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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20111116


Dossier : IMM-994-11

Référence : 2011 CF 1314

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

MD GOLAM AZAM KHAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), relativement à la décision rendue par un agent d’immigration (l’agent) du Haut‑commissariat du Canada à Singapour (le Haut-commissariat), en date du 14 janvier 2011 (la décision), de rejeter la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir un visa de résident permanent en qualité de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) visée au paragraphe 75(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen du Bangladesh. Le 20 décembre 2009, il a reçu une offre d’emploi (l’offre) concernant le poste de directeur adjoint de l’établissement A+ Academy of Advancement situé à Toronto (l’employeur). Le même jour, le demandeur a présenté, sur la foi de l’offre, une demande de résidence permanente au Canada au titre du programme des travailleurs qualifiés (fédéral) (la demande). Le Haut‑commissariat a reçu la demande complète le 12 février 2010. L’épouse et les deux fils du demandeur étaient également visés par la demande, mais ils ne sont pas parties à la présente instance.

[3]               Le 26 juillet 2010, Service Canada a rendu un avis sur un emploi réservé (AER) positif  concernant l’offre. L’AER indiquait que l’offre était authentique et que l’emploi exigeait que la personne sache s’exprimer oralement et par écrit en anglais et en bengali. Le Haut‑commissariat a reçu l’AER le 11 août 2011.

[4]               Le demandeur a produit des documents établissant son niveau d’instruction. Il a aussi déposé le formulaire IMM0008 – Demande de résidence permanente au Canada, y compris l’annexe 1 – Antécédents/Déclaration (l’annexe 1). Le demandeur a écrit dans l’annexe 1 qu’il avait obtenu une M.B.A. de l’Université Green, au Bangladesh, un baccalauréat en administration des affaires (B.A.A.) de la même université et un diplôme en génie civil du Bogra Technical Institute et qu’il avait terminé ses études primaires et secondaires. Il avait accumulé dix années d’études primaires, trois années d’études secondaires et cinq années d’études universitaires, pour un total de 18 années. Il a aussi produit des copies certifiées de ses dossiers concernant ses études universitaires, de ses M.B.A., B.A.A. et diplôme, ainsi que du dossier concernant ses études secondaires.

[5]               En outre, le demandeur a écrit sur le formulaire IMM5406 qu’il avait un frère au Canada, MD Badsha Alam.

[6]               Pour prouver ses moyens financiers, le demandeur a rempli et produit l’annexe 3 du formulaire IMM0008, intitulée « Immigration économique – Travailleurs qualifiés – Fédéral », où il a indiqué qu’il disposait de fonds non grevés et transférables de 33 300 $. Il a également produit un bilan personnel qui indiquait qu’il possédait des actifs, notamment des immeubles à Singapour valant approximativement 160 000 $, ayant une valeur nette de 193 967 $, qu’il aurait en main une somme de 33 000 $ à son arrivée au Canada et que des biens valant 160 000 $ seraient transférés par la suite.

[7]               Le demandeur a produit également un certificat relatif à l’IELTS, qui montre qu’il a obtenu les notes suivantes : 4,5 pour son aptitude à parler anglais, 4,5 pour son aptitude à l’écrire, 4,0 pour son aptitude à le lire et 3,5 pour son aptitude à le comprendre. Sa note globale était de 4,0.

[8]               L’agent n’étant pas convaincu que l’offre faite au demandeur était authentique, il a envoyé des lettres à ce dernier afin d’obtenir des documents additionnels de l’employeur le 11 août, le 17 septembre et le 26 novembre 2010. En réponse, l’employeur a transmis des documents fiscaux, la liste du personnel de l’établissement A+ Academy of Advancement et des documents indiquant les adresses de ses bureaux, le nombre d’étudiants inscrits et les droits de scolarité exigés.

