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Date : 20111103

Dossier : T‑1895‑10

Référence : 2011 CF 1259

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

CHRIS BUCHOLTZ, DONALD BOUCHER, DONI HUNT ET BRIAN HITCHCOCK

 

 

 

défendeurs

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission des relations de travail), en date du 25 octobre 2010, qui a accueilli trois griefs déposés contre le Service correctionnel du Canada (l’employeur), et qui a ordonné à ce dernier de payer des heures supplémentaires à messieurs Boucher, Hunt et Hitchcock pour des postes d’heures supplémentaires précis pour lesquels ils auraient dû être embauchés.

 

[2]               La présente demande soulève une question qui oppose depuis longtemps le syndicat et l’employeur au sujet de la politique de l’employeur sur la répartition des heures supplémentaires, qui donne la priorité aux employés ayant droit d’être rémunérés une fois et demi le taux normal (temps et demi) par rapport à ceux ayant droit d’être rémunérés deux fois le taux normal (tarif double) pour certains postes d’heures supplémentaires. La question consiste à déterminer si cette politique contrevient aux dispositions de la convention collective, qui prévoient que l’employeur doit répartir les heures supplémentaires de travail sur une « base équitable ». Cette question a été soumise au moins dix fois à la Commission des relations de travail, et elle n’a pas été réglée à la satisfaction du syndicat ou de l’employeur. Maintenant, cette question est soumise pour la première fois à la Cour fédérale dans la présente affaire.

 

[3]               Dans la décision Le Syndicat des agents correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN c Conseil du Trésor, 2010 CRTFP 85 (SACC), la politique sur les heures supplémentaires faisait en soi l’objet des griefs renvoyés à l’arbitrage. La Commission des relations de travail a examiné la politique sur les heures supplémentaires de l’employeur et son fondement, au paragraphe 17 :

[17]      La politique nationale sur les heures supplémentaires est basée sur les principes du contrôle et de la réduction du besoin des heures supplémentaires, d’un préavis suffisant aux employés lorsqu’ils sont tenus de faire des heures supplémentaires, de la nécessité de faire tous les efforts raisonnables pour attribuer le travail en temps supplémentaire à des employés du même groupe et niveau, d’une réduction des coûts au minimum lorsque des heures supplémentaires s’imposent et d’une discussion sur une base trimestrielle des résultats des heures supplémentaires avec les représentants locaux du syndicat. La politique stipule que les gestionnaires devraient faire tous les efforts raisonnables pour offrir la possibilité de faire des heures supplémentaires sur une base équitable parmi les employés qualifiés facilement disponibles. Les gestionnaires doivent conserver un relevé de toutes les heures supplémentaires offertes et travaillées. Les périodes de relevé des heures supplémentaires sont trimestrielles, à partir du 1er avril de chaque exercice, de façon qu’il soit possible de faire régulièrement des rajustements; l’équité du processus est évaluée sur une période de 12 mois.

 

 

[4]               La Commission des relations de travail a rejeté les griefs liés à la politique sur les heures supplémentaires, et a déclaré ce qui suit au paragraphe 47 :

[47]      On n’a pas produit de preuve à l’arbitrage pour démontrer que la politique nationale sur les heures supplémentaires viole la convention collective. Il aurait fallu en produire pour que je puisse conclure à une telle violation. Plus précisément, l’agent négociateur devait prouver, selon la prépondérance des probabilités que la politique a eu pour résultat une répartition inéquitable des heures supplémentaires parmi les employés qualifiés facilement disponibles. Il pourrait exister des éléments de la politique susceptibles de causer des problèmes d’équité dans son application, mais aucune preuve n’a été avancée à l’appui d’une telle allégation.

 

 

FAITS

Contexte

[5]               Les défendeurs sont des agents correctionnels qui travaillent au sein du Service correctionnel du Canada. Chacun d’eux a déposé un grief (M. Hunt en a déposé deux) en application du paragraphe 208(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 23, article 2 (la Loi), après ne pas s’être fait offrir de faire des heures supplémentaires pour lesquelles il avait indiqué sa disponibilité. Conformément au paragraphe 209(1) de la Loi, les défendeurs ont renvoyé les griefs à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail.

 

[6]               Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits à la Commission des relations de travail pour les besoins de l’arbitrage, dans lequel il était en partie indiqué ce qui suit :

[traduction]

[…]

a.       Tous les griefs ont trait à l’interprétation de l’article 21, Durée du travail et heures supplémentaires, plus précisément à la clause 21.10, Répartition des heures supplémentaires.

 

b.      Les griefs se rapportent tous à la répartition des heures supplémentaires effectuée certains jours où les fonctionnaires s’estimant lésés avaient clairement indiqué sur la liste des heures supplémentaires qu’ils étaient des employés qualifiés facilement disponibles, mais ne se sont pas vu offrir de faire des heures supplémentaires les jours en question. Au cours des périodes visées, la direction avait comme pratique ou politique d’offrir en premier les heures supplémentaires aux employés qui seraient payés à temps et demi plutôt qu’à ceux qui seraient payés au taux double. Le Syndicat n’était pas d’accord avec la position de la direction.

 

c.       Les fonctionnaires s’estimant lésés sont tous considérés comme étant qualifiés pour les heures faisant l’objet des griefs, et ont tous indiqué leur disponibilité sur les fiches pertinentes.

[…]

 

 

[7]               Les clauses pertinentes de la convention collective, signée en 2001, qui s’appliquaient à MM. Bucholtz et Boucher sont ainsi libellées :

21.10 Répartition des heures supplémentaires

 

Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur fait tout effort raisonnable pour :

 

(a) répartir les heures supplémentaires de travail sur une base équitable parmi les employé‑e‑s qualifiés facilement disponibles,

[…]

 

21.12 Rémunération du travail supplémentaire

 

L’employé‑e a droit à une rémunération à temps et demi (1 1/2) sous réserve du paragraphe 21.13 pour chaque heure supplémentaire de travail supplémentaire exécutée par lui.

 

21.13 Sous réserve du paragraphe 21.14, tout employé‑e a droit au tarif double (2) pour chaque heure supplémentaire de travail effectuée par lui,

 

(a) un deuxième (2e) jour de repos ou un (1) jour de repos subséquent (deuxième (2e) jour de repos ou jour de repos subséquent désigne le deuxième (2e) jour, ou le jour subséquent d’une série ininterrompue de jours de repos civils consécutifs et accolés),

[…]

 

 

[8]               Les clauses pertinentes de la convention collective, signée en 2006, qui s’appliquaient à MM. Hitchcock et Hunt (et qui, pour les besoins de la présente demande, sont essentiellement identiques) sont ainsi libellées :

21.10 Répartition des heures supplémentaires

 

L’Employeur fait tout effort raisonnable pour :

 

(a) répartir les heures supplémentaires de travail sur une base équitable parmi les employé‑e‑s qualifiés facilement disponibles,

[…]

 

21.12 Rémunération des heures supplémentaires

 

L’employé‑e a droit à une rémunération à temps et demi (1 1/2) sous réserve du paragraphe 21.13 pour chaque heure supplémentaire de travail supplémentaire exécutée par lui.

