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 Date : 20111212

Dossier : IMM-2626-11

Référence : 2011 CF 1461

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

GERMAN GUILLERMO MOLANO FONNOLL

(alias GERMAN GUILLERM MOLANO FONNOLL)

SANDRA RODRIGUEZ MIRANDA

JUAN CAMILO MOLANO RAMIREZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise une décision, en date du 7 mars 2011, par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que German Guillermo Molano Fonnol et son épouse, Sandra Rodriguez Miranda, n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention en vertu de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention). La Commission a aussi conclu que M. Fonnol, Mme Miranda et le fils de M. Fonnol, Juan Camilo Molano Ramirez (appelés collectivement les demandeurs), ne sont pas des réfugiés ni des personnes qui ont la qualité de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

[2]               Pour les motifs énoncés ci-après, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée en partie.

 

II.        Faits

 

[3]               M. Fonnoll est citoyen de la Colombie; il demande l’asile parce qu’il est persécuté par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Son épouse et son fils, issu d’un mariage antérieur, l’accompagnent.

 

[4]               M. Fonnoll fait valoir qu’il est persécuté par les FARC en raison de ses opinions politiques présumées et de son appartenance au Parti libéral. Il soutient qu’il a travaillé pour ce parti au cours des dernières campagnes politiques.

 

[5]               En 1992, M. Fonnoll et son épouse ont fondé un centre pour enfants d’âge préscolaire appelé « Jardin Infantil Divino Nino ». Le centre était situé dans la région rurale de Cota, en banlieue de Bogota.

 

[6]               En 1998, M. Fonnoll et son épouse ont accordé cinq bourses d’études à la communauté autochtone de Cota. En contrepartie, ils ont bénéficié d’incitatifs fiscaux. Les bourses englobaient l’intégralité des droits de scolarité et d’autres dépenses.

 

[7]               Le 8 mars 1999, Mme Miranda a reçu un appel menaçant parce que des enfants autochtones étaient inscrits au centre.

 

[8]               Par la suite, des appels ont systématiquement été reçus; on exigeait que les enfants autochtones soient retirés du centre.

 

[9]               Le 16 avril 1999, M. Fonnoll a accompagné le chauffeur d’autobus, M. Gomez, qui reconduisait les enfants chez eux. Sur la route, entre Suba et Cota, une jeep orange s’est arrêtée devant l’autobus, forçant M. Gomez à freiner brusquement. Deux hommes sont descendus de la jeep et se sont identifiés comme étant des membres des FARC. L’un d’eux a pointé une arme à la tête de M. Gomez alors que l’autre individu a violemment frappé M. Fonnoll derrière la tête avec un fusil de chasse. Ils menacé M. Fonnoll et lui ont conseillé d’expulser les enfants autochtones de son école, après quoi ils ont violemment frappé les deux hommes, cassant la mâchoire et le nez de M. Fonnoll.

 

[10]           Ce même jour, M. Fonnoll a rapporté l’incident aux policiers. Ceux-ci lui ont toutefois dit de revenir si pareille situation se reproduisait. Les membres des FARC ont aussi demandé à M. Fonnoll de leur verser de l’argent chaque mois.

 

[11]           Un autre incident est survenu au centre alors que des parents s’y trouvaient. Les véhicules des parents auraient été endommagés par des membres des FARC. Ces incidents ont été signalés à la police, qui a alors décidé de mener une enquête.

 

[12]           Au début de juillet 1999, M. Fonnoll et son épouse ont décidé d’expulser les enfants autochtones de leur centre, croyant que leurs problèmes seraient réglés. Cette décision a été prise pendant qu’ils étaient partis en vacances.

 

[13]           À leur retour chez eux, ils ont reçu un autre appel. La personne au bout du fil a avisé M. Fonnoll qu’il était maintenant une cible militaire en raison de ses liens avec le Parti libéral et du fait qu’il n’avait pas payé les taxes de guerre. Cet événement a forcé M. Fonnoll et Mme Miranda à abandonner leur centre, laissant deux professeurs s’en occuper. Ils ont aussi loué leur appartement et se sont rendus à Cucuta, où ils ont demeuré avec le père de Mme Miranda.