[9]               L’agent n’était toujours pas convaincu de l’authenticité de l’offre après avoir reçu les documents de l’employeur. Le 14 janvier 2011, il a téléphoné à l’employeur et lui a posé des questions au sujet de l’offre. L’agent a aussi questionné l’employeur au sujet de sa situation financière. L’employeur a dit que sa situation financière s’était récemment améliorée et qu’il serait donc en mesure de payer le salaire du demandeur. L’agent a aussi discuté avec l’employeur de la capacité du demandeur de faire le travail vu qu’il ne connaissait pas bien l’anglais. L’employeur a dit que la plupart des parents et des membres du personnel étaient bangladais [traduction] « ou à tout le moins asiatiques », de sorte que le demandeur serait capable de communiquer avec eux.

[10]           L’agent a procédé à son appréciation finale du demandeur le 14 janvier 2011. Il a attribué 65 points, soit un nombre de points inférieur aux 67 points requis pour qu’un visa de résident permanent puisse être délivré au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). L’agent a envoyé au demandeur une lettre datée du même jour pour lui annoncer que sa demande avait été refusée.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[11]           La décision est constituée de la lettre datée du 14 janvier 2011 que l’agent a envoyée au demandeur et des notes que l’agent a versées dans le STIDI et qui se trouvent dans le dossier. Dans sa lettre, l’agent a annoncé au demandeur qu’il avait obtenu 64 points. Or, lorsqu’on additionne les points indiqués dans la lettre en regard de chaque facteur, on constate que c’est 65 points – et non 64 – que le demandeur a obtenus :

            Facteur                                                           Points attribués                      Maximum

            Âge                                                                  10                                            10

            Études                                                              22                                            25

            Compétence dans les langues officielles 03                                            24

Expérience                                                       21                                            21

            Emploi réservé                                      0                                              10

            Capacité d’adaptation                                       9                                              10

 

            TOTAL                                                           65                                            100

 

 

[12]           Le demandeur conteste le nombre de points qui lui ont été attribués pour les études et pour l’emploi réservé.

Les études

[13]           L’agent a estimé que la M.B.A. en marketing obtenue à l’Université Green au Bangladesh et un total de 16 années d’études à temps plein donnaient droit au demandeur à 22 points pour les études.

L’emploi réservé

[14]           L’agent a conclu que le demandeur ne serait pas en mesure d’effectuer les tâches décrites dans l’offre. Selon lui, la description de travail exigeait que le titulaire sache parler et écrire en anglais et qu’il communique avec le ministère provincial de l’Éducation afin de vérifier que l’école satisfaisait aux normes du ministère. L’agent a souligné que l’employeur l’avait assuré que le demandeur serait capable de communiquer avec les parents et les membres du personnel, même s’il ne possédait pas de compétences solides en anglais. Il a toutefois estimé qu’à cause de sa faible connaissance de l’anglais le demandeur ne remplissait pas les exigences de l’offre et ne serait pas en mesure d’effectuer les tâches exigées. En conséquence, il n’a attribué aucun point pour l’emploi réservé.


LES DISPOSITIONS PERTINENTES

[15]           La disposition suivante de la Loi s’applique en l’espèce :

12. (2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

12. (2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

 

[16]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent également en l’espèce :

76. (1) Les critères ci-après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son

établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

 

 

 

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

 

 

(i) les études, aux termes de l’article 78,

 

[…]

 

(v) l’exercice d’un emploi réservé, aux termes de l’article 82,

 

(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83;

 

b) le travailleur qualifié :

 

(i) soit dispose de fonds transférables — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières — d’un montant légal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille,

 

 

(ii) soit s’est vu attribuer le nombre de points prévu au paragraphe 82(2) pour un emploi réservé au Canada au sens du paragraphe 82(1).