 

21.13 Sous réserve du paragraphe 21.14, tout employé‑e a droit au tarif double (2) pour chaque heure supplémentaire de travail effectuée par lui,

 

(a) un deuxième (2e) jour de repos ou un (1) jour de repos subséquent (deuxième (2e) jour de repos ou jour de repos subséquent désigne le deuxième (2e) jour, ou le jour subséquent d’une série ininterrompue de jours de repos civils consécutifs et accolés),

[…]

 

 

[9]               L’employeur disposait d’une politique établie pour la répartition des heures supplémentaires sur une base volontaire. La façon de procéder de l’employeur pour répartir les heures supplémentaires est résumée aux paragraphes 8 et 9 de la décision de la Commission des relations de travail :

[8]        La première étape de la procédure établie pour la répartition des heures supplémentaires consistait à consigner les périodes de disponibilité des agents correctionnels. Sur la liste applicable à leur niveau de classification, les agents inscrivaient, pour les sept jours suivants, les jours et les postes où ils étaient disponibles pour faire des heures supplémentaires. Le formulaire indiquait également les postes et les heures de travail habituelles des agents; la date de leurs jours de repos; leur numéro de téléphone et le nombre total d’heures supplémentaires qu’ils avaient effectuées durant le trimestre applicable. Le « compteur » des heures supplémentaires était remis à zéro au début de chaque trimestre et les heures supplémentaires recommençaient à s’additionner. Les trimestres étaient répartis comme suit : du 1er janvier au 31 mars, du 1er avril au 30 juin, du 1er juillet au 30 septembre et du 1er octobre au 31 décembre.

 

[9]        Suivant ces procédures, le nombre d’heures supplémentaires effectuées par les agents au cours d’un trimestre était constamment recalculé. Les heures supplémentaires étaient offertes aux agents facilement disponibles, en commençant par l’agent qui avait effectué le moins grand nombre d’heures supplémentaires durant le trimestre en question, excepté que les agents qui en étaient à leur premier jour de repos (et qui avaient droit à une rémunération à temps et demi) étaient appelés en premier. L’employeur appelait ensuite les agents qui en étaient à leur deuxième jour de repos ou à un jour de repos subséquent (ouvrant droit au tarif double).

 

 

Les griefs de MM. Bucholtz, Boucher et Hunt ayant trait à la priorité accordée aux employés rémunérés à temps et demi dans la répartition des heures supplémentaires

 

[10]           Messieurs Bucholtz, Boucher et Hunt ont allégué que l’employeur a omis de répartir équitablement les heures supplémentaires en ne leur ayant pas offert de faire des heures supplémentaires parce qu’ils auraient eu droit au tarif double. Les parties ont reconnu que les défendeurs étaient qualifiés pour effectuer les heures supplémentaires qui ont donné lieu aux griefs – le litige réside dans la question de savoir si le fait d’accorder la priorité aux personnes qui seraient rémunérées temps et demi constituait une répartition inéquitable des heures supplémentaires.

 

[11]           Les circonstances précises qui ont donné lieu à ces quatre griefs sont résumées comme suit dans la décision de la Commission des relations de travail :

[16]      Au 5 mai 2005, M. Bucholtz cumulait 20 points, mais on ne lui a pas offert de faire des heures supplémentaires durant le poste de jour. Plusieurs agents se sont fait appeler pour faire des heures supplémentaires durant ce poste‑là, y compris un agent qui cumulait 25 points et un autre qui en cumulait 26. Les deux agents ont été rémunérés à temps et demi, alors que M. Bucholtz aurait eu droit au tarif double. Les points s’appliquent au trimestre allant du 1er avril au 30 juin 2005.

[…]

 

[19]      […] Le 5 mai 2005, M. Boucher cumulait 11 points, mais on ne lui a pas offert de faire des heures supplémentaires durant le poste de jour. D’autres agents se sont fait offrir les heures supplémentaires en question, y compris un agent qui cumulait 29 points et un autre qui en cumulait 32. Les deux agents en question ont été rémunérés à temps et demi, alors que M. Boucher aurait eu droit au tarif double. Les points s’appliquent au trimestre allant du 1er avril au 30 juin 2005.

[…]

 

[22]      Le 27 mai 2007, M. Hunt cumulait 12,5 points, mais on ne lui a pas offert quatre heures supplémentaires durant le poste de soir. D’autres agents ont été appelés pour faire des heures supplémentaires durant ce poste, dont trois agents qui cumulaient respectivement 19,5, 23,25 et 38,75 points et qui ont été rémunérés à temps et demi, alors que M. Hunt aurait été rémunéré au tarif double. Les points s’appliquent au trimestre allant du 1er avril et le 30 juin 2007.

[…]

 

[24]      Le 19 juillet 2007, M. Hunt cumulait 16,5 points, mais on ne lui a pas offert de faire des heures supplémentaires durant le poste de jour. L’agent Bouchard, qui cumulait 22,5 points, s’est fait offrir quatre heures supplémentaires au tarif double durant le poste en question. Un autre agent qui cumulait 49 heures supplémentaires s’est également fait offrir 4 heures supplémentaires. L’agent a été rémunéré à temps et demi, alors que M. Hunt aurait été rémunéré au tarif double. L’employeur a accueilli en partie le grief de M. Hunt au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et lui a payé une indemnité équivalant à quatre heures supplémentaires au tarif double. Seuls des agents qui cumulaient moins de points que M. Hunt se sont fait offrir des heures supplémentaires pour le poste de jour en entier, le 19 juillet 2007. Les points s’appliquent au trimestre allant du 1er juillet au 30 septembre 2007.

 

Ainsi, dans chacun des quatre griefs, le poste a été offert à un employé qui avait cumulé un plus grand nombre de points que le fonctionnaire s’estimant lésé, parce que cet employé serait rémunéré temps et demi, alors que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait été rémunéré au tarif double.

 

Le grief de M. Hitchcock concernant l’erreur dans la mise en application de la politique sur les heures supplémentaires

[12]           Les faits à l’origine du grief de M. Hitchcock sont différents de ceux des autres griefs : il a indiqué qu’il était disponible pour faire des heures supplémentaires pour un poste débutant à 15 h 00 le 8 septembre 2007. Il a effectué le poste de jour ce jour‑là, et après son quart de travail, il a rappelé au gestionnaire correctionnel qu’il était disponible pour faire des heures supplémentaires le soir même.

 

[13]           Peu après 15 h, le gestionnaire correctionnel a appris qu’il faudrait un remplaçant pour le poste de soir, en raison d’un employé blessé. Un autre agent assumait le poste de l’agent blessé pendant que le gestionnaire trouvait un remplaçant. Le gestionnaire savait que M. Hitchcock avait quitté l’établissement, et il croyait qu’un autre employé, à savoir M. Carew, se trouvait toujours dans l’établissement. Il a donc téléphoné à ce dernier, bien qu’il ait appris que celui‑ci avait quitté l’établissement et se trouvait dans sa voiture; il lui a offert le poste, et il l’a accepté. Avant d’effectuer ce poste, M. Carew avait 111 points, et M. Hitchcock en avait 98,5.

 

Décision faisant l’objet de contrôle

[14]           Dans sa décision en date du 25 octobre 2010, la Commission des relations de travail a résumé comme suit les arguments des deux parties : les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que l’employeur, dans le cas du grief de M. Hitchcock, a omis de respecter la politique locale sur les heures supplémentaires en offrant le poste à un autre employé qui avait cumulé un plus grand nombre de points que M. Hitchcock.

 

[15]           Pour ce qui est des autres griefs, les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que le fait d’accorder la priorité aux employés qui seraient rémunérés temps et demi était un constant irritant dans les relations de travail, que l’agent négociateur n’a jamais souscrit à cette pratique et que cette façon de faire contrevenait à la convention collective. Ils ont soutenu que l’équitabilité des heures supplémentaires doit être évaluée chaque fois que se présente l’occasion d’accorder des heures supplémentaires, parce que la disponibilité des employés fluctue considérablement en fonction de chaque poste. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont soutenu qu’il était pratiquement impossible de mesurer l’équitabilité à la fin du trimestre lorsqu’un employé a été tenu à l’écart d’un poste, rendant ainsi pratiquement impossible à prouver que les heures supplémentaires ont été réparties de manière inéquitable.

