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Date : 20111109

Dossier : IMM‑1725‑11

Référence : 2011 CF 1286

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

 

JAI PRASHAD et PORBATI PRASHAD

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), qui vise la décision d’examen des risques avant renvoi rendue par une agente en date du 8 février 2011 (la décision). Dans la décision, l’agente a refusé la demande de visa de résident permanent pour motifs d’ordre humanitaire (CH) présentée par les demandeurs en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur, Jai Prashad, et son épouse, Porbati Prashad, (la demandeure), sont des citoyens indo‑guyaniens de la Guyana. Ils sont âgés respectivement de 51 et 48 ans. Les demandeurs ont tous les deux des proches qui vivent au Canada et qui sont citoyens canadiens ou résidents permanents. Le demandeur a une sœur qui est citoyenne canadienne depuis 2009. La demandeure, quant à elle, a deux sœurs et deux frères qui résident au Canada; ils sont tous citoyens canadiens. La mère et la fille biologique de la demandeure résident aussi au Canada comme citoyennes canadiennes; la fille biologique a été adoptée alors qu’elle était très jeune par la mère de la demandeure.

 

[3]               Les demandeurs vivent actuellement au Canada avec la mère, la sœur, le beau‑frère, la nièce et quatre neveux de la demandeure. La nièce des demandeurs est âgée de sept ans et leurs neveux sont âgés de 11, 13, 15 et 18 ans.

 

[4]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 2 août 2000 et ils ont déposé une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire. Ladite demande a été refusée le 3 février 2003. Le 13 février 2003, les demandeurs ont déposé une demande d’asile, que la SPR a entendue en 2004. La demande a été refusée le 25 novembre 2004. À cette même date, une mesure de renvoi prise à leur égard est devenue exécutoire. Les demandeurs ont de nouveau présenté une demande de résidence permanente, toujours pour des considérations humanitaires. Cette deuxième demande a été refusée le 20 septembre 2006.

 

[5]               La fille des demandeurs, qui a déménagé au Canada avec eux en 2000 et qui est résidente permanente, a présenté une demande visant à parrainer ses parents à titre de résidents permanents (demande de parrainage). Le défendeur a reçu cette demande de parrainage le 2 octobre 2008.

 

[6]               Les demandeurs ont présenté une troisième demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, en date du 23 avril 2007 (demande CH). Le 27 septembre 2011, ils ont aussi présenté une demande d’ERAR. Une mesure de renvoi ayant été prise depuis que leur demande d’asile a été refusée en 2004, ils devaient être renvoyés le 22 avril 2011. L’agente a refusé leur demande d’ERAR le 5 février 2011. Cette même agente a refusé leur demande CH le 8 février 2011.

 

[7]               Le 19 avril 2011, le juge James O’Reilly a accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre les demandeurs, en attendant l’issue de leur demande de contrôle judiciaire.

 

DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

 

[8]               L’agente a rejeté la demande CH des demandeurs dans une lettre de refus en date du 8 février 2011 dans laquelle sont précisés les motifs du refus. Elle a conclu que le fait de renvoyer les demandeurs en Guyana n’exposerait pas ceux‑ci à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[9]               L’agente a examiné les facteurs suivants : les difficultés ou les sanctions lors du retour en Guyana; les liens familiaux et personnels qui entraîneraient des difficultés s’ils étaient brisés; le degré d’établissement des demandeurs au Canada; l’établissement, les liens ou la résidence dans n’importe quel autre pays; et le retour dans le pays de nationalité.

 

Les difficultés ou les sanctions lors du retour en Guyana

 

[10]           L’agente a conclu que les demandeurs devront abandonner leurs proches, amis, domicile et emplois au Canada, auxquels ils ont consacré 10 ans de leur vie. Elle a constaté qu’en quittant la Guyana, les demandeurs ont laissé derrière eux la mère du demandeur et leurs amis et ont vendu leur entreprise. Ils ont tout laissé derrière eux, a‑t‑elle fait observer, pour se bâtir une vie au Canada où ils n’avaient jamais vécu auparavant. Ils ont fait preuve de détermination et d’une faculté d’adaptation pendant leur séjour au Canada, a‑t‑elle conclu. L’agente a conclu que la preuve ne permettait pas toutefois de démontrer que les demandeurs ne pourraient pas de nouveau s’établir à leur retour en Guyana. Certes, il serait difficile pour eux de s’établir à nouveau, mais cela ne représenterait pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[11]           L’agente a aussi examiné les affirmations des demandeurs voulant qu’ils aient peur de retourner en Guyana parce qu’ils seraient victimes de violence et s’exposeraient à des représailles. Bien que le demandeur ait indiqué à l’audience devant la SPR en 2004 que des assassinats et des viols étaient commis en Guyana, a fait remarquer l’agente, il a aussi dit que la violence régnait dans une ville adjacente à la ville où vivaient les demandeurs. L’agente a aussi indiqué que le tribunal de la SPR de 2004 avait conclu qu’il existait une protection adéquate assurée par l’État en Guyana. Elle a conclu que les demandeurs ne sont pas parvenus à démontrer comment ou pourquoi ils seraient expressément ciblés ou exposés individuellement à un risque de préjudice grave en Guyana.