 

 

(3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

 

 

 

 

 

[…]

 

78. (2) Un maximum de 25 points d’appréciation sont attribués pour les études du travailleur qualifié selon la grille suivante :

 

e) 22 points, si, selon le cas:

 

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant trois années d’études et a accumulé un total de quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

 

(ii) il a obtenu au moins deux diplômes universitaires de premier cycle et a accumulé un total d’au moins quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

 

f) 25 points, s’il a obtenu un diplôme universitaire de deuxième ou de troisième cycle et a accumulé un total d’au moins dix-sept années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein.

 

(3) Pour l’application du paragraphe (2), les points sont accumulés de la façon suivante :

 

a) ils ne peuvent être additionnés les uns aux autres du fait que le travailleur qualifié possède plus d’un diplôme;

 

b) ils sont attribués :

 

(i) pour l’application des alinéas (2)a) à d), du sous‑alinéa (2)e)(i) et de l’alinéa (2)f), en fonction du diplôme qui procure le plus de points selon la grille,

 

 

(ii) pour l’application du sous‑alinéa (2)e)(ii), en fonction de l’ensemble des diplômes visés à ce sous-alinéa.

 

 

[…]

 

78 (4) Pour l’application du paragraphe (2), si le travailleur qualifié est titulaire d’un diplôme visé à l’un des alinéas (2)b), des sous-alinéas (2)c)(i) et (ii), (2)d)(i) et (ii) et (2)e)(i) et (ii) ou à l’alinéa (2)f) mais n’a pas accumulé le nombre d’années d’études à temps plein ou l’équivalent temps plein prévu à l’un de ces alinéas ou sous-alinéas, il obtient le nombre de points correspondant au nombre d’années d’études à temps plein complètes — ou leur équivalent temps plein — mentionné dans ces dispositions.

 

[…]

 

82. (2) Dix points sont attribués au travailleur qualifié pour un emploi réservé appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions, s’il est en mesure d’exercer les fonctions de l’emploi et s’il est vraisemblable qu’il acceptera de les exercer […]

76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in

Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:

 

(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required

points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,

 

(i) education, in accordance with section 78,

 

 

(v) arranged employment, in accordance with section 82, and

 

(vi) adaptability, in accordance with section 83; and

 

(b) the skilled worker must

 

(i) have in the form of transferable and available funds, unencumbered by debts or other obligations, an amount

equal to half the minimum necessary income applicable in respect of the group of persons consisting of the skilled worker and their family members, or

 

(ii) be awarded the number of points referred to in subsection 82(2) for arranged  employment in Canada within the meaning of subsection 82(1).

 

(3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection

(2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

 

 

78. (2) A maximum of 25 points shall be awarded for a skilled worker’s education as follows:

 

 

(e) 22 points for

 

(i) a three-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 15 years of completed fulltime or full-time equivalent studies, or

 

 

(ii) two or more university educational credentials at the bachelor’s level and a total of at least 15 years of completed full-time or full-time equivalent studies; and

 

 

(f) 25 points for a university educational credential at the master’s or doctoral level and a total of at least 17 years of completed full-time or full-time equivalent studies.

 

 

 

(3) For the purposes of subsection (2), points

 

 

 

(a) shall not be awarded cumulatively on the basis of more than one single educational credential; and

 

 

(b) shall be awarded

 

(i) for the purposes of paragraphs (2)(a) to (d), subparagraph (2)(e)(i) and paragraph (2)(f), on the basis of the single educational credential that results in the highest number of points, and

 

(ii) for the purposes of subparagraph (2)(e)(ii), on the basis of the combined educational credentials referred to in that paragraph.

 

 

 

78 (4) For the purposes of subsection (2), if a skilled worker has an educational credential referred to in paragraph (2)(b), subparagraph (2)(c)(i) or (ii), (d)(i) or (ii) or (e)(i) or (ii) or paragraph (2)(f), but not the total number of years of full-time or fulltime equivalent studies required by that paragraph or subparagraph, the skilled worker shall be awarded the same number of points as the number of years of completed full-time or full-time equivalent studies set out in the paragraph or subparagraph.

