ARGUMENTS

            Le demandeur

Il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que la CIR n’était pas authentique

 

[27]           Le demandeur soutient que, en s’attendant à ce qu’il se souvienne des 15 chiffres qui composent son numéro de CIR, la SPR lui a imposé une exigence déraisonnable. Selon le demandeur, il est une personne simple et il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il se rappelle les 15 chiffres de son numéro de CIR étant donné qu’il n’a que neuf années de scolarité et dix années d’expérience de travail.

 

[28]           De plus, selon le demandeur, il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que la CIR n’était pas authentique parce que le document était décoloré et que du ruban adhésif y avait été apposé. Selon celui-ci, les conclusions de la SPR selon lesquelles il était invraisemblable que le ruban adhésif ait été apposé pour rendre le document à l’épreuve de l’eau et la présence de ruban adhésif pouvait être un indice de l’altération du document étaient [traduction] « fondées sur des conjectures, spécieuses et déraisonnables ».

 

[29]           Le demandeur affirme également que, étant donné qu’il avait ce document depuis 14 ans au moment de l’audience, il est possible que la décoloration du document soit naturelle. De plus, il affirme qu’il est possible que l’application de ruban adhésif sur la CIR visait à éviter qu’elle soit endommagée par l’eau. Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que la CIR n’était pas authentique parce qu’il y a d’autres explications plausibles pour la décoloration et les dommages causés à la CIR.

 

[30]           Le demandeur soutient également qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de tirer une conclusion défavorable concernant sa crédibilité à la suite de son témoignage sur le moment où il a reçu la CIR. Selon le demandeur, bien que le fait d’être aux études ne l’aurait pas empêché de demander et de recevoir sa CIR, il n’aurait pas été déraisonnable de conclure que le demandeur n’avait pas présenté de demande de CIR parce qu’il était aux études. Il faut que la conclusion contraire de la SPR soit déraisonnable.

 

Il était déraisonnable de la part de la SPR de décider que le hukou n’était pas authentique

 

[31]           Relativement à ce document, le demandeur soutient que l’appréciation par la SPR de son niveau d’instruction et de son expérience professionnelle était déraisonnable. D’après le demandeur, la conclusion de la SPR selon laquelle ses neuf années de scolarité et ses dix années d’expérience professionnelle permettaient de conclure qu’il n’était ni sans instruction, ni une personne simple [traduction] « contredit tout simplement les faits ». Il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que l’incapacité du demandeur à signaler les renseignements contenus dans le hukou minait sa crédibilité, compte tenu de cette conclusion erronée au sujet de la question de savoir s’il était une personne simple.

 

Il était déraisonnable de la part de la SPR de n’attribuer aucun poids aux autres documents soumis

 

[32]           Selon le demandeur, il était déraisonnable de la part de la SPR de n’attribuer aucun poids au certificat de détention, du fait qu’elle avait décidé que les autres documents d’identité n’étaient pas authentiques. Il soutient que la SPR n’a accordé aucun poids au certificat de détention uniquement parce qu’elle avait conclu auparavant que les autres documents n’étaient pas authentiques. Il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que le certificat de détention n’était pas digne de foi en se fondant uniquement sur ses conclusions concernant les autres documents. Il aurait fallu que la SPR examine le certificat de détention en fonction des caractéristiques qui lui sont propres et l’omission de procéder ainsi fait en sorte que la décision est déraisonnable.

 

La conclusion de la SPR selon laquelle le récit de son passage par l’Allemagne avec un passeport allemand minait sa crédibilité

 

[33]           Enfin, le demandeur soutient qu’il n’était pas raisonnable de la part de la SPR de tirer une conclusion défavorable de son témoignage selon lequel il était passé par l’Allemagne muni d’un passeport allemand sans que personne ne lui ait posé de questions et sans avoir parlé à un agent des douanes ou à un employé des lignes aériennes. Le demandeur signale qu’il était possible que le passeur de clandestins qu’il avait embauché pour se rendre au Canada ait eu des contacts qui auraient facilité son passage à l’aéroport allemand. Compte tenu de cette autre explication possible, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que son récit était invraisemblable. De plus, il soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de tirer une conclusion défavorable concernant sa crédibilité du fait qu’elle estimait ce récit invraisemblable.

 

Le défendeur

 

[34]           Le défendeur soutient que les conclusions de la SPR étaient raisonnables parce qu’elles reposaient sur des éléments de preuve. Étant donné que les conclusions de la SPR étaient raisonnables, la décision de rejeter la demande d’asile présentée par le demandeur devrait être maintenue.

