Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 Date : 20111213

Dossier : T-1971-10

Référence : 2011 CF 1465

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2011

En présence de M. le juge Martineau

 

 

ENTRE :

 

JADWIGA MAJDAN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision portant sur un grief de classification prise par L. Séguin, directeur général, Politiques, Systèmes et Programmes ministériels des ressources humaines (le directeur), à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC). Dans sa décision datée du 28 octobre 2010, le directeur a adopté la recommandation du Comité d’examen des griefs de classification (le Comité) de classifier rétroactivement au 1er mars 2000 le poste de la demanderesse dans le groupe et au niveau AR‑05.

 

CONTEXTE

[2]               La demanderesse, Jadwiga Majdan, a travaillé pour TPSGC de 2000 à 2007, et y a occupé plusieurs postes. En avril 2004, elle a déposé un grief dans lequel elle alléguait que la description de travail générique (la DT) de son poste ne correspondait pas aux fonctions qu’elle accomplissait dans les faits. Les parties ont convenu de résoudre le grief au moyen d’un protocole d’entente qui comprenait un accord portant sur l’élaboration d’une nouvelle DT expressément pour la demanderesse.

 

[3]               Le 16 juillet 2008, à la suite de l’élaboration de la nouvelle DT de la demanderesse, son poste de gestionnaire de programmes/spécialiste de niveau II a été classifié dans le groupe et au niveau AR‑05. Le 18 août 2008, la demanderesse a déposé un grief de classification en vertu de l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 2.

 

[4]               Le 16 juin 2009, le Comité a examiné le grief de classification. La demanderesse a témoigné et son représentant, Dejan Toncic, a fait un exposé oral. M. Toncic atteste par ailleurs, dans l’affidavit qu’il a souscrit, qu’il a soumis plusieurs documents au Comité, y compris trois DT à des fins d’établissement de la valeur relative des postes (les DT portant sur la valeur relative). Marie-Josée Fournier, qui faisait partie du Comité, atteste dans son affidavit que les DT portant sur la valeur relative n’avaient jamais été soumises au Comité. M. Toncic affirme également avoir soumis trois DT à des fins de comparaison (les DT comparatives) que le Comité a acceptées à l’audience sans les remettre en question ou les contester.

 

[5]               À l’audience, la demanderesse a expliqué au Comité que Pierre Vaillancourt n’était pas son supérieur lorsqu’elle occupait le poste faisant l’objet du grief (le poste en cause), ajoutant que M. Vaillancourt avait fait preuve d’animosité envers elle. Le défendeur affirme que la haute direction avait indiqué au Comité que M. Vaillancourt était la personne compétente à contacter au sujet du grief de classification. Mme Fournier a déclaré en contre-interrogatoire que le Comité avait expliqué à la demanderesse que les différends personnels qu’elle avait avec M. Vaillancourt n’étaient pas pertinents.

 

[6]               Le 22 juillet 2009, le Comité a rencontré M. Vaillancourt pour obtenir des renseignements au sujet du grief de classification. Le Comité a également fait parvenir à M. Vaillancourt un courriel de suivi dans lequel il réclamait des examens du rendement et des plans de travail pour mieux comprendre les attributions de la demanderesse. Mme Fournier déclare dans son affidavit qu’elle ne se rappelle pas avoir reçu ces renseignements de M. Vaillancourt, ajoutant que, si le Comité les as reçus, il ne s’est pas fondé sur eux pour prendre sa décision.

 

[7]               M. Toncic a envoyé un courriel au Comité pour répéter l’affirmation de la demanderesse suivant laquelle M. Vaillancourt n’était pas la personne compétente à qui l’on devait s’adresser au sujet du grief étant donné qu’il n’était pas son supérieur à l’époque. Le Comité a également rencontré les deux autres supérieurs de la demanderesse.