 

 

 

82. (2) Ten points shall be awarded to a skilled worker for arranged employment in

Canada in an occupation that is listed in Skill Type 0 Management Occupations or

Skill Level A or B of the National Occupational

Classification matrix if they are able to perform and are likely to accept and carry out the employment […]

 

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[17]           Le demandeur soulève formellement les questions suivantes :

a.                  L’agent a-t-il commis une erreur en n’accordant aucun point pour l’emploi réservé?

b.                  L’agent a-t-il commis une erreur en accordant seulement 22 points pour les études?

c.                   L’agent a-t-il commis une erreur en n’envisageant pas de substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi conformément au paragraphe 76(3) du Règlement?

 

[18]           Le demandeur soulève aussi la question suivante dans ses observations écrites :

d.         L’agent a-t-il porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de dissiper ses doutes concernant la capacité de ce dernier d’effectuer les tâches liées à l’emploi?

LA NORME DE CONTRÔLE

[19]           La Cour suprême du Canada a statué dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, que l’analyse relative à la norme de contrôle n’a pas à être menée dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie a été bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut tout simplement appliquer cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs faisant partie de l’analyse relative à la norme de contrôle.

[20]           Dans Kniazeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268, le juge Yves de Montigny a statué que l’appréciation d’une personne qui demande la résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit faire preuve d’une grande retenue. De plus, dans Persaud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 206, le juge John O’Keefe a affirmé que la norme de contrôle qui s’applique à une décision relative à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est celle de la raisonnabilité. Voir aussi Tong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 165. La norme de contrôle applicable aux deux premières questions en litige en l’espèce est donc celle de la raisonnabilité.

[21]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[22]           Le demandeur conteste le fait que l’agent n’a pas envisagé de substituer sa propre appréciation aux critères de sélection prévus par la loi comme le paragraphe 76(3) du Règlement lui permettait de le faire. Dans Fernandes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 243, le juge Barry Strayer a dit ce qui suit à ce sujet, au paragraphe 8 :

Ce que la demanderesse fait valoir en l’espèce, c’est le défaut de l’agente de prendre en considération la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire devait ou non être exercé, et non pas l’exercice inapproprié de ce pouvoir. Bien que le défaut d’exercer le pouvoir discrétionnaire ait souvent été considéré comme étant un manquement aux principes de l’équité procédurale (voir, par exemple, Nayyar, [[2007] A.C.F. no 342], paragraphe 8), cela me semble mettre en cause une question de droit – celle de savoir si l’agent des visas concerné a bien respecté chacun des éléments prescrits par la loi. Or, dans l’un et l’autre cas, la norme de contrôle appropriée, et que j’appliquerai à la question en litige, est celle de la décision correcte.

 

 

[23]           Dans Miranda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 424, le juge David Near s’est appuyé sur Fernandes et a statué, au paragraphe 9, que la norme de contrôle qui s’applique à l’étude, par un agent, d’une demande visant à substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi conformément au paragraphe 76(3) de la Loi est celle de la décision correcte. Lorsqu’un demandeur présente une telle demande, l’agent doit l’examiner. Je suis convaincu que la norme de contrôle applicable à la troisième question en litige en l’espèce est celle de la décision correcte.

[24]           La possibilité de répondre relève également de l’équité procédurale. Dans Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a statué que la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. Dans Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, la Cour d’appel fédérale a dit au paragraphe 53 que « [l]a question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ». La norme de contrôle applicable à la quatrième question en litige est donc celle de la décision correcte. 

[25]           La Cour suprême du Canada a aussi statué au paragraphe 50 de Dunsmuir, précité :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

LES THÈSES DES PARTIES

[26]           Le demandeur et le défendeur conviennent que l’agent a commis une erreur en calculant le nombre de points d’appréciation attribués au demandeur et qu’il a en fait attribué 65 points.

