Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20111129


Dossier : IMM-6916-10

Référence : 2011 CF 1379

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

 

KAMALA DEVI SELLAPPHA

NALINI SELLAPPHA

GEETHAVENGAYAN SELLAPPHA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

   MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue par le gestionnaire du programme d’immigration (GPI) au haut-commissariat du Canada à Colombo, au Sri Lanka (la décision). La lettre de refus est datée du 15 juin 2010, mais les notes du STIDI indiquent que le GPI a pris sa décision le 11 juin 2010. La lettre de refus et les notes du STIDI font partie de la décision. Le GPI a rejeté les demandes de visa de résident permanent parce que les demandeurs n’avaient pas réussi à montrer, comme l’exige l’article 11 de la Loi, qu’ils n’étaient pas interdits de territoire et parce qu’ils étaient membres d’une organisation terroriste aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

CONTEXTE

[2]               La demanderesse principale, Kamala Devi Sellappha, est citoyenne du Sri Lanka. Les demandeurs mineurs sont sa fille, Nalini Sellappha (Nalini), et son fils, Geethavengayan Sellappha (Geethavengayan). Les demandeurs étaient parrainés par Kavetha Sellappha (Kavetha), une autre fille de la demanderesse principale, résidente permanente du Canada. Kavetha est arrivée au Canada en mai 1999; elle a obtenu le statut de réfugiée puis, en septembre 2000, le statut de résidente permanente. Nalini et Geethavengayan étaient des enfants à charge de la demanderesse principale au moment où celle‑ci a fait sa demande.

[3]               Le défendeur a reçu la demande de résidence permanente le 22 juillet 2003. La demande a fait l’objet d’un examen initial sur dossier le 11 août 2003, puis elle a été examinée encore le 22 août 2003. Cette journée‑là, le défendeur a demandé les certificats de naissance de Nalini et de Geethavengayan ainsi que le certificat de décès du mari de la demanderesse principale, Ponnampalam. Le défendeur a vérifié les deux certificats de naissance le 7 octobre 2003.

[4]               Le défendeur a reçu les bilans médicaux positifs des demandeurs le 3 novembre 2003 et a entrepris de valider le certificat de décès de Ponnampalam le 2 février 2004. Le certificat a été déclaré authentique le 29 juin 2004. Un agent a examiné le dossier le 17 janvier 2005; le Sri Lanka venait d’être frappé par un tsunami. Le conseiller juridique des demandeurs a demandé un compte rendu de l’état d’avancement du dossier le 29 décembre 2005 et envoyé une autre lettre le 12 janvier 2006. En janvier 2006 également, le défendeur a demandé les coordonnées à jour des demandeurs. Le 21 février 2006, le défendeur a aussi voulu savoir si les demandeurs avaient été touchés par le tsunami.

[5]               Après avoir échangé des lettres avec le conseiller des demandeurs, un agent, désigné par les initiales PK dans les notes du STIDI, a déterminé que les demandeurs ne faisaient pas partie d’une catégorie de personnes qui seraient gravement et définitivement touchées par le tsunami et qu’ils seraient donc traités comme des demandeurs ordinaires de la catégorie du regroupement familial.

[6]               Le défendeur a convoqué les trois demandeurs à une entrevue le 19 juillet 2007 dans le but d’obtenir des renseignements qui lui permettraient de déterminer si les demandeurs étaient admissibles au Canada. Ayant été avisé que les demandeurs ne seraient pas en mesure de se présenter à la date fixée, le défendeur a reporté l’entrevue au 27 septembre 2007.

[7]               La demanderesse principale et son fils, Geethavengayan, se sont présentés à l’entrevue du 27 septembre 2007 (l’entrevue de 2007). L’entrevue a été menée par Robert Stevenson (Stevenson), agent des visas à Colombo. Nalini n’était pas là; d’ailleurs, elle n’avait participé à aucune entrevue au moment où la lettre de refus a été envoyée. À l’entrevue de 2007, la demanderesse principale et Geethavengayan ont répondu à des questions sur les liens qu’ils avaient avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) et sur le soutien qu’ils accordaient à l’organisation. D’après leurs réponses, Stevenson a estimé qu’ils pourraient être frappés d’une interdiction de territoire. En raison de cette possible interdiction de territoire, le défendeur a demandé, le 27 décembre 2007, que d’autres vérifications de leurs antécédents soient effectuées. Le 28 avril 2008, le défendeur a décidé que la demanderesse principale et Geethavengayan devaient passer une autre entrevue pour que leur admissibilité au Canada soit déterminée. Cette deuxième entrevue était fixée au 12 juin 2008, mais ni la demanderesse principale ni Geethavengayan ne se sont présentés. Ils ne se sont pas présentés non plus à une autre entrevue qui avait été fixée au 23 avril 2009, au haut‑commissariat à Colombo.

[8]               Le 28 janvier 2009, Geethavengayan a obtenu le statut de réfugié en France. Les demandeurs n’en ont pas avisé le défendeur à ce moment‑là.

[9]               Kavetha, la répondante des demandeurs, a écrit au défendeur le 28 avril 2009 par l’intermédiaire de son député, l’honorable John McCallum, pour demander qu’une entrevue avec Geethavengayan soit organisée dans un pays de l’Union européenne. Elle affirmait que son frère se trouvait au Danemark : il y avait obtenu un visa de travail et ne pouvait se présenter à une entrevue à Colombo. Elle n’a pas profité de cette occasion pour informer le défendeur que Geethavengayan avait obtenu le statut de réfugié en France.

[10]           En date du 27 avril 2009, Nalini était enfermée dans un camp pour personnes déplacées à Vavuniya, au Sri Lanka. Ce jour‑là, Kavetha a communiqué au défendeur l’adresse à laquelle envoyer une lettre pour obtenir que Nalini soit libérée du camp de manière à pouvoir se présenter à une entrevue. Le 18 mai 2009, la défaite militaire des TLET a mis fin aux hostilités entre les TLET et le gouvernement du Sri Lanka.

[11]           Le 16 juin 2009, ayant reçu une communication dans laquelle le député de Kavetha demandait où en était rendu le dossier, le défendeur a répondu que l’entrevue avec Geethavengayan pouvait être reportée au mois d’octobre 2009. Le défendeur a ajouté que, pour faciliter la participation de Nalini à l’entrevue, une lettre pourrait être envoyée au camp où elle était détenue, si Kavetha pouvait fournir l’adresse où envoyer une telle lettre.

[12]           Comme la demande était en cours depuis plus de six ans, le défendeur a écrit à Kavetha le 30 septembre 2009 pour l’informer que la demande ne pourrait rester pendante indéfiniment. Le défendeur lui a également dit qu’une décision serait prise dans les soixante jours si les documents nécessaires au traitement de la demande, dont les attestations de vérification policière et les copies des pages de passeport, n’étaient pas fournis. Par la même occasion, Kavetha a également appris que Geethavengayan devrait satisfaire à toutes les conditions prescrites et se soumettre à un contrôle, et qu’il ne pourrait se soustraire à ces exigences parce qu’il était inscrit comme enfant à charge dans la demande. Le défendeur n’ayant pas reçu de réponse à la lettre du 30 septembre 2009, une copie de cette lettre a aussi été envoyée, le 1er décembre 2009, à l’adresse de la demanderesse principale à Colombo qui figurait dans le dossier du défendeur.