 

[8]               Le 10 décembre 2009, le Comité a adressé à la demanderesse un courriel dans lequel il lui posait d’autres questions au sujet des fonctions qu’elle exerçait lorsqu’elle occupait le poste en cause. La demanderesse signale qu’à deux reprises, M. Toncic a demandé au Comité s’il avait des réserves au sujet de sa DT et que le Comité avait répondu qu’il ne la contestait pas.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]               Par lettre datée du 28 octobre 2010, le directeur a informé la demanderesse que le Comité avait recommandé unanimement que le poste en cause soit classifié dans le groupe et au niveau AR‑05. Le directeur a précisé qu’il approuvait cette recommandation, qui prenait effet rétroactivement au 1er mars 2000. Une copie du rapport du Comité était jointe à la lettre.

 

[10]           Dans ce rapport, le Comité résumait les arguments de M. Toncic. Ce dernier affirmait que le poste en cause correspondait à un niveau AR plus élevé – plus précisément le niveau 6 – que celui auquel il était présentement classifié. À l’appui de cet argument, M. Toncic soumettait des renseignements portant sur la DT de la demanderesse ainsi que sur l’une des DT portant sur la valeur relative (RPS10700), les DT comparatives et les affectations et attributions caractéristiques du poste en cause.

 

[11]           Le Comité a ensuite examiné les renseignements fournis par la direction, y compris ceux qu’avait soumis M. Vaillancourt. Le Comité a pris acte de l’affirmation de la demanderesse suivant laquelle M. Vaillancourt n’était pas son supérieur au moment des faits.

 

[12]           Le Comité a signalé qu’il avait des réserves au sujet de la DT de la demanderesse, de sorte qu’il avait cherché à obtenir de plus amples renseignements de la demanderesse et de la direction pour obtenir des éclaircissements au sujet de la nature essentielle des tâches confiées au titulaire du poste en cause. Le Comité a affirmé que les discussions qu’il avait eues portaient essentiellement sur les éclaircissements en question et sur les explications fournies par les parties au sujet des tâches effectivement effectuées par la demanderesse. Le Comité a ensuite analysé le poste en cause en fonction des postes qu’il estimait constituer des éléments de comparaison pertinents.

 

[13]           L’analyse du niveau auquel il convenait de classifier le poste en cause à laquelle le Comité s’est livré est à la fois approfondie et complexe. Le Comité a essentiellement conclu que le poste en cause se rapprochait beaucoup de celui de gestionnaire de projet de niveau 5 (bien que le Comité ait reconnu la difficulté que comportait une comparaison entre un poste axé sur un projet et un poste axé sur un programme). Le Comité a conclu que les similitudes constatées en ce qui concerne les connaissances requises, le niveau de responsabilités et la fourniture de conseils stratégiques et techniques faisaient de ce poste un élément de comparaison approprié. Le Comité a conclu que le poste en cause se situait à un niveau inférieur à celui de BM 9 (niveau 6), qui s’apparentait davantage à un poste de gestionnaire principal de projet.

 

[14]           Le Comité n’a pas retenu l’argument de M. Toncic suivant lequel la complexité du travail effectué par la demanderesse lorsqu’elle occupait le poste en cause justifiait une classification plus élevée. Il a plutôt conclu que les exigences du poste en cause se comparaient à celles d’un poste de niveau 5.

 

[15]           Le Comité a estimé qu’il ne pouvait tenir compte des trois DT comparatives soumises par la demanderesse : la DT relative au poste de spécialiste, conseiller professionnel (AR‑06) était une ébauche de DT qui ne portait la signature d’aucun cadre et elle n’avait jamais fait l’objet d’une évaluation officielle; le Comité a estimé que le poste de gestionnaire, Bâtiments, Structures et Services (AR‑07) avait été classifié au niveau EN‑ENG‑06 (ingénierie) et non AR‑07 (architecture), et qu’il avait donc été évalué selon des normes de classification différentes; quant au poste de directeur, Gestion des ressources des opérations régionales (AR‑07), le Comité l’a écarté parce qu’il n’existait aucun poste portant ce titre au sein de TPSGC. Contrairement à l’affirmation de la demanderesse suivant laquelle il s’agissait d’un projet de DT d’un de ses supérieurs, Jacques Leclerc, le Comité a estimé que le titre du poste de M. Leclerc était plutôt celui de directeur, Services de gestion des projets et des contrats, et que ce poste avait depuis été aboli.