 

[14]           Le 24 octobre 1999, M. Fonnoll est parti pour les États-Unis d’Amérique (É.-U.) puisqu’il avait obtenu un visa de visiteur. Mme Miranda est allée le rejoindre le 7 décembre 1999. Ils ont prolongé leur visa de visiteur une fois, puis, le 13 décembre 2000, après s’être informés sur le processus d’immigration, ils ont présenté une demande d’asile. Leur demande a été rejetée le 20 février 2003 parce qu’elle avait été déposée en retard. Ils ont toutefois obtenu qu’il soit sursis à leur renvoi. M. Fonnoll et Mme Miranda ont aussi obtenu des permis de travail et un numéro d’assurance sociale.

 

[15]           Le temps a passé et les demandeurs n’ont jamais reçu d’autres documents des autorités américaines, les avisant d’une date de renvoi. Craignant d’être expulsés à tout moment, et étant témoins de l’expulsion de Colombiens dans une situation similaire à la leur, ils se sont renseignés au sujet de la possibilité de demander l’asile au Canada.

 

[16]           En novembre 2008, ils ont quitté les É.-U. et sont venus au Canada. Le fils de M. Fonnoll est venu les rejoindre en août 2009, en provenance de la Colombie.

 

III.       Dispositions législatives

 

[17]           Les dispositions législatives applicables sont annexées à la présente décision.

 

IV.       Questions en litige et norme de contrôle

 

A.        Questions en litige

 

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Fonnoll et Mme Miranda étaient exclus en vertu de la section E de l’article premier de la Convention?

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes qui ont la qualité de personnes à protéger?

 

B.        Norme de contrôle

 

[18]           Dans l’arrêt Zeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] ACF no 632, 2010 CAF 118 [Zeng], la Cour d’appel a indiqué ce qui suit, au paragraphe 11 : « [l]es parties conviennent – et je suis d’accord avec elles – que le critère pour établir s’il y a lieu à exclusion en vertu de la section 1E de la Convention est une question de droit d’application générale au processus de détermination du statut de réfugié et est assujetti à la norme de contrôle de la décision correcte. La question de savoir si les faits donnent lieu à l’exclusion est une question mixte de droit et de fait appelant une grande retenue à l’égard de la SPR » et la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité.

 

[19]           La norme de contrôle applicable à la conclusion de la Commission quant à la crainte objective et subjective des demandeurs est celle de la décision raisonnable (voir Moreno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 841, au paragraphe 7).

 

[20]           La norme de contrôle concernant le statut des demandeurs en vertu de la section E de l’article premier de la Convention est celle de la décision correcte.

 

V.        Observations des parties

 

A.        Observations des demandeurs

 

[21]           La Commission a conclu que M. Fonnoll et son épouse n’ont pas la qualité de réfugiés en vertu de la section E de l’article premier de la Convention. M. Fonnoll et son épouse soutiennent que l’enjeu principal pour décider s’il doit y avoir exclusion en vertu de la section E de l’article premier de la Convention consiste à savoir si un individu possède les mêmes droits et obligations que ceux que possèdent les ressortissants du pays qui leur a accordé l’asile, soit en l’espèce les États-Unis d’Amérique.

 

[22]           Ils font valoir que la Commission n’a pas analysé correctement leur demande étant donné qu’ils n’ont jamais eu les droits et obligations des ressortissants des États-Unis. Ils ne pouvaient pas sortir des É.‑U. puis y entrer à nouveau. M. Fonnoll et son épouse soutiennent que le droit de retourner au pays de résidence est crucial pour l’application de la section E de l’article premier de la Convention, comme il a été jugé dans Shamlou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 103 FTR 241 [Shamlou]; Mahdi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1623, 32 Imm LR (2d) 1; Olschewski c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1065).