 

La CIR

 

[35]           Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que la CIR n’était pas authentique étant donné que le demandeur ne se souvenait pas de son numéro de CIR et qu’il ne pouvait expliquer pourquoi il avait affirmé que ce numéro comptait 18 chiffres alors qu’il en comptait en fait 15. Comme la SPR avait conclu que la CIR était décolorée dans les zones qui contenaient les renseignements personnels du demandeur et que le rapport du laboratoire de la GRC signalait que la CIR avait été coupée et recollée avec du ruban adhésif, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que la CIR n’était pas authentique et n’établissait pas l’identité du demandeur.

 

[36]           De plus, le défendeur se fonde sur Kommissarov c Canada, 2002 CFPI 75, et sur Merja c Canada, 2005 FC 73, pour soutenir que la SPR était en droit de tenir compte de la disponibilité de documents contrefaits dans la région lorsqu’elle a examiné la valeur probante des documents qui lui étaient soumis. Étant donné qu’il était loisible à la SPR de tenir compte de la disponibilité de documents contrefaits dans la région, et vu les conclusions tirées par la SPR concernant les dommages causés à la CIR et le témoignage du demandeur sur le numéro de la CIR, le défendeur affirme que les conclusions de la SPR sur l’authenticité de la CIR étaient raisonnables et ne devraient pas être modifiées.

 

[37]           De plus, le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de la SPR d’attribuer peu de poids à l’explication du demandeur. Selon son témoignage, le demandeur a reçu la CIR à l’âge de 17 ans, contredisant la preuve documentaire indiquant que la CIR est délivrée aux citoyens de la République populaire de Chine à leur seizième anniversaire. À la lumière de la preuve documentaire à sa disposition, la SPR pouvait raisonnablement rejeter l’explication du demandeur selon laquelle son statut d’étudiant l’avait empêché d’obtenir la CIR.

 

Le hukou

 

[38]           Selon le défendeur, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur ne savait effectivement pas quels renseignements se trouvaient dans le hukou. Ce dernier n’a pas été en mesure de fournir des renseignements exacts ni au sujet du contenu, ni au sujet de l’utilisation du hukou, et il était raisonnable de la part de la SPR de s’attendre à ce qu’une personne ayant neuf années de scolarité et dix années d’expérience de travail soit au courant du contenu du hukou. La SPR disposait d’éléments de preuve sur lesquels il était raisonnable de fonder ses conclusions concernant ce document.

 

Les autres éléments de preuve

 

[39]           Le défendeur soutient également que, même si le demandeur a soumis un certificat de compétence professionnelle et un certificat de détention et parle le mandarin, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure qu’il n’avait pas établi son identité.

 

[40]           Se fondant sur Alizadeh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 11 (CA) et Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 160 NR 315 (CAF), le défendeur soutient qu’il était loisible à la SPR de tirer des conclusions à la lumière d’invraisemblances. Il était loisible à la SPR de conclure que le témoignage du demandeur concernant son identité n’était pas crédible en raison de l’invraisemblance de son récit de son passage par l’Allemagne avec un passeport allemand, sans avoir parlé une seule fois à un agent des douanes ou à un employé des lignes aériennes. Il était raisonnable de la part de la SPR, après avoir examiné la preuve dans son ensemble et l’avoir jugée peu crédible en grande partie, de conclure que le demandeur n’avait pas établi son identité.

 

Le mémoire additionnel du défendeur

 

[41]           Le défendeur soutient également que la conclusion de la SPR concernant l’identité du demandeur devrait être maintenue. La question de l’identité était au cœur de la demande d’asile et la SPR a tiré des conclusions raisonnables sur la base de la preuve dont elle disposait. Le demandeur n’a pas fourni de documents acceptables en vue d’établir son identité et, en présentant un document contrefait, il a jeté le doute sur l’ensemble de sa demande. Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure qu’il n’avait pas établi son identité et que la demande d’asile devait être rejetée.

 

Autres doutes se rapportant à la CIR

 

[42]           Le défendeur fait valoir que, compte tenu de Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 1280, et du rapport peu concluant du laboratoire de la GRC, il était loisible à la SPR d’avoir des doutes au sujet du demandeur et de tirer ses propres conclusions concernant l’authenticité de la CIR. Le défendeur signale que la conclusion de la SPR concernant la CIR reposait non seulement sur la décoloration du document, mais aussi sur le rapport du laboratoire, sur ce que le demandeur savait au sujet de la CIR ainsi que sur la preuve documentaire concernant la disponibilité de documents contrefaits en Chine.