 

[16]           Le Comité a conclu que, compte tenu des attributions relatives au poste en cause, celui‑ci avait été correctement classifié dans le groupe et au niveau AR‑05.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[17]           La demanderesse soulève les questions suivantes dans la présente demande :

1.      le Comité a manqué à son obligation d’équité;

2.      le Comité a ignoré des éléments de preuve pertinents et a tenu compte d’éléments de preuve non pertinents, ce qui rend la décision contestée déraisonnable.

 

[18]           Compte tenu de mes conclusions au sujet de l’obligation d’agir avec équité, il n’est pas nécessaire d’examiner le moyen subsidiaire de la demanderesse au sujet du caractère déraisonnable de la décision contestée.

 

MANQUEMENT À L’ÉQUITÉ

[19]           Un manquement à l’obligation d’agir avec équité n’est pas assujetti à une norme de contrôle qui commande la déférence étant donné qu’il s’agit d’une exigence procédurale fondamentale (Maurice c Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 941, 267 FTR 107). La Cour estime que les arguments présentés par la demanderesse sur cette question sont bien fondés et qu’il y a effectivement eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Je vais commencer mon analyse par un bref résumé de la thèse respective des parties sur cette question.

 

            La demanderesse

[20]           La demanderesse affirme que le Comité avait l’obligation d’agir avec équité tout en admettant que cette obligation se situe au bas du continuum. La demanderesse soutient que cette obligation exigeait du Comité qu’il lui offre la possibilité de faire valoir son point de vue sur les éléments de preuve complémentaires ou contradictoires sur lesquels il s’est fondé pour rendre sa décision (Maurice, précité, au paragraphe 32; Bulat c Canada (Conseil du Trésor), (2000), 252 NR 182, 95 ACWS (3d) 99 (CAF)).

 

[21]           La demanderesse soutient que le Comité a manqué à son obligation d’agir avec équité à quatre reprises :

a)     le Comité lui a nié la possibilité de répondre aux renseignements fournis par M. Vaillancourt;

b)     le Comité ne l’a pas informée de son rejet des DT comparatives, l’empêchant ainsi de répondre aux motifs invoqués à l’appui de ce rejet;

c)     le Comité lui a refusé la possibilité de répondre aux renseignements soumis par M. Leclerc au sujet du poste en cause;

d)     le Comité ne l’a pas informée des réserves qu’il avait au sujet de sa DT, malgré le fait que son représentant avait interrogé le Comité à deux reprises à ce sujet.

 

[22]           La demanderesse affirme que les observations qu’elle a formulées à l’audience étaient fondées sur sa conviction que la teneur de sa DT avait été acceptée, étant donné qu’elle avait été approuvée tant par elle-même que par la direction. La demanderesse soutient que ni elle ni son représentant n’ont été informés par le Comité des renseignements qui avaient été obtenus par ce dernier après l’audience et qui contredisaient l’énoncé de ses fonctions que l’on trouvait dans sa DT. À cet égard, la demanderesse signale en particulier les renseignements obtenus de M. Vaillancourt sur lesquels, comme la demanderesse le souligne, Mme Fournier, selon sa propre admission, s’était fondée jusqu’à un certain point pour rendre sa décision.

 

[23]           S’agissant de la raison invoquée par le Comité pour rejeter les DT comparatives, la demanderesse signale que l’une des DT sur laquelle le Comité s’est fondé pour son analyse de la valeur relative était également un projet de DT et que ce poste avait également été classifié selon la norme de l’ingénierie (EN). La demanderesse affirme donc qu’il n’était pas évident en soi que le Comité ne pouvait pas tenir compte des DT comparatives parce qu’il s’agissait de versions préliminaires ou de documents classifiés selon la norme EN.