[13]           Le conseiller juridique des demandeurs a écrit au défendeur le 19 avril 2010 pour lui dire que Geethavengayan ne pourrait se présenter à une entrevue à Colombo parce qu’il avait obtenu le statut de réfugié en France. Comme Geethavengayan croyait que sa vie était menacée au Sri Lanka, le conseiller juridique a demandé que l’entrevue, si elle était toujours nécessaire, soit organisée à l’ambassade du Canada en France. Toutefois, a‑t‑il ajouté, Kavetha souhaitait que Geethavengayan soit retiré du dossier. Le conseiller juridique a également informé le défendeur que la demanderesse principale et Nalini avaient demandé des certificats de police le 8 mars 2010, et que ces certificats lui seraient transmis dès leur réception.

[14]           Le 11 juin 2010, le GPI a reçu et examiné le dossier. D’après les renseignements figurant au dossier (les formulaires de demande remplis et les notes du STIDI sur l’entrevue de 2007 avec la demanderesse principale et Geethavengayan), le GPI a conclu que les membres de la famille ne pouvaient être admis au Canada parce qu’ils n’avaient pas réussi à prouver, aux termes de l’article 11 de la Loi, qu’ils n’étaient pas interdits de territoire au Canada. Le GPI a aussi conclu que les demandeurs étaient interdits de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’ils étaient membres d’un groupe impliqué dans des activités illicites. Une lettre de refus a été rédigée le 14 juin 2010 et envoyée le 16 juin 2010.

DÉCISION VISÉE PAR LE PRÉSENT CONTRÔLE

[15]           La décision visée par le présent contrôle comprend la lettre de refus dans laquelle le GPI a rejeté la demande et les notes du STIDI que les agents du défendeur ont rédigées au fil des sept années pendant lesquelles la demande suivait son cours. Dans la lettre qu’il a adressée aux demandeurs, le GPI écrit qu’après avoir examiné avec soin et minutie tous les aspects de la demande et les renseignements fournis à l’appui, il avait décidé que les demandeurs ne pouvaient obtenir de visa de résident permanent.

Non-respect de l’article 11

[16]           La lettre indique deux motifs de refus. D’abord, le GPI n’était pas convaincu, comme le veut le paragraphe 11(1) de la Loi, que les demandeurs n’étaient pas interdits de territoire au Canada. Estimant que les réponses données lors de l’entrevue de 2007 avec la demanderesse principale et Geethavengayan étaient contradictoires, le GPI a dit ne pas savoir où se trouvait la vérité. Il note aussi que, malgré plusieurs demandes faites en ce sens, Geethavengayan ne s’était pas présenté à une deuxième entrevue. Le GPI a donc conclu qu’il ne connaissait pas assez bien les antécédents des demandeurs et ne pouvait être convaincu qu’ils n’étaient pas interdits de territoire.

[17]           Selon les notes du STIDI sur l’entrevue de 2007, Stevenson a demandé à la demanderesse principale où elle vivait avant son mariage. Elle a répondu qu’elle vivait auparavant à Chavakachcheri et avait emménagé à Malavi après son mariage, et qu’elle y demeurait depuis 1971. Elle a en outre répondu par la négative à la question de savoir si elle avait vécu ailleurs pendant son mariage. D’après les notes du STIDI, Stevenson a présenté à la demanderesse principale des renseignements tirés de sa demande selon lesquels elle avait vécu à Chavakachcheri de 2002 à 2003, pendant son mariage avec Ponnampalam. Elle a répondu en disant qu’ils avaient été déplacés pour quelques jours. Stevenson a souligné qu’il y avait une importante différence entre quelques jours et un an.

[18]           Toujours selon les notes du STIDI, à la question de savoir pourquoi Nalini ne s’était pas présentée à l’entrevue, la demanderesse principale a répondu que sa fille n’avait pu obtenir de laissez‑passer des TLET. Pour sa part, la demanderesse principale avait réussi à s’en procurer un en échange de cinq acres de terre. Plus tard au cours de l’entrevue, la demanderesse principale a affirmé que Nalini se cachait et qu’elle ne l’avait pas vue depuis neuf mois. Invitée à dire comment elle savait que sa fille n’avait pu obtenir de laissez‑passer des TLET alors qu’elles ne s’étaient pas vues depuis neuf mois, la demanderesse principale a déclaré qu’un ami transmettait les messages qu’elles s’échangeaient.

Appartenance à une organisation visée à l’article 34

[19]           Le GPI a aussi rejeté les demandes de visa de résident permanent des demandeurs parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que les membres de la famille faisaient partie des personnes interdites de territoire visées à l’alinéa 34(1)f) de la Loi. Aux termes de l’alinéa 34(1)f), l’étranger membre d’un groupe qui est l’auteur d’un acte visé aux alinéas 34(1)a) à e) est interdit de territoire au Canada. Le GPI a fait remarquer que la demanderesse principale et Geethavengayan avaient tous deux déclaré, pendant l’entrevue de 2007, avoir participé aux activités des TLET. Il a souligné le fait que la demanderesse principale appuyait la cause des TLET, que Geethavengayan avait reçu un entraînement au combat et que Nalini avait vécu dans un refuge appartenant aux TLET. D’après ce que le GPI a écrit dans sa lettre de refus, la demanderesse principale avait dit que sa sœur appuyait activement les TLET. Toutefois, selon les notes du STIDI, c’était Kavetha, la fille de la demanderesse principale, qui avait affirmé être une fidèle sympathisante des TLET. Même s’il avait mal compris une partie des notes du STIDI, le GPI a conclu, en se fondant sur les activités de la famille au sein des TLET, qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la demanderesse principale ou les membres de sa famille étaient interdits de territoire au Canada pour des raisons de sécurité, conformément à l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

[20]           Comme le montrent les notes du STIDI sur l’entrevue de 2007, Stevenson a demandé à la demanderesse principale de nommer les membres de sa famille qui avaient appuyé activement les TLET. Elle a répondu que ses filles, Sujeeva and Nalini, avaient fait du travail de bureau et cuisiné pour eux de quatre à cinq heures par jour, trois jours par semaine. Questionnée à ce sujet, la demanderesse principale a affirmé que ses filles avaient travaillé pour les TLET pour la dernière fois en 2005 et en 2006, mais aussi en août 2007, pendant une semaine. La demanderesse principale s’est alors ravisée et a dit que ses filles Sujeeva et Yasotha étaient celles qui avaient travaillé pour les TLET, tandis que Nalini se cachait d’eux. À la question de savoir si Nalini n’avait pu se présenter à l’entrevue parce qu’elle se trouvait dans un camp des TLET, la demanderesse principale a affirmé que sa fille était dans une maison, et a répondu par l’affirmative quand Stevenson lui a demandé si la maison appartenait aux TLET.

[21]           Pendant l’entrevue de 2007, la demanderesse principale a affirmé que son défunt mari avait un camion et s’en servait pour apporter des marchandises aux TLET. Son mari était surnommé « Tiger Kuncha Rasa » (le petit roi des Tigres) par leur famille et les TLET. Elle a confirmé que son mari avait été nommé au comité de médiation de Thunukkai des TLET, en raison de son engagement auprès des TLET.

[22]           La demanderesse principale a également dit, au cours de l’entrevue de 2007, qu’elle avait cuisiné pour les TLET et leur avait préparé des friandises. Invitée à dire si elle appuyait la cause des TLET, elle a répondu oui. Elle a aussi confirmé que le fait que les TLET utilisaient la force en vue de créer un État tamoul était une tactique qu’elle approuvait. La demanderesse principale a en outre été questionnée sur les liens que son fils entretenait avec les TLET. Elle a affirmé que les TLET avaient tenté de recruter son fils, et qu’elle avait donc dû l’envoyer étudier en Inde.