 

[12]           L’agente a aussi tenu compte de la preuve sur la situation en Guyana. Elle a conclu que la Guyana est une démocratie pluraliste dotée d’un système judiciaire indépendant. Bien que les policiers en Guyana aient souvent été victimes de restrictions budgétaires et que leur interdépendance puisse soulever des questions, a‑t‑elle précisé, l’État assurait une protection adéquate en Guyana et les demandeurs n’auraient pas de difficulté à bénéficier de cette protection.

 

Les liens familiaux et personnels qui entraîneraient des difficultés s’ils sont brisés

 

[13]           L’agente a conclu que les lettres d’appui des proches, des amis et des employeurs des demandeurs indiquaient que les demandeurs avaient tissé et maintenu des liens dans leur collectivité au Canada. Elle a observé que les lettres rédigées par des membres de la famille indiquaient que les demandeurs seraient ciblés à leur retour parce qu’ils seraient perçus comme étant riches. Elle a toutefois conclu qu’aucune preuve ne permettait d’étayer ces déclarations et que les demandeurs seraient en mesure de bénéficier d’une protection de l’État.

 

[14]           L’agente a fait renvoi à une lettre de Norma Reid, une enseignante qui a enseigné au neveu des demandeurs, Reon Singh (Reon), en 2007. Dans ladite lettre, rédigée en 2007 alors que Reon était âgé de 14 ans, Mme Reid disait qu’il n’aurait pas réussi aussi bien en classe si la demandeure n’avait pas été présente pour l’aider. L’agente a conclu que la lettre avait été rédigée lorsque les demandeurs vivaient avec Reon et sa famille, soit près de trois ans avant qu’elle examine la demande CH. Elle a indiqué que les demandeurs avaient déménagé depuis et n’avaient pas présenté d’observations à jour quant à savoir s’ils continuent de venir en aide à leur nièce et à leurs neveux.

 

[15]           L’agente a aussi observé que la fille des demandeurs et son époux, de même que la sœur de la demandeure et son mari, avaient rempli une demande de parrainage et engagement distincte au nom des demandeurs. Selon elle, les demandeurs auraient certes de la difficulté à entretenir les relations qu’ils avaient nouées avec les membres canadiens de leur famille depuis la Guyana, a‑t‑elle précisé, mais la preuve ne permettait pas de démontrer que la rupture de ces relations entraînerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

Le degré d’établissement des demandeurs au Canada

 

[16]           Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve qui indiquent qu’ils se sont établis au Canada depuis qu’ils sont arrivés en août 2000. L’agente a observé qu’ils avaient bénéficié de l’application régulière de la loi dans le cadre du régime d’asile. Elle a conclu qu’il convenait de s’attendre à un certain degré d’établissement lorsque les demandeurs ont passé beaucoup de temps au Canada. Même si l’agente ne savait pas comment les demandeurs avaient subvenu à leurs besoins entre 2000 et 2003, elle a conclu qu’ils avaient tous les deux travaillé sans interruption depuis 2004; le demandeur, pour sa part, travaillait depuis février 2003. Elle a également mentionné que, selon les observations, ils possédaient deux véhicules, avaient fait l’achat d’une propriété, et disposaient d’environ 60 000 $ d’économies.

 

[17]           L’agente a conclu que bien qu’il puisse être difficile de quitter le Canada après y être resté pendant près de 10 ans, les demandeurs ont délibérément choisi de rester longtemps au Canada. Elle a cité les propos suivants du juge Yves de Montigny qui se trouvent au paragraphe 21 de la décision Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 356 :

Il serait clairement à l’encontre de l’objet de la Loi de prétendre que plus un demandeur reste longtemps au Canada en situation illégale, meilleures sont ses chances d’être autorisé à s’établir de manière permanente et ce, même si ce demandeur ne satisfait pas aux critères lui permettant d’obtenir le statut de réfugié ou de résident permanent.

 

[18]           L’agente a déclaré que les demandeurs ne peuvent maintenant affirmer, vu qu’ils n’étaient pas sans savoir qu’ils pourraient être tenus de quitter le Canada et de présenter une demande à l’étranger, qu’ils seraient exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils quittaient le Canada. La preuve n’a pas révélé que les demandeurs se sont si bien établis au Canada que la rupture des liens qu’ils ont établis ici donnerait lieu à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

L’établissement, les liens ou la résidence dans n’importe quel autre pays

 

[19]           L’agente a conclu que les demandeurs avaient résidé en Guyana comme citoyens avant leur venue au Canada. Elle a observé qu’ils avaient un certain niveau d’instruction et qu’ils avaient exploité, pendant 10 ans, leurs propres épiceries en Guyana.

 

[20]           L’agente a conclu que les demandeurs n’éprouveraient pas de difficultés à se réadapter à la société et à la culture guyanaises. Elle a aussi conclu que les demandeurs avaient été, par le passé, indépendants et autonomes et qu’ils pouvaient compter sur un réseau de proches et d’amis en Guyana pour les aider à se réintégrer là‑bas.

 

Le retour dans le pays de nationalité

 

[21]           L’agente a conclu que les demandeurs pouvaient retourner en Guyana. Il n’y avait aucun empêchement médical à ce retour. Qui plus est, les demandeurs avaient acquis, pendant leur séjour au Canada, des compétences transférables qui leur permettraient d’exercer un emploi à leur retour en Guyana. L’agente a observé que la Guyana s’était dotée de mesures antidiscriminatoires. De plus, elle a déclaré que la preuve dont elle disposait démontrait que la pension de sécurité de la vieillesse avait augmenté, que l’on avait instauré des programmes visant à payer la taxe d’eau des pensionnés et à permettre aux personnes âgées d’assister à des spectacles gratuitement.