 

[16]           L’employeur a fait valoir que les fonctionnaires s’estimant lésés ne se sont pas acquittés de leur obligation de prouver qu’il s’agissait d’une manière inéquitable de répartir les heures supplémentaires. Dans le cas du grief de M. Hitchcock, l’employeur a soutenu qu’il s’agissait d’une situation exceptionnelle; il avait été offert le poste à M. Carew, croyant à tort que celui‑ci se trouvait toujours dans l’établissement. Il a aussi soutenu que les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas prouvé que cet incident avait occasionné, à la fin du trimestre, une répartition inéquitable des heures supplémentaires.

 

[17]           En ce qui concerne les autres griefs, l’employeur a fait valoir que les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient présenté aucune preuve permettant de démontrer que le fait de donner priorité aux employés rémunérés à temps et demi avait occasionné une répartition inéquitable des heures supplémentaires. Ceux‑ci ont soutenu que, selon la jurisprudence, l’équitabilité doit être mesurée sur une plus longue période – au terme de chaque trimestre. L’employeur a fait valoir qu’il n’est ressorti aucune répartition inéquitable au terme du trimestre lorsque les données sur les heures supplémentaires offertes aux fonctionnaires s’estimant lésés ont été comparées à celles offertes aux autres employés.

 

(a) Les griefs de MM. Bucholtz, Boucher et Hunt en ce qui concerne la priorité accordée aux employés rémunérés à temps et demi dans la répartition des heures supplémentaires

 

[18]           Aux paragraphes 45 et 46, la Commission des relations de travail fait renvoi à la jurisprudence portant sur des politiques similaires de répartition des heures supplémentaires :

[45]      […] Dans Evans et Hunt et Shaw, l’arbitre de grief a conclu que si on lui avait démontré que la pratique qui consistait à donner la priorité aux employés qui en sont à leur premier jour de repos occasionnait une répartition inéquitable des heures supplémentaires, il aurait accueilli le grief. Dans Sturt‑Smith, l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait dû se faire offrir des heures supplémentaires, même s’il avait droit au tarif double. Dans Sumanik, l’arbitre de grief a déclaré que le coût ne doit pas entrer en ligne de compte pour définir la répartition équitable des heures supplémentaires.

 

[46]      Je souscris à l’essentiel de ces décisions. Même si l’employeur a entièrement le droit de mettre en place des procédures pour réduire les coûts, cela ne devrait pas occasionner une répartition inéquitable des heures supplémentaires. Autrement, les procédures contreviennent à la convention collective. Dans les griefs dont je suis saisi, le fait d’utiliser le taux de rémunération pour attribuer les heures supplémentaires pourrait être jugé contraire à la convention collective si cela occasionne une répartition inéquitable des heures supplémentaires parmi les employés qualifiés facilement disponibles.

 

 

[19]           La Commission des relations de travail a déclaré que la question en litige entre les parties était de savoir si la pratique consistant à donner la priorité aux employés qui en sont à leur premier jour de repos occasionnait une répartition inéquitable des heures supplémentaires. Elle a aussi déclaré qu’il est difficile de prouver que la répartition est inéquitable dans ces circonstances. La Commission des relations de travail a conclu qu’il faudrait mesurer l’équitabilité pour chaque occasion de faire des heures supplémentaires, mais à la fin du trimestre seulement.

 

[20]           Aux paragraphes 50 et 51 de sa décision, la Commission des relations de travail a examiné — et rejeté — deux méthodes possibles pour mesurer l’équitabilité :

[50]      Pour établir si la décision particulière d’attribuer des heures supplémentaires en fonction du coût (c.‑à‑d. à temps et demi plutôt qu’à double tarif) a occasionné une répartition inéquitable des heures supplémentaires durant un trimestre donné, il ne suffit pas de comparer le nombre total de points ou d’heures accumulés par chaque agent à la fin de chaque trimestre. Il ne suffit pas non plus de comparer les totaux trimestriels de l’agent qui prétend avoir été tenu à l’écart à ceux de l’agent qui s’est fait offrir les heures supplémentaires. Puisque le nombre d’heures supplémentaires accomplies dépend en grande partie du nombre de postes pour lequel l’employé est disponible, une comparaison aussi simpliste ne nous donnera pas nécessairement le résultat attendu. Il se peut que les faibles totaux d’un agent à la fin d’un trimestre donné soient attribuables au fait qu’il était peu disponible plutôt qu’au fait que l’employeur ne l’a pas appelé, une fois, parce qu’il aurait été obligé de le rémunérer au tarif double.

 

[51]      On pourrait également faire valoir comme argument que pour mesurer adéquatement l’équitabilité, il faudrait établir le ratio entre le nombre d’heures supplémentaires effectuées durant un trimestre donné et le nombre d’heures de disponibilité. Ce ratio pourrait ensuite être comparé au ratio moyen pour l’ensemble des employés. Je dois dire que cette méthode ne résiste pas non plus à une analyse attentive parce qu’elle comporte un biais qui est en grande partie attribuable au fait que la disponibilité d’un employé fluctue considérablement d’une semaine à l’autre et ne coïncide pas nécessairement avec les occasions de faire des heures supplémentaires. Autrement dit, certains employés pourraient, pour diverses raisons, être plus disponibles durant des périodes où les occasions de faire des heures supplémentaires sont moins nombreuses, et vice versa.

 

 

[21]           Ainsi, la Commission des relations de travail a rejeté une comparaison du nombre total de points de chaque agent à la fin du trimestre, et le calcul du ratio entre le nombre d’heures supplémentaires effectuées et le nombre d’heures de disponibilité. Elle a conclu que ces deux résultats seraient inexacts en raison de variables confusionnelles telles que la disponibilité des employés ou le fait que les occasions de faire des heures supplémentaires varient.

 

[22]           La Commission des relations de travail a alors formulé son propre critère permettant de mesurer l’équitabilité au paragraphe 52 :

[52]      Dans le cas des présents griefs, il faudrait mesurer l’équitabilité pour chaque occasion de faire des heures supplémentaires, mais à la fin du trimestre seulement. Les fonctionnaires ont mis en preuve les rapports d’heures supplémentaires volontaires relatifs aux griefs de MM. Bucholtz, Boucher et Hunt. En examinant ces rapports, on peut vérifier si l’un ou l’autre des fonctionnaires a perdu des heures supplémentaires durant un trimestre en raison de l’occasion manquée ayant donné lieu aux griefs.

 

 

[23]           Ainsi, la Commission des relations de travail a déterminé, d’après la disponibilité précisée pour le reste du trimestre par les fonctionnaires s’estimant lésés, et les points relatifs associés aux heures supplémentaires cumulés par les employés disponibles, si chacun des fonctionnaires s’estimant lésés a terminé le trimestre avec un moins grand nombre de points que si le poste en question lui avait été offert.

 

[24]           La Commission des relations de travail a conclu que M. Bucholtz, à la fin du trimestre pertinent, n’avait pas perdu d’heures supplémentaires du fait qu’on ne l’avait pas appelé pour faire des heures supplémentaires le 5 mai 2005. S’il avait accepté ce poste, il ne se serait pas fait offrir le poste qu’il a fait par la suite parce que d’autres employés auraient alors eu moins de points que lui. La Commission des relations de travail a alors conclu qu’il a été traité de manière équitable, et a rejeté son grief – ledit grief n’est donc pas en cause dans la présente demande.

