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Date : 20111121


Dossier : IMM-103-11

Référence : 2011 CF 1334

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

 

MARCO ANTONIO MONTESINOS HIDALGO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR), datée du 20 septembre 2010, qui a rejeté sa demande d’ERAR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’agent d’ERAR a manqué à l’équité procédurale envers le demandeur. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               Le demandeur est un Mexicain âgé de 31 ans. Il a étudié le droit et, en 2003, il a fait l’acquisition d’un club vidéo à Tapachula, au Chiapas. En décembre 2006, il a été approché par des membres du gang Mara 18, qui voulaient se servir de son magasin pour vendre de la drogue. Il a refusé. Il a ensuite été tabassé dans son magasin en janvier 2007. Il a signalé l’incident à la police.

 

[4]               Voulant savoir, en mars 2007, où en était l’enquête, le demandeur a pressenti que l’un des policiers auxquels il avait signalé l’incident était de connivence avec le gang. Il a ensuite été encore une fois tabassé. Il s’est rendu à l’hôpital et, alors qu’il récupérait, son magasin a été la proie des flammes.

 

[5]               Le demandeur est donc parti s’installer à Tuxtla Guetierrez, au Chiapas, où il a déposé une autre plainte. Il a appris que le policier qu’il soupçonnait de complicité serait l’objet d’une enquête. En septembre 2007, il a reçu un appel téléphonique au cours duquel on lui a dit que, s’il s’avisait de donner des noms durant l’enquête, il serait éliminé. Le demandeur est arrivé au Canada en novembre 2007 et a présenté une demande d’asile.

 

[6]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Les aspects déterminants de sa décision concernaient la crédibilité du demandeur et l’existence d’une protection de l’État. Sur l’avis de son nouveau conseil, le demandeur a voulu produire une preuve documentaire additionnelle à l’issue de l’audience. On lui a refusé cette possibilité. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SPR a été rejetée.

 

[7]               Le demandeur a présenté, en août 2009, une demande d’ERAR. Cette demande a été rejetée en octobre 2009. L’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de ce rejet lui a été accordée, mais le demandeur a retiré sa demande de contrôle judiciaire après que le ministre eut accepté que l’affaire soit réexaminée par un autre agent. Après réexamen, l’autre agent a conclu à nouveau que le demandeur ne risquait pas véritablement d’être persécuté et qu’il n’y avait aucune raison de croire qu’il serait exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[8]               L’agent n’a pas été convaincu que la preuve additionnelle produite par le demandeur modifiait les faits matériels de sa demande d’asile ou qu’elle infirmait la conclusion de la SPR sur l’existence d’une protection de l’État. Appliquant l’alinéa 113a) de la LIPR, il a conclu qu’aucun poids ne devrait être accordé à la preuve produite par le demandeur, car cette preuve lui était accessible avant qu’il ne soit entendu par la SPR.

 

[9]               Le demandeur a aussi produit une preuve documentaire additionnelle portant sur la situation qui avait cours au Mexique. L’agent a estimé que, bien que la situation au Mexique ne soit pas idéale, évoquant en cela les cartels de la drogue et la violence des gangs, le demandeur n’avait pas prouvé qu’il était exposé dans ce pays à un risque personnel. L’agent a conclu que le demandeur n’avait donc pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[10]           Les questions soulevées dans la présente demande sont de savoir si l’agent aurait dû envisager la tenue d’une audience comme le souhaitait le demandeur, et s’il aurait dû tenir une telle audience.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[11]           La Cour fédérale est habilitée à intervenir lorsqu’un tribunal administratif a enfreint un principe de justice naturelle, a manqué à l’équité procédurale ou s’est soustraite à une autre procédure qu’elle était légalement tenue d’observer : alinéa 118.1(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, c F-7. La norme de contrôle qui doit être appliquée pour cette disposition est la décision correcte : Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Sivabalasuntharampillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 975, au paragraphe 19. Comme on peut le lire aussi dans l’arrêt Khosa, au paragraphe 43, la Cour peut refuser d’intervenir si le vice de forme est purement technique et n’entraîne aucun préjudice important ni déni de justice.

