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Date : 20111205


Dossier : IMM-7298-10

Référence : 2011 CF 1404

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2011

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

ABDULWAHAB ZABEBA

MAHIR ABDULWAHAB ZABEBA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               M. Abdulwahab Zabeba et son fils, Mahir, sont arrivés au Canada en 2008, en provenance du Yémen. Ils ont demandé l’asile en raison de leurs opinions politiques.

 

[2]               M. Zabeba avait auparavant été diplomate yéménite à Washington D.C. Il prétend avoir été muté en Pologne du fait qu’on le considérait comme un opposant du président du Yémen, M. Ali Abdullah Saleh. M. Zabeba a refusé d’être muté et il croit qu’une accusation de trahison pèse sur lui au Yémen. Il a fui au Canada avec son fils.

 

[3]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé d’accorder l’asile aux demandeurs. Il ont alors présenté une demande d’évaluation des risques avant renvoi [ERAR]. Dans sa demande d’ERAR, M. Zabeba a prétendu qu’il craignait d’être maltraité au Yémen, tant en raison de ses opinions politiques que parce qu’il s’était converti de l’islam au christianisme, alors qu’il se trouvait à Washington. L’apostasie constitue un crime au Yémen.

 

[4]               Un agent d’ERAR a rejeté la demande. L’agent a conclu que le risque fondé sur les opinions politiques était le même que celui que la Commission avait jugé non étayé. En ce qui concerne la persécution potentielle pour des motifs religieux, l’agent a conclu que, bien que l’apostasie soit illégale au Yémen, et passible de la peine capitale, les personnes à risque sont celles qui font ouvertement du prosélytisme. M. Zabeba n’a pas ce profil.

 

[5]               M. Zabeba fait valoir que la décision de l’agent était déraisonnable, parce qu’il avait fait abstraction de la preuve ou l’avait mal interprétée. Il me demande d’infirmer la décision de l’agent et d’ordonner un nouvel examen de sa demande par un autre agent. Je conviens que l’agent a laissé échapper des éléments de preuve importants et je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

[6]               La seule question en litige est de savoir si la décision de l’agent était déraisonnable.

 

II.         La décision de l’agent

[7]               Comme cela a été mentionné, l’agent a conclu que le risque fondé sur les opinions politiques avait déjà été apprécié par la Commission. La Commission avait jugé que M. Zabeba n’était pas crédible et qu’il n’était pas un opposant du gouvernement du Yémen. Il a préféré faire une demande d’asile au Canada, au lieu de la faire aux États‑Unis, parce que nos programmes de soins de santé sont meilleurs. En effet, M. Zabeba était un migrant économique. L’agent a estimé qu’il ne disposait d’aucune preuve nouvelle concernant cette question, de sorte que, selon lui, la décision de la Commission devait être maintenue.

 

[8]               D’autre part, le risque allégué fondé sur l’apostasie était nouveau.

 

[9]               L’agent a reconnu que l’apostasie était un crime au Yémen, et passible de la peine capitale. Toutefois, le gouvernement n’applique pas activement la loi. La question était de savoir si le profil religieux de M. Zabeba, en tant que converti chrétien, faisait en sorte que son fils et lui soient visés par la définition de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger.

 

[10]           M. Zabeba a produit des lettres du ministre de son église, à Ottawa, ainsi que d’un ami à Washington. On fait valoir, dans les deux lettres, qu’il serait en danger au Yémen. L’agent a accordé peu de poids aux lettres, parce qu’elles étaient vagues, fondées sur des suppositions et intéressées. En outre, elles ne provenaient pas de sources ayant une connaissance directe des faits.

 

[11]           L’agent a aussi estimé que la preuve documentaire n’appuyait pas les prétentions des demandeurs :

•           la Constitution du Yémen ne protège ni n’interdit la liberté de religion, bien que les politiques du gouvernement imposent certaines restrictions;

 

•           environ 3 000 chrétiens vivaient partout dans le pays, la plupart étant des réfugiés ou des résidents temporaires;

 

•           bien que, en 2008, le gouvernement du Yémen ait affiché moins de respect face à la liberté de religion, cela concernait principalement les communautés baha’ie et juive;

 

•           on a rapporté un incident, survenu en juin 2008, relativement à un converti chrétien qui avait été arrêté pour avoir fait la promotion du christianisme et la distribution de la Bible;

 

•           Selon l’interprétation que donne le gouvernement à l’islam, la conversion d’un musulman à une autre religion est considérée comme une apostasie, et quelques rapports ont fait état d’arrestations dans des cas liés au prosélytisme ou à l’apostasie en 2008;

 

•           un rapport de 2009 mentionnait que, bien que rien n’ait été spécifiquement rapporté relativement à la surveillance, le harcèlement ou la censure touchant des gens possédant de la littérature religieuse non islamique par les autorités gouvernementales, il existait des motifs de croire que de telles actions se poursuivaient toujours;

 

•           les minorités religieuses ne sont pas tenues de s’inscrire auprès de l’État; cependant, il est interdit à tout non-musulman de se présenter comme candidat aux élections législatives, et les juifs ne peuvent servir dans l’armée ni occuper un poste au gouvernement.