 

[24]           La demanderesse affirme également que, si le Comité l’avait informée ou avait informé M. Leclerc du fait qu’il était convaincu que le poste de directeur, Services aux opérations régionales et produits (AR‑07) n’existait pas, l’un ou l’autre aurait pu fournir des éclaircissements pour faire savoir au Comité qu’il s’agissait effectivement du titre du poste de M. Leclerc à l’époque.

 

            Le défendeur

[25]           Le défendeur affirme qu’il n’y a eu aucun manquement à l’obligation d’agir avec équité. Le défendeur table principalement sur Bégin c Canada (Procureur général), 2009 CF 634, pour affirmer que la personne qui s’estime lésée ne dispose pas d’un droit de réplique en réponse à de nouveaux éléments d’information si elle n’a l’intention que de répéter ses arguments antérieurs. Par conséquent, en ce qui concerne le témoignage de M. Vaillancourt, le défendeur affirme que les renseignements qu’il a soumis n’étaient ni nouveaux ni cruciaux en ce qui concerne la décision du Comité, de sorte que la demanderesse n’a aucun droit de réplique.

 

[26]           En ce qui concerne les DT comparatives, le défendeur affirme que la demanderesse aurait dû savoir que le Comité ne peut se fonder sur des projets de DT qui n’ont pas été évalués officiellement, pas plus qu’il ne peut se fier à des DT qui ont été évaluées selon une norme de classification différente. L’omission de porter ces questions à l’attention de la demanderesse n’équivalait donc pas à un manquement à l’obligation d’agir avec équité.

 

[27]           En ce qui concerne les renseignements soumis par M. Leclerc, le défendeur affirme qu’ils ne contredisaient pas ceux fournis par la demanderesse. Le défendeur signale que M. Leclerc n’a jamais déclaré expressément à quel niveau le poste en cause devait être classifié, mais qu’il a plutôt fourni des renseignements sur les attributions de ce poste. Le défendeur affirme donc une fois de plus qu’il n’y avait pas de droit de réplique en ce qui concerne ces renseignements.

 

[28]           Le défendeur affirme enfin que la demanderesse a été mise au courant des réserves que le Comité avait au sujet de sa DT. Le défendeur signale à la Cour les courriels adressés par Mme Fournier à la demanderesse pour obtenir des éclaircissements au sujet des attributions du poste en cause. La demanderesse ne saurait donc prétendre ne pas avoir été avisée des réserves du Comité.

 

            Analyse

[29]           Après avoir examiné la preuve, analysé la décision contestée, examiné la jurisprudence pertinente et les arguments des parties, j’estime qu’il s’agit d’un cas où l’intervention de la Cour est justifiée. Sous réserve de ce qui est par ailleurs déclaré dans les paragraphes suivants, la Cour souscrit entièrement à l’argumentation de la demanderesse.

 

[30]           Je vais commencer par réaffirmer qu’il est de jurisprudence constante qu’un manquement à l’obligation d’agir avec équité de la part du Comité a pour effet de vicier sa décision (décision Maurice, précitée, au paragraphe 11). La jurisprudence est également constante en ce qui concerne la définition de la teneur de l’obligation d’agir avec équité en matière de griefs de classification : l’obligation se situe au bas du continuum, mais oblige néanmoins le Comité à accorder à la personne qui s’estime lésée l’occasion de répondre à tous renseignements complémentaires ou contradictoires sur lesquels il entend se fonder pour rendre sa décision.

 

[31]           On trouve un exemple de l’articulation de ce principe dans l’arrêt Bulat, précité, au paragraphe 10 :

Toutefois, je suis d’avis que l’issue de la présente affaire ne dépend pas de l’étendue précise de la teneur de l’obligation d’agir équitablement que le comité a envers l’appelant. L’un des aspects élémentaires de l’obligation d’agir équitablement veut que la personne sur laquelle une décision a un effet négatif ait véritablement la possibilité de débattre d’une question qui joue, de l’avis du comité, un rôle crucial dans le règlement du grief, mais que l’auteur du grief ne croit pas litigieuse et qu’il ne s’attend donc pas à voir surgir ni à traiter.