 

[25]           La Commission des relations de travail a conclu que M. Boucher, au terme du trimestre pertinent, avait perdu huit heures supplémentaires du fait qu’il n’avait pas été appelé pour faire des heures supplémentaires le 5 mai 2005. S’il avait fait des heures supplémentaires le 5 mai 2005, il aurait quand même pu faire les autres heures supplémentaires qu’il s’est fait offrir ce trimestre‑là. La Commission des relations de travail a donc conclu qu’il n’avait pas été traité de manière équitable.

 

[26]           La Commission des relations de travail a conclu que M. Hunt n’a pas été traité de manière équitable puisqu’à la fin du trimestre il avait perdu quatre heures supplémentaires du fait qu’il ne s’était pas vu offrir de faire des heures supplémentaires le 27 mai 2007. Toutefois, elle a conclu que M. Hunt avait été traité de manière équitable concernant un poste de quatre heures supplémentaires effectué le 19 juillet 2007, parce que l’employeur a accueilli son grief en partie et lui a versé une indemnité équivalant à quatre heures supplémentaires au tarif double. Seuls des agents qui avaient cumulé moins de points que M. Hunt ont fait des heures supplémentaires pour le poste en entier ce jour‑là; par conséquent, la Commission des relations de travail a conclu qu’il n’avait pas été traité de manière inéquitable – ainsi, le deuxième grief de M. Hunt a été rejeté, et il n’est donc pas en cause dans la présente demande.

 

[27]           La Commission des relations de travail a déclaré que la jurisprudence la plus récente indique que la mesure de réparation qui s’applique est le paiement, par l’employeur, des heures supplémentaires que les fonctionnaires s’estimant lésés auraient effectuées si le poste leur avait été offert. Elle a donc ordonné à l’employeur de payer huit heures au tarif double à M. Hitchcock, huit heures au tarif double à M. Boucher et quatre heures au tarif double à M. Hunt. Les autres griefs ont été rejetés.

 

(b) Le grief de M. Hitchcock concernant l’erreur dans la mise en application de la politique sur les heures supplémentaires

[28]           À la suite de la décision rendue dans Mungham c Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 106, la Commission des relations de travail a conclu qu’un employeur qui adopte une politique sur la répartition des heures supplémentaires et qui l’applique pendant une longue période limite son pouvoir discrétionnaire dans l’attribution des heures supplémentaires selon cette politique (à moins que ladite politique contrevienne à la convention collective).

 

[29]           Par conséquent, la Commission des relations de travail a conclu que l’employeur a contrevenu à la convention collective en offrant les heures supplémentaires à M. Carew plutôt qu’à M. Hitchcock. L’employeur a omis de présenter des éléments de preuve attestant qu’il n’aurait pu attendre le 10 minutes de plus qu’il aurait fallu à M. Hitchcock pour se présenter au travail, et la Commission des relations de travail a alors conclu que l’employeur n’a pas fait tous les efforts raisonnables pour répartir les heures supplémentaires sur une base équitable.

 

[30]           La Commission des relations de travail a rejeté l’argument selon lequel l’employeur, s’il avait respecté la politique sur les heures supplémentaires, n’aurait pas, en fait, offert à M. Carew ou à M. Hitchcock de faire les heures supplémentaires, mais à un autre employé qui avait cumulé un moins grand nombre de points. Elle a conclu que cet autre employé n’avait pas déposé de grief, et qu’aucune preuve selon laquelle il aurait accepté le poste n’a été présentée; par conséquent, il lui est seulement possible de trancher la question dont elle est directement saisie à savoir si en offrant les heures supplémentaires à M. Carew plutôt qu’à M. Hitchcock cela contrevenait à la convention collective.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET CONVENTIONS COLLECTIVES

[31]           Le paragraphe 208(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 23, article 2 (la Loi) autorise le fonctionnaire à présenter un grief individuel portant, entre autres, sur l’application de toute disposition d’une convention collective :

208. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

 

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

 

 

 

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

208. (1) Subject to subsections (2) to (7), an employee is entitled to present an individual grievance if he or she feels aggrieved

 

(a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

 

 

(ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award;

 

 

 

[32]           Le paragraphe 209(1) de la Loi précise que le fonctionnaire peut renvoyer un grief à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail portant sur l’application de toute disposition d’une convention collective :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

 

 

 

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

209. (1) An employee may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

 

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award;

 

 

 

[33]           Les clauses pertinentes de la convention collective, signée en 2001, qui s’appliquaient à MM. Bucholtz et Boucher sont ainsi libellées :

21.10 Répartition des heures supplémentaires

 

Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur fait tout effort raisonnable pour :

 

(a) répartir les heures supplémentaires de travail sur une base équitable parmi les employé‑e‑s qualifiés facilement disponibles,

[…]

 

21.12 Rémunération du travail supplémentaire

 

L’employé‑e a droit à une rémunération à temps et demi (1 1/2) sous réserve du paragraphe 21.13 pour chaque heure supplémentaire de travail supplémentaire exécutée par lui.

 

21.13 Sous réserve du paragraphe 21.14, tout employé‑e a droit au tarif double (2) pour chaque heure supplémentaire de travail effectuée par lui,

 

(a) un deuxième (2e) jour de repos ou un (1) jour de repos subséquent (deuxième (2e) jour de repos ou jour de repos subséquent désigne le deuxième (2e) jour, ou le jour subséquent d’une série ininterrompue de jours de repos civils consécutifs et accolés),

[…]

 

 

(La Cour fait remarquer que les parties conviennent qu’il s’agit de la convention collective qui était en vigueur lors des griefs de MM. Bucholtz et Boucher. L’exemplaire de la convention présenté à la Cour indique que celle‑ci expirait en 2002. Toutefois, la décision de la Commission des relations de travail reposait sur cette version de la convention collective, et la Cour accepte qu’une disposition similaire ait figuré dans la convention en vigueur au moment pertinent, étant donné qu’aucune des parties n’a signalé cette erreur à la Cour.)

 

[34]           Les clauses pertinentes de la convention collective, signée en 2006, qui s’appliquaient à MM. Bucholtz et Boucher sont ainsi libellées :

21.10 Répartition des heures supplémentaires

 

L’Employeur fait tout effort raisonnable pour :

 

(a) répartir les heures supplémentaires de travail sur une base équitable parmi les employé‑e‑s qualifiés facilement disponibles,

[…]

 

21.12 Rémunération des heures supplémentaires

 

L’employé‑e a droit à une rémunération à temps et demi (1 1/2) sous réserve du paragraphe 21.13 pour chaque heure supplémentaire de travail supplémentaire exécutée par lui.

 

21.13 Sous réserve du paragraphe 21.14, tout employé‑e a droit au tarif double (2) pour chaque heure supplémentaire de travail effectuée par lui,

 

(a) un deuxième (2e) jour de repos ou un (1) jour de repos subséquent (deuxième (2e) jour de repos ou jour de repos subséquent désigne le deuxième (2e) jour, ou le jour subséquent d’une série ininterrompue de jours de repos civils consécutifs et accolés),

[…]

 

 

QUESTIONS À TRANCHER

[35]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.      La décision de la Commission des relations de travail d’accueillir les griefs de M. Boucher et de M. Hunt était‑elle raisonnable (si l’on conclut qu’ils avaient droit d’être payés au tarif double pour les heures supplémentaires en cause)?