 

[23]           M. Fonnoll fait valoir que son épouse et lui ne pouvaient travailler librement sans restriction. Il a dû présenter régulièrement des demandes de permis de travail. Les autorités américaines auraient pu à tout moment décider de ne pas examiner son permis. De plus, sa carte de sécurité sociale n’était valide que si elle était accompagnée des pièces d’identité d’immigration appropriées. Selon M. Fonnoll, cette exigence montre qu’il avait des droits plus restreints que ceux d’un citoyen américain.

 

[24]           M. Fonnoll n’avait pas de permis d’études et ni accès aux services sociaux aux É.‑U. Il avait plutôt une date de renvoi en suspens. Bon nombre de ses amis ayant le même statut que lui, dit-il, se sont fait arrêter et ont été expulsés sans le moindre préavis ou droit d’appel.

 

[25]           M. Fonnoll soutient aussi que la Commission était tenue d’examiner tous les facteurs pertinents pour l’analyse de son statut. Il fait valoir que son épouse et lui ne devraient pas être exclus en vertu de la section E de l’article premier de la Convention, d’autant plus que le critère énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zeng s’applique en l’espèce.

 

[26]           M. Fonnoll affirme aussi que la Commission a commis une erreur de droit en appliquant l’arrêt Wangden c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 344 (Wangden).

 

[27]           Selon M. Fonnoll, la Commission a commis une autre erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas de crainte subjective. Comme la Commission avait reconnu que M. Fonnoll était la cible des membres des FARC en Colombie, elle n’aurait pas dû rejeter sa demande sur le fondement de la crainte subjective.

 

[28]           Dans l’arrêt Shanmugarajah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 583 [Shanmugarajah], la Cour d’appel fédérale déclare ce qui suit, au paragraphe 3 : « [...] il est presque toujours téméraire pour une Commission, dans une affaire de réfugié où aucune question générale de crédibilité ne se pose, d’affirmer qu’il n’existe aucun élément subjectif de crainte de la part du demandeur [...] ».

 

[29]           M. Fonnoll affirme que sa décision de quitter les É.-U. et de venir au Canada allait de pair avec sa crainte d’être persécuté dans son pays d’origine. Il ne pouvait pas supporter l’incertitude dans laquelle il vivait aux É.-U. et il était terrifié parce qu’il a vu comment les gens étaient expulsés des É.-U.

 

[30]           La Commission a conclu que M. Fonnoll ne serait plus la cible des membres des FARC en raison du temps écoulé et du fait que son profil ne correspond pas à ceux qui figurent dans les principes directeurs du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (les Principes directeurs).

 

[31]           L’interprétation des faits par la Commission est erronée, étant donné que les FARC ciblaient M. Fonnoll et son épouse parce qu’ils avaient créé des bourses d’études à l’intention d’enfants autochtones. Le fait que le centre était situé à Bogota n’est pas pertinent. Les FARC ciblaient le demandeur pour ses opinions sociales et politiques.

 

[32]           M. Fonnoll soutient que la décision de la Commission reposait sur des considérations non pertinentes. Le fait que son fils n’était pas ciblé en Colombie n’est pas déterminant. Lors de son témoignage, M. Fonnoll a déclaré que son fils vivait chez sa mère biologique et n’a jamais été lié au problème concernant les FARC. Il soutient que cela n’a jamais été pertinent pour la demande.

 

[33]           M. Fonnoll a aussi présenté une preuve objective selon laquelle les membres des FARC continuent de persécuter leurs ennemies, même après que ceux-ci eurent quitté la Colombie. Bon nombre de Colombiens qui ont fui le pays et qui y sont retournés après plusieurs années ont été persécutés à leur retour. Qui plus est, M. Fonnoll fait valoir que le Cartable national de documentation (le CND) confirme cette prétention.

