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Date : 20111206


Dossier : IMM-2043-11

IMM-2045-11

 

Référence : 2011 CF 1423

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

CLARA KIZA MUTENDE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIC

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Clara Kiza Mutende demande le contrôle judiciaire de deux décisions rendues par une agente d’immigration. Dans la première décision, l’agente a jugé irrecevable sa demande d’asile au Canada parce qu’elle est entrée au Canada par un tiers pays sûr et n’a pas établi qu’elle avait un proche parent au Canada. Mme Mutende conteste également la décision de l’agente de prendre une mesure d’exclusion contre elle.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, les deux demandes présentées par Mutende seront rejetées.

 

Historique

 

[3]               Mme Mutende a tenté d’entrer au Canada par les États‑Unis. Elle demandé l’asile au Canada, alléguant craindre avec raison d’être persécutée dans la République démocratique du Congo [RDC], le pays où elle serait née et dont elle aurait la citoyenneté.

 

[4]               Il résulte de l'Entente sur les tiers pays sûrs conclue par le Canada et les États-Unis, du paragraphe 100(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et de l’article 159.5 du Règlement sur l'Immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, que Mme Mutende devait avoir au Canada un « membre de la famille prêt à aider » pour pouvoir demander l’asile au Canada.

 

[5]               Le 11 mars 2011, Mme Mutende s’est présentée aux bureaux de l'Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], à Fort Erie,afin de déposer sa demande d’asile. Elle était accompagnée de Byatanga Ilango Mutende, un citoyen canadien qui, selon Mme Mutende, serait son frère.

 

[6]               Une agente d’immigration a interrogé chacune de ces deux personnes séparément afin de vérifier si elles étaient vraiment frère et sœur. L’agente a conclu qu’il y avait des contradictions importantes dans les renseignements fournis par les deux personnes. L’agente avait également des réserves quant aux documents d’identité produits par Mme Mutende.

 

[7]               L’agente a fait part à Mme Mutende et à son présumé frère des diverses contradictions figurant dans leurs déclarations et leur a demandé une explication. Bien que Mme Mutende ne pût donner aucune explication quant à ces contradictions, M. Mutende a affirmé que celles-ci étaient dues au fait que Mme Mutende était 20 ans plus jeune que lui de sorte qu’elle ne se souvenait peut‑être pas des détails concernant sa famille alors qu’elle était enfant.

 

[8]               L’agente d’immigration n’a pas été convaincue que l’écart d’âge permettait d’expliquer les nombreuses contradictions figurant dans leurs récits. Par conséquent, elle a informé Mme Mutende et son présumé frère qu’elle prendrait une mesure d’exclusion contre Mme Mutende car sa demande d’asile au Canada était irrecevable.

 

[9]               Après que l’agente eut informé les deux personnes de sa décision, M. Mutende a demandé à l’agente si l’ASFC pouvait effectuer une analyse de l’ADN afin de prouver leur lien biologique. L’agente a répondu que l’ASFC n’effectuait aucune analyse de l’ADN, et qu’il était loisible à la demanderesse et M. Mutende de faire effectuer des analyses à un laboratoire agréé. Toutefois, comme elle était convaincue, à la suite des entrevues, que les deux personnes n’étaient pas frère et sœur, l’agente n’était pas prête à reporter sa décision afin de leur permettre de faire effectuer une analyse.

 

[10]           Par conséquent, l’agente a déclaré que la demande d’asile de Mme Mutende au Canada était irrecevable et a prise une mesure d’exclusion contre elle. Elle a été renvoyée aux États‑Unis plus tard dans la même journée.

 

[11]           Trois jours plus tard, l’ASFC a reçu les résultats des recherches dactyloscopiques effectuées auprès de la GRC et du FBI à propos des empreintes digitales de Mme Mutende. Selon ces renseignements, Mme. Mutende s’était servie d’au moins deux autres noms d’emprunt aux États‑Unis. Plus important encore, les recherches ont révélé que Mme Mutende était née dans la République du Congo, plus précisément à Brazzaville, et non pas dans la République démocratique du Congo, comme elle l’avait prétendu.

 

L’omission de l’agente de faire mention des contradictions à la demanderesse

 

[12]           Mme Mutende prétend dans son mémoire des faits et du droit qu’elle a été traitée de façon inéquitable car l’agente n’a pas relevé les contradictions figurant dans ses réponses et ne lui a pas donné l’occasion de s’expliquer. Elle n’a pas soulevé cet argument à l’audience, et, de toute façon, il ressort du dossier que l’agente a bel et bien fait mention à Mme Mutende et à son présumé frère des contradictions figurant dans leurs récits et leur a donné l’occasion de fournir des explications quant à ces contradictions.