 

Les autres conclusions de la SPR étaient raisonnables

 

[43]           Le défendeur soutient également que les conclusions de la SPR concernant le certificat de compétence étaient raisonnables. En raison de l’incompatibilité entre le témoignage du demandeur concernant la période durant laquelle il a travaillé dans des restaurants de fruits de mer et la date de délivrance de son diplôme, il était raisonnable de la part de la SPR d’accorder peu de poids à ce document aux fins de l’établissement de l’identité du demandeur. De plus, il était raisonnable de la part de la SPR d’accorder peu de poids à son aptitude à parler le mandarin, car il y a de nombreuses personnes qui maîtrisent le mandarin et qui ne proviennent pas de la République populaire de Chine. En outre, le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de la SPR d’accorder peu de poids au certificat de détention aux fins de l’établissement de l’identité du demandeur, car ce document ne renfermait ni l’adresse du demandeur, ni son numéro de CIR, ni son numéro de hukou, ni l’adresse du centre de détention d’où il prétend avoir été libéré.

 

Le hukou

[44]           Le demandeur soutient que son manque d’instruction et d’expérience explique sa connaissance inadéquate du contenu du hukou, mais le défendeur conteste cette explication. Au lieu d’imputer cette connaissance inadéquate au fait que le demandeur est une personne simple, il faudrait l’imputer tout simplement au fait que le demandeur ne savait pas quels renseignements se trouvaient dans le hukou. Étant donné que le hukou est un document d’identité important dans la vie de tous les citoyens de la République populaire de Chine, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur n’était pas crédible du fait qu’il ne savait pas quels étaient les renseignements contenus dans le hukou.

 

Doutes concernant les allégations de persécution

 

[45]           Bien que la SPR ait rejeté la demande d’asile uniquement au motif que le demandeur n’avait pas prouvé son identité, le défendeur souligne que le demandeur n’a pas non plus prouvé qu’il se trouvait en Chine durant la période où il prétend avoir été victime de persécution. Il n’avait pas de documents pour en attester. Le défendeur signale également que, du fait que le père du demandeur a posté des documents en utilisant le vrai nom du demandeur à titre de destinataire, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que le demandeur n’était pas un témoin crédible. Par conséquent, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que la crédibilité de l’identité du demandeur et de ses allégations de persécution était compromise.

 

ANALYSE

 

[46]           Le défendeur a raison de rappeler à la Cour qu’elle ne peut substituer sa propre appréciation de la preuve à celle de la SPR même dans les situations où la Cour aurait peut-être tiré une conclusion différente de celle tirée par la SPR. Voir Su c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 680, au paragraphe 13. Toutefois, en l’espèce, il y a un certain nombre de questions ouvrant la possibilité que la SPR ait tiré des conclusions dans ses motifs qui ne découlent pas raisonnablement de la preuve, si bien que la Cour se doit de les examiner pour vérifier si elles ont pour effet de rendre la décision déraisonnable.

 

[47]           Par exemple, au paragraphe 19 de sa décision, la SPR se fonde sur une preuve documentaire qui, selon la SPR, « révèle également que les documents frauduleux sont faciles à obtenir partout en Chine, y compris dans la province du Fujian, dont le demandeur d’asile se dit originaire ». En fait, le document en question fait renvoi à la situation générale en Chine pour ce qui est des documents contrefaits mais, relativement au Fujian, il indique ce qui suit : « Parmi les sources qu’elle a consultées, la Direction des recherches n’a trouvé aucun renseignement précis sur les assignations frauduleuses, ni sur la fabrication, l’acquisition, la distribution et l’utilisation de documents frauduleux, y compris les passeports, les hukous, les cartes d’identité de résident et les assignations, pour les provinces du Guangdong et du Fujian en particulier ». Toutefois, ce renvoi à la province du Fujian est suivi immédiatement d’une précision :

Toutefois, selon un article publié dans le South China Morning Post, la ville de Shenzhen [traduction] « est le coeur de l’industrie du faux diplôme en Chine continentale ».