 

Conclusion

 

[22]           L’agente a conclu que bien que le Canada puisse être un endroit plus souhaitable pour vivre que la Guyana, ce facteur n’était pas déterminant pour la demande CH. La possibilité de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne vise pas à éliminer les difficultés, mais plutôt à offrir une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. En l’espèce, les difficultés attribuables au renvoi n’étaient ni imprévues ni indépendantes de la volonté des demandeurs parce que ceux‑ci étaient visés par une mesure de renvoi depuis 2004. L’agente a dit qu’elle avait examiné toutes les questions soulevées par les demandeurs et indiqué que la preuve dont elle disposait ne permettait pas de conclure que le fait pour eux de retourner en Guyana leur causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[23]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à l’espèce :

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[24]           Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes :

a.                  L’agente a‑t‑elle omis de tenir compte de la demande de parrainage parental en instance?

b.                  L’agente a‑t‑elle omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de la nièce et des neveux des demandeurs?

c.                   L’agente a‑t‑elle tiré des conclusions inappropriées quant à la capacité des demandeurs de s’établir en Guyana?

d.                  L’agente a‑t‑elle tenu compte de tous les éléments de preuve?

e.                   L’agente a‑t‑elle appliqué le mauvais critère juridique pour examiner la demande CH?

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[25]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette quête se révèle infructueuse que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs qui constituent l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[26]           Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACS no 39, la Cour suprême du Canada a déclaré que la norme de contrôle applicable dans le cas d’une dispense pour des raisons d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable. En outre, dans la décision Mikhno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 386, le juge John O’Keefe a déclaré que les demandeurs doivent s’acquitter d’un lourd fardeau pour convaincre la Cour qu’une décision en vertu de l’article 25 exige l’intervention de cette dernière. En l’espèce, la norme de contrôle qui s’applique aux quatre premières questions est celle de la décision raisonnable.

 

[27]           Lors du contrôle d’une décision suivant la norme de la raisonnabilité, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[28]           Dans la décision Herman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 629, le juge Paul Crampton a déclaré, au paragraphe 12, que la norme de contrôle à appliquer pour déterminer si un agent a utilisé le bon critère dans son évaluation d’une demande CH est la norme de la décision correcte. Le juge Michael Kelen est arrivé à une conclusion similaire dans Ebonka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 80, au paragraphe 16, tout comme le juge Michel Beaudry dans Mooker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 518, au paragraphe 15. En l’espèce, la norme de contrôle qui s’applique dans le cas de la cinquième question est celle de la décision correcte.

 

[29]           Comme la Cour suprême du Canada l’a statué dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 50 :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

ARGUMENTS

Les demandeurs

L’agente a omis de tenir compte de la demande de parrainage parental en instance

 

[30]           Les demandeurs font valoir que l’agente a eu tort de ne pas tenir compte de la demande de parrainage déposée par leur fille et leur beau‑fils. Ils soutiennent que, bien qu’elle ait fait mention de cette demande dans sa décision, l’agente a omis de tenir compte des difficultés qui résulteraient si les demandeurs étaient renvoyés en Guyana et que la demande de parrainage était approuvée. L’approbation de leur demande de parrainage, après leur renvoi du Canada, signifierait qu’il leur faudrait se déraciner de la Guyana pour revenir au Canada, ce qui se traduirait par une perte de temps et d’argent.

 

[31]           Les demandeurs soutiennent que l’agente disposait de la demande en instance lorsqu’elle a rendu la décision. Même si le défendeur a confirmé n’avoir reçu la demande de parrainage qu’en février 2009 – alors que la demande CH des demandeurs était en cours de traitement depuis près de deux ans – les demandeurs soutiennent qu’elle était consignée dans le SSOBL à ce moment‑là. L’agente était implicitement au courant de la demande en instance. En outre, les demandeurs soutiennent que l’agente disposait de la preuve du préjudice qu’entraînerait une omission de tenir compte de la demande en instance, preuve qui se trouvait dans les observations qu’ils ont présentées en novembre 2010 à l’appui de leur demande CH. L’agente s’est indûment concentrée sur la capacité des demandeurs à s’adapter à la vie en Guyana, au lieu d’examiner les difficultés qu’entraînerait ce renvoi temporaire des demandeurs du Canada.

 

[32]           Les demandeurs invoquent la décision Ramotar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 362 [Ramotar] à l’appui de leur argument. Ils soutiennent que l’agent doit prendre en compte l’état et la probabilité de succès de la demande de parrainage en instance des demandeurs afin de s’assurer que le défendeur n’impose pas de difficultés inutiles aux demandeurs en les expulsant et en leur disant ensuite, peu de temps après, qu’ils peuvent rentrer au Canada à titre de résidents permanents.

 

[33]           Dans la décision Ramotar, le juge Kelen s’est demandé si l’agent CH commettait une erreur en ne tenant pas compte des difficultés qu’entraînerait le renvoi s’il doit peu après revenir au Canada par suite de l’approbation d’une demande de parrainage.