 

L’appréciation des contradictions faite par l’agente

 

[13]           Mme Mutende prétend que l’appréciation faite par l’agente des réponses fournies par elle et son présumé frère était déraisonnable.

 

[14]           Mme Mutende prétend que les cohérences figurant dans leurs récits l’emportaient sur les contradictions et confirmait l’existence d’un lien frère-sœur. Elle affirme que l’agente a également commis une erreur en n’envisageant pas qu’un certain nombre des « contradictions » qu’elle avait relevées pouvaient en fait avoir été des descriptions différentes des mêmes faits. Mme Mutende prétend de plus que l’agente a omis de tenir compte de l’explication selon laquelle elle a été séparée de son frère alors qu’elle était très jeune et qu’elle se souvient donc peu de sa famille à cette époque.

 

[15]           Je suis convaincue que l’appréciation de l’agente était raisonnable. Bien que certains des renseignements fournis fussent sans doute cohérents, il y avait des différences importantes dans les renseignements fournis par Mme Mutende et son présumé frère.

 

[16]           À titre d’exemple, les deux personnes ont déclaré que leur sœur Mariamou (comme Mme Mutende l’a appelée) ou Marie (comme M. Mutende l’a appelée) était décédée. Toutefois, Mme Mutende a dit à l’agente qu’elle avait été assassinée en 2009 par des personnes qui s’étaient présentées chez elle. Par contre, M. Mutende a déclaré qu’elle était décédée en 2004 à la suite d’une maladie.

 

[17]           Bien que Mme Mutende soit de toute évidence beaucoup plus jeune que l’homme qui, selon ses dires, est son frère, elle était adulte au moment où sa sœur serait morte, en 2004 ou en 2009. Sa prétention selon laquelle elle a vécu séparée de son présumé frère pendant de nombreuses années, ne permet tout simplement pas d’expliquer cette divergence importante figurant dans leurs récits.

 

[18]           Il y avait également une contradiction en ce qui concerne le nombre et les noms des frères et des sœurs du père de Mme Mutende. De plus, Mme Mutende prétend qu’elle et son présumé frère avaient la même mère et le même père. Toutefois, comme l’agente l’a souligné, Mme Mutende n’a pas fait mention d’un frère nommé André lorsqu’on lui a demandé de donner les noms des frères et des sœurs de son père. Cela n’est pas étonnant car Mme Mutende a mentionné le nom d’André comme étant celui de son père. Ce qui est étonnant, c’est que M. Mutende a mentionné le nom d’André comme étant celui du frère de son père.

 

[19]           Mme Mutende et son présumé frère n’ont également pas donné la même réponse quant au nombre de fois qu’ils ont été mariés. Le fait que Mme Mutende fut séparée de son présumé frère pendant de nombreuses années peut expliquer pourquoi celle-ci ne connaissait pas la réponse à cette question. Toutefois, elle a prétendu connaître la réponse en affirmant catégoriquement que bien que son frère ait eu des relations avec un certain nombre de femmes, il n’a été marié qu’une seule fois. Cette réponse était différente de celle fournie par M. Mutende.

 

[20]           Ce sont là seulement quelques unes des divergences figurant dans les réponses qui ont été relevées par l’agente d’immigration. Par conséquence, je suis convaincue que la conclusion de l’agente d’immigration selon laquelle Mme Mutende n’avait pas démontré qu’elle avait un frère au Canada était tout à fait raisonnable.

 

L’examen fait par l’agente des pièces d’identité

 

[21]           L’agente avait de nombreuses réserves quant aux pièces d’identité de Mme Mutende, notamment la manière selon laquelle elle s’était procurée les documents. Bien que la plupart de ces réserves étaient raisonnables, je ne suis pas d’avis que l’agente n’a pas bien compris les explications fournies par Mme Mutende selon lesquelles les documents avaient été obtenus dans la ville d’« Uvira » et non pas auprès d’une personne appelée « Vera ».

 

[22]           Je ne suis toutefois pas convaincue, compte tenu du caractère raisonnable des nombreuses autres conclusions de l’agente, que cette seule erreur constitue un motif suffisant pour mettre en doute l’évaluation globale de la preuve faite par celle‑ci.

 

[23]           Je ne suis également pas convaincue qu’il s’agissait d’une erreur de la part de l’agente de ne pas faire expressément mention des pièces d’identité du présumé frère de Mme Mutende. Il se peut très bien que M. Mutende soit la personne qu’il prétend être. En effet, il n’y a aucune raison de penser autrement. Toutefois, il importe peu que ses pièces soient fiables ou non, s’il n’a pas été établi que Mme Mutende est la personne qu’elle prétend être.