2.      La décision de la Commission des relations de travail d’accueillir le grief de M. Hitchcock (concernant l’erreur dans la mise en application de la politique sur les heures supplémentaires) était‑elle raisonnable?

 

 

NORME DE CONTRÔLE

[36]           Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est celle de la décision raisonnable. La Cour partage le point de vue suivant : dans l’arrêt Nouveau‑Brunswick (Conseil de gestion) c Dunsmuir, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 62, qu’il faut d’abord que la cour qui procède à l’analyse relative à la norme de contrôle « vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : consulter aussi l’arrêt Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 RSC 339, le juge Binnie, au paragraphe 53.

 

[37]           Ainsi que je l’ai déjà conclu dans la décision Procureur général du Canada c Bearss, 2010 CF 299, l’interprétation et l’application des dispositions de la convention collective faites par la Commission des relations de travail sont soumises à la norme de la décision raisonnable. Les arbitres du travail possèdent un degré élevé d’expertise; il convient donc de faire preuve d’une retenue considérable à l’égard de leurs décisions.

 

[38]           En examinant la décision rendue par la Commission des relations de travail en fonction de la norme du caractère raisonnable, la Cour tiendra compte de « la justification de la décision, [à] la transparence et [à] l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi que de « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, par. 47; Khosa, précité, par. 59.

 

ANALYSE

Question 1 : Les griefs de messieurs Boucher et Hunt — proposer les heures supplémentaires en priorité aux employés rémunérés à temps et demi

Les positions des parties

[39]           Le demandeur soutient que les conventions collectives devraient être interprétées à la lumière de la définition du terme « équitable », qui ne signifie pas égal, mais plutôt « juste, raisonnable ». Il fait aussi valoir que la prise en considération du coût pour répartir les heures supplémentaires ne contrevient pas en soi à la convention collective – l’employeur a entièrement le droit de réduire les coûts, pourvu que cela n’occasionne pas une répartition inéquitable des heures supplémentaires.

 

[40]           Le demandeur fait valoir qu’il faut appliquer les trois principes suivants le moment venu de mesurer l’équitabilité :

                                       i.      Il faut évaluer l’équitabilité sur une période raisonnable : Bérubé c Conseil du Trésor (Transports Canada), [1993] CRTFP 34; Lay c Conseil du Trésor (Transports Canada), [1986] CRTFP 301; Armand c Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada ‑ Service correctionnel), [1990] CRTFP 124;

                                     ii.      La Commission des relations de travail doit comparer les heures supplémentaires du fonctionnaire s’estimant lésé au cours de la période donnée aux heures supplémentaires consacrées aux autres employés dans des circonstances similaires à celles du fonctionnaire s’estimant lésé : Roireau c Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 85, [2004] CRTFP 78.

                                    iii.      Il faut tenir compte, dans le cadre de cette comparaison, des variantes pouvant servir à expliquer tout écart observé entre le nombre d’heures supplémentaires des fonctionnaires, telles que la disponibilité, les congés, etc. : Roireau, précitée.

 

[41]           Si cette analyse est appliquée correctement, soutient le demandeur, les défendeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de prouver que la répartition des heures supplémentaires était inéquitable; par conséquent, la décision de la Commission des relations de travail n’était pas raisonnable. Il soutient aussi que cette dernière n’a pas effectué quelque comparaison qui soit entre les fonctionnaires s’estimant lésés et les autres agents, et n’a pas tenu compte d’autres variantes pouvant donner lieu à des écarts quant au nombre d’heures supplémentaires des fonctionnaires s’estimant lésés.

 

[42]           Le demandeur fait valoir que la méthode utilisée par la Commission des relations de travail pour mesurer l’équitabilité tient pour acquis que donner la priorité aux employés qui sont payés à temps et demi est en soi inéquitable. En demandant si les heures supplémentaires que le fonctionnaire s’estimant lésé « a perdues » ont été remplacées ultérieurement, la Commission des relations de travail, soutient le demandeur, avait déjà conclu que la politique de l’employeur était inéquitable sans qu’aucune raison ne permette d’arriver à cette conclusion.

 

[43]           Le demandeur fait aussi valoir que le critère utilisé par la Commission des relations de travail pour mesurer l’équitabilité donne des résultats absurdes : en demandant si le fonctionnaire s’estimant lésé s’est retrouvé à la fin du trimestre avec un moins grand nombre d’heures supplémentaires que si le poste lui avait été offert, la Commission des relations de travail omet d’examiner si d’autres variantes ont eu des répercussions sur la disponibilité subséquente de celui‑ci. Ainsi que le soutient le demandeur, un employé pourrait demander de faire des heures supplémentaires dans un poste pour lequel il serait payé au tarif double, puis après s’être vu refuser ledit poste, il pourrait ne plus être disponible pour faire des heures supplémentaires pendant le reste du trimestre. Si l’analyse de la Commission des relations de travail est appliquée, il faut indemniser cet employé, parce qu’il a travaillé moins d’heures supplémentaires pendant le trimestre que s’il avait fait les heures supplémentaires du poste en question. Le demandeur soutient que ce résultat est absurde et contraire à la jurisprudence de la Commission des relations de travail.

 

[44]           Les défendeurs font valoir que le demandeur a mal saisi la décision de la Commission des relations de travail en affirmant que cette dernière a estimé qu’il n’est pas injuste en soi de tenir compte des taux de rémunération. Ils soutiennent que le rejet du grief de M. Bucholtz démontre que le fait d’accorder la priorité aux employés rémunérés à temps et demi ne contrevenait pas en soi à la convention collective.

 

[45]           Les défendeurs font valoir qu’il était raisonnable que la Commission des relations de travail rejette la méthode utilisée par le demandeur pour mesurer si la répartition des heures supplémentaires était effectuée de manière inéquitable en raison de ses faiblesses inhérentes, et qu’il était raisonnable qu’elle propose une nouvelle méthode à la lumière des changements apportés par le législateur relativement à cette question.

 

[46]           Les défendeurs soutiennent que la décision rendue par la Commission des relations de travail était conforme aux décisions rendues dans Sturt‑Smith c Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), [1986] CRTFP 195, et Sumanik c Conseil du Trésor (Ministère des Transports), CRTFP 166‑2‑395 (19710927). Les griefs ont été accueillis dans ces cas après que les fonctionnaires s’estimant lésés aient été tenus à l’écart pour les heures supplémentaires parce qu’ils auraient été rémunérés un salaire plus élevé que celui versé aux employés à qui les heures ont été données.

 

Décisions antérieures rendues par la Commission des relations de travail concernant la politique sur les heures supplémentaires de l’employeur

[47]           Ainsi qu’il est mentionné précédemment, la question de savoir si l’employeur peut donner la priorité aux employés payés à temps et demi sur ceux ayant droit au tarif double a été tranchée maintes fois. Dans SACC, précitée, l’agent négociateur a déposé des griefs de principe soutenant que la politique contrevenait à la convention collective. Ainsi, la Commission des relations de travail a examiné dans cette affaire si la politique en soi constituait une répartition des heures supplémentaires de manière inéquitable parmi les employés qualifiés facilement disponibles.

 

[48]           La Commission des relations de travail a conclu que la politique sur les heures supplémentaires ne contrevenait pas à la convention collective :

[47]      On n’a pas produit de preuve à l’arbitrage pour démontrer que la politique nationale sur les heures supplémentaires viole la convention collective. Il aurait fallu en produire pour que je puisse conclure à une telle violation. Plus précisément, l’agent négociateur devait prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la politique a eu pour résultat une répartition inéquitable des heures supplémentaires parmi les employés qualifiés facilement disponibles. Il pourrait exister des éléments de la politique susceptibles de causer des problèmes d’équité dans son application, mais aucune preuve n’a été avancée à l’appui d’une telle allégation.

