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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111201


Dossier : IMM-2034-11

Référence : 2011 CF 1395

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2011

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

 

HASSAN SHAKIL

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Hassan Shakil, est un citoyen du Pakistan. Il demande, en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d'une décision en date du 22 février 2010 par laquelle un agent chargé d'examiner les risques avant le renvoi (l'agent chargé de l’ERAR) a estimé qu'il ne disposait pas de suffisamment d'éléments de preuve démontrant que le demandeur serait en danger s'il devait retourner au Pakistan.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

CONTEXTE

 

[3]               Monsieur Shakil est un musulman chiite et un Mohajir, c'est‑à‑dire un membre de la collectivité qui a immigré de l'Inde au Pakistan à la suite de la partition. En 1982, il s’est installé à Bahreïn pour y travailler. En 1994, alors qu'il se trouvait toujours à Bahreïn, il est devenu membre du groupe Haqiqi du Mouvement Qaumi Mohajir (MQM‑H) en tant que coordonnateur local. Le MQM‑H est un groupe scissionniste qui s'est séparé du principal mouvement national mohajir présentement connu sous le nom de Muttahida Quami Mahaz ou MQM-Altaf. Il affirme que sa participation lui a valu l'attention de factions politiques et religieuses rivales, y compris le MQM‑Altaf et qu'il a reçu des menaces du Pakistan alors qu'il se trouvait à Bahreïn.

 

[4]               En septembre 1998, le demandeur, qui avait l'intention d'immigrer aux États-Unis, s'est rendu au Pakistan pour vendre ses biens. Il raconte qu'au Pakistan, des membres du MQM-Altaf qui le recherchaient se sont présentés chez son père et que des coups de feu ont été tirés à travers la porte. Il affirme que la police a refusé d'enregistrer la plainte qu'il avait déposée en rapport avec cet incident. Il s'est rendu aux États-Unis en octobre 1998.

 

[5]               En 2003, le demandeur est déménagé au Canada en raison de changements apportés à la politique des États-Unis. Il a demandé l'asile. Il a été déclaré interdit de territoire au Canada en raison de son appartenance au MQM‑H, une organisation au sujet de laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire qu'il s'agissait d'une organisation qui se livre, s'est livrée ou se livrera à des activités terroristes. Au cours de l'audience qui s'est déroulée devant la Section de l'immigration en mars 2009, le demandeur a expliqué que son travail à titre de coordonnateur du MQM‑H à Bahreïn se limitait à trouver des endroits pour la tenue des assemblées et à faire le nécessaire pour qu'il y ait de la nourriture lors de celle‑ci. Il a été jugé que l’asile ne pouvait lui être conféré parce qu'il était visé au paragraphe 112(3) de la LIPR.

 

[6]               Le demandeur a présenté une demande d'ERAR en juin 2009 et a fait l'objet d'une décision défavorable en août 2009. La demande de contrôle judiciaire de cette décision a été accueillie et l'affaire a été renvoyée pour réexamen (Shakil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 473. Le juge Campbell a conclu que l'agent n'avait pas tenu compte de la lettre en date du 17 juin 2009 dans laquelle Arif Dawood avait, en qualité de coordonnateur de la Dawood Khursheed Memorial (International) Foundation (la lettre de M. Dawood) décrit la situation qui existait à Karachi et avait notamment déclaré qu'aucune organisation gouvernementale ou non gouvernementale n’était en mesure de protéger M. Hassan à son retour au Pakistan, [traduction] « étant donné que la situation est assez instable et difficile ».

 

[7]               Des observations complémentaires ont été soumises par écrit à l'agent chargé de l’ERAR en juin 2010. Dans ses observations, le demandeur affirmait qu'il s'était associé au MQM‑H pour se protéger contre les extrémistes sunnites. Il expliquait qu'il était en danger tant à cause du MQM‑A que des extrémistes sunnites malgré le fait qu'il n'avait pas joué un rôle de premier plan au sein du MQM‑H et que les facteurs de risque touchaient l'ensemble du pays.