 

[34]           Les demandeurs soutiennent que leur cas est identique à celui de l’affaire Ramotar; le résultat devrait donc être le même.

 

L’agente a omis d’examiner adéquatement l’intérêt supérieur des enfants

 

[35]           Les demandeurs font valoir qu’il s’agissait aussi d’une décision déraisonnable parce que l’agente a omis de prendre en considération l’intérêt supérieur de leur nièce et de leurs neveux. Ils soutiennent que sa conclusion quant à l’intérêt supérieur de ces enfants reposait sur des faits erronés. Ils ont invoqué le résumé du juge Michael Shore de l’obligation de tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants touchés dans la décision Diakité c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 165, aux paragraphes 2 et 3.

 

[36]           Dans sa décision, l’agente a déclaré que les demandeurs ne vivaient plus avec des membres de leur famille élargie et qu’aucune observation à jour n’avait été présentée quant à savoir s’ils continuaient d’apporter un soutien à leur nièce et à leurs neveux. Les demandeurs soutiennent qu’elle a tort sur le plan factuel parce qu’ils n’ont pas déménagé et qu’ils demeurent toujours avec la famille élargie. Ils font remarquer que, dans leurs observations de novembre 2010, ils ont dit ce qui suit :

[traduction]

La valeur nette des deux immeubles qu’ils possèdent est considérable. L’un de ces immeubles est un placement, et sur l’autre, ils construisent actuellement un nouveau bâtiment résidentiel.

 

Ils doivent habiter avec leur famille élargie étant donné que la propriété résidentielle qu’ils possèdent sert à d’autres fins.

 

[37]           Les demandeurs soutiennent aussi que l’agente a omis de tenir compte de la preuve quant aux répercussions que leur renvoi aurait sur leur nièce et leurs neveux. Ils font référence à la lettre de leur neveu, où celui‑ci écrit : [traduction« Ma tante et mon oncle m’aiment beaucoup, ils pensent toujours à moi et m’apportent des cadeaux lorsqu’ils reviennent du travail. » L’agente disposait de cette lettre; par conséquent, elle a eu tort de ne pas en tenir compte.

 

[38]           Les demandeurs soutiennent aussi que, en dépit du fait qu’il ne s’agit pas de leurs enfants biologiques, l’obligation imposée par le paragraphe 25(1) de la Loi de tenir « compte [...] de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché » est suffisamment générale pour englober les nièces et les neveux. Ils invoquent la décision Momcilovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 79, dans laquelle le juge O’Keefe déclare ce qui suit au paragraphe 45 :

On se rend compte, à la simple lecture du paragraphe 25(1), que cette disposition va plus loin que l’intérêt supérieur des enfants d’une personne. Elle ne parle pas de l’intérêt supérieur de [traduction] « l’enfant né du mariage » ou de [traduction] « l’enfant du demandeur », mais de l’intérêt supérieur de « l’enfant directement touché ».

 

[39]           La nièce et les neveux des demandeurs seront directement touchés par le renvoi des demandeurs; ainsi, l’agente a commis une erreur susceptible de contrôle en n’étant pas réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de ces enfants.

 

L’agente a tiré des conclusions inappropriées quant à la capacité des demandeurs de s’établir en Guyana

 

 

[40]           Les demandeurs affirment que l’agente a tiré un certain nombre de conclusions erronées quant à leur capacité à se réinstaller en Guyana. Ces conclusions sont déraisonnables parce qu’elles ne reposent pas sur le dossier factuel et ne tiennent pas compte de circonstances et de faits importants.

 

[41]           Les demandeurs font valoir que l’agente a conclu que, puisqu’ils avaient tout laissé derrière eux en Guyana pour venir au Canada, ils pouvaient faire la même chose et retourner en Guyana. Or, la différence entre le fait pour les demandeurs de s’installer au Canada et celui de retourner en Guyana est énorme. Mais surtout, ils y retourneraient sans leur fille, qui est maintenant résidente permanente du Canada, bien qu’ils soient arrivés avec elle au départ.

 

[42]           Les demandeurs soutiennent aussi que, lorsqu’ils sont arrivés au Canada, ils ont été accueillis par une famille dévouée et ont emménagé avec leur famille élargie. Ils ont bénéficié du soutien de leur famille élargie pendant qu’ils cherchaient du travail au Canada. Ils n’auront pas ce filet de sécurité advenant leur retour forcé en Guyana. La mère du demandeur est la seule membre de la famille qui demeure toujours en Guyana; elle est en voie d’être parrainée au Canada par sa fille.

 

[43]           Les demandeurs affirment qu’ils n’auront pas d’endroit où vivre en Guyana pendant qu’ils cherchent de l’emploi et ne bénéficieront d’aucun soutien financier, physique et affectif. Même si l’agente a conclu qu’ils pourraient réintégrer la société guyanaise parce qu’ils pouvaient compter sur [traduction] « un réseau de proches et d’amis qui pourraient les aider à s’établir de nouveau en Guyana », rien n’indique que le réseau de proches et d’amis qui pourraient les aider de la manière dont le laisse entendre l’agente existe.