[23]           Lors de l’entrevue de 2007, Geethavengayan a déclaré vivre à Chennai, en Inde. Questionné sur ce qu’il comptait faire après l’entrevue, il a répondu qu’il ne pourrait retourner à Vanni – la région du Sri Lanka où vivait sa famille – en raison de problèmes causés par les TLET. Il a ajouté qu’il n’aimait pas les méthodes des TLET, surtout le recrutement et l’entraînement forcés. Geethavengayan a dit que les TLET l’avaient entraîné au combat; il s’agissait d’un entraînement de base, mais il avait appris à ramper et à courir, et s’était entraîné dans des clubs. De plus, il avait creusé des bunkers et des tombes, recueilli de la nourriture et réalisé d’autres travaux divers pour les TLET. À la question de savoir si sa famille appuyait les TLET, Geethavengayan a répondu oui, mais qu’elle y était obligée.

[24]           Stevenson a laissé entendre à Geethavengayan que son père avait été un chaud partisan des TLET, ce que Geethavengayan a confirmé. Geethavengayan a ajouté que son père avait servi les TLET plutôt que de leur envoyer ses enfants. Il savait que son père avait aidé les TLET, mais il ne se souvenait pas de grand‑chose parce qu’il avait 14 ans au décès de son père. En ce qui concerne l’aide que Nalini aurait apportée aux TLET, Geethavengayan était convaincu qu’elle n’avait pu faire une chose pareille. Il ne pouvait cependant rien confirmer, étant donné qu’il rentrait tout juste de l’Inde.

[25]           Au cours de l’entrevue, Stevenson a présenté à Geethavengayan les déclarations de sa sœur vivant au Canada, qui affirmait être une fidèle sympathisante des TLET et qui disait que son père avait été un chaud partisan des TLET. Geethavengayan a répliqué que son père avait été forcé d’aider les TLET, tout comme sa sœur. Stevenson a dit à Geethavengayan que les déclarations faites par Kavetha dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), présenté à l’appui de sa demande d’asile au Canada, n’indiquaient pas que la famille avait été forcée d’appuyer les TLET. Stevenson a aussi demandé à Geethavengayan pourquoi Nalini n’avait pas participé à l’entrevue. Il a répondu que Nalini n’avait pu obtenir de laissez‑passer; les membres de sa famille lui auraient bien donné de l’argent pour qu’elle puisse venir, mais ils n’en n’avaient pas.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[26]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

a.                   La conclusion du GPI selon laquelle ils ne s’étaient pas acquittés du fardeau que leur imposait l’article 11 était‑elle raisonnable?

b.                  La conclusion du GPI selon laquelle ils étaient interdits de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi était‑elle raisonnable?

c.                   Les motifs donnés par le GPI étaient-ils suffisants?

d.                  La SPR a‑t‑elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant de renoncer à une deuxième entrevue avec Geethavengayan?

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[27]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet  :

 

 

h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

 

 

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

 

 

 

18. (1) Quiconque cherche à entrer au Canada est tenu de se soumettre au contrôle visant à déterminer s’il a le droit d’y entrer ou s’il est autorisé, ou peut l’être, á y entrer et à y séjourner.

 

 

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants  :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a)j, b) ou c).

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

 

 

(h) to protect the health and safety of Canadians and to maintain the security of Canadian society;

 

(i) to promote international justice and security by fostering respect for human rights and by denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks;

 

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

18. (1) Every person seeking to enter Canada must appear for an examination to determine whether that person has a right to enter Canada or is or may become authorized to enter and remain in Canada.

 

 

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

 

(c) engaging in terrorism;

 

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

NORME DE CONTRÔLE

[28]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas toujours nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question soumise au tribunal est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle infructueuse que la cour de révision doit se pencher sur les quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

[29]           Dans Ghirmatsion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 519, la juge Judith Snider a statué que le norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. Au paragraphe 50 de sa décision, elle renvoie à l’arrêt Clifford c Ontario Municipal Employees Retirement System, 2009 ONCA 670, rendu par le juge Stephen T. Goudge de la Cour d’appel de l’Ontario :

[traduction] Lorsqu’en raison du devoir d’équité procédurale un tribunal administratif a l’obligation juridique d’énoncer les motifs de sa décision, la question dans le cadre du contrôle judiciaire est de savoir si cette obligation a été respectée. La cour de révision ne peut faire preuve de retenue face au choix du tribunal de motiver ou non sa décision. Elle doit s’assurer que le tribunal s’est bien conformé à son obligation juridique. La cour doit examiner ce qu’a fait le tribunal et décider s’il y a ou non conformité. Dans la langue du contrôle judiciaire, la norme utilisée par la cour est la décision correcte.

[30]           La norme de contrôle de la décision correcte est celle qui s’applique à la troisième question. Dans Zaki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1066, la juge Snider a statué, au paragraphe 14, que le fait d’entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire est une question d’équité procédurale. Le juge Richard Mosley a tiré une conclusion semblable dans Benitez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, au paragraphe 133. Enfin, dans Thamotharem c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, la Cour d’appel fédérale a statué, au paragraphe 33, que la norme de contrôle qui s’applique à l’entrave du pouvoir discrétionnaire est celle de la décision correcte. La norme de contrôle de la décision correcte est celle qui s’applique à la quatrième question.

[31]           La Cour suprême du Canada s’est exprimée ainsi, dans Dunsmuir (précité, au paragraphe 50) :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur.  En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[32]           Dans Ugbazghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 694, la juge Eleanor Dawson a statué que la norme de contrôle qui s’applique aux décisions rendues en application du paragraphe 34(1) est celle de la décision raisonnable. Étant donné que la détermination de la qualité de membre d’une organisation nécessite l’appréciation de la preuve et l’application du critère juridique pertinent aux faits établis par le tribunal, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. En outre, comme la détermination de l’admissibilité relève de la compétence des agents d’immigration, il convient de faire preuve de retenue (Ugbazghi, au paragraphe 36). Voir également Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, au paragraphe 21. La norme de contrôle de la décision raisonnable est celle qui s’applique à la deuxième question.

[33]           À l’instar des décisions rendues en application du paragraphe 34(1), une décision d’interdiction de territoire rendue sous le régime de l’article 11 commande la retenue et devrait être contrôlée selon le critère de la décision raisonnable. Voir Kumarasekaram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1311, au paragraphe 8. Lorsque l’agent doit décider s’il est convaincu qu’un demandeur n’est pas interdit de territoire, différentes issues sont possibles en fonction des éléments de preuve dont il a été saisi. La norme de contrôle de la décision raisonnable est celle qui s’applique à la première question.

[34]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

 

ARGUMENTS

Les demandeurs

L’interdiction de territoire prononcée en application de l’article 11 était déraisonnable

[35]           Les demandeurs soutiennent que la décision du GPI selon laquelle ils étaient interdits de territoire en application de l’article 11 était fondée de manière déraisonnable sur le fait que Geethavengayan ne s’était pas présenté à la deuxième entrevue exigée par le défendeur. L’absence de Geethavengayan à l’entrevue étant accessoire dans le contexte de la décision que devait rendre le GPI, il était déraisonnable pour le GPI de fonder sa décision sur ce fait. Les demandeurs ne mettent pas en cause l’information (ou l’absence d’information) qui aurait pu être obtenue au cours d’une deuxième entrevue. Ils soutiennent plutôt que la décision était fondée sur l’absence pure et simple de Geethavengayan.