 

 

[32]           Ainsi, pour pouvoir conclure à un manquement à l’obligation d’agir avec équité, la Cour doit conclure que le Comité a fondé sa conclusion sur des renseignements auxquels la personne qui s’estime lésée n’a pas eu la possibilité de répondre. La question à se poser est celle de savoir si l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la personne qui s’estime lésée sache que la question était en litige et à ce qu’elle l’aborde dans ses observations à l’intention du Comité. Si la Cour estime que les renseignements non divulgués ont en quelque sorte pris la personne qui s’estime lésée au dépourvu et que ces renseignements ont joué un rôle important quant à la conclusion du Comité, la décision du Comité doit être annulée. C’est ce que la Cour conclut en l’espèce.

 

[33]           Dans l’affaire Bulat, précitée, les renseignements non divulgués consistaient en une déclaration d’un gestionnaire suivant laquelle certaines des tâches que la personne qui s’estimait lésée exécutait avaient été accomplies de son plein gré et ne faisaient pas partie de sa description de tâches. Le gestionnaire avait donc, à l’insu de la personne qui s’estimait lésée, limité l’étendue des attributions de cette dernière au point de justifier une classification inférieure. La Cour a estimé qu’il s’agissait de renseignements cruciaux que la personne qui s’estimait lésée ne pouvait avoir prévus et qu’elle ne pouvait avoir abordés.

 

[34]           Dans l’affaire Maurice, précitée, les renseignements non divulgués consistaient en le fait que le Comité ne pouvait tenir compte de l’élément de comparaison proposé par la personne qui s’estimait lésée parce qu’il n’avait pas été soumis sous une forme acceptable. La Cour a conclu que le Comité aurait dû informer la personne qui s’estimait lésée qu’il ne pouvait tenir compte de ses arguments de fond en raison du problème de forme constaté et qu’il aurait dû lui donner la possibilité de soumettre des observations additionnelles.

 

[35]           Suivant les principes dégagés de ces décisions, je conclus que le rejet par le Comité des DT comparatives sans en aviser la demanderesse constituait un manquement à l’obligation d’agir avec équité. Ainsi que la demanderesse l’affirme, le Comité a accepté les DT comparatives à l’audience sans les remettre en question ou les contester et il n’a jamais fait savoir à la demanderesse, à quelque moment que ce soit, qu’il ne pouvait en tenir compte.

 

[36]           Malgré certaines différences, ce scénario rappelle quelque peu celui de l’affaire Maurice, précitée. Dans cette affaire, le Comité avait rejeté l’élément de comparaison proposé parce qu’il ne portait pas de date ni la signature d’un agent de classification et qu’il n’était pas accompagné d’une description de tâches adéquate. Voici ce que la Cour a déclaré dans cette décision, au paragraphe 35 :

Dans les circonstances particulières de cette affaire et, entre autres, compte tenu :

i) de l’absence de ligne directrice quant à la forme ou au contenu de la description de tâches à être soumise pour qu’un poste actuel soit considéré par le Comité;

ii) qu’en l’absence de preuve à cet égard, la Cour peut inférer que lors de la rencontre le Comité n’a pas soulevé de problème de forme ou de manque de clarté dans la comparaison des postes mis de l’avant par la demanderesse et que celle-ci, tel que l’indique l’affidavit de M. Guérin, est restée sous l’impression qu’elle avait clairement comparé sa description de tâches à celles des autres employés à qui ses fonctions furent transférées y inclus Mme Martin. Elle s’attendait donc à ce que la substance de son argument soit analysée;

iii) que le Comité devrait avoir la meilleure information possible pour s’assurer que sa décision est juste et équitable;

iv) que donner un avis et donner un bref délai à la demanderesse pour lui fournir une preuve additionnelle n’est pas une obligation trop onéreuse. Cela ne devrait pas compromettre ou retarder indûment le règlement de ce grief;

La Cour conclut que le Comité aurait dû aviser la demanderesse qu’elle ne pourrait considérer ses arguments parce que la preuve soumise n’était pas dans une forme acceptable et lui donner un bref délai pour fournir une preuve additionnelle.