 

 

[48]           Il convient de noter que le renvoi à Shenzhen a uniquement trait à « l’industrie du faux diplôme ». La Direction des recherches avait reçu le mandat de trouver de l’information sur « la fabrication, l’acquisition, la distribution et l’utilisation de documents frauduleux, y compris les passeports, les hukous, les cartes d’identité de résident et les assignations; la situation dans les provinces du Guangdong et du Fujian en particulier (2005‑mai 2009) ».

 

[49]           Bien que la Direction des recherches n’ait pu trouver des renseignements se rapportant au Guangdong et au Fujian en particulier, il ne s’ensuit pas qu’il n’est pas possible d’y obtenir des documents frauduleux. Le message général du rapport est que le marché des documents frauduleux existe depuis longtemps à l’échelle de la Chine et qu’il est en croissance.

 

[50]           Autrement dit, rien dans le rapport ne laisse supposer que le Guangdong et le Fujian se démarquent du reste de la Chine pour ce qui est des documents frauduleux, et il y a de nombreuses indications qu’il est possible d’obtenir de tels documents partout en Chine. Je ne peux affirmer que la SPR a commis une erreur importante dans son interprétation de la documentation pour ce qui est de l’accès à des documents frauduleux en Chine, y compris dans les provinces du Guangdong et du Fujian.

 

[51]           En ce qui a trait au certificat de compétence, la SPR expose les motifs suivants pour ne pas lui accorder de poids à titre de preuve de l’identité et des antécédents professionnels du demandeur :

[l]e tribunal estime que le témoignage contradictoire du demandeur d’asile au sujet du moment où il a passé son examen et reçu son certificat de compétence met en doute la valeur du document à titre de pièce d’identité et mine la crédibilité du demandeur d’asile. Ce dernier a déclaré dans son témoignage qu’il avait passé un examen en cuisine chinoise en 2005 et qu’il avait travaillé dans un restaurant de fruits de mer à ChangLe. Le tribunal estime ce témoignage déconcertant pour plusieurs raisons. En premier lieu, la section réservée à l’emploi dans le FRP du demandeur d’asile n’indiquait pas le nom du restaurant comme « ChangLe Seafood ». Un restaurant du nom de « Wan Long Seafood » était répertorié; or, il était indiqué pour 2004, et non 2005, année où le demandeur d’asile allègue avoir passé son examen. En second lieu, l’attestation d’études du demandeur d’asile indique que ce dernier a passé l’examen en 2002. Prié d’expliquer la différence entre son témoignage et la preuve qu’il a présentée, le demandeur d’asile a déclaré qu’il avait commis une erreur. Le tribunal estime qu’il est déraisonnable de la part du demandeur d’asile de ne pas se rappeler l’année où il a passé son examen professionnel ni même l’endroit où il travaillait à l’époque. Compte tenu du témoignage contradictoire du demandeur d’asile, le tribunal constate qu’il lui est impossible d’accorder de l’importance au certificat de compétence à l’appui de l’identité et de l’emploi du demandeur d’asile.

 

[52]           L’avocate du demandeur fait valoir que l’échange décrit dans ce paragraphe ne figure pas dans le dossier certifié du tribunal, si bien que cet échange [traduction] « n’a jamais eu lieu » et qu’[traduction] « il n’y a pas le moindre motif de rejeter le [certificat de compétence] ».

 

[53]           Tout d’abord, je ne dispose d’aucune preuve de la part du demandeur attestant que cet échange n’a jamais eu lieu. Son avocate demande à la Cour de conclure que l’échange n’a jamais eu lieu à la lumière du contenu de la transcription de l’audience. La question n’a pas été soulevée dans les observations écrites et le demandeur n’a soumis à la Cour aucune preuve démontrant qu’il n’y a jamais eu un tel échange. La question a manifestement pris l’avocate du défendeur par surprise à l’audience du contrôle judiciaire et cette dernière n’avait pas eu l’occasion de se pencher sur cette question et de fournir une explication. Dans les circonstances, je ne pense pas que la Cour puisse simplement supposer que la SPR ait inventé l’échange ou qu’elle se soit trompée sur ce qui s’est dit. Il y a trop de précisions dans le paragraphe 24 de la décision pour qu’on puisse penser que la SPR a mal interprété le témoignage et, faute de toute preuve de la part du demandeur démontrant qu’il n’a pas donné le témoignage rapporté, la Cour ne peut pas affirmer que la décision comporte une erreur importante concernant le certificat de compétence. De toute manière, il ne s’agit que de l’un des facteurs qui ont mené à la conclusion générale et cumulative que le demandeur n’avait pas établi son identité.