 

[44]           Les demandeurs rappellent que, pour conclure qu’ils disposeraient d’un réseau de soutien, l’agente s’est appuyée sur une lettre d’un dénommé Edward V et sur une lettre de Hasrajie Ramojah, tous deux résidents de la Guyana. Les demandeurs soutiennent qu’aucune de ces lettres ne démontre que les auteurs sont des amis à eux. Ils affirment que la conclusion tirée par l’agente à partir de ces deux lettres, à savoir qu’ils disposeront d’un réseau de soutien, est déraisonnable.

 

[45]           Les demandeurs contestent aussi le fait que l’agente s’est appuyée sur le fait que la Guyana dispose d’un régime de pension de vieillesse et de programmes à l’intention des personnes âgées. Ils font remarquer qu’ils sont jeunes et qu’ils n’ont contribué à aucun régime de pension en Guyana pendant qu’ils vivaient au Canada. Il était déraisonnable pour l’agente de se fonder sur l’existence de ces programmes.

 

L’agente a appliqué le mauvais critère juridique dans son examen de la demande CH en mettant l’accent sur les risques plutôt que sur les difficultés

 

 

[46]           C’est la même agente qui a rejeté la demande d’ERAR présentée par les demandeurs et leur demande CH. Les demandeurs affirment que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle a examiné la décision de la SPR dans le cadre de la requête qu’ils ont présentée en 2004. Les demandeurs font aussi remarquer qu’elle a examiné des documents dans lesquels il est précisé : que la Guyana est une démocratie; qu’il existe un système judiciaire indépendant; qu’il existe un corps policier à l’égard duquel le public a peu confiance; et qu’il existe un mécanisme qui permet de signaler la corruption et la mauvaise conduite de la police. Bien que ces facteurs soient incontestablement pertinents dans le cadre d’une audience devant la SPR et d’une ERAR, l’agente les a considérés à tort pour apprécier les difficultés ou les sanctions auxquelles les demandeurs seraient exposés s’ils devaient retourner en Guyana. Ils citent la décision Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1404, où le juge de Montigny a déclaré ce qui suit, au paragraphe 48 :

[Les] agents d’immigration qui procèdent à une ERAR évaluent des risques. Il est vrai que les demandes CH peuvent également comporter des « facteurs de risque », mais cela ne change rien au fait qu’une demande CH vise l’évaluation des difficultés. Le fait qu’une demande peut comporter des questions de risque ne la transforme pas pour autant en une seconde analyse du risque. D’autres questions, comme l’intérêt supérieur des enfants et les facteurs de risque, doivent être évaluées en tant que partie intégrante ou en tant que sous‑ensemble de cette analyse globale des difficultés.

 

[47]           Les demandeurs soutiennent aussi que l’analyse des difficultés auxquelles ils s’exposeraient s’ils retournaient en Guyana requiert la prise en compte des facteurs suivants : l’endroit où ils vivront; comment ils subviendront à leurs besoins; le taux de criminalité; les tensions raciales; les possibilités d’emploi; les conditions de vie générale; le fait que la réinstallation en Guyana ne sera sans doute que temporaire; et, surtout, les répercussions qu’aura leur réinstallation sur eux et les membres de leur famille. L’agente a mis l’accent sur les risques auxquels seraient exposés les demandeurs de même que sur l’existence de la protection de l’État, au lieu d’examiner la question générale des difficultés en fonction de tous ces facteurs.

 

[48]           Les demandeurs soutiennent aussi que l’agente n’a pas tenu compte des liens étroits qui unissent les membres de leur famille. Que onze membres d’une même famille vivent sous le même toit donne lieu à une proximité qui est inhabituelle au Canada, font‑ils valoir. Une séparation causerait des difficultés inhabituelles parce qu’ils sont exceptionnellement près les uns des autres.

 

Le défendeur

 

[49]           Le défendeur soutient que les demandeurs invitent simplement la Cour à soupeser de nouveau les faits et la preuve dont a tenu compte l’agente dans sa décision. Dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CSC 1, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit, au paragraphe 38 :

Enfin, le rôle du tribunal appelé à contrôler la décision du ministre consiste à déterminer si celui‑ci a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux limites imposées par les lois du Parlement et la Constitution. Si le ministre a tenu compte des facteurs pertinents et respecté ces limites, le tribunal doit confirmer sa décision. Il ne peut l’annuler, même s’il avait évalué les facteurs différemment et était arrivé à une autre conclusion.

 

[50]           Le défendeur affirme aussi que les décisions relatives aux demandes CH sont des décisions discrétionnaires et qu’aucune issue particulière n’est garantie. La décision de l’agente ne devrait pas faire l’objet d’un contrôle parce que celle‑ci a exercé son pouvoir discrétionnaire avec discernement et a respecté les paramètres de l’équité procédurale.

 

L’analyse de l’agente quant à l’intérêt supérieur de l’enfant était raisonnable

 

[51]           Le défendeur soutient que les demandeurs ont présenté peu d’éléments de preuve liés à l’intérêt supérieur de leur nièce et de leurs neveux. Seules deux brèves lettres ont été présentées, soit une d’une enseignante de l’école intermédiaire de leur neveu rédigée en 2007 et une de leur neveu, rédigée 2010. Le défendeur fait remarquer que la juge Eleanor Dawson a déclaré ce qui suit dans la décision Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 646, aux paragraphes 37 et 38 :

À mon avis, cet argument n’est pas compatible avec le fait que c’était aux demandeurs qu’il incombait de préciser que leur demande était fondée, du moins en partie, sur l’intérêt supérieur des enfants et à qui il incombait de présenter des éléments de preuve pour établir les prétentions sur lesquelles reposait leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Il appartenait aux demandeurs de préciser, avec preuve à l’appui, tout problème auquel un des membres de la famille serait confronté et qui se traduirait par des difficultés que l’on pourrait qualifier d’inusitées, d’injustifiées ou de disproportionnées.