DÉCISION À L'EXAMEN

 

[8]               L'agent a conclu que la question décisive était celle de la présomption de la protection de l'État. L'agent a reconnu qu'il existait d'intenses violences sectaires au Pakistan, signalant que [traduction] « le gouvernement et des organismes privés s'occupent de la situation ». L'agent a cité deux documents : le Human Rights Report for Pakistan de 2009 du Secrétariat d'État des États-Unis et le Country of Origin Report for Pakistan du 17 janvier 2011 de l’Agence frontalière du Royaume‑Uni. Ce dernier rapport cite plusieurs sources réputées telles que Human Rights Watch, Amnistie Internationale, le Jane’s Information Group et la Commission des droits de la personne du Pakistan. Ces documents résumaient la situation déplorable des droits de la personne au Pakistan, le problème de la corruption policière, les mesures de sécurité mises en place par le gouvernement et leur inefficacité dans certaines régions du pays, ainsi que les violences perpétrées contre les minorités (y compris les Mohajirs et les musulmans chiites).

 

[9]               L'agent a également examiné la lettre de M. Dawood et les articles de journaux publiés sur Internet que le demandeur avait produits. L'agent a conclu que la lettre avait peu de valeur probante étant donné que son auteur n'avait fourni aucun renseignement pour démontrer ses compétences spécialisées en matière de violences sectaires. L'agent a également conclu que même s'ils insistaient sur les violences dont les membres du MQM‑H faisaient l'objet, les articles de journaux ne parlaient que de violence généralisée et non de violence personnalisée.

 

[10]           L'agent a conclu que le demandeur n'avait pas soumis suffisamment d'éléments de preuve pour démontrer qu'il serait encore en danger au Pakistan du fait de son appartenance au MQM‑H plus de 12 ans après les faits ou qu'il serait perçu comme un membre de cette organisation après une absence aussi longue du Pakistan. L'agent a reconnu que la situation générale des droits de la personne au Pakistan était déplorable, mais il a conclu que c'était l'ensemble de la population qui avait à composer avec cette situation défavorable et qu’aucun groupe en particulier n’était visé. L'agent a conclu que les efforts déployés par le gouvernement étaient suffisants même s'ils n'étaient pas parfaits et que le demandeur n'avait pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l'État.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[11]           La seule question à trancher en l'espèce est celle de savoir si l'agent a commis une erreur en estimant que le demandeur pourrait compter sur une protection suffisante de l'État au Pakistan.

 

ANALYSE

 

[12]           Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable en ce qui concerne les questions relatives à la protection de l'État est celle de la décision raisonnable (Mendez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 584). Voici comment la Cour suprême du Canada définit la norme de la décision raisonnable au paragraphe 47 de l'arrêt Nouveau-Brunswick (Conseil de gestion) c Dunsmuir, 2008 CSC 9 :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[13]           Il incombait au demandeur de présenter des éléments de preuve clairs et convaincants pour convaincre l'agent, selon la prépondérance des probabilités, qu'il ne pourrait probablement pas compter sur une protection de l'État suffisante s'il était forcé de retourner dans son pays d'origine (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, aux paragraphes 48 à 51; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 54; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, au paragraphe 30 (Carrillo)). Dans le cas qui nous occupe, le demandeur n'a pas convaincu l'agent qu'il avait réfuté cette présomption et notre Cour doit, suivant la norme de la décision raisonnable, faire preuve d'une grande retenue à l'égard de cette conclusion.

 

[14]           Le demandeur affirme que les éléments de preuve sur lesquels l'agent s'est fondé contredisent la conclusion suivant laquelle il pourrait compter sur la protection de l'État au Pakistan. Le demandeur ne prétend pas que l'agent a ignoré les documents relatifs à la situation au pays, mais soutient que, pour conclure qu'il pouvait compter sur une protection suffisante de l'État, l'agent a ignoré des éléments de preuve portant sur la violence politiquement ciblée qui existe au Pakistan. Il affirme que le rôle qu’il a joué par le passé au sein du MQM‑H, rôle qui était connu de ses rivaux politiques, l'exposerait à un risque. Il ne prétend pas que, cette fois‑ci, l'agent n'a pas tenu compte de la lettre de M. Dawood.

 

[15]           Le défendeur soutient que le véritable motif de la décision est l'absence d'éléments de preuve démontrant qu’il serait personnellement exposé à un risque. Le risque auquel le demandeur serait exposé est d'ordre général et fait partie intrinsèque de la situation qui existe au Pakistan et n'a rien à avoir avec le fait qu'il s'est livré à des activités politiques dans un autre pays il y a plus de douze ans.