[36]           Pour appuyer cet argument, les demandeurs citent la lettre de décision :

[traduction] De même, bien que nous ayons envoyé des messages clairs et cohérents pour faire savoir que le fils devait être soumis à un contrôle, nous avons aussi reçu des messages clairs disant qu’il ne souhaitait pas se présenter à l’entrevue exigée et qu’il voulait être retiré de la demande. Je conclus que je ne connais pas bien vos antécédents et que je ne suis pas convaincu que vous n’êtes pas interdits de territoire en application du paragraphe 11(1).

Cet extrait montre que le GPI se préoccupait surtout de l’absence de Geethavengayan, et non du fond de la demande.

[37]           Les demandeurs s’appuient aussi sur les notes du STIDI consignées le 26 mai 2009 pour étayer leur position selon laquelle le GPI avait, de manière déraisonnable, fondé sa décision sur le fait que Geethavengayan ne s’était pas présenté à l’entrevue. Ces notes vont comme suit :

[traduction] La répondante indique dans sa lettre (date non précisée) que son frère se trouve au Danemark; il a un visa de travail auquel il ne souhaite pas renoncer pour venir à une entrevue à Colombo. La répondante voudrait que l’entrevue soit faite dans n’importe quel pays de l’Union européenne, à défaut de quoi elle ne parrainera plus son frère.

 

Tout d’abord, ce cas soulève de graves questions de sécurité. Il est impossible de renoncer à l’entrevue. Ensuite, la demanderesse principale a fait sa demande depuis le Sri Lanka, et l’intégrité du programme est mieux défendue si la demande est traitée au Sri Lanka, y compris en ce qui concerne l’examen des antécédents.

 

Le fils est allé au Danemark pour y travailler. C’est pour cette raison, et non parce qu’il craint pour sa vie ou pour toute autre raison, qu’il ne peut satisfaire à nos exigences.

 

La répondante peut décider si son frère accompagne ou non sa mère, mais comme son frère est un enfant à charge de la demanderesse principale, il doit être soumis à un contrôle.

Les demandeurs soutiennent que cet extrait montre que le GPI s’est intéressé surtout à l’absence de Geethavengayan à l’entrevue lorsqu’il s’est prononcé sur l’interdiction de territoire aux termes de l’article 11.

[38]           De plus, avancent les demandeurs, l’insistance que le défendeur a mis sur une deuxième entrevue avec Geethavengayan était déraisonnable et ne tenait pas compte du statut de réfugié que Geethavengayan avait obtenu en France ni de sa crainte de rentrer au Sri Lanka. Les demandeurs affirment en outre que le GPI a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant de renoncer à la deuxième entrevue et en faisant abstraction du fait qu’il avait le pouvoir d’y renoncer.

[39]           Les demandeurs soulignent que le défendeur avait été mis au courant du statut de réfugié que Geethavengayan avait obtenu en France à trois occasions : le 8 avril 2010, le 11 juin 2010 et le 14 juin 2010. Selon les demandeurs, rien dans les notes du STIDI n’indique que le statut de réfugié de Geethavengayan en France ou que sa crainte alléguée de rentrer au Sri Lanka aient été pris en considération. Le défendeur a été mis au courant du statut de réfugié de Geethavengayan presque deux ans après que Geethavengayan eut été convoqué, le 28 avril 2008, à une deuxième entrevue. Toutefois, les demandeurs soutiennent qu’il était déraisonnable pour le GPI de ne pas envisager de renoncer à la deuxième entrevue en raison du statut de réfugié de Geethavengayan, parce que le défendeur avait obtenu l’information avant de prendre sa décision finale, le 15 juin 2010.

[40]           Les demandeurs ajoutent que la décision prise en application de l’article 11 était déraisonnable parce que le GPI avait fait abstraction de son pouvoir discrétionnaire de renoncer à la deuxième entrevue et ainsi entravé l’exercice de ce pouvoir. Les demandeurs se fondent sur l’examen de la norme de contrôle applicable à la décision d’exiger une entrevue fait par la juge Eleanor Dawson dans Qazi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1177. D’après les demandeurs, la décision Qazi permet d’affirmer que le GPI avait le pouvoir discrétionnaire de renoncer à l’entrevue. Le paragraphe 16 de la décision Qazi est ainsi rédigé :

La décision Su a été rendue en application de l’ancienne loi et de l’ancien règlement. Toutefois, le régime législatif actuel confère toujours à l’agent le pouvoir discrétionnaire d’exiger qu’un demandeur se soumette à une entrevue. Il faut, pour déterminer quelle norme de contrôle s’applique à l’exercice de ce pouvoir, tenir compte des quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle (l’existence d’une clause privative, l’expertise relative, l’objet de la disposition et de la loi et la nature du problème). En ce qui concerne ces facteurs :

 

[…]

 

(4) la question de savoir si une entrevue est nécessaire est hautement discrétionnaire et dépend des faits. Le paragraphe 16(1) de la Loi exige cependant que le demandeur « donn[e] les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présent[e] les […] documents requis ». Ainsi, la décision d’un agent de demander des renseignements est assujettie à des restrictions, ce qui semble indiquer que l’intention du législateur était de soumettre cette décision à un certain contrôle.

 

 

[41]           Même si la décision d’exiger une deuxième entrevue avait déjà été prise le 28 avril 2008, le GPI avait le pouvoir de renoncer à cette entrevue après que le défendeur eut été avisé du statut de réfugié de Geethavengayan en 2010. En faisant abstraction du fait qu’il avait ce pouvoir, le GPI a illicitement entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[42]           Pour appuyer cet argument, les demandeurs citent la lettre envoyée à l’honorable John McCallum, député, en réponse à sa demande de renseignement sur l’état d’avancement du dossier :

[traduction] En ce qui concerne le cas du fils à charge, M. Geethavengayan, qu’il accompagne ou non la demanderesse principale comme on l’a dit plus tôt, il devra aussi satisfaire à toutes les exigences de la loi et être soumis à un contrôle avec la demanderesse principale et sa fille. Le fils à charge ne peut être dispensé de ce contrôle.

Le fait que le défendeur a dit que le fils ne pouvait être dispensé de l’entrevue exigée montre que le pouvoir discrétionnaire de renoncer à l’entrevue a été entravé.

[43]           Les demandeurs soutiennent en outre que le défendeur n’a pas tenu compte du pouvoir discrétionnaire qui permet de renoncer à exiger que les membres de la famille n’accompagnant pas le demandeur passent une entrevue. Ils renvoient au chapitre OP 2 du guide de l’immigration (Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial) pour étayer l’existence du pouvoir discrétionnaire de renoncer à l’entrevue :

Section 5.11

 

Tous les membres de la famille, qu’ils accompagnent le demandeur principal ou non, doivent être soumis à un contrôle, à moins qu’un agent n’en décide autrement. Normalement, si un membre de la famille est interdit de territoire, qu’il accompagne le demandeur ou non, le demandeur principal est alors interdit de territoire. Il existe cependant deux exceptions à cette règle, décrites dans le R23. La première est lorsque le demandeur est séparé de son époux et la seconde est lorsqu’un enfant du demandeur est sous la garde légale d’une personne autre que le demandeur ou qu’un membre de la famille l’accompagnant, ou lorsqu’une personne autre que le demandeur ou qu’un membre de la famille l’accompagnant a le pouvoir d’agir au nom de l’enfant en vertu d’une ordonnance d’un tribunal ou d’un accord écrit ou par action d’une loi.