 

Comme les demandeurs n’ont pas invoqué directement l’intérêt supérieur des enfants parmi les motifs de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, et parce qu’ils n’ont soulevé aucun facteur précis se rapportant aux enfants, j’estime que l’agente n’a pas commis d’erreur dans la façon dont elle a analysé la question de l’intérêt supérieur des enfants.

 

[52]           Les demandeurs ont aussi omis de préciser les préjudices que pourraient subir leur nièce et leurs neveux. L’agente a tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve fournis par les demandeurs concernant l’intérêt supérieur des enfants et a rendu une décision raisonnable.

 

[53]           Le défendeur rappelle aussi à la Cour que l’intérêt supérieur de l’enfant ne commande pas un résultat particulier. Dans l’arrêt Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CAF 125, la Cour d’appel fédérale a affirmé ce qui suit au paragraphe 12 :

La présence d’enfants, contrairement à ce qu’a conclu le juge Nadon, n’appelle pas un certain résultat. Ce n’est pas parce que l’intérêt des enfants voudra qu’un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n’a pas voulu, à ce jour, que la présence d’enfants au Canada constitue en elle‑même un empêchement à toute mesure de refoulement d’un parent se trouvant illégalement au pays.

 

En l’espèce, l’agente a fait ce qu’il fallait : elle a déterminé les difficultés que la nièce et les neveux des demandeurs éprouveraient sans doute et a soupesé ces difficultés en fonction des autres facteurs dans la demande CH.

 

L’agente a appliqué le critère approprié

 

[54]           Le défendeur affirme aussi que l’agente a appliqué le critère approprié lorsqu’elle a procédé à l’évaluation des risques. Elle n’aurait pu indiquer plus clairement qu’elle était au courant des différents critères pouvant s’appliquer dans le cas des décisions de la SPR, des ERAR et des demandes CH. Le défendeur précise que dans ses motifs, l’agente mentionne à plusieurs reprises le critère à appliquer et laisse voir que l’évaluation en cause est différente de celle qui découle des articles 96 ou 97 de la Loi.

 

L’agente a tenu compte de l’établissement de manière raisonnable

 

[55]           L’agente a correctement examiné la question de l’établissement au Canada dans le cadre de son analyse des difficultés. Dans ses motifs, elle a mentionné les facteurs soulevés par les demandeurs et elle a raisonnablement conclu que le degré d’établissement au Canada ne causerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils étaient renvoyés du Canada. L’agente a examiné leur expérience professionnelle, leur intégration au sein de la communauté, le temps passé au Canada, et leurs actifs financiers au Canada.

 

[56]           Le défendeur soutient aussi que l’établissement au Canada n’est qu’un des facteurs dont les agents CH doivent tenir compte et soupeser. La Cour a conclu à maintes reprises que le fait, à lui seul, que les demandeurs aient pris le risque de s’établir dans une certaine mesure au Canada, bien que leur statut d’immigration demeure incertain, tout en sachant qu’ils pourraient être tenus de quitter à tout moment, ne donne pas lieu à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Dans la décision Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906, le juge Denis Pelletier a déclaré ce qui suit au paragraphe 26 :

Je reviens à l’observation que j’ai faite, à savoir que la preuve donne à entendre que les demandeurs s’intégreraient avec succès dans la collectivité canadienne. Malheureusement, tel n’est pas le critère. Si l’on appliquait ce critère, la procédure d’examen des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire deviendrait un mécanisme d’examen ex post facto l’emportant sur la procédure d’examen préalable prévue par la Loi sur l’immigration et par son règlement d’application. Cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que s’ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu’ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester. La procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire n’est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le refus de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire causera sans doute des difficultés aux demandeurs, mais eu égard aux circonstances de leur présence au Canada et à l’état du dossier, il ne s’agit pas d’une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive.

 

L’agente a tenu compte de la demande de parrainage parental de manière raisonnable

 

 

[57]           Enfin, le défendeur affirme que les demandeurs n’ont pas démontré qu’une erreur susceptible de contrôle avait été commise concernant la prise en compte, par l’agente, de leur renvoi en Guyana en attendant le traitement de la demande de parrainage parental présentée par leur fille. Les demandeurs n’ont pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer l’existence de difficultés excessives. Le fait qu’ils éprouveront des difficultés du fait de devoir déménager deux fois, si la demande de parrainage est approuvée, ne signifie pas qu’ils satisfont au critère requis pour que leur soit accordée une dispense CH. Même si le fait de déménager deux fois cause des difficultés, l’agente a examiné explicitement la demande de parrainage en instance avant de rendre sa décision.