 

[16]           Le demandeur affirme que la conclusion qui a été tirée au sujet de la protection de l'État était déterminante et qu'il est sans intérêt que l'agent ait pu conclure qu'il ne serait pas personnellement exposé à un risque en raison de l'écoulement du temps ou du fait que ses activités politiques avaient eu lieu à l'extérieur du Pakistan.

 

[17]           Je suis d'accord avec le demandeur pour dire que les conclusions tirées par l'agent au sujet de la protection de l'État comportent des aspects douteux. Bon nombre des sources mentionnées par l'agent affirment que l'efficacité des forces de sécurité est, au mieux, raisonnable et dans le pire des cas, inefficace, que les auteurs d’actes de violence sont fréquemment impunis, qu'il règne une corruption généralisée au sein des forces de l’ordre, que la police est inefficace à réprimer les violences sectaires et ethniques et que la situation empire pour ce qui est de la sécurité. Les affirmations de l'agent suivant lesquelles [traduction] « le Pakistan est une démocratie qui est dotée d'institutions politiques et judiciaires en mesure de protéger ses citoyens » et que le pays [traduction] « est un État de droit » sont contestables compte tenu des problèmes que ce pays doit surmonter.

 

[18]           Même si je devais conclure que l'agent a commis une erreur dans son appréciation de l'existence et de la suffisance de la protection de l'État au Pakistan, il ressort à l'évidence de sa décision, considérée dans son ensemble, qu’il a estimé que le demandeur ne serait pas personnellement exposé aux risques visés à l'article 97 de la LIPR s'il devait retourner dans son pays d'origine. L'agent a exprimé ses conclusions à ce propos de la façon suivante à la page 9 de sa décision :

            [traduction]

Lorsque le demandeur a fait le récit des problèmes qu'il avait en raison des liens qu’il avait entretenus avec le MQM‑H entre 1994 et 1998, il n'a pas présenté suffisamment d'éléments de preuve au sujet des liens qu'il aurait actuellement avec le MQM‑H ou des activités qu’il exercerait au sein de ce dernier. J'estime que le demandeur n'a pas présenté suffisamment d'éléments de preuve objectifs pour démontrer qu'il serait ciblé en raison de son appartenance au MQM‑H, après douze années, ou qu'il serait perçu comme un membre de cette organisation après une absence de douze ans du Pakistan. Je ne dispose pas de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir conclure que l'ancienne affiliation politique du demandeur l'exposera à une menace à sa vie ou au risque d'être soumis à la torture ou de subir une peine cruelle et inusitée au Pakistan.

 

[19]           La conclusion suivant laquelle le demandeur pouvait compter sur la protection de l'État constituait un motif « subsidiaire » ou « accessoire » d'examen de la demande d'asile, au sens où ses termes sont employés aux paragraphes 14 et 15 du jugement Carillo, précité. Le motif principal était celui de savoir si, compte tenu de l’analyse individualisée de la preuve, le demandeur serait exposé actuellement ou à l'avenir à l'un des risques énumérés à l'article 97 (Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 31, au paragraphe 7).

 

[20]           En l'espèce, suivant la preuve présentée par le demandeur, des personnes qui ont été qualifiées de travailleurs ou de dirigeants du MQM‑H étaient encore exposées au risque d'être blessées ou tuées en raison des violences sectaires qui sévissent toujours au Pakistan. Il était loisible à l'agent de conclure que le demandeur ne serait plus exposé au risque d'être ciblé en raison de l'écoulement du temps et du fait qu'il ne serait plus considéré comme un membre de cette organisation.

 

[21]           La conclusion de l'agent suivant laquelle le demandeur n'était pas exposé au risque en question appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et les motifs exposés étaient transparents et intelligibles. La décision était donc raisonnable au sens de la norme énoncée dans l'arrêt Dunsmuir, précité.

 

[22]           Les parties n'ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier et aucune ne sera donc certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2034-11

 

INTITULÉ :                                       HASSAN SHAKIL

 

                                                            et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 31 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas Lehrer

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DOUGLAS LEHRER

Avocat

Vander Vennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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