 

 

[37]           De même, dans la décision contestée, le Comité a rejeté les trois éléments de comparaison proposés pour des motifs qui n’avaient pas été communiqués antérieurement à la demanderesse. Les raisons évoquées par le Comité pour rejeter les éléments de comparaison étaient semblables à celles avancées dans Maurice; dans les deux affaires, les éléments de comparaison n’étaient ni datés ni signés et ils n’étaient donc pas officiels. Ainsi que la Cour l’a conclu dans Maurice, il existe très peu de balises sur la façon de soumettre des éléments de comparaison au Comité, pour qui il n’aurait pas été onéreux d’informer la demanderesse que les DT comparatives ne pouvaient être examinées dans la forme dans laquelle elles étaient présentées. Nul n’a non plus laissé entendre à l’audience que le Comité avait l’intention d’écarter les éléments de comparaison parce qu’ils n’étaient pas pertinents ou que d’autres éléments de comparaison auraient dû être soumis.

 

[38]           L’attitude du Comité était d’autant plus contestable que son examen du grief de la demanderesse a été très long. L’audience a eu lieu le 16 juin 2009 et la décision n’a été rendue que le 28 octobre 2010. Dans l’intervalle, le Comité a communiqué avec la demanderesse et son représentant à de nombreuses reprises. Il ne fait donc aucun doute que le Comité aurait pu informer la demanderesse des problèmes que soulevaient les éléments de comparaison proposés et lui accorder la possibilité de répondre à ces préoccupations.

 

[39]           Je ne suis par ailleurs pas convaincu qu’il était évident en soi que le Comité devait écarter les DT comparatives parce qu’il s’agissait de versions préliminaires ou qu’elles étaient par ailleurs dénuées de pertinence. Le Comité a bien pris soin de se renseigner au sujet de la nature réelle du poste occupé par la demanderesse au lieu de se contenter de se fier à ce qui était écrit dans sa DT. Pourquoi donc avait‑il l’obligation de rejeter du revers de la main les DT comparatives parce qu’elles portaient la mention [traduction] « PROJET » au lieu de les analyser plus à fond pour déterminer si elles étaient utiles pour son analyse? Ainsi, en rejetant les DT comparatives, le Comité a manqué à son obligation d’agir avec équité.

 

[40]           J’estime que le Comité a également manqué à son obligation d’agir avec équité en n’accordant pas à la demanderesse la possibilité de répondre aux renseignements fournis par M. Vaillancourt. Le défendeur reconnaît que le Comité a cherché à se renseigner auprès de M. Vaillancourt pour clarifier en quoi consistaient les fonctions de la demanderesse lorsqu’elle occupait le poste en cause. Le défendeur soutient cependant que M. Vaillancourt n’a fourni au Comité aucun renseignement utile, de sorte qu’il n’était pas nécessaire que le Comité informe la demanderesse de ces renseignements et lui accorde la possibilité d’y répondre.

 

[41]           Le Comité a toutefois fait mention dans sa décision des renseignements fournis par M. Vaillancourt :

                                    [traduction] M. Vaillancourt a confirmé que les principales fonctions de la personne qui s’estime lésée étaient incluses dans certaines des principales activités énumérées dans la description de tâches. Il a également confirmé certains des renseignements se rapportant aux activités en question. Il a toutefois souligné que la personne qui était titulaire du poste en cause jouait principalement un rôle de participation en tant qu’expert en matière de planification et de développement de cadres stratégiques pour la Direction générale.

 

 

[42]           Ainsi, contrairement à ce que prétend le défendeur, les renseignements communiqués par M. Vaillancourt n’étaient pas une simple répétition de ceux que la demanderesse avait soumis. Dans la dernière phrase, M. Vaillancourt explique que le titulaire du poste en cause était appelé à offrir ses conseils comme expert plutôt que comme chef ou gestionnaire. Il ne s’agissait pas là de renseignements banals ou neutres. La façon dont M. Vaillancourt a qualifié le poste en cause aurait de toute évidence justifié une classification inférieure à celle proposée par la demanderesse.