 

Mémoire additionnel présenté par les demandeurs

 

[58]           Les demandeurs affirment que l’agente n’a pas pris en considération certains éléments de preuve dans son évaluation des difficultés. En effet, plusieurs des articles qu’ils ont soumis en preuve permettent, selon eux, de démontrer qu’ils seraient exposés à un risque accru de violence, en tant qu’Indo‑Guyaniens, s’ils étaient renvoyés en Guyana. Ils soutiennent que la conclusion de l’agente, selon laquelle les gens visés par lesdits articles ne se trouvaient pas dans une situation analogue à la leur, était déraisonnable. Les événements dont il est question dans les articles sont survenus près de l’endroit où ils vivaient; la conclusion de l’agente était donc déraisonnable. Ils affirment aussi qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de s’attendre à ce qu’ils soient personnellement identifiés dans les articles, alors qu’ils vivaient au Canada depuis 10 ans et que les articles ont été rédigés au cours de cette période.

 

ANALYSE

 

[59]           Les demandeurs invoquent différents motifs au soutien de leur prétention que l’agente a commis une erreur susceptible de contrôle. La Cour ne les accepte pas tous. À la lecture de la décision, il ressort clairement que l’agente n’a pas appliqué le mauvais critère ou qu’elle n’a pas mal évalué les difficultés lorsqu’elle a procédé à l’évaluation des risques. Elle a pris soin de toujours établir une distinction entre les risques et les difficultés, et rien n’indique, à mon avis, que les risques sont devenus le critère sur certains points.

 

[60]           Cependant, la décision renferme, à mon avis, plusieurs erreurs susceptibles de contrôle qui nécessitent que l’affaire soit renvoyée pour réexamen.

 

[61]           D’abord, je conviens avec les demandeurs que l’agente a omis de tenir compte des difficultés qui pourraient surgir de la demande de parrainage en instance.

 

[62]           Il est vrai que l’agente a fait renvoi à la demande de parrainage dans ses motifs, mais sans plus, et qu’elle n’a fait aucune analyse valable des difficultés qui pourraient surgir si les demandeurs étaient renvoyés, puis invités à revenir peu de temps après. L’avocat a présenté des observations claires et détaillées à l’agente à cet égard, et il s’agissait, de toute évidence, d’une question importante qu’elle se devait d’examiner. Au lieu de se pencher sur ces observations, l’agente a mis l’accent sur la faculté d’adaptation des demandeurs à la Guyana et a fait abstraction, à mon avis, des difficultés qui découlent du parrainage parental.

 

[63]            Je suis conscient qu’il est très difficile pour un agent de procéder à une évaluation lorsqu’une demande de parrainage est en instance. L’avocat du défendeur informe la Cour qu’il est impossible de prédire le délai de traitement d’une telle demande. C’est peut‑être bien le cas, mais cela place les demandeurs dans une position tout aussi difficile. Ils n’ont aucun moyen de vérifier à quel moment sera rendue la décision relative à la demande de parrainage. Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient en l’espèce : ils ont avisé l’agente de la période écoulée depuis le dépôt de la demande de parrainage et lui ont demandé de prendre en considération le fait qu’il n’y avait aucun obstacle à ce que cette demande soit accueillie.

 

[64]           Le fait qu’il puisse être difficile, dans ce contexte, d’évaluer à quel moment la décision sera rendue n’empêche pas la demande de parrainage en instance de constituer un facteur important dans l’appréciation des difficultés. Des considérations bureaucratiques complexes sont certes à l’origine du problème. Toutefois, la solution est entièrement entre les mains du défendeur. J’estime qu’il ne suffit pas, en effet, que le défendeur dise qu’en raison d’un délai incertain, il faut faire abstraction d’une demande de parrainage en instance, ou lui accorder peu de poids, lorsqu’il s’agit d’évaluer les difficultés. Nous avons affaire à de vraies personnes dont la vie pourrait connaître un bouleversement majeur, tout à fait inutile, si la demande de parrainage devait bientôt être accueillie. La Cour s’est déjà penchée sur la question.

 

[65]           Dans la décision Ramotar, précitée, le juge Kelen a donné d’importantes indications quant à la façon dont devrait être réglée cette question, aux paragraphes 40 à 43 :

Il peut s’agir pour les demandeurs d’une « difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive » d’avoir à retourner en Guyana en attendant que l’on traite la demande de parrainage de leur fille en raison du retard du bureau de Mississauga du défendeur, lequel retard est causé par le manque de ressources bureaucratiques. En d’autres termes, il peut s’agir d’une « difficulté excessive » pour les demandeurs de renoncer à leur maison, de renoncer à leurs emplois, de renoncer à leur collectivité canadienne et de se rétablir en Guyana, le tout pour une période de quelques mois, voire d’un an ou deux, pendant que la bureaucratie du défendeur traite leur demande. Le défendeur peut décider rapidement et facilement, [traduction] « après évaluation sur dossier », s’il y a des chances que la demande de parrainage soit approuvée; si, [traduction] « après évaluation sur dossier », il est probable que la demande de parrainage sera approuvée, l’agent CH peut alors décider que le fait d’avoir à se déraciner du Canada pour ensuite y revenir peu de temps après constitue une « difficulté inhabituelle, injustifiée et excessive ».