 

[34]           M. Fonnoll soutient avoir présenté une preuve crédible suivant laquelle les gens qui ont été ciblés une fois par les FARC continuent de faire face à un risque sérieux de persécution en Colombie même plusieurs années après les menaces initiales. La Commission a ignoré toute la preuve qui étayait sa demande. L’omission de traiter la preuve qui contredit directement la conclusion de la Commission constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire (Cepeda‑Guitierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n1425, 157 FTR 35; Villicana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1205).

 

B.        Observations du défendeur

 

[35]           Le défendeur reconnaît que la Commission a commis une erreur en excluant M. Fonnoll en vertu de la section E de l’article premier de la Convention. Cette conclusion n’est cependant pas déterminante en ce qui concerne la demande du demandeur étant donné que la Commission a conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes qui ont la qualité de personnes à protéger en raison de l’absence de craintes objectives et subjectives. Le défendeur soutient que la décision rendue par la Commission est raisonnable et que l’intervention de la Cour n’est pas requise (voir Ezokola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 224, au paragraphe 79; Bouasla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 930).

 

[36]           M. Fonnoll et son épouse ont tous deux décidé de quitter les É.-U. pour venir au Canada en dépit du sursis au renvoi et du fait qu’aucune mesure de renvoi n’a été prise contre eux. La protection associée au retrait du processus de renvoi a fait l’objet de discussions dans la décision Wangden, précitée. La Commission a tenu compte de l’affaire Wangden et a conclu que la décision de M. Fonnoll de venir au Canada illustrait une absence de crainte subjective. Le défendeur fait valoir que cette décision est raisonnable et compatible avec la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale.

 

[37]           Les demandeurs soutiennent que, comme elle a conclu qu’ils étaient des témoins crédibles, la Commission ne pouvait pas conclure qu’ils n’avaient pas une crainte subjective. Cependant, le défendeur fait valoir que même si le récit des événements est crédible aux yeux de la Commission, celle-ci peut aussi conclure à une absence de crainte subjective de la part de M. Fonnoll et de son épouse.

 

[38]           Les demandeurs déclarent que la Commission a commis une erreur en concluant que M. Fonnoll et Mme Miranda n’ont pas le profil des gens qui présentent un risque de crainte objective de persécution en Colombie. Selon le défendeur, ils n’ont toutefois pas démontré qu’ils font partie de l’un des groupes exposés à un risque décrits dans les Principes directeurs.

 

[39]           Le défendeur soutient que la Commission a examiné la nature des profils des demandeurs en Colombie, notamment l’appartenance de M. Fonnoll à un parti politique, le fait d’être fleuriste propriétaire et son partenariat avec Mme Miranda dans un centre préscolaire. La Commission a aussi fait une distinction entre les enseignants des secteurs ruraux et le centre préscolaire de M. Fonnoll et de Mme Miranda qui était situé en banlieue de Bogota. Contrairement à ce que prétendent les demandeurs, l’analyse de la Commission concernant l’emplacement du centre était pertinente afin de décider si M. Fonnoll et son épouse couraient un risque.

 

[40]           En outre, la question à savoir si les FARC sont en mesure de poursuivre leurs victimes, après un séjour de plusieurs années à l’extérieur de la Colombie, est une question distincte de celle de savoir s’il est vraisemblable que les FARC cibleraient les demandeurs. Rien n’indique que la Commission a ignoré la preuve concernant le risque auquel sont exposés certains individus en Colombie. En fait, les conclusions tirées par la Commission ne contredisent pas cette preuve et, dans ce contexte, il n’était pas nécessaire d’en faire expressément mention dans la décision de la Commission.

 

[41]           Enfin, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, le défendeur fait valoir que le fait que le fils de M. Fonnoll n’était pas ciblé par les membres des FARC démontre une absence de crainte objective. La Commission a conclu que le fils de M. Fonnoll n’a démontré aucune crainte subjective ou objective. Les demandeurs n’ont pas contesté cette conclusion. Par conséquent, la décision de la Commission est raisonnable.