 

[43]           Je ne retiens donc pas l’argument du défendeur suivant lequel les renseignements fournis par M. Vaillancourt n’ont eu aucun effet sur la décision du Comité. J’estime plutôt que la situation s’apparente à celle de l’affaire Bulat, précitée, dans laquelle le gestionnaire avait soumis des renseignements qui justifiaient une classification inférieure à celle réclamée par la personne qui s’estimait lésée. De même, dans le cas qui nous occupe, les renseignements communiqués par M. Vaillancourt nuisaient de toute évidence au grief de la demanderesse (ce qui est particulièrement problématique, compte tenu du fait qu’il n’était pas son supérieur et qu’il éprouvait vraisemblablement de l’animosité envers elle).

 

[44]           Les réponses données par Mme Fournier lors de son contre-interrogatoire étaient équivoques en ce qui concerne la question de savoir si le Comité s’est fondé sur les renseignements communiqués par M. Vaillancourt pour parvenir à la sa recommandation. Elle a affirmé que M. Vaillancourt [traduction] « n’était pas en mesure de nous donner d’autres renseignements, se contentant de confirmer les fonctions auxquelles elle avait été affectée alors qu’il la supervisait »; elle a toutefois poursuivi en déclarant ce qui suit [traduction] : « C’est difficile à expliquer. Nous en avons tenu compte en ce sens qu’il y avait certains éléments qu’il était en mesure de nous expliquer au sujet de la nature du travail ». J’estime donc que je ne peux me fier au témoignage de Mme Fournier pour conclure que le Comité ne s’est pas fondé sur les renseignements communiqués par M. Vaillancourt. De plus, le fait que ces renseignements se retrouvent dans la décision du Comité appuie la conclusion que le Comité s’est effectivement fondé sur ces renseignements, ce qui l’obligeait à informer la demanderesse de ces renseignements.

 

[45]           Dans sa décision, le Comité donne l’impression que la demanderesse a été informée des renseignements communiqués par M. Vaillancourt et qu’on lui a accordé la possibilité d’y répondre :

                                    [traduction] On a offert à la personne qui s’estime lésée la possibilité de répondre à ces renseignements. Elle a expliqué que M. Vaillancourt n’était pas son supérieur en ce qui concerne les attributions décrites dans le protocole d’entente.

 

[46]           Mme Fournier a toutefois admis en contre-interrogatoire que le Comité n’avait informé la demanderesse que du fait qu’il avait rencontré M. Vaillancourt; le Comité n’a pas informé la demanderesse de la teneur des renseignements communiqués par M. Vaillancourt. J’estime donc à cet égard le Comité a également manqué à son obligation d’agir avec équité.

 

[47]           Même si les griefs de classification ne donnent lieu qu’à une norme d’équité peu élevée, il s’agit d’un cas dans lequel le Comité ne s’est acquitté de son obligation qu’en paroles.

 

CONCLUSION

[48]           Pour ces motifs, la présente demande sera accueillie par la Cour. La décision du directeur sera annulée et l’affaire sera renvoyée pour être examinée de nouveau par un autre arbitre. Le nouveau Comité qui sera constitué devra entendre la demanderesse avant de formuler ses recommandations finales. Les parties ont informé la Cour qu’elles se sont entendues pour que la partie qui obtient gain de cause obtienne 4 500 $ à titre de dépens. La demanderesse se voit donc adjuger ce montant à titre de dépens.
JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.      la présente demande est accueillie par la Cour;

2.      la décision du directeur est annulée et l’affaire est renvoyée pour qu’elle soit examinée de nouveau par un autre arbitre;

3.      le Comité nouvellement constitué devra entendre la demanderesse avant de formuler sa recommandation définitive;

4.      il est adjugé à la demanderesse 4 500 $ à titre de dépens.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   T-1971-10

 

INTITULÉ :                                                  JADWIGA MAJDAN et

                                                                       PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          Le 6 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 13 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jeremy Wright

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Michel Girard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sevigny Westdal LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.