 

 

[49]           Ainsi, la Cour désire souligner que la Commission des relations de travail a conclu que la politique en soi n’occasionne pas une répartition inéquitable des heures supplémentaires — autrement dit, le fait de tenir compte du taux de rémunération pour attribuer les heures supplémentaires n’est pas injuste en soi à l’endroit des employés. C’est uniquement s’il peut être démontré de façon empirique que cette politique donne lieu à une répartition inéquitable que celle‑ci contrevient à la convention collective.

 

[50]           La Commission des relations de travail a affirmé ce principe dans la décision qui fait l’objet du présent contrôle, aux paragraphes 45 et 46 :

[45]      […] Dans Evans et Hunt et Shaw, l’arbitre de grief a conclu que si on lui avait démontré que la pratique qui consistait à donner la priorité aux employés qui en sont à leur premier jour de repos occasionnait une répartition inéquitable des heures supplémentaires, il aurait accueilli le grief. Dans Sturt‑Smith, l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait dû se faire offrir des heures supplémentaires, même s’il avait droit au tarif double. Dans Sumanik, l’arbitre de grief a déclaré que le coût ne doit pas entrer en ligne de compte pour définir la répartition équitable des heures supplémentaires.

 

[46]      Je souscris à l’essentiel de ces décisions. Même si l’employeur a entièrement le droit de mettre en place des procédures pour réduire les coûts, cela ne devrait pas occasionner une répartition inéquitable des heures supplémentaires. Autrement, les procédures contreviennent à la convention collective. Dans les griefs dont je suis saisi, le fait d’utiliser le taux de rémunération pour attribuer les heures supplémentaires pourrait être jugé contraire à la convention collective si cela occasionne une répartition inéquitable des heures supplémentaires parmi les employés qualifiés facilement disponibles.

 

 

[51]           La Cour conclut qu’aucune erreur n’a été commise dans cette partie de la décision rendue par la Commission des relations de travail — cette dernière déclare que la politique pourrait être jugée contraire à la convention collective, mais seulement si la preuve permet de démontrer que cela occasionne une répartition inéquitable des heures supplémentaires, ce qui concorde avec sa jurisprudence.

 

Décisions antérieures rendues par la Commission des relations de travail sur la méthode permettant de mesurer l’équitabilité

[52]           La Cour partage le point de vue du demandeur selon lequel la jurisprudence de la Commission des relations de travail établit certains principes quant à la façon d’évaluer si la répartition des heures supplémentaires s’effectue de manière équitable :

               i.      L’équitabilité doit être mesurée sur une période raisonnable :

Il serait faux de penser que l’article 15 de la convention collective exige que l’employeur fasse une distribution équitable du temps supplémentaire sur une base quotidienne. Au contraire, il est tout à fait acceptable dans ce genre de chose d’examiner la distribution faite par l’employeur durant une période raisonnable : Bérubé, précitée.

 

L’équité ne peut être établie au jour le jour, mais seulement sur une longue durée : Lay, précitée.

 

Je suis d’avis qu’il n’est pas possible d’évaluer les questions telle la répartition équitable des heures supplémentaires en n’envisageant qu’une période relativement courte. Cette réalité est particulièrement évidente lorsqu’on examine les faits de l’affaire qui nous occupe. Sans doute, si l’on considère la semaine du 4 décembre 1986, y avait‑il un écart entre l’employé s’estimant lésé et M. Boudreau quant au nombre de quarts assigné à chacun. Il est tout aussi évident que cet écart était considérablement réduit, sinon éliminé, à la fin du trimestre : Evans c Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), CRTFP 166‑2‑17195 (19881007).

 

             ii.      L’équitabilité est évaluée en comparant les heures assignées au fonctionnaire s’estimant lésé à celles assignées à des employés se trouvant dans une situation analogue au cours de la période en question :

[…] Toutefois, la question en litige n’est pas le fait que l’employeur ne les a pas appelés pour les jours en question mais a‑t‑il réparti les heures supplémentaires sur une base équitable? La jurisprudence a établi que cette question en est une de fait et les arbitres ont étudié la question en tenant compte du nombre d’heures supplémentaires travaillées par chaque employé sur une période de temps raisonnable : Charlebois c Conseil du Trésor (Ministère des Anciens Combattants), [1992] CRTFP 43.

 

(Non souligné dans l’original)

 

            iii.      L’arbitre doit déterminer, lorsqu’il procède à la comparaison des heures supplémentaires du fonctionnaire s’estimant lésé à celles des autres employés, s’il existe des variantes pouvant permettre d’expliquer une disparité entre leurs heures, telle que le nombre d’heures de disponibilité des employés, les congés, etc. :

Une répartition équitable ne signifie pas une distribution uniforme du temps supplémentaire. Il peut y avoir des écarts dans le nombre d’heures accumulées si ces écarts sont le produit de facteurs justes ou acceptés par les parties […] Il faut des preuves concrètes qui démontrent que, après analyse de tous les facteurs qui pourraient expliquer une disparité au nombre d’heures accumulées, seul demeure le facteur d’iniquité : Roireau, précitée, aux paragraphes 135 et 136.

 

[…] le fonctionnaire a admis dans son témoignage qu’il ne se souvenait pas s’il avait été disponible pour faire des heures supplémentaires entre le 16 et le 30 avril 2004, ni si des heures supplémentaires avaient été travaillées. Ainsi, le fonctionnaire ne m’a pas persuadée que le facteur de moindre coût était la seule explication du fait qu’il ne s’était pas fait attribuer du temps supplémentaire entre le 16 avril et le 30 avril 2004 : Brisebois c Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), 2011 CRTFP 18, au paragraphe 41.

 

[53]           Comme il en est question ci‑dessous, la décision de la Commission des relations de travail qui fait l’objet du présent contrôle déroge à ces principes.

 

Analyse de la méthode utilisée par la Commission des relations de travail pour mesurer l’équitabilité

(a) La méthode de la Commission des relations de travail diverge de manière déraisonnable des principes exposés dans des décisions précédentes

[54]           La Cour conclut que la Commission des relations de travail a adopté une méthode qui diverge de la méthodologie établie pour décider si l’employeur a réparti les heures supplémentaires de manière inéquitable. La Commission des relations de travail a émis ses doutes au sujet des méthodes existantes d’évaluation de l’équitabilité et, par conséquent, a tenté d’élaborer une méthode plus simple. La Cour convient avec les défendeurs que rien n’empêche la Commission des relations de travail d’élaborer de nouvelles méthodes d’analyse – toutefois, il ne faut pas que ces méthodes entraînent des décisions déraisonnables.

 

[55]           La Commission des relations de travail a rejeté la méthodologie établie au motif qu’elle est imprécise – elle ne tient pas compte de variables confusionnelles telles que la disponibilité des employés ou le fait que les occasions de faire des heures supplémentaires varient. La Cour estime que cette conclusion est déraisonnable : une application exhaustive de la méthodologie résumée ci‑dessus englobe à la fois une comparaison et un examen des variables qui pourraient expliquer la différence entre les heures supplémentaires effectuées par les employés.