 

[54]           De plus, l’APR, qui était présente à l’audience, a consigné ce qui suit dans ses observations (à la page 467 du dossier certifié du tribunal) :

[traduction] [Le demandeur] a soumis un certificat de chef de cuisine, décerné au terme de trois cours. Dans son témoignage oral, il affirme avoir suivi ces cours en 2005. Selon le certificat, c’était en 2002.

 

[55]           D’après la transcription de l’audience tenue le 16 septembre 2010, l’APR devait soumettre ses observations aux avocates au plus tard le 1er octobre 2010. Les observations versées dans le dossier certifié du tribunal ne comportent pas de signature ou de date. Le demandeur a présenté ses observations écrites le 1er novembre 2010, mais il n’y mentionne ni l’échange manquant ni la remarque de l’APR. Bien qu’il ne soit pas clair à quel moment durant l’audience l’échange en question a eu lieu, le commissaire de la SPR et l’APR conviennent qu’il a eu lieu.

 

[56]           L’affirmation suivante de la SPR dans la décision pourrait constituer un problème :

[] la section réservée à l’emploi dans le FRP du demandeur d’asile n’indiquait pas le nom du restaurant comme « ChangLe Seafood ». Un restaurant du nom de « Wan Long Seafood » était répertorié; or, il était indiqué pour 2004, et non 2005, année où le demandeur d’asile allègue avoir passé son examen.

 

 

[57]           En fait, la version non modifiée du FRP indique que le demandeur était chef au restaurant Wan Long Seafood à Chang Le, dans la province du Fujian, de février 2004 à décembre 2004. La version non modifiée du FRP indique également qu’il était chef au restaurant Bu Jian Bu San, également à Chang Le, de février 2005 à février 2006. La modification à son FRP, que le demandeur a soumise le 29 janvier 2010, indique que le restaurant Wan Long Seafood se trouve à Guang Ze, dans la province du Fujian, et que le restaurant Bu Jian Bu San se trouve à Fuzhou, également dans la province du Fujian.

 

[58]           De plus, à l’Annexe 1 – Renseignements de base, que le demandeur a signée le 1er juillet 2008, ce dernier a indiqué que, de février à décembre 2004, il travaillait chez Wang Long Lai Xiem à Guan Zhe Xian. D’après l’Annexe 1, il était au chômage de décembre 2004 à février 2005, puis a travaillé comme chef au restaurant Bu Jian Bu San à Bu Fuzhon Shi de février 2005 à février 2006. Compte tenu de l’incertitude dans ces documents concernant la situation professionnelle du demandeur à l’époque où, selon son témoignage, il a obtenu le diplôme, je ne peux affirmer que la SPR a tiré des conclusions déraisonnables sur son certificat de compétence.

 

[59]           Même en supposant que la SPR a eu tort de conclure que le certificat de compétence jetait un doute sur la crédibilité du demandeur, je suis convaincu que la décision dans son ensemble est raisonnable compte tenu des autres conclusions de la SPR concernant la crédibilité. Dans Stelco Inc c British Steel Canada Inc., [2000] ACF no 286, le juge Evans a affirmé ce qui suit au paragraphe 22 :

même si le Tribunal a commis une erreur susceptible de révision à l’égard de certaines conclusions de fait, la décision qu’il a rendue au sujet de l’annulation serait néanmoins confirmée s’il y avait d’autres faits sur lesquels il était raisonnablement possible de fonder sa conclusion finale.

 

 

[60]           Notre Cour s’est inspirée de ces remarques du juge Evans à plusieurs reprises dans le cadre de décisions ayant trait à l’immigration. Voir par exemple Zazay c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 182; Ogiriki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 342, et Agbon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 FC 1573. En l’espèce, la SPR s’est fondée sur plusieurs facteurs autres que le certificat de compétence pour conclure que le demandeur n’était pas crédible. Il y avait suffisamment d’autres éléments de preuve pour étayer la conclusion selon laquelle il n’était pas crédible et n’avait pas établi son identité.