 

[…]

 

Si les membres de la famille ne sont véritablement pas disponibles ou ne sont pas disposés à faire l’objet d’un contrôle, les conséquences de l’absence de contrôle de ces personnes devraient être clairement expliquées au demandeur et cela devrait apparaître dans les notes du STIDI. Les agents peuvent faire signer au demandeur une déclaration solennelle indiquant qu’il comprend

les conséquences de l’absence de contrôle d’un membre de sa famille.

 

Section 5.12

 

Aux termes de la LIPR tout comme de l’ancienne loi, le demandeur et les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, doivent répondre aux exigences de la loi. Il ne peut y avoir aucune exception en ce qui a trait à l’obligation de déclarer tous les membres de la famille. À quelques exceptions près, cela signifie également que tous les membres de la famille doivent subir un contrôle aux fins du processus d’octroi de la résidence permanente.

 

Les agents devraient tenir compte de la possibilité qu’un membre de la famille du client ne puisse pas se présenter aux fins de contrôle. Si un demandeur a déployé tous les efforts possibles afin que le membre de sa famille se présente à un contrôle, mais qu’il n’a pas réussi, et que l’agent est convaincu qu’ils connaissent les conséquences de ce fait (c.-à.-d. aucune possibilité ultérieure de parrainage), alors il ne serait pas adéquat de rejeter la demande pour motif de non-conformité.

 

Les agents doivent décider au cas par cas, en faisant preuve de bon sens et d’un jugement sûr, s’il faut donner suite à une demande même si tous les membres de la famille n’ont pas fait l’objet d’un contrôle. Voici certains exemples où cela pourrait se produire : l’ex-époux refuse qu’un enfant subisse un contrôle ou un enfant à charge majeur refuse de faire l’objet d’un contrôle. La décision de donner suite à une demande dans de telles circonstances ne devrait être prise qu’en dernier recours et seulement si l’agent est convaincu que le membre de la famille du demandeur ne peut se présenter à un contrôle. Le demandeur ne peut pas lui-même décider qu’un membre de sa famille ne fera pas l’objet d’un contrôle.

[44]           Ces passages démontrent que la Section de l’immigration avait le pouvoir discrétionnaire de renoncer à l’entrevue. Puisque le défendeur a continué d’insister pour qu’une deuxième entrevue soit menée tout au long du processus de traitement de la demande, il doit avoir entravé l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

 

La décision rendue en application de l’alinéa 34(1)f) était déraisonnable

[45]           Les demandeurs soutiennent que la décision du GPI selon laquelle les membres de la famille étaient interdits de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) était déraisonnable, parce que le GPI n’a pas cherché à savoir si les demandeurs avaient été contraints d’appuyer concrètement les TLET. Dans les notes du STIDI sur l’entrevue de 2007 qu’il avait menée auprès d’elle, Stevenson a indiqué que la demanderesse principale avait affirmé soutenir les revendications territoriales des TLET et le fait qu’ils utilisaient la force pour parvenir à leurs objectifs. Stevenson a aussi noté que la demanderesse principale avait cuisiné pour les TLET et leur avait préparé des friandises. Rien dans ses notes n’indique que ces activités avaient été faites sous contrainte. Les notes du STIDI montrent également que, durant l’entrevue, Geethavengayan a affirmé avoir creusé des tombes et des bunkers, et réalisé des travaux divers pour les TLET. À la question de savoir si sa famille appuyait les TLET, Geethavengayan a répondu oui, mais qu’elle y était obligée.

[46]           Les demandeurs ajoutent que, à l’appui de la demande de contrôle judiciaire, la demanderesse principale avait soumis un document censément rédigé (mais pas sous serment) à un moment donné en 2011. Dans ce document, joint à titre de pièce à l’affidavit du traducteur, la demanderesse principale affirme avoir dit à Stevenson, pendant l’entrevue de 2007, que toute l’aide que sa famille avait apportée aux TLET avait été donnée sous contrainte, parce que sa famille vivait dans une région contrôlée par les TLET. Geethavengayan a aussi soumis à la Cour un affidavit dans lequel il déclare sous serment avoir dit à Stevenson, pendant l’entrevue de 2007, que sa famille avait été contrainte de participer aux activités des TLET et qu’elle n’avait pas eu le choix parce qu’elle vivait dans une région contrôlée par les TLET.

[47]           Se fondant sur ces affidavits et sur les notes du STIDI, les demandeurs avancent que le GPI n’a pas tenu compte d’éléments de preuve montrant qu’ils avaient été contraints de participer aux activités des TLET lorsqu’il a décidé que les demandeurs étaient interdits de territoire en application de l’alinéa 34(1)f). Au moment où les demandeurs ont déposé leur exposé des arguments, Stevenson n’avait pas encore produit d’affidavit pour appuyer sa version des faits (il en a toutefois produit un depuis); les demandeurs affirment donc que leur témoignage par affidavit devrait être préféré aux notes du STIDI en tant que preuve de ce qui s’était produit pendant l’entrevue de 2007. Étant donné que le GPI était saisi d’éléments de preuve selon lesquels la participation des demandeurs aux activités des TLET était forcée, il était déraisonnable pour lui de ne pas tenir compte de la contrainte en rendant sa décision en application de l’alinéa 34(1)f).

Les motifs donnés étaient insuffisants

[48]           Selon les demandeurs, les motifs sont insuffisants parce que la décision ne fait pas état d’une évaluation individualisée du lien institutionnel nécessaire avec un groupe qui est l’auteur d’un acte visé aux alinéas 34(1)a) à c). Les demandeurs déclarent que le GPI n’avait pas établi qu’ils étaient vraiment membres des TLET, mais qu’il l’avait plutôt déduit d’après les déclarations qu’ils avaient faites à l’entrevue de 2007. Leur appartenance théorique aux TLET était aussi fondée sur le FRP que Kavetha avait déposé avec sa demande d’asile en 1999. Dans ce formulaire, Kavetha a donné les renseignements suivants :

[traduction] Mon père était un chaud partisan des TLET. Il utilisait son camion afin de transporter des marchandises pour les Tigres. Il était bien connu sous le nom de Tiger Kuncha Rasa (le petit roi des Tigres). Il avait été nommé président du comité de médiation de Thunukkai par les Tigres. Mon père est décédé le 4 juillet 1998. Pendant qu’il luttait pour sa vie, il a refusé d’être transféré de l’hôpital de Malavi à l’hôpital d’Anuratha Pura parce que son engagement auprès des Tigres était notoire. [En italique dans l’original.]

[49]           Lorsqu’un agent croit qu’il y a appartenance à une organisation sans établir que cette appartenance est réelle, des éléments de preuve doivent montrer une forme quelconque de lien institutionnel, affirment les demandeurs. Ils s’appuient sur la décision Sinnaiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1576, dans laquelle le juge James O’Reilly s’est exprimé ainsi, aux paragraphes 4 à 6 :

Emporte interdiction de territoire au Canada le fait d’être soupçonné, pour des motifs raisonnables, d’appartenir à un groupe terroriste (articles 33 et 34 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27). Les deux parties acceptent que les LTTE constituent un groupe terroriste.

 

L’exigence des « motifs raisonnables » fixe à un niveau peu élevé, bien que non négligeable, le seuil de preuve requis. Certains éléments de preuve tendant à démontrer que l’intéressé fait effectivement partie d’un groupe terroriste doivent être présentés, bien qu’il ne soit pas nécessaire qu’ils satisfassent à la norme civile de la prépondérance des probabilités (Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.); Thanaratnam v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration) 2004 CF 349, [2004] A.C.F. no 395 (CF) (QL));

 

Pour démontrer que l’intéressé « fait partie » d’une organisation, il faut à tout le moins qu’il y ait des éléments de preuve tendant à établir l’existence de « liens institutionnels » ou d’une « participation consciente » aux activités du groupe (arrêt Chiau et jugement Thanaratnam, précités).