 

Dans la décision Benjamin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006ACF no 750, le juge Konrad von Finckenstein (alors juge à la Cour fédérale) a déclaré, dans une remarque incidente faite dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision CH, qu’il ne pouvait voir aucun avantage à renvoyer le demandeur au Nigeria, pendant que sa demande parrainée par son épouse était en cours de traitement, pour ensuite le ramener au Canada à toute vitesse si sa demande était accueillie. Le juge von Finckenstein a ajouté ce qui suit, au paragraphe 18 :

 

Une telle façon de procéder ne tient absolument pas compte de la douleur, du bouleversement et des difficultés émotionnelles que cause un renvoi. Le défendeur devrait tenir compte de ces facteurs avant d’ordonner le renvoi du demandeur pendant que le traitement de sa demande dans la catégorie des époux au Canada est en cours.

 

Le même raisonnement s’applique au parrainage des demandeurs par leur fille. Peut‑être qu’il s’agit là d’un aspect dont doit tenir compte un agent de renvoi à qui l’on demande de reporter le renvoi. Peut‑être qu’il s’agit d’un aspect légitime pour un agent CH. Quoi qu’il en soit, il est important que la main droite du défendeur sache ce que fait la main gauche. Comme cette question a été soumise à un agent CH en vue de la prise d’une décision, il incombe à ce dernier de prendre en compte la situation et la probabilité de succès de la demande de parrainage de la fille afin de s’assurer que le défendeur n’impose pas de difficultés inutiles aux demandeurs en les expulsant et en leur disant ensuite, quelques mois plus tard, qu’ils peuvent rentrer au Canada à titre de résidents permanents.

 

Pour ce motif, la présente demande sera accueillie et l’affaire renvoyée à un autre agent d’immigration en vue de la prise d’une nouvelle décision, de pair avec une directive de la Cour portant que l’agent d’immigration doit déterminer la situation et la probabilité de succès, après évaluation sur dossier, de la demande de parrainage qui a été présentée pour que les demandeurs deviennent résidents permanents.

 

 

[66]           Les questions soulevées en l’espèce me semblent identiques à celles sur lesquelles s’est prononcé le juge Kelen dans la décision Ramotar.

 

[67]           Même si je n’accepte pas la façon de résoudre le problème proposée par le juge Kelen, je dois tout de même dire que je ne crois pas, compte tenu des faits de l’espèce, que cette question a été raisonnablement instruite. Elle a été confondue avec les questions d’adaptabilité, pour ensuite faire l’objet d’une conclusion générale. En fin de compte, les demandeurs et la Cour ne peuvent pas vraiment savoir dans quelle mesure l’agente a tenu compte de ce facteur important, ni pourquoi elle n’a pas cru que ce facteur contribuerait à atteindre le degré de difficulté nécessaire pour accorder une dispense CH en l’espèce.

 

[68]           J’estime aussi que l’agente a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans le cadre de son évaluation de la capacité des demandeurs à se réinstaller en Guyana. L’une des raisons pour lesquelles l’agente a conclu que les demandeurs n’éprouveraient pas de [traduction« difficultés à s’adapter à la société et à la culture guyanaises » est qu’ils ont [traduction] « un réseau de proches et d’amis qui pourraient les aider à s’intégrer en Guyana ». L’agente ne disposait d’aucune preuve convaincante de l’existence d’un tel réseau, ni d’aucune preuve pouvant raisonnablement étayer une telle conclusion. L’agente semble avoir fait un usage inopportun des commentaires portant sur la façon dont les demandeurs ont appris à quels risques ils s’exposeraient en Guyana. Il existe des raisons de penser que, par le passé, ils recevaient des nouvelles par l’entremise de proches et d’amis, mais nous ignorons où se trouvent ces gens et nous ne savons rien au sujet de leurs liens avec les demandeurs ou du genre d’aide qu’ils pourraient être en mesure, ou disposés, à fournir. Parmi les proches, seule la mère du demandeur est toujours en Guyana, et nous ne disposons d’aucune preuve quant aux conditions dans lesquelles elle vit. Une lettre d’un ancien voisin a également été soumise, mais rien n’indique qu’il était un ami. Ces deux personnes ne constituent pas ce qu’on pourrait appeler un réseau; la conclusion de l’agente est donc déraisonnable. Il n’est pas possible de dire si la décision de l’agente aurait été différente si cette erreur déraisonnable n’avait pas été commise. La possibilité de compter sur des proches et des amis me semble un point très important aux yeux de l’agente qui en fait mention. Cette erreur déraisonnable justifie un réexamen en l’espèce.

 

[69]           J’estime aussi que l’agente a commis une erreur grave de fait qui l’a amenée à évaluer de manière déraisonnable l’intérêt supérieur des enfants. L’agente a fait des déductions et a conclu que les demandeurs ne demeuraient plus à la même adresse et n’avaient plus de rapports avec leur nièce et leurs neveux. Or, les demandeurs ont clairement déclaré, à la page 311 du DCT qu’ils n’avaient pas changé d’adresse et l’agente ne les a pas questionnés à ce sujet. La preuve révèle que les demandeurs jouent un rôle important dans la vie des enfants et que, bien que la famille élargie ait acheté une propriété, ils continuent à avoir des rapports avec eux de sorte que l’agente devait faire une évaluation complète de ce facteur.

 

[70]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il procède à un nouvel examen.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1725‑11

 

INTITULÉ :                                                   JAI PRASHAD et PROBATI PRASHAD   

 

                                                                        ‑   et   ‑

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 5 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                           LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 9 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario D. Bellissimo

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bellissimo Law Group

(Ormston, Bellissimo, Rotenberg)

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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