 

ANALYSE

 

[12]           Le demandeur affirme avoir sollicité la tenue d’une audience en application de l’alinéa 113b) de la LIPR pour le cas où l’agent douterait de sa crédibilité. Il prétend que l’équité procédurale lui a été refusée, parce que l’agent s’est abstenu non seulement de tenir une audience, mais aussi de motiver sa décision selon laquelle une audience n’était pas nécessaire.

 

[13]           L’alinéa 113b) de la LIPR dispose que, pour l’examen d’une demande de protection, une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis, compte tenu des facteurs réglementaires.

 

[14]           L’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) expose ainsi les facteurs réglementaires :

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

[15]           Les critères de l’article 167 sont cumulatifs : Tran c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2010 CF 175; Ventura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 871; Matano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1290.

 

[16]           La Cour a interprété les critères ci-dessus ainsi : il faut d’abord que la crédibilité du demandeur soit mise en doute, et il faut ensuite que cette conclusion sur la crédibilité du demandeur soit un facteur déterminant dans l’issue de l’affaire. Comme l’écrivait la juge Bédard, dans la décision Matute Andrade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1074, au paragraphe 31, la Cour doit aller « au-delà des termes » pour savoir si la crédibilité était véritablement en cause.

 

[17]           Ici, le demandeur affirme que la question de l’existence d’une protection de l’État se confondait avec la question de sa crédibilité. Si son récit avait été jugé sincère, alors l’agent aurait sans doute conclu différemment sur la question de la protection de l’État. Le demandeur avait donc le droit d’être entendu et le droit de pouvoir persuader l’agent d’admettre la preuve susceptible de confirmer son récit.

 

[18]           Le défendeur fait valoir que l’agent d’ERAR a validement rejeté la preuve nouvelle, conformément à l’alinéa 113a) de la LIPR et à la jurisprudence : Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385. Il n’y avait dès lors plus lieu de considérer la question de la crédibilité.

 

[19]           Je conviens avec le défendeur que la tenue d’une audience n’aurait sans doute finalement présenté aucun intérêt, puisque la raison pour laquelle le demandeur sollicitait une audience était de persuader l’agent d’accepter sa preuve nouvelle. Sur ce point, la conclusion de l’agent selon laquelle la preuve nouvelle n’était pas recevable aurait fort bien pu, comme le prétend le défendeur, mettre un point final à l’affaire. Cependant, ce raisonnement n’apparaît pas dans la décision de l’agent.

 

[20]           À mon avis, les motivations de l’agent peuvent donner à penser qu’il ne croyait pas le demandeur, et, dans ce cas, la crédibilité du demandeur était en cause. Dans ces conditions, selon la jurisprudence dominante de la Cour, l’agent doit expliquer pourquoi il refuse de tenir une audience. Voir Zemo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 800, au paragraphe 18; Zokai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103, au paragraphe 12; Rana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 36, au paragraphe 40.

 

[21]           En l’espèce, sur le formulaire utilisé pour structurer les décisions d’ERAR, l’agent a coché la case [traduction] « non » sous la rubrique [traduction] « audience », sans expliquer pourquoi une audience n’était pas nécessaire. Hormis la case ainsi cochée, on n’a pas l’impression que l’agent a réfléchi à la question. À mon avis, ce ne sont pas là des motivations suffisantes.

 

[22]           Puisque l’agent n’a pas expliqué pourquoi une audience n’était pas nécessaire, la Cour est dans l’impossibilité de dire si son refus de tenir l’audience demandée était raisonnable ou non. L’argument du défendeur pour qui ce refus découlait inévitablement de la décision d’exclure la preuve nouvelle est peut-être juste, mais il ne comble pas le vide qui apparaît dans les motifs de l’agent.

 

[23]           J’arrive donc à la conclusion que, en ne motivant pas sa décision de ne pas tenir une audience, l’agent a manqué à l’équité procédurale, et je renverrai l’affaire pour nouvel examen.

 

[24]           Aucune question susceptible d’être certifiée n’a été proposée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent d’examen des risques avant renvoi, pour nouvelle décision, conformément aux présents motifs.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-103-11

 

INTITULÉ :                                       MARCO ANTONIO MONTESINOS HIDALGO

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 1er septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Bossin

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Abigail Martinez

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Bossin

Services juridiques communautaires d’Ottawa

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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