[50]           Les demandeurs s’appuient également sur Villegas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 105, qui permet d’affirmer, selon eux, qu’un tribunal doit analyser la qualité de l’appartenance à une organisation lorsqu’il croit qu’il y a appartenance. Les demandeurs affirment que ni la lettre de refus ni les notes du STIDI ne montrent que le GPI avait analysé leur appartenance aux TLET. Ils citent en détail les notes du STIDI :

[traduction] Par ailleurs, le dossier contient des éléments de preuve convaincants, et même des déclarations directes faites par des membres de la famille, voulant que la mère, le fils et la fille aient activement contribué aux activités des TLET, une organisation terroriste reconnue. Ils ont déclaré qu’ils soutenaient la cause et avaient été entraînés au combat, et que la fille avait été mise à l’abri dans un refuge appartenant aux TLET. Nul besoin de s’attarder encore à l’équité procédurale pour ces questions, car l’information découle de déclarations directes faites par les demandeurs. Les demandeurs n’ont peut-être pas de carte de membre des TLET, mais leurs gestes témoignent de leur soutien actif, tant comportemental que spirituel. En application de l’alinéa A34f) [sic], ils sont interdits de territoire au Canada.

[51]           D’après les demandeurs, l’extrait cité démontre que les motifs du GPI ne révèlent pas comment il a individuellement évalué l’appartenance aux TLET de chaque demandeur. Selon eux, les motifs ne montrent pas que le GPI a examiné tous les facteurs qui sont pertinents lorsqu’il s’agit d’établir l’appartenance d’une personne à une organisation.

[52]           À titre d’exemple de cette omission de divulguer les motifs, les demandeurs affirment ne pas savoir avec certitude comment le GPI a pu conclure que Nalini était membre des TLET en se fondant sur le fait qu’elle avait séjourné dans un refuge des TLET. Ils soutiennent en outre que les motifs révèlent une analyse lacunaire de la façon dont le fait que la demanderesse principale a préparé des aliments et des friandises pour les TLET et l’appui qu’elle a exprimé envers la cause des TLET font d’elle un membre des TLET. Les motifs sont insuffisants parce qu’ils ne montrent pas que la qualité de l’appartenance aux TLET de chaque répondant a été examinée.

[53]           En présentant leurs arguments sur le caractère suffisant des motifs, les demandeurs soulèvent un autre argument sur le caractère raisonnable des conclusions du GPI. Ils affirment que le GPI a fondé sa décision sur les déclarations faites par la répondante dans son FRP et sur les actions du défunt mari de la demanderesse principale. Il était déraisonnable pour le GPI de décider qu’ils étaient membres d’une organisation visée à l’alinéa 34(1)f) en se fondant sur les actions de ces personnes, qui n’étaient pas parties à la demande.

 

Le défendeur

                        La décision rendue en application de l’article 11 était raisonnable

[54]           Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour le GPI de conclure, d’après tous les éléments de preuve qui lui étaient soumis, que les demandeurs n’étaient pas parvenus à le convaincre qu’ils n’étaient pas interdits de territoire au Canada. Le défendeur souligne que les demandeurs avaient eu amplement le temps de s’acquitter de ce fardeau qui leur incombait étant donné qu’il avait fallu presque huit ans pour traiter la demande.

[55]           Le défendeur ajoute que, au moment de l’entrevue de 2007, il était disposé à reporter de juillet à septembre 2007 la date de l’entrevue initiale avec les trois demandeurs. En outre, Stevenson était prêt à faire l’entrevue avec la demanderesse principale et Geethavengayan, même si Nalini ne pouvait s’y présenter. Après avoir écouté la demanderesse principale et Geethavengayan, Stevenson a déterminé qu’ils soulevaient des préoccupations en matière de sécurité et a fixé une deuxième entrevue au 12 juin 2008. Le 31 juillet 2009, le défendeur a demandé une copie du passeport et du visa danois de Geethavengayan pour procéder au traitement de la demande. Ces documents n’ont pas été produits.

[56]           Le GPI n’a pas agi de manière déraisonnable en refusant de renoncer à l’entrevue. Les demandeurs n’avaient pas présenté l’information qui leur avait été demandée, n’ayant en fait fourni aucun renseignement dans le délai de 60 jours qui avait été fixé dans la lettre envoyée à la répondante le 30 septembre 2009. De surcroît, souligne le défendeur, les demandeurs ont attendu 16 mois avant de le mettre au courant du statut de réfugié que Geethavengayan avait obtenu en France. Comme ils avaient tardé à informer le défendeur du fait que Geethavengayan avait obtenu le statut de réfugié, il n’était pas raisonnable de leur part de demander à la dernière minute un arrangement pour la deuxième entrevue.

[57]           De l’avis du défendeur, les lignes directrices contenue au chapitre OP 2 n’appuient pas la position des demandeurs parce qu’elles s’appliquent dans le cas d’une personne à charge qui n’est pas disponible aux fins du contrôle pour des raisons indépendantes de la volonté du demandeur. En l’espèce, la situation est tout autre. Les demandeurs étaient parfaitement en mesure de s’organiser pour que Geethavengayan puisse passer une entrevue, bien qu’ils ne l’aient pas fait. Par conséquent, l’exigence habituelle s’appliquait, à savoir que tous les membres de la famille devaient être soumis à un contrôle.

La décision rendue en application de l’alinéa 34(1)f) était raisonnable

[58]           Compte tenu de la preuve et du droit, déclare le défendeur, le GPI a déterminé de manière raisonnable que les demandeurs étaient membres d’une organisation au sens du paragraphe 34(1). Comme il a été souligné ci‑dessus, la demanderesse principale et Geethavengayan ont formulé, pendant l’entrevue de 2007, plusieurs déclarations sur ce qu’ils avaient fait pour et avec les TLET. La demanderesse principale a de plus affirmé que son mari avait aidé les TLET et fait partie d’un de leurs comités. La demanderesse principale et Geethavengayan ont tous deux déclaré que leur famille appuyait les TLET. D’après ces éléments de preuve et les déclarations faites par Kavetha dans son FRP, il était loisible au GPI de conclure que les demandeurs étaient membres des TLET, une organisation qui se livrait aux activités énumérées aux alinéas 34(1)a) à e) de la Loi.

[59]           En réponse à l’allégation des demandeurs selon laquelle les notes du STIDI ne rendent pas fidèlement compte de la conduite et du contenu de l’entrevue de 2007, le défendeur soutient que les notes du STIDI devraient avoir la priorité. Il fait remarquer que les demandeurs ont produit leurs affidavits après l’introduction de la demande de contrôle judiciaire. Il ajoute que ces affidavits ont été produits presque quatre ans après l’entrevue en question, tandis que les notes du STIDI ont été rédigées à l’époque où l’entrevue a eu lieu. Le défendeur affirme que les affidavits n’ont pas été préparés d’après des notes qui auraient été prises au moment de l’entrevue. Il souligne également que le document joint à titre de pièce à l’affidavit du traducteur soumis par la demanderesse principale n’avait pas été certifié conforme ni daté.