 

[12]           L’agent a fait référence à des éléments de preuve indiquant que les chrétiens constituaient, au Yémen, une minorité religieuse reconnue, et que seuls ceux faisant ouvertement du prosélytisme ou exerçant une autre activité religieuse à découvert étaient exposés au risque de subir un préjudice ou d’être persécutés.

 

[13]           À l’encontre de cette preuve, l’agent a fait remarquer que M. Zabeba n’était simplement qu’un membre de son église; il n’avait pas fait de prosélytisme ni exprimé quelque intention en ce sens. Par conséquent, il ne correspond pas au profil de ceux qui seraient exposés au risque de préjudice de la part du gouvernement, de fanatiques religieux ou d’autres personnes au Yémen.

 

[14]           Enfin, l’agent a aussi conclu que l’allégation selon laquelle Mahir était exposé à un risque en tant que fils d’un ancien diplomate ayant mis le gouvernement dans l’embarras était vague, fondée sur des suppositions et non étayée par la preuve.

 

III.       La décision de l’agent était‑elle déraisonnable?

 

[15]           M. Zabeba soutient que l’agent n’a pas tenu compte de manière adéquate du fait que la conversion était, en soi, un crime, et non seulement le prosélytisme. Il maintient aussi que l’agent n’a pas traité de la preuve contraire et qu’il n’a pas donné les motifs pour lesquels il préférait certains éléments de preuve par rapport à d’autres.

[16]           À mon avis, l’agent a examiné le risque réel couru par M. Zabeba en tant que personne s’étant convertie au christianisme. L’agent a expressément considéré la preuve documentaire concernant la question particulière de l’apostasie au Yémen, de même que la preuve relative au traitement des chrétiens, en général, dans ce pays.

 

[17]           Certains des éléments de preuve dont l’agent aurait, allègue‑t‑on, fait abstraction n’étaient pas déterminants à l’égard de sa décision; ces éléments ne la contredisaient pas non plus. Par exemple, le document intitulé The Islamic Law of Apostasy mentionne tout simplement que l’apostasie est passible de la peine capitale au Yémen, un fait déjà accepté par l’agent. De même, dans Apostates from Islam: No place to call home, on observe que les apostats font face à de graves sanctions, telles que [traduction] « l’annulation du mariage, le retrait de la citoyenneté, la confiscation des papiers d’identité ainsi que la perte d’autres droits sociaux et économiques ». On y énonce également que [traduction] « les nations musulmanes s’abstiennent souvent de procéder à des exécutions officielles d’apostats ». Toutefois, l’article ne portait pas sur le Yémen en particulier.

 

[18]           L’agent s’est fondé sur la preuve documentaire qui concernait spécifiquement le Yémen et qui rapportait quelques arrestations liées à l’apostasie en 2008. Un rapport précédent mentionnait qu’on n’avait fait état d’aucune accusation ou poursuite. L’agent a conclu que M. Zabeba n’était effectivement pas exposé au risque de subir un préjudice au Yémen en tant qu’apostat ou chrétien.

 

[19]           Cependant, l’agent n’a pas fait mention d’autres éléments de preuve au dossier appuyant la demande de M. Zabeba. Le dossier contient un rapport d’un apostat qui fut emprisonné, battu et accusé d’un crime en 2000. Le procès a avorté après que l’affaire eut retenu l’attention au niveau international. En plus, le rapport de 2009 du Département d’État des États‑Unis affirmait qu’il existait des rapports crédibles [traduction] « que plusieurs convertis de l’islam au christianisme continuaient d’être détenus par les autorités ». Dans un autre document, on indique que le nombre de cas d’apostasie devant les tribunaux au Yémen avait augmenté de façon régulière depuis les années 1980.

[20]           À mon avis, l’agent a correctement défini le risque que craignait M. Zabeba. Cependant, le dossier comportait des éléments de preuve qui contredisaient directement la conclusion de l’agent selon laquelle seuls les chrétiens faisant du prosélytisme étaient exposés à un risque. L’agent avait l’obligation d’expliquer pourquoi ces éléments de preuve n’appuyaient pas la demande de M. Zabeba. Par conséquent, la conclusion de l’agent était déraisonnable, au vu des éléments dont il disposait.

 

IV.       Conclusion et dispositif

 

[21]           À mon avis, la conclusion de l’agent n’appartenait pas aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle était donc déraisonnable. Je devrai, par conséquent, accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale pour que je la certifie, et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7298-10

 

INTITULÉ :                                       ABDULWAHAB ZABEBA, ET AUTRE c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 5 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Robert K. Riley

 

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Abigail Martinez

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert K. Riley

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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