 

VI.       Analyse

 

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Fonnoll et Mme Miranda étaient exclus en vertu de la section E de l’article premier de la Convention?

 

[42]           La Cour d’appel fédérale a formulé un critère dans les cas où est soulevée la question de l’applicabilité de la section E de l’article premier de la Convention. Au paragraphe 28 de l’arrêt Zeng, précité, la Cour précise ce qui suit :

[28]  Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a‑t‑il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

 

[43]           Selon l’arrêt Zeng, la Commission doit d’abord décider si le demandeur a, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays. La Commission a conclu que M. Fonnoll et son épouse sont exclus au motif qu’ils ont obtenu un retrait du processus de renvoi, ce qui leur garantissait les droits fondamentaux, tels que la non‑discrimination, la liberté de religion, l’accès aux cours de justice et à l’éducation.

 

[44]           M. Fonnoll et son épouse font valoir que l’application du cadre établi dans l’arrêt Zen mène à la conclusion qu’ils ne sont pas exclus en vertu de la section E de l’article premier de la Convention. À la date de la tenue de l’audience devant la Commission, M. Fonnoll et Mme Miranda n’avaient pas un statut aux É.-U. similaire à celui des ressortissants de ce pays. Le statut qu’ils avaient par suite du sursis à leur renvoi a été perdu lorsqu’ils ont quitté les É.-U.; la réponse à la première question du critère énoncé dans l’arrêt Zeng est donc négative. Par ailleurs, ils n’ont jamais eu un statut aux É.-U. similaire aux ressortissants de ce pays. La réponse à la deuxième question précisée dans l’arrêt Zeng est elle aussi négative. Ainsi, M. Fonnoll et Mme Miranda soutiennent qu’ils ne sont pas exclus en vertu de la section E de l’article premier de la Convention.

 

[45]           Le défendeur, pour sa part, reconnaît que la Commission a commis une erreur dans l’application de la section E de l’article premier. Toutefois, il allègue que cette erreur n’a pas joué un rôle déterminant dans la décision de la Commission puisque celle-ci a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes qui ont la qualité de personnes à protéger.

 

[46]           À l’appui de sa décision, la Commission a cité le juge Mosley dans la décision Wangden : « Bien qu’une personne à qui le retrait du processus de renvoi a été accordé bénéficie d’un éventail de droits plus limités que si elle avait obtenu l’asile en vertu de la loi américaine, elle jouit quand même de plusieurs droits importants. Les différences ne minent pas ma conclusion selon laquelle le retrait du processus de renvoi est équivalent à la reconnaissance à titre de réfugié au sens de la Convention » (voir Wangden c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1230, au paragraphe 75). Il a conclu que « les personnes dont le statut de personne à renvoyer a été retiré aux États-Unis sont des réfugiées au sens de la Convention selon l’alinéa 101(1)d) de la LIPR » (voir Wangden, au paragraphe 77). Se fondant sur l’objet de la LIPR et le libellé de l’alinéa 101(1)d), le juge Mosley a conclu que le législateur ne voulait pas « venir en aide aux personnes qui préfèrent tout simplement demander asile dans un pays de préférence à un autre. La Convention et la Loi sur l’immigration devraient être interprétées en tenant compte de leur objectif véritable » (Mohamed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 127 FTR 241, [1997] ACF no 400, au paragraphe 9), à savoir protéger des personnes contre les risques (voir Wangden, au paragraphe 72). Toutes les conclusions du juge Mosley ont été acceptées et confirmées par la Cour d’appel fédérale.