[60]           Étant donné qu’il faut préférer les notes du STIDI aux affidavits des demandeurs, le défendeur soutient que le GPI ne disposait d’aucun élément de preuve montrant qu’il y avait eu contrainte. Il était par conséquent raisonnable pour le GPI de ne pas se demander si la participation des demandeurs aux activités des TLET avait été forcée.

[61]           Par ailleurs, affirme le défendeur , le terme « membre », au sens où il est utilisé à l’alinéa 34(1)f), est suffisamment libéral pour s’appliquer aux activités des demandeurs, qui sont donc interdits de territoire en application de cette disposition. Le défendeur s’appuie sur l’arrêt Poshteh, précité, dans lequel le juge Marshall Rothstein a statué, au paragraphe 29, que « le mot “membre”, employé dans la Loi, devrait continuer d’être interprété d’une manière libérale ». Le juge Rothstein a ajouté que « [d]ans un cas donné, il sera toujours possible de dire que même si plusieurs facteurs permettent de conclure qu’il y avait appartenance, d’autres autorisent une conclusion contraire. Ce sont là des aspects qu’il appartient à la Section de l’immigration, de par sa spécialisation, d’apprécier ». Le défendeur se fonde en outre sur Kanendra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 923, pour avancer que l’appartenance ne saurait se limiter aux membres réels ou officiels. Puisque la définition de l’appartenance est libérale, elle est suffisamment vaste pour s’appliquer aux activités des demandeurs. Le GPI a donc conclu de manière raisonnable qu’ils étaient membres des TLET.

Les motifs étaient suffisants

[62]            Le défendeur déclare que les motifs donnés par le GPI sont suffisants lorsqu’ils sont examinés en fonction de leurs objectifs. S’appuyant sur Ragupathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, le défendeur soutient que les motifs doivent être examinés à la lumière des objectifs qu’ils visent. Les motifs aident la cour à s’assurer que les décideurs ont pris en considération les facteurs dont ils devaient tenir compte et permettent aux parties d’exercer leur droit à un contrôle judiciaire. De plus, il convient de lire les motifs dans le but de les comprendre, et non pas de les examiner phrase par phrase pour y chercher des erreurs (Ragupathy, au paragraphe 15).

[63]           Invoquant la décision Farkhondehfall c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 471, le défendeur dit aussi que la cour de révision peut consulter les éléments de preuve auxquels a fait référence le tribunal administratif en vue d’étoffer ses motifs. Étant donné que les notes du STIDI indiquent les éléments de preuve sur lesquels le GPI s’était fondé, et que ces éléments de preuve corroborent ses conclusions, le défendeur soutient que, ensemble, la lettre et les notes du STIDI donnent bel et bien des motifs suffisants.

ANALYSE

[64]           Même si je convenais avec les demandeurs que la décision contient des erreurs susceptibles de contrôle relativement à l’article 11 de la Loi, je crois néanmoins que la demande ne peut être accueillie. Le GPI a aussi conclu que les demandeurs étaient interdits de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi. Cette conclusion est formulée et expliquée brièvement dans la lettre de refus du 15 juin 2010, mais exposée beaucoup plus longuement dans les notes du STIDI, qui font également partie de la décision. Voir Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 44, Mehrabani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 345, au paragraphe 5, et Kindie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 850, au paragraphe 5.

[65]           Les notes du STIDI renferment des détails sur les entrevues menées auprès de la demanderesse principale et de Geethavengayan en 2007. La fille de la demanderesse principale, Nalini, n’a jamais été interrogée parce qu’elle ne pouvait obtenir de laissez‑passer pour se présenter à une entrevue.

[66]           Quoi qu’il en soit, beaucoup plus tard et après l’envoi de nombreuses communications en vue d’organiser d’autres entrevues avec la demanderesse principale et Geethavengayan, le GPI a conclu que la décision concernant l’admissibilité des demandeurs pouvait être rendue sur la foi de la preuve au dossier. Il résume ainsi la situation dans les notes du STIDI :

[traduction] Par ailleurs, le dossier contient des éléments de preuve convaincants, et même des déclarations directes faites par des membres de la famille, voulant que la mère, le fils et la fille aient activement contribué aux activités des TLET, une organisation terroriste reconnue. Ils ont déclaré qu’ils soutenaient la cause et avaient été entraînés au combat, et que la fille avait été mise à l’abri dans un refuge appartenant aux TLET. Nul besoin de s’attarder encore à l’équité procédurale pour ces questions, car l’information découle de déclarations directes faites par les demandeurs. Les demandeurs n’ont peut-être pas de carte de membre des TLET, mais leurs gestes témoignent de leur soutien actif, tant comportemental que spirituel. En application de l’alinéa A34f), ils sont interdits de territoire au Canada.

 

 

[67]           À mon avis, il est possible de contester ce que la preuve révèle à propos des contributions que Nalini et Geethavengayan auraient apportées aux TLET. Toutefois, la demanderesse principale a reconnu ouvertement ses propres contributions au moment de son entrevue. Elle a déclaré ce qui suit :

a.                   Elle a vécu longtemps dans une région contrôlée par les TLET.

b.                  Elle et d’autres membres de sa famille ont travaillé pour les TLET (quoique la participation de Nalini et de Geethavengayan ne soit pas parfaitement claire).

c.                   Ses filles avaient fait du travail de bureau et cuisiné pour les TLET, à raison de quatre ou cinq heures par jour, trois jours par semaine, par intermittence.

d.                  Ponnampalam avait l’habitude d’aider les TLET. Il leur apportait des choses et utilisait son camion pour les aider. Il leur a également donné de l’argent.

e.                   Ponnampalam était un partisan des TLET et il était surnommé « Tiger Kuncha Rasa », ce qui signifie « le petit roi des Tigres ».

f.                    Les TLET avaient nommé Ponnampalam directeur du comité de médiation de Thunukkai en raison de son engagement auprès d’eux.

g.                   Elle avait cuisiné pour les TLET et leur avait offert des aliments et des friandises.

h.                   La demanderesse et ses enfants appuient les TLET, et son défunt mari les appuyait aussi.

i.                     Suivant l’exemple de Ponnampalam, elle et ses enfants ont continué d’appuyer les TLET.

j.                    Elle appuie les revendications territoriales des TLET.

k.                  Elle appuie l’utilisation de la force par les TLET et les combats qu’ils livrent en vue de créer un État tamoul.

[68]           Il me semble que la preuve étaye clairement la conclusion selon laquelle la demanderesse principale, à tout le moins, appuie volontairement les TLET, comme son mari l’avait fait, et qu’elle soutient activement la lutte que mènent les TLET en vue de créer un État indépendant et l’utilisation de la force de même que les combats qu’ils livrent à cette fin.

[69]           Les demandeurs cherchent à discréditer cette conclusion plutôt évidente de différentes façons. D’abord, la demanderesse principale a déposé un affidavit avec sa demande, où elle affirme notamment ceci :

[traduction] J’ai aussi dit à Stevenson au cours de mon entrevue que nous avions apporté toute cette aide aux TLET parce que nous n’avions pas d’autre choix. Nul d’entre nous n’aidait volontairement; nous y étions plutôt forcés, parce que nous vivions dans une région contrôlée par les TLET.

[70]           Pour une raison inconnue, cet affidavit n’a pas été produit sous serment. De toute façon, il a été préparé quelque trois ans après l’entrevue, et rien ne montre que la demanderesse l’ait rédigé en se fondant sur des notes prises au moment de l’entrevue ou immédiatement après. Les notes du STIDI ont été rédigées à l’époque de l’entrevue par un agent qui n’avait aucun intérêt personnel dans l’issue de l’affaire. Cet agent a également déposé un affidavit dans lequel il attestait la véracité des notes du STIDI.

