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 Date : 20111125


Dossier : IMM-920-11

Référence : 2011 CF 1361

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

KEMALETTIN KAHYAOGLU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Kahyaoglu est un citoyen de la Turquie. Il a demandé l’asile au Canada parce qu’il craignait d’être persécuté et de subir des préjudices aux mains d’un groupe criminel turc connu sous le nom de « mafia ». Il avait contracté une dette envers ce groupe et il ne pouvait pas la rembourser. Lorsqu’il s’est fait attaquer par ces criminels, la police en Turquie est intervenue et a arrêté ses agresseurs. M. Kahyaoglu a décidé de ne pas témoigner et de signaler un deuxième incident.

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accepté le récit de M. Kahyaoglu, mais elle a conclu que M. Kahyaoglu n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État : Canada (Procureur) c Ward, [1993] 2 RCS 689.

 

[3]               M. Kahyaoglu a déposé la présente demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La seule question en litige est de savoir si la Commission a commis une erreur dans sa conclusion relative à la protection de l’État.

 

[4]               Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit. Il a été établi dans la jurisprudence que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité : Flores Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, paragraphes 8 à 10; Cobian Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503, paragraphe 21; Morales Lozada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 397, paragraphe 17; Holmik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 581, paragraphe 9, et Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, paragraphe 38).

 

[5]               La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la charge de la preuve, la norme de preuve et la qualité de la preuve nécessaire pour réfuter la présomption dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94 (Carrillo). Le demandeur supporte à la fois une charge de présentation et une charge de persuasion; il doit produire des éléments de preuve quant à l’insuffisance de la protection de l’État et convaincre le juge des faits que les éléments de preuve ainsi produits établissent l’insuffisance de la protection de l’État selon la prépondérance de la preuve. La preuve doit être pertinente, digne de foi et convaincante.

 

[6]               Les parties ne s’entendent pas quant à savoir si le demandeur respecte les exigences établies dans l’arrêt Carrillo. Il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de déterminer si ces exigences ont été respectées. Le rôle de la Cour est d’établir si la décision de la Commission était raisonnable.

 

[7]               Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour doit tenir compte de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, et se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, paragraphe 59.

 

[8]               Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en n’accordant pas suffisamment de poids à son témoignage crédible donné de vive voix.

 

[9]               Le défendeur soutient – et je suis d’accord – que la Commission a tenu compte du témoignage du demandeur, des documents présentés par le demandeur et du cartable de documents de la Commission concernant la situation en Turquie.

 

[10]           Je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que la Commission a privilégié la preuve documentaire plutôt que son témoignage. La Commission a raisonnablement conclu, sur le fondement de la preuve et selon la prépondérance de la preuve, que le demandeur pourrait bénéficier de la présomption de l’État dans son pays d’origine. La décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

[11]           La Commission n’a pas omis de tenir compte de la crainte du demandeur envers la mafia. La Commission a reconnu la crainte du demandeur et le fait qu’il existe des problèmes de corruption en Turquie. Il était loisible à la Commission de conclure que les mesures prises par le demandeur pour obtenir la protection n’étaient pas suffisantes; la Commission a noté que la police était effectivement intervenue, avait arrêté les agresseurs et lui était venue en aide de nouveau lorsqu’il avait été renversé par une automobile (voir Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 134, paragraphes 9 et 10).

 

[12]           Le demandeur a choisi de ne pas tirer avantage de la protection qui lui aurait été offerte s’il avait témoigné dans le cadre d’une instance judiciaire à l’issue de laquelle ses agresseurs auraient pu être jetés en prison. Vu la preuve, il était raisonnable pour la Commission de conclure que la Turquie est un État démocratique qui prend des mesures pour lutter contre le crime et la corruption sur son territoire. Comme il a été établi au paragraphe 57 de l’arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, le demandeur originaire d’un pays démocratique :

[...] de prouver qu’il a épuisé tous les recours dont il pouvait disposer et celui­ci ne sera exempté de son obligation de solliciter la protection de son pays qu’en certaines circonstances exceptionnelles [...].

 

[13]           Bien que la crainte subjective puisse constituer une « circonstance exceptionnelle » (Flores Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, paragraphe 16), le demandeur n’a pas établi qu’il avait des motifs de croire que la police ne le protégerait pas. La situation en l’espèce est différente de l’affaire Enriquez Palacios c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 363, dans laquelle la police avait donné au demandeur une raison de la craindre. Dans la présente affaire, il n’y avait aucune preuve en ce sens.

 

[14]           Je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il affirme que la Commission ne peut pas rejeter le témoignage crédible d’un demandeur quant à la situation dans le pays simplement parce qu’aucun document ne corrobore son témoignage : Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 705 (CFPI), paragraphe 46. Cependant, bien que la Commission doive tenir compte de l’ensemble de la preuve dont elle est saisie, elle a le droit de déterminer le poids devant être accordé à la preuve : Velinova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 268, paragraphe 21, et Cosgun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, paragraphe 54.

 

[15]           En l’espèce, la Commission a accepté le témoignage du demandeur. Cependant, ce témoignage n’était pas suffisant pour réfuter la présomption. La Commission a correctement expliqué pourquoi en se fondant sur l’arrêt Okyere­Akosah c Canada (Ministre de la l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 411 (CAF), paragraphe 5.

 

[16]           Le demandeur n’a pas fourni une confirmation claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer sa protection. La Commission a tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve pertinents, y compris le témoignage du demandeur. Sa conclusion selon laquelle l’État aurait pu protéger le demandeur était raisonnable, et la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en tirant cette conclusion.

 

[17]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-920-11

 

INTITULÉ :                                      KEMALETTIN KAHYAOGLU

 

                                                            et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 31 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 25 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nicole Goulet

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Andrew Gibbs

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

NICOLE GOULET

Avocate

Gatineau (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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