 

[61]           Le demandeur conteste également l’évaluation de la CIR par la SPR, signalant que le rapport du laboratoire de la GRC affirme expressément qu’il n’y avait aucun indice de modification. Sur ce point, voici l’extrait du rapport de la GRC dans son intégralité :

[traduction] L’impression de la pièce Q - 2 [la CIR] est de bonne qualité et a été réalisée au moyen d’une combinaison de typographie et de rotogravure et d’une émulsion photographique (qui est partiellement décolorée et jaunie). Il n’y a aucun indice de modification sur la pièce Q - 2, mais les bords du plastifié ont été endommagés (coupés et recollés avec du ruban adhésif).

 

 

[62]           Il me semble que ce paragraphe doit être interprété en corrélation avec la conclusion générale de la GRC concernant les pièces Q - 1 à Q - 4, à savoir que : [traduction] « l’analyse de leur authenticité demeure “peu concluante” ».

 

[63]           Parce que l’analyse de l’authenticité s’est avérée peu concluante, il était loisible à la SPR d’entreprendre le genre d’enquête qui figure dans la transcription et qui est décrite dans la décision. Je conviens avec le demandeur qu’il y a des endroits dans la décision de la SPR où cette dernière émet des suppositions; toutefois, je ne crois pas que la décision, lue dans son ensemble, soit déraisonnable. La SPR avance suffisamment de faits pour étayer sa conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas établi son identité.

 

[64]           En fait, le demandeur demande à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve et à un nouvel examen des explications qu’il a fournies en réponse aux préoccupations de la SPR, puis de trancher en sa faveur. Il ne s’agit pas du rôle qui incombe à la Cour. Voir la décision Su, précitée, au paragraphe 13.

 

[65]           Il est toujours possible d’avoir un avis divergent de celui de la SPR et de soutenir qu’il aurait été raisonnable de tirer une conclusion différente. Toutefois, cela ne démontre pas que la SPR a rendu une décision déraisonnable qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables décrites dans l’arrêt Dunsmuir, précité. Le demandeur soutient que la SPR aurait dû tirer d’autres conclusions en l’espèce, mais ses arguments ne tiennent pas compte de tous les facteurs en cause (exposés dans les motifs de la SPR) et n’ont pas convaincu la Cour que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables décrites dans l’arrêt Dunsmuir.

 

[66]           La SPR a exposé soigneusement les réserves qu’elle avait relativement à chacun des documents soumis par le demandeur. De plus, les conclusions de la SPR selon lesquelles le demandeur n’avait pas établi son identité et n’était pas un témoin crédible étaient également étayées par les points suivants :

-           les doutes se rapportant à la CIR et au hukou;

-           la discordance de la preuve en ce qui concerne la date de son examen;

-           le peu de renseignements contenus dans le certificat de détention;

-           le passage par l’Allemagne au moyen d’un passeport allemand;

-           l’incapacité du demandeur de prouver qu’il se trouvait en Chine durant la période en cause;

-           le fait que le père du demandeur ait posté des documents à ce dernier en utilisant son vrai nom.

 

[67]           De plus, l’absence de documents acceptables sans que soit fournie une explication raisonnable de cette absence, ou l’omission de prendre des mesures raisonnables pour obtenir de tels documents, est un facteur qui peut être pris en considération dans l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur. Voir Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587, au paragraphe 13, Narasingham c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 294, aux paragraphes 21 à 23, et la décision Umba, précitée, au paragraphe 45.

 

[68]           À la lumière de preuve présentée par le demandeur, la SPR pouvait conclure de façon raisonnable que cette preuve n’était pas suffisamment crédible ou digne de foi pour établir son identité.

 

[69]           La SPR est en droit de tirer des conclusions raisonnables en se fondant sur des invraisemblances, le sens commun et la rationalité, et elle peut rejeter des éléments de preuve qu’elle estime improbables compte tenu de l’affaire dans son ensemble. Celle-ci n’est pas tenue d’admettre un témoignage du seul fait qu’il n’a pas été contredit. Voir les arrêts Alizadeh et Aguebor, précités.

 

[70]           Les questions se rapportant à la crédibilité et à l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence de la SPR à titre de juge des faits. Relativement à ces questions, il n’y a aucun fondement juridique permettant à la Cour d’intervenir en l’espèce. Voir Brar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] ACF no 346.

 

[71]           Les avocats des parties conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  que la demande est rejetée;

2.                  qu’il n’y a pas de question à certifier.

 

 « James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-645-11

 

INTITULÉ :                                       JIAN BIN LIN

 

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 octobre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman                                                                           POUR LE DEMANDEUR

 

Nicole Paduraru                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OTIS & KORMAN                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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