 

[47]           Toutefois, la décision d’irrecevabilité en l’espèce repose sur l’article 98 de la LIPR plutôt que sur l’alinéa 101(1)d) de la LIPR. Cette dernière disposition ne s’applique pas et un retrait du processus de renvoi fondé sur l’article 98 de la LIPR ne constitue pas une reconnaissance d’un statut de réfugié au sens de la Convention. Dans la décision Valaei-Bakhshayesh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1130, le juge Harrington a déclaré, au paragraphe 19, que « [l]a section E de l’article premier dispose que la Convention ne s’applique pas à une personne considérée par le pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays ». Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[48]           La Cour convient avec les demandeurs que la Commission a commis une erreur en concluant que leur statut aux É.-U. était le même que celui des ressortissants américains. Dans la décision Shamlou, le juge Teitelbaum a accepté le critère énoncé par M. Lorne Waldman dans Immigration Law and Practice, Vol. 1, qui souligne que [traduction] « si le demandeur jouit de quelque statut temporaire qui doit être renouvelé et qui pourrait être annulé, ou si le demandeur n’a pas le droit de retourner dans le pays de résidence, il est clair qu’il ne devrait pas être exclu en vertu de la section E de l’article premier » (Voir Shamlou au paragraphe 35; Lorne Waldman, Immigration Law and Practice, Vol. 1, Markham (Ontario); Butterworths, 1992, [sec.] 8.218 à 8.204-8.205). La conclusion de la Commission selon laquelle M. Fonnoll et Mme Miranda étaient exclus en vertu de la section E de l’article premier de la Convention est déraisonnable.

 

2.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes qui ont la qualité de personnes à protéger?

 

[49]           M. Fonnoll soutient que la Commission a reconnu qu’il était ciblé par les FARC. Par conséquent, la conclusion de la Commission voulant que M. Fonnoll et son épouse n’avaient pas une crainte subjective est déraisonnable. La Commission n’a pas conclu que M. Fonnoll et son épouse étaient ciblés par les membres des FARC; elle a plutôt estimé que M. Fonnoll était un témoin crédible puisque son récit correspondait à celui de sa demande américaine.

 

[50]           Quant à la question de crédibilité, M. Fonnoll invoque l’arrêt Shanmugarajah, où la Cour d’appel fédérale écrit ce qui suit : « […] il est presque toujours téméraire pour une Commission, dans une affaire de réfugié où aucune question générale de crédibilité ne se pose, d’affirmer qu’il n’existe aucun élément subjectif de crainte de la part du demandeur […] ». En l’espèce, la Commission a souligné que M. Fonnoll et Mme Miranda se sont vu accorder un retrait du processus d’expulsion aux É.-U., ce qui leur a permis de travailler. Ils ont obtenu des permis de travail et ont travaillé à leur compte comme fleuristes. M. Fonnoll avait aussi un permis de conduire. Aucune mesure d’expulsion n’a été prise contre eux. M. Fonnoll et son épouse ont décidé de laisser tomber le retrait du processus d’expulsion aux É.-U. pour venir au Canada. Ainsi, ils ont pris une chance qui permet de conclure à l’absence d’une crainte subjective étant donné qu’ils pourraient être expulsés dans leur pays d’origine n’importe quand.

 

[51]           M. Fonnoll soutient que sa situation précaire aux É.-U. allait de pair avec la crainte qu’il avait d’être persécuté en Colombie. La Cour estime que la conclusion de la Commission est raisonnable étant donné qu’aucune mesure d’expulsion n’avait été prise contre M. Fonnoll ou Mme Miranda. La crainte qu’ils avaient d’être expulsés des É.-U. est strictement conjecturale et n’est étayée par aucune preuve objective.

 

[52]           La Commission a aussi conclu qu’ils ne faisaient pas partie des groupes exposés à des risques dont font état les Principes directeurs. Il s’agit d’une conclusion raisonnable vu qu’il n’existe aucune preuve objective qui permet d’appuyer leur demande, ainsi que le démontre la Commission.

 

[53]           M. Fonnoll soutient toutefois que la conclusion de la Commission à cet égard importe peu puisque les FARC le ciblaient en raison de ses opinions sociales et politiques. La Commission n’a pas examiné en détail la question des opinions sociales et politiques de M. Fonnoll dans sa décision. D’abord, la Commission n’était pas tenue d’aborder la question des enfants autochtones puisque ce problème était semble-t-il réglé. Quant à ses opinions politiques, la Commission ne disposait d’aucune preuve permettant de démontrer qu’il était persécuté en raison de ces opinions et de son appartenance au Parti libéral.