 

La thèse du demandeur

La décision de l’agent de n’accorder aucun point pour l’emploi réservé était déraisonnable

 

[27]           La décision de l’agent de n’accorder aucun point pour l’emploi réservé était déraisonnable parce qu’elle a été prise sans que l’agent tienne compte de la preuve dont il disposait et que le demandeur n’a pas eu droit à l’équité procédurale.

 

L’agent n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve

 

[28]           L’agent n’a pas tenu compte du fait que l’employeur a confirmé au téléphone que le demandeur serait en mesure de faire le travail même si ses notes relatives à l’IELTS étaient faibles. Le demandeur affirme que son cas est analogue à Choi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 577 (Choi), où le juge Michael Kelen a statué que l’agent chargé de l’appréciation avait commis une erreur en ne tenant pas compte d’une lettre de l’employeur dans laquelle ce dernier indiquait qu’il n’avait aucun doute quant à la capacité de la demanderesse de satisfaire aux exigences du poste qui lui était offert. Le demandeur dit que son cas est identique à Choi et que la décision rendue à son égard devrait donc être la même que dans cette affaire.

 

Le demandeur n’a pas eu droit à l’équité procédurale

 

[29]           Le demandeur affirme également que, selon Choi, précitée, l’agent ne lui a pas donné la possibilité de dissiper ses doutes en ne lui envoyant pas une lettre dans laquelle il expliquait en détail ses réserves concernant la compétence linguistique du demandeur. Le demandeur souligne que le guide OP 6 de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), intitulé Travailleurs qualifiés (fédéral), indique, à la section 12.15 : « Si l’agent a des doutes quant aux aptitudes du demandeur ou à sa volonté d’accepter et d’occuper l’emploi, il communique ces doutes au demandeur et lui donne la possibilité de les dissiper. » Il fait valoir que, bien que le guide n’ait pas force de loi, l’agent aurait dû lui écrire et lui donner la possibilité de dissiper ses doutes.

 

La décision de l’agent d’attribuer 22 points pour les études était déraisonnable

 

[30]           Le demandeur soutient en outre que la décision de l’agent de lui attribuer 22 points pour les études était déraisonnable parce qu’elle n’était pas fondée sur la preuve dont il disposait. Le demandeur fait valoir que son formulaire IMM0008 indique clairement qu’il est titulaire d’une maîtrise et qu’il a accumulé au moins 17 années d’études à temps plein. Il dit que ses études primaires et secondaires ont duré dix ans, ses études menant au diplôme de génie civil, trois ans, celles menant au B.A.A., trois ans et celles menant à sa M.B.A., un an, ce qui fait un total de 17 ans. L’agent ayant reconnu que le demandeur était titulaire d’une maîtrise, il aurait dû lui attribuer 25 points conformément à l’alinéa 78(2)f) du Règlement. Si l’on ajoute ces trois points additionnels aux 22 attribués par l’agent, le demandeur aurait droit à 68 points, ce qui est supérieur au nombre de points requis pour obtenir un visa de résident permanent.

 

L’agent a omis de manière déraisonnable d’envisager de substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi conformément aux paragraphes 76(3) et (4) du Règlement

 

 

[31]           Enfin, le demandeur soutient que, compte tenu de la preuve dont il disposait, l’agent a commis une erreur en ne substituant pas son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi conformément aux paragraphes 76(3) et (4) du Règlement. Il affirme que, selon Choi (précitée), les fonds d’établissement peuvent être pris en compte, en plus des critères de sélection mentionnés à l’alinéa 76(1)a) du Règlement, lorsqu’un agent procède à sa propre appréciation. Il affirme qu’il dispose de 200 000 $ pour son établissement au Canada. L’offre qu’il a reçue, ces fonds d’établissement de 200 000 $, la présence de son frère au Canada et l’obtention de 68 points indiquent qu’il était justifié que l’agent procède à sa propre appréciation. Il était impossible de ne pas conclure qu’une personne possédant toutes ces caractéristiques serait en mesure de réussir son établissement économique au Canada. Le demandeur affirme que son cas fait partie de ceux décrits dans Silva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 733 : « les faits d’une affaire sont très particuliers ou […] le demandeur a presque atteint les 70 points d’appréciation [requis] ».  