 

[56]           Le deuxième motif – implicite – pour lequel la Commission des relations de travail a rejeté la méthodologie établie est qu’il est difficile de la mettre en application – au paragraphe 48 de sa décision, la Commission des relations de travail signale ce qui suit :

[48]      [] il est plus compliqué pour les autres fonctionnaires de faire cette preuve. Dans leurs griefs, ces fonctionnaires doivent démontrer que la décision de l’employeur d’offrir les heures supplémentaires en priorité aux employés qui en étaient à leur premier jour de repos a occasionné une répartition inéquitable des heures supplémentaires.

 

[57]           Les défendeurs réitèrent cet argument devant la Cour et le demandeur a reconnu qu’il est difficile de démontrer l’inéquitabilité dans ce contexte. La Cour reconnaît que la tâche du fonctionnaire s’estimant lésé est complexe : il doit compiler les statistiques sur les heures supplémentaires et démontrer qu’il y a un écart qui ne peut être expliqué en faisant renvoi à la disponibilité variable des employés ou à quelque autre variable confusionnelle.

 

[58]           L’assertion voulant que l’inéquitabilité soit difficile à démontrer n’a pas, évidemment, pour effet d’atténuer ou d’inverser le fardeau du fonctionnaire s’estimant lésé de prouver le bien‑fondé de sa cause selon la prépondérance des probabilités. La Commission des relations de travail a évidemment compris la difficulté des fonctionnaires s’estimant lésés. Toutefois, dans sa décision, celle‑ci a omis de prendre en considération une possibilité – soit que les fonctionnaires s’estimant lésés ne pouvaient pas démontrer une injustice parce qu’il n’y avait pas eu d’injustice.

 

[59]           L’employeur répartit les heures supplémentaires sur une base volontaire – ainsi, les employés peuvent choisir quand et comment souvent ils se disent disponibles à faire des heures supplémentaires. On peut présumer que les employés sont en faveur d’un système volontaire, car différents employés ont différentes préférences pour ce qui est du nombre d’heures supplémentaires qu’ils aimeraient effectuer. Le résultat de ce système est que le facteur ayant la plus grande incidence sur le nombre de points cumulés au terme du trimestre pour avoir effectué des heures supplémentaires est la disponibilité – un employé qui ne demande aucun poste d’heures supplémentaires n’aura accumulé aucun point à la fin du trimestre, tandis qu’un employé qui se dit prêt à accepter tous les postes possibles aura accumulé un grand nombre de points. Cela ne constitue pas une injustice, car le premier employé ne voulait pas d’heures supplémentaires.

 

[60]           Dans le contexte de ce système volontaire d’heures supplémentaires, il est possible de comprendre pourquoi les décisions antérieures de la Commission des relations de travail n’ont pas permis de relever des preuves que la politique en matière d’heures supplémentaires engendrait des injustices – c’est parce qu’il était toujours possible d’attribuer la différence entre les heures supplémentaires des employés à la différence entre leurs disponibilités.

 

[61]           Envisageons un scénario hypothétique où tous les agents correctionnels se diraient disponibles à effectuer tous les postes d’heures supplémentaires : si la politique de l’employeur était mise en application de manière appropriée, les heures supplémentaires seraient réparties équitablement. Chaque agent recevrait environ le même nombre d’heures, parce que pour certains postes il aurait droit à une rémunération à temps et demi, et pour d’autres il aurait droit au tarif double. Chaque agent effectuerait probablement plus de postes rémunérés à temps et demi que de postes au tarif double, mais le nombre d’heures supplémentaires serait réparti de manière équitable entre les employés.

 

[62]           En réalité, les heures supplémentaires des employés varient considérablement, mais cette situation est attribuable au fait que chaque employé a ses préférences en ce qui a trait au nombre d’heures supplémentaires qu’il veut effectuer et à quand il est prêt à en effectuer. Le fait demeure que les heures supplémentaires sont assignées aux employés qui se disent disposés à faire des heures supplémentaires et la décision d’un employé de ne pas se dire disponible pour autant de postes d’heures supplémentaires que les autres ne fait pas en sorte que la répartition des heures supplémentaires est inéquitable. Par conséquent, il est raisonnable que, dans les décisions antérieures de la Commission des relations de travail sur cette question, les arbitres aient conclu qu’il n’avait pas été démontré que les écarts entre les heures supplémentaires effectuées reflétaient un manque d’équité – et, dans la décision de la Commission des relations de travail en l’espèce, il était déraisonnable de la part de l’arbitre de ne pas souscrire à cet avis.

 

[63]           La Cour signale également que l’équité va dans les deux sens – l’employeur a le droit de mettre en œuvre un mécanisme de répartition des heures supplémentaires qui est juste envers les employés, mais également juste envers l’employeur en ce sens qu’il permet à ce dernier de maximiser l’efficacité et de minimiser les coûts. La Commission des relations de travail a conclu de manière constante que l’employeur est autorisé à tenir compte de ces facteurs dans la répartition des heures supplémentaires. Si la prise en considération des coûts n’est pas interdite et que rien ne permet de conclure que la répartition subséquente est inéquitable, alors il n’y a pas de violation de la convention collective.

 

(b) La Commission des relations de travail a omis d’examiner les répercussions de sa méthode

[64]           La Cour conclut également que la Commission des relations de travail a omis d’examiner les répercussions de la méthode qu’elle a choisie pour évaluer l’équitabilité – étant donné que cette méthode était nettement différente de la méthode établie, la Commission des relations de travail devait se pencher sur les désavantages possibles d’évaluer l’équitabilité de cette nouvelle façon. Comme le fait valoir le demandeur, la méthode choisie par la Commission des relations de travail comportait des lacunes importantes.

 

[65]           Premièrement, la méthode de la Commission des relations de travail ne reposait pas sur une comparaison entre le fonctionnaire s’estimant lésé et d’autres employés se trouvant dans une situation similaire. Au lieu, la Commission des relations de travail a comparé le nombre total d’heures du fonctionnaire s’estimant lésé au total qu’il aurait cumulé si l’employeur lui avait offert le poste en cause. La Cour convient avec le demandeur que, en mettant l’accent sur la question de savoir si le fonctionnaire avait rattrapé « l’occasion manquée » d’effectuer le poste d’heures supplémentaires, la Commission des relations de travail a présumé que l’employeur avait eu tort de ne pas assigner le poste en cause – et que pour que le fonctionnaire s’estimant lésé ait été traité de manière équitable, il fallait que ce tort ait été corrigé par la suite. L’omission d’évaluer le manque d’équité en comparant le fonctionnaire s’estimant lésé à d’autres employés est une démarche nettement différente de celle utilisée dans les décisions antérieures et il n’était pas raisonnable de la part de la Commission des relations de travail de procéder ainsi.

 

[66]           Deuxièmement, la méthode de la Commission des relations de travail ne tenait pas compte des variables confusionnelles, telles que les différences en ce qui a trait à la disponibilité. Par exemple, la Commission des relations de travail a conclu que M. Boucher aurait accumulé huit heures supplémentaires de plus à la fin du trimestre en cause si l’employeur lui avait assigné le poste en cause. Toutefois, elle n’a pas pris en considération que le nombre total d’heures supplémentaires accumulées par M. Boucher à la fin du trimestre dépendait entièrement du nombre de postes qu’il s’était dit disposé à effectuer et à quels moments il était disponible.

 

[67]           Troisièmement, la méthode de la Commission des relations de travail pourrait produire des résultats absurdes. Prenons encore une fois la situation de M. Boucher à titre d’exemple, tel que le soutient le demandeur, s’il avait choisi de se dire indisponible pour aucun autre poste d’heures supplémentaires après celui qui ne lui a pas été assigné, il aurait tout de même eu droit à une indemnisation d’après la méthode de la Commission des relations de travail. Cette dernière ne s’est pas penchée sur les répercussions de la méthode qu’elle a choisie et, par conséquent, sa décision n’est pas raisonnable.