 

[54]           La Commission a aussi conclu que le fils de M. Fonnoll n’avait aucune crainte de persécution subjective ou objective étant donné qu’aucune preuve ne permettait d’appuyer ces allégations.

 

[55]           La Cour conclut que la décision de la Commission est raisonnable vu l’absence de crainte de persécution subjective et objective de la part des demandeurs. La Commission ne disposait d’aucune preuve objective permettant d’appuyer leurs allégations. Vu l’absence de crainte subjective, la Commission n’était pas tenue d’examiner la question à savoir si les FARC pouvaient, même après plusieurs années, trouver les demandeurs en Colombie. Ces derniers ont omis de démontrer qu’il était vraisemblable que les FARC les ciblent dans leur pays d’origine.

 

[56]           « Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. […] Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). La décision rendue par la Commission, bien qu’elle ne soit pas parfaite, appartient aux issues possibles acceptables conformément à l’arrêt Dunsmuir. Il faut faire preuve de retenue judiciaire à l’égard des décisions contrôlées selon la norme de la raisonnabilité.

 

VII.     Conclusion

 

[57]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée en partie étant donné que la conclusion de la Commission se rapportant à la section E de l’article premier de la Convention est déraisonnable. Cependant, celle se rapportant aux articles 96 et 97 de la LIPR est raisonnable puisque les demandeurs ont omis de présenter une preuve objective à l’appui de leur crainte de persécution en Colombie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée en partie, la partie de la décision rendue par la Commission voulant que le demandeur principal soit exclu en vertu de la section E de l’article premier de la Convention est annulée et renvoyée à la Commission, et le reste de la décision est confirmé;

2.                  il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE

 

Les articles 96, 97, 98 et 101(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27, sont ainsi libellés :

 

Définition de « réfugié »

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

Convention refugee

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

Person in need of protection

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i)               the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Person in need of protection

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

Exclusion — Refugee Convention

 

 

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

Irrecevabilité

 (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

 

Ineligibility

101. (1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if

 

a) l’asile a été conféré au demandeur au titre de la présente loi;

 

(a) refugee protection has been conferred on the claimant under this Act;

b) rejet antérieur de la demande d’asile par la Commission;

 

(b) a claim for refugee protection by the claimant has been rejected by the Board;

c) décision prononçant l’irrecevabilité, le désistement ou le retrait d’une demande antérieure;

 

(c) a prior claim by the claimant was determined to be ineligible to be referred to the Refugee Protection Division, or to have been withdrawn or abandoned;

 

d) reconnaissance de la qualité de réfugié par un pays vers lequel il peut être renvoyé;

 

(d) the claimant has been recognized as a Convention refugee by a country other than Canada and can be sent or returned to that country;

 

e) arrivée, directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement autre que celui dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

 

(e) the claimant came directly or indirectly to Canada from a country designated by the regulations, other than a country of their nationality or their former habitual residence; or

f) prononcé d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux — exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l’alinéa 35(1)c) — , grande criminalité ou criminalité organisée.

 

(f) the claimant has been determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality, except for persons who are inadmissible solely on the grounds of paragraph 35(1)(c).

 

 

La section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés est ainsi libellée :

 

1E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

1E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-2626-11

 

INTITULÉ :                                                  GERMAN GUILLERMO MOLANO FONNOLL

                                                                       (alias GERMAN GUILLERM MOLANO FONNOLL)

                                                                       SANDRA RODRIGUEZ MIRANDA

                                                                       JUAN CAMILO MOLANO RAMIREZ

                                                                       c

                                                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          Le 22 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 12 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alla Kikinova

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Sharon Stewart Guthrie

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loebach

London (Ontario)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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