[71]           Puisque les notes du STIDI font état du fait que la demanderesse principale a reconnu qu’elle appuyait les TLET et approuvait l’utilisation de la force en vue de créer un État tamoul, il me faudrait, pour recevoir la preuve par affidavit produite par la demanderesse principale sur ce point, accepter que Stevenson ait délibérément forgé les notes du STIDI, parce que ces notes sont claires sur la nature non contrainte de l’appui et de la contribution apportés par la demanderesse principale aux TLET. Je reconnais, il va sans dire, que les notes du STIDI constituent un compte rendu précis de ce qui s’est passé à l’entrevue et je rejette les tentatives tardives faites par la demanderesse principale pour modifier son histoire et discréditer le processus d’entrevue. Voir Khela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 134, au paragraphe 18, Sehgal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 212, au paragraphe 7, et Paracha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 1786, aux paragraphes 6 et 7. La demanderesse principale comprend maintenant l’importance de ce qu’elle a reconnu à l’entrevue et souhaite se soustraire à la conclusion évidente que le GPI a tirée. Sans donner d’autre explication, elle dit que les notes du STIDI ne mentionnent pas qu’elle avait été forcée d’appuyer les TLET et de les aider. J’en déduis que la demanderesse principale comprend parfaitement pourquoi elle n’a pu obtenir de visa et que les motifs donnés étaient donc suffisants pour lui permettre de le comprendre.

[72]           La demanderesse principale a également affirmé à l’audience que les conclusions tirées au regard du paragraphe 34(1) étaient problématiques parce que Geethavengayan n’avait pas subi de deuxième contrôle, de sorte qu’il fallait réexaminer l’affaire. Même si je devais reconnaître que l’absence de deuxième entrevue avec Geethavengayan a eu des conséquences sur les conclusions que le GPI a tirées à propos de lui et de sa sœur, le preuve directe obtenue de la demanderesse principale à propos de l’appui qu’elle‑même accordait aux TLET est absolument claire; à mon avis, il n’est pas nécessaire d’interroger encore Geethavengayan pour rendre une décision finale sur l’interdiction de territoire qui frappe la demanderesse principale.

 

[73]           Enfin, les demandeurs affirment que le GPI n’a pas tenu compte de la contrainte, notamment la contrainte à laquelle avait été soumise la demanderesse principale. Cette allégation figure dans l’affidavit que Geethavengayan a déposé pour la présente demande de contrôle judiciaire et il l’a également soulevée au moment de son entrevue.

 

[74]           À cet égard, les notes du STIDI sur l’entrevue de Geethavengayan révèlent ce qui :

 

 

a.                   Il a refusé de reconnaître que son père avait été un partisan très enthousiaste des TLET et déclaré que son père avait servi les TLET plutôt que de leur envoyer ses enfants. Cette déclaration contredit la description du rôle du père faite par la demanderesse principale et son affirmation selon laquelle elle et ses enfants avaient continué après lui de soutenir activement les TLET. Lorsque Stevenson a poursuivi ses questions sur le rôle de son père, Geethavengayan a immédiatement fait marche arrière et modifié sa réponse : « Je sais qu’il les a aidés, mais je ne me souviens pas de grand‑chose parce que j’avais 14 ans quand il est décédé. » Geethavengayan reconnaît qu’il est mal placé pour dire ce que son père avait fait pour les TLET, même si, au départ, il affirmait catégoriquement que son père n’appuyait pas les TLET de son plein gré.

b.                  Les déclarations que la demanderesse principale aurait faites à Stevenson à propos de Nalini ont ensuite été présentées à Geethavengayan. Il a répété que Nalini ne voulait pas devenir membre des TLET et qu’elle ne les avait pas soutenus activement, mais il a toutefois reconnu avoir séjourné en Inde et n’avoir pas parlé à Nalini depuis janvier.

c.                   Stevenson a aussi présenté à Geethavengayan les déclarations de sa sœur vivant au Canada, qui affirme être une fidèle sympathisante des TLET et qui dit que son père en était un chaud partisan. Encore une fois, Geethavengayan affirme que son père avait été forcé d’aider les TLET, tout comme sa sœur. Stevenson lui fait alors remarquer que les déclarations faites par Kavetha dans son FRP ne semblent pas indiquer que son père et elle avaient été forcés d’appuyer les TLET.

[75]           Rien de tout cela ne jette vraiment le doute sur le témoignage clair de la demanderesse principale à propos de l’appui volontaire qu’elle exprimait à l’égard des TLET et des tactiques de l’organisation. Les affidavits révisionnistes déposés avec la présente demande n’aident en rien. Aucun n’explique pourquoi la demanderesse principale aurait fait les affirmations qu’elle a faites à l’entrevue si elle avait été forcée d’aider les TLET.

[76]           Quand le GPI a revu le dossier et rendu sa décision, il a décrit fidèlement le témoignage de la demanderesse principale sur ce point : [traduction] « Elle dit que son mari appuyait activement les TLET, et qu’elle les appuie activement elle-même et croit à leur cause. » Le GPI a conclu de manière raisonnable que la preuve montrait que la demanderesse principale avait  activement contribué aux activités des TLET, une organisation terroriste reconnue, et que ses gestes témoignaient de son soutien actif, tant comportemental que spirituel. Le preuve directe fournie par la demanderesse principale elle‑même montre clairement qu’elle n’avait pas été forcée d’apporter son soutien et sa contribution aux TLET. Le GPI n’était pas tenu de fouiller davantage la question.

[77]           La Cour ne saurait affirmer que le GPI était déraisonnable en ce qui concerne les conclusions qu’il a tirées à l’égard de la demanderesse principale en application de l’alinéa 34(1)f), ni qu’il a fourni des motifs insuffisants sur ce point. Après avoir examiné la lettre de refus et les notes du STIDI, j’estime que le degré de participation de la demanderesse principale a été évalué distinctement. La preuve justifie la conclusion selon laquelle la demanderesse principale était membre des TLET, au sens libéral du terme reconnu dans la jurisprudence. Voir Sinnaiah, précitée, Villegas, précitée, et Poshteh, précité. Il ressort nettement de son plus récent affidavit que la demanderesse principale comprend parfaitement pourquoi une décision négative a été rendue dans son cas, parce qu’elle veut maintenant affirmer qu’elle avait été contrainte d’appuyer les objectifs et les méthodes des TLET. La contrainte se produit lorsqu’une personne désapprouve une cause, mais qu’elle est forcée d’y contribuer malgré sa désapprobation. La teneur générale du témoignage de la demanderesse indique qu’elle appuyait les TLET de son plein gré, tout comme son mari l’avait fait. Elle n’a donc pas été contrainte de les soutenir. Cela dit, il est inutile à mon avis d’analyser les autres questions soulevées par les demandeurs, ou de renvoyer l’affaire pour nouvel examen : comme le GPI a conclu de manière raisonnable que la demanderesse principale appuyait les TLET, la demande de parrainage ne peut être accueillie.

[78]           Les deux avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE  :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6916-10

 

INTITULÉ :                                       KAMALA DEVI SELLAPPHA

                                                            NALINI SELLAPPHA

                                                            GEETHAVENGAYAN SELLAPPHA

 

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 septembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

DATE :                                               Le 29 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman                                                                        POUR LES DEMANDEURS

 

Tamrat Gebeyehu                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Avocat                                                                                     POUR LES DEMANDEURS

Waldman and Associates                                                                     

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.