 

L’omission de l’agente d’attendre le résultat des analyses de l’ADN

 

[24]           Mme Mutende prétend également qu’il était inéquitable que l’agente ne reporte pas sa décision afin de permettre à elle et à son présumé frère de se soumettre à une analyse de l’ADN. Je ne souscris pas à cette opinion.

 

[25]           À l’appui de sa prétention selon laquelle elle a été traitée de façon inéquitable, Mme Mutende a expliqué l’impasse dans laquelle se trouvent les demandeurs qui désirent obtenir une analyse de l’ADN afin de convaincre les autorités canadiennes de l’immigration de l’existence de leurs liens de parenté.

 

[26]           Selon Mme Mutende, l’ASFC n’acceptera les résultats d’un analyse de l’ADN que si elle a participé au processus d’analyse, car, naturellement, elle veut s’assurer de l’intégrité du processus. Toutefois, Mme Mutende prétend que l’ASFC ne participera pas à un processus d’analyse tant que la personne ne se présente pas aux autorités de l’immigration, alors qu’il est trop tard pour faire effectuer lune analyse.

 

[27]           Mme Mutende affirme que cela est inéquitable et demande à ce que des directives soient données quant à l’application des politiques.

 

[28]           Aussi intéressant que cet argument puisse être, je n’ai pas à m’y attarder en l’espèce car rien dans le dossier dont je suis saisie ne donne à penser que Mme Mutende et son présumé frère ont tenté d’inciter l’ASFC à participer à un processus d’analyse de l’ADN avant de se présenter à la frontière à Fort Erie le 11 mars 2011. En effet, rien au dossier n’indique que les deux personnes en question ont songé à l’analyse de l’ADN avant que l’agente d’immigration ne les informe que sa décision serait défavorable.

 

[29]           Je ne suis également pas convaincue que l’équité exigeait que l’agente reporte sa décision afin de permettre que des analyses de l’ADN soient effectuées. L’agente aurait pu, certes, permettre aux parties de demander que ces analyses soient effectuées, mais elle n’était pas tenue de le faire. Les demandeurs ont la charge de convaincre les autorités de l’immigration canadienne du caractère recevable de leur demande d’asile. Ils n’ont pas réussi à le faire.

 

[30]           Compte tenu des nombreuses divergences importantes figurant dans les renseignements que Mme Mutende et son présumé frère ont fournis à l’agente, celle‑ci a raisonnablement conclu que les deux personnes en question n’étaient pas frère et sœrur. Dans les circonstances, il n’était ni inéquitable, ni déraisonnable de la part de l’agente de refuser de reporter les dossiers et de confirmer la décision qu’elle a avait déjà prise.

 

La question du principe des mains propres

 

[31]           Bien que j’aie décidé de traiter au fonds la présente affaire, j’aurais pu rejeter la demande de contrôle judiciaire de Mme Mutende parce qu’elle ne se présente pas devant la Cour avec les mains propres.

 

[32]           Dans son affidavit, Mme Mutende n’a donné aucune explication ni fait aucune mention relativement aux résultats des recherches dactylographiques. Par conséquent, je suis saisie d’une preuve non contestée selon laquelle Mme Mutende a fait une fausse déclaration importante en ce qui concerne son pays d’origine, une question qui aurait été manifestement cruciale quant à son identité et, en bout de ligne, quant à sa demande d’asile.

 

[33]           Plus important encore, en ce qui concerne les questions en litige dans la présente demande, les résultats des recherches dactylographiques jettent un doute additionnel sur le caractère recevable de la demande d’asile au Canada présentée par Mme Mutende, lequel dépendait de la preuve que M. Mutende est bel et bien le frère de Mme Mutende. Mme Mutende prétend que, elle et son frère, sont nés dans la RDC et ont y ont été élevés par les mêmes parents. Le fait que Mme Mutende soit vraisemblablement née à Brazzaville dans la République du Congo jette un doute sérieux sur le caractère véridique de son récit.

 

Conclusion

 

[34]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Sur consentement des parties, l’intitulé est modifié afin d’ajouter le ministre de la Sécurité publique comme défendeur.

 

Certification

 

[35]           Je suis d’accord avec les parties pour affirmer que la présente affaire repose sur les faits qui lui sont propres et ne soulève aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  l’intitulé est modifié afin d’ajouter le ministre de la Sécurité publique comme défendeur;

            3.         aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2043-11 et IMM-2045-11

 

INTITULÉ :                                      CLARA KIZA MUTENDE c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AUTRES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto, Ontario

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 30 novembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              la juge Mactavish

 

DATE DES MOTIFS :                      le 6 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel Kingwell

 

POUR LA DEMANDERESSE

Kristina Dragaitis

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann Sandaluk

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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