 

[68]           La Cour conclut que la Commission des relations de travail n’a pas suffisamment justifié sa décision de laisser de côté les principes établis servant à évaluer si la répartition des heures supplémentaires était équitable. La méthode choisie par la Commission des relations de travail pour évaluer l’équitabilité allait à l’encontre des décisions antérieures de la Commission des relations de travail, et cette dernière ne pouvait pas raisonnablement tirer les conclusions qu’elle a tirées. Par conséquent, la Cour conclut que les décisions de la Commission des relations de travail relatives aux griefs de M. Boucher et de M. Hunt doivent être annulées et renvoyées à la Commission des relations de travail pour un nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

 

Question 2 : Le grief de M. Hitchcock – erreur dans la mise en application de la politique sur les heures supplémentaires

Les positions des parties

[69]           Le demandeur soutient que la politique de l’employeur en matière de répartition des heures supplémentaires ne fait pas partie de la convention collective et que, par conséquent, tout écart par rapport à cette politique ne peut constituer une violation de la convention collective. Il soutient que c’est le résultat final, et non la méthode de répartition des heures supplémentaires, qu’il faut examiner pour décider si la répartition des heures supplémentaires était inéquitable.

 

[70]           De plus, le demandeur soutient que, dans sa décision sur ce grief, la Commission des relations de travail a adopté une démarche « à la manière d’un instantané », au lieu d’évaluer l’équitabilité sur une période raisonnable – ce qui, selon le demandeur, va à l’encontre de la jurisprudence pertinente : Evans, précitée; Lay, précitée.

 

[71]           Se fondant sur les décisions Farcey c Conseil du Trésor (Défense nationale), [1992] CRTFP 22 et Côté c Conseil du Trésor (Ministère des Postes), [1983] CRTFP 194, le demandeur soutient que l’omission par inadvertance de mettre en application une politique établie en matière d’heures supplémentaires ne suffit pas pour conclure qu’un employeur a fait une répartition inéquitable des heures supplémentaires.

 

[72]           Les défendeurs soutiennent que la Commission des relations de travail a suivi la jurisprudence en faisant droit à ce grief et qu’il était raisonnable de sa part d’en arriver à cette conclusion. Les défendeurs se fondent sur la décision Mungham c Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 106, selon laquelle une politique en matière d’heures supplémentaires acceptée à la fois par l’employeur et par l’agent négociateur peut être perçue comme une façon généralement admise de répartir de manière équitable les heures supplémentaires. Dans cette affaire, l’employeur ne s’était pas conformé à la politique acceptée et, par conséquent, le grief a été accueilli. Les défendeurs se fondent aussi sur la décision Hunt et Shaw c Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 65, dans laquelle la Commission des relations de travail avait de même accueilli un grief où l’employeur avait omis par inadvertance de suivre sa politique établie en matière d’heures supplémentaires.

 

Analyse des motifs de la Commission des relations de travail

[73]           La Cour conclut qu’il y a une jurisprudence contradictoire sur cette question au niveau de la Commission des relations de travail : le demandeur a signalé à la Cour des décisions où le tribunal a conclu que le non‑respect par inadvertance de la politique sur les heures supplémentaires ne constituait pas une répartition inéquitable des heures supplémentaires, tandis que les défendeurs ont signalé à la Cour des décisions (plus récentes) où le tribunal a tiré la conclusion opposée. Toutefois, le rôle de la Cour consiste uniquement à décider si la décision de la Commission des relations de travail était raisonnable – en vertu de la norme de contrôle de la décision raisonnable, il est possible qu’une question donne lieu à plus d’une conclusion raisonnable.

 

[74]           La Cour conclut qu’il est possible d’écarter les précédents sur lesquels se fonde le demandeur : dans Farcey, précitée, la décision reposait en partie sur la conclusion de l’arbitre selon laquelle il ne pouvait pas tenir compte de la politique sur les heures supplémentaires parce qu’elle ne faisait pas partie de la convention collective – cette facette de la décision a été infirmée par la suite, par exemple dans Mungham, précitée. Dans Côté, précitée, la décision reposait en partie sur le fait que l’employeur avait corrigé son erreur commise par inadvertance en offrant au fonctionnaire des postes d’heures supplémentaires les deux jours qui ont suivi le poste de travail en litige, et le fonctionnaire a refusé ces postes.

 

[75]           La Cour conclut que la Commission des relations de travail a suivi les décisions Mungham et Hunt et Shaw, précitées, et que le demandeur n’a pas convaincu la Cour que ces décisions étaient déraisonnables – en fait, le demandeur se fonde sur ces décisions pour étayer ses autres arguments dans la présente demande. Dans ces affaires, l’arbitre a conclu que la politique en matière d’heures supplémentaires liait l’employeur parce que les deux parties l’acceptaient et qu’elle avait été utilisée régulièrement sur une longue période. En l’espèce, la Commission des relations de travail a mis en application le raisonnement exposé dans ces décisions et a conclu que le gestionnaire correctionnel était tenu, en vertu de la politique, d’offrir le poste de travail à M. Hitchcock avant de l’offrir à M. Carew.

 

[76]           Le rejet par la Commission des relations de travail de l’argument selon lequel un autre employé aurait eu droit au poste est également raisonnable. La Commission des relations de travail a conclu qu’elle doit trancher la question qui lui a été directement soumise – à savoir si le fait d’avoir offert le poste à M. Carew au lieu de M. Hitchcock constituait une violation de la convention collective. Elle a étayé sa conclusion en faisant renvoi à la décision Federal White Cement Ltd. c United Cement Workers, Local 368 (1981), 29 LAC (2d) 342. La Cour estime que cette conclusion est compatible avec la précédente et qu’il était raisonnable de la part de la Commission des relations de travail d’arriver à cette conclusion.

 

[77]           Par conséquent, la Cour conclut que la décision de la Commission des relations de travail sur le grief de M. Hitchcock était intelligible et justifiée, et qu’il était raisonnable de sa part d’arriver à cette conclusion à la lumière des faits et du droit. La Cour n’a aucun motif d’intervenir dans cette décision.

 

CONCLUSION

[78]           La Cour conclut que la décision de la Commission des relations de travail d’accueillir les griefs de M. Boucher et de M. Hunt (visant la priorité accordée aux employés qui touchent une rémunération à temps et demi) était déraisonnable, et doit être annulée et renvoyée à la Commission des relations de travail pour un nouvel examen par un tribunal différemment constitué. Toutefois, la Cour conclut que la décision de la Commission des relations de travail d’accueillir le grief de M. Hunt (concernant l’erreur dans la mise en application de la politique sur les heures supplémentaires) était raisonnable et, par conséquent, la demande de contrôle se rapportant à cette décision est rejetée.

 

[79]           Les parties ont avisé la Cour qu’elles avaient conclu une entente concernant les dépens, si bien qu’aucune ordonnance concernant les dépens ne sera rendue.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. Les décisions de la Commission des relations de travail relatives aux griefs de M. Boucher et de M. Hunt sont annulées et renvoyées à la Commission des relations de travail pour un nouvel examen par un tribunal différemment constitué. La décision de la Commission des relations de travail relative au grief de M. Hitchcock est maintenue et cette partie de la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1895‑10

 

INTITULÉ :                                                   PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.
CHRIS BUCHOLTZ ET AL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 4 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 3 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martin Charron

Richard Fader

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Giovanni Mancini

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Confédération des syndicats nationaux

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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