 

[32]           Le demandeur rappelle également que le juge Yvon Pinard a statué ce qui suit dans Lackhee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1270, au paragraphe 20 :

L’omission de l’agente de faire mention dans sa décision ou ses notes de la disponibilité par le demandeur d’actifs importants constitue une erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour.

 

 

Le demandeur dit qu’il a produit une preuve démontrant qu’il disposait d’une somme de 200 000 $ pour s’établir au Canada. L’agent a eu tort de ne pas en tenir compte.

 

La thèse du défendeur

            La décision d’attribuer 22 points pour les études était raisonnable

 

[33]           Le défendeur soutient que l’agent a agi de manière raisonnable en attribuant 22 points pour les études et que cette décision était fondée sur la preuve dont il disposait. L’annexe 1 du formulaire IMM0008, intitulée « Antécédents/Déclaration », indique que le demandeur a accumulé seulement 16 années d’études à temps plein, soit moins que le nombre d’années exigé par l’alinéa 78(2)f) pour que 25 points soient attribués.

La décision de n’attribuer aucun point pour l’emploi réservé était raisonnable

 

[34]           Le défendeur soutient que la décision de l’agent de n’attribuer aucun point pour l’emploi réservé était raisonnable parce qu’il avait l’obligation de vérifier si le demandeur pourrait effectuer les tâches décrites dans l’offre et qu’il a raisonnablement conclu qu’il ne le pourrait pas. S’appuyant sur Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, au paragraphe 21, le défendeur soutient qu’un AER ne libère pas un agent de son obligation de déterminer si un demandeur est en mesure d’effectuer le travail décrit dans l’AER. Il ressort clairement des notes du STIDI que l’agent a pris en considération l’information fournie par l’employeur, même s’il a finalement décidé que cette information n’était pas suffisante pour dissiper ses doutes. L’agent pouvait accorder peu de poids à la preuve de l’employeur. Il n’appartient pas à la Cour de remettre en question le poids accordé à chaque élément de preuve, en autant que les conclusions de l’agent étaient logiquement fondées sur les éléments dont il disposait.

 

[35]           Le défendeur affirme également que l’agent a considéré que la description de travail obligeait notamment le demandeur à communiquer avec la province afin de vérifier que l’école satisfaisait aux normes applicables. Le demandeur ne serait pas en mesure de s’acquitter de cette tâche parce qu’il n’avait pas une bonne connaissance de l’anglais, comme le montrent les faibles notes qu’il a obtenues à l’IELTS. Cette conclusion était raisonnable et fondée sur les faits dont l’agent disposait.

 

La décision de l’agent de ne pas procéder à sa propre appréciation était raisonnable

 

 

[36]           Enfin, le défendeur soutient que la décision de l’agent de ne pas procéder à sa propre appréciation était raisonnable car l’agent n’avait pas l’obligation de le faire selon les paragraphes 76(3) et (4) puisque le demandeur ne le lui avait pas expressément demandé. Le défendeur s’appuie à cet égard sur Miranda, précitée, et sur Eslamieh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 722. Il fait une distinction avec Choi (précitée) parce que, dans cette affaire, la demanderesse avait demandé que l’agent procède à sa propre appréciation alors que, en l’espèce, le demandeur n’a pas présenté une telle demande.

 

[37]           Le défendeur affirme également que la Cour a statué, dans Xu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 418, et dans Tokuda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 483, que seuls les facteurs énumérés à l’alinéa 76(1)a) du Règlement peuvent être pris en compte par l’agent qui décide de substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi conformément au paragraphe 76(3). Ces décisions excluent expressément de l’appréciation fondée sur le paragraphe 76(3) le montant des fonds d’établissement détenus par un demandeur. L’agent ne pouvait donc pas, dans le cadre de son appréciation, tenir compte des fonds d’établissement de 200 000 $ dont disposait le demandeur.

 

L’ANALYSE

 

L’agent a-t-il commis une erreur en accordant 22 points, au lieu de 25, pour les études?

 

 

[38]           À mon avis, la première question relative au nombre de points qu’il aurait fallu attribuer pour les études est déterminante en l’espèce. L’agent a considéré que le demandeur était titulaire d’une maîtrise, mais qu’il n’avait accumulé que 16 années d’études à temps plein, de sorte qu’il n’avait droit qu’à 22 points.

 

[39]           Le demandeur soutient qu’il a accumulé 17 années d’études à temps plein, en plus d’une maîtrise, ce qui lui donnait droit à 25 points.

 

[40]           Ce qui est important en l’espèce, c’est l’annexe 1 (Antécédents/Déclaration), où le demandeur décrit ses études. Ce document se trouve à la page 188 du dossier certifié du tribunal.

 

[41]           Malheureusement, cette page crée une certaine confusion. Le demandeur prétend qu’il a accumulé dix années d’études primaires, trois années d’études secondaires et cinq années d’études universitaires ou collégiales. Si c’était le cas, il aurait accumulé 18 années d’études à temps plein.

 

[42]           Le premier problème vient du fait qu’il n’est pas possible de savoir, à la lecture de la décision (y compris les notes du STIDI), de quelle manière l’agent a calculé le nombre d’années d’études à temps plein, comme l’avocate du défendeur l’a d’ailleurs reconnu dans le cadre du présent contrôle judiciaire. L’avocate a expliqué son propre calcul à la Cour. Elle est arrivée à un nombre inférieur aux 16 années utilisées par l’agent. L’avocate du demandeur a également expliqué comment elle avait calculé le nombre d’années d’études à temps plein pour en arriver à 17.

 

[43]           Or, ce qui est important, c’est que personne ne sait comment l’agent a calculé le nombre d’années d’études à temps plein (ce qu’a reconnu le défendeur), de sorte qu’il n’est vraiment pas possible de comprendre cet aspect de la décision ou de déterminer s’il est raisonnable. Par conséquent, l’équité procédurale est en cause. Dans une situation de ce genre, il n’est pas nécessaire que l’agent donne des motifs détaillés, mais il faut connaître le fondement du calcul. Je pense qu’il serait injuste, si l’avocate du défendeur ne peut expliquer le fondement du calcul de l’agent, d’attendre du demandeur qu’il soit capable de le faire. En d’autres termes, les motifs sont totalement insuffisants vu l’absence d’explications relatives au calcul. Voir Jogiat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 815, aux paragraphes 36 à 44, Healey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 355, aux paragraphes 58 à 60, et bin Abdullah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1185.

 

[44]           Le fait que l’agent a dit au demandeur qu’il lui avait attribué un total de 64 points aggrave le problème. En fait, lorsqu’on additionne les points attribués pour chaque facteur, on arrive à 65 points. L’agent a peut‑être commis une simple erreur de calcul, mais la Cour pense plutôt qu’il a bâclé son travail. L’affaire doit donc être renvoyée afin de faire l’objet d’un nouvel examen.

 

[45]           Le demandeur a soulevé plusieurs autres questions, mais, à moins que les parties et la Cour puissent comprendre comment l’agent s’y est pris pour calculer les points attribués, je ne crois pas qu’il soit utile de les examiner.

 

[46]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que la présente affaire doit être renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen.

 

[47]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour partage leur avis.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-994-11

 

INTITULÉ :                                       MD GOLAM AZAM KHAN c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Chayanika Dutta                                                                       POUR LE DEMANDEUR

 

Nimanthika Kaneira                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Chayanika Dutta                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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