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Date : 20111213


Dossier : T‑2121‑05

Référence : 2011 CF 1459

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

ENTRE :

 

JEAN PELLETIER

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

et

 

L’HONORABLE JOHN H. GOMERY, EN SA QUALITÉ D’EX‑COMMISSAIRE DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LE PROGRAMME DE COMMANDITES ET LES ACTIVITÉS PUBLICITAIRES

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ADJUDICATION DES DÉPENS ET ORDONNANCE

 

I.          Introduction

[1]               Dans la présente requête en adjudication des dépens, feu Jean Pelletier (M. Pelletier) réclame une somme globale au titre des honoraires et des débours qu’il a engagés relativement à la demande de contrôle judiciaire dans laquelle il a eu gain de cause et par laquelle, le 26 juin 2008, le juge Teitelbaum a infirmé, avec dépens, les conclusions que le commissaire Gomery avait tirées à son sujet et qui figurent dans la phase I du Rapport découlant de l’Enquête publique sur le programme de commandites et les activités publicitaires (la Commission d’enquête). La requête en adjudication des dépens de M. Pelletier, qui est datée du 25 juillet 2008, a été ajournée par le juge Teitelbaum jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale statue sur l’appel du procureur général du Canada de la décision du juge Teitelbaum concernant la demande de contrôle judiciaire de M. Pelletier. Le 10 juillet 2010, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel, avec dépens, pour cause de retard.

 

[2]               Le 1er février 2011, l’avocat du procureur général a déposé des observations supplémentaires au sujet de la présente requête en adjudication des dépens, car M. Pelletier est décédé en janvier 2009. L’avocat a signalé que la succession de M. Pelletier ne s’était pas conformée à l’article 117 des Règles des Cours fédérales (DORS98/106) (les Règles) et qu’elle ne pouvait donc pas donner suite à la requête en adjudication des dépens. La question de la conformité à l’article 117 des Règles a été réglée, ce qui a été confirmé par le protonotaire Morneau, et l’appel interjeté à l’encontre de cette décision a été rejeté. Aucun appel n’a été interjeté auprès de la Cour d’appel fédérale. Dans ces circonstances, la requête en adjudication des dépens de M. Pelletier est prête à être tranchée.

 

II.        La requête en dépens de M. Pelletier

[3]               L’avocat qui représentait M. Pelletier dans la demande de contrôle judiciaire soumise au juge Teitelbaum appartient au même cabinet d’avocats que celui qui représentait le très honorable Jean Chrétien. Ses observations sur les dépens sont structurées de la même manière, mais elles tiennent cependant compte du fait que M. Pelletier avait reçu du gouvernement du Canada la somme de 101 125,30 $ en vue de supporter une part des frais juridiques qu’il avait engagés dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire.

 

[4]               Il réclame une somme globale de 300 000 $ au titre des honoraires et des débours. Ce montant est étayé par l’affidavit de Me Nadia Effendi, avocate au sein du bureau d’Ottawa du cabinet d’avocats représentant M. Pelletier. Celle‑ci n’a pas été contre‑interrogée.

 

[5]               L’affidavit de Me Effendi nous indique ce qui suit :

a.       sur une base avocat‑client, pour le temps consacré à la demande de contrôle judiciaire, les honoraires et les débours de M. Pelletier, aux tarifs ordinaires facturés par les professionnels chargés de sa demande, s’élèvent à 478 496,24 $ au titre des honoraires, y compris les taxes applicables, et à 25 234,52 $ au titre des débours;

b.      subsidiairement à l’adjudication d’une somme globale, M. Pelletier a sollicité une ordonnance prescrivant à l’officier taxateur (l’officier) de taxer ses dépens à la valeur maximale de la colonne V du tarif des frais et des débours prévu dans les Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) (le tarif), soit un montant total de 59 121,60 $ au titre des honoraires, taxes applicables comprises, ainsi qu’un montant de 25 234,52 $ au titre des débours;

c.       subsidiairement encore, M. Pelletier a sollicité une ordonnance prescrivant à l’officier de taxer les honoraires et les débours à la valeur maximale de la colonne IV du tarif, soit un montant de 46 917,60 $ au titre des honoraires, taxes applicables comprises, et un montant de 25 234,52 $ au titre des débours;

d.      subsidiairement encore, M. Pelletier a demandé que les honoraires et débours soient taxés selon la colonne III du tarif, ce qui, selon sa valeur maximale, donnerait un montant de 34 035,60 $ au titre des honoraires, taxes applicables comprises, et un montant de 25 234,52 $ au titre des débours.

[6]               L’avocat de M. Pelletier fait valoir qu’il était juste et équitable que la Cour fixe les dépens à un montant supérieur à ceux que prévoit le tarif. S’appuyant sur les facteurs énoncés à l’article 400 des Règles, lesquels doivent être pris en compte dans l’adjudication des dépens, l’avocat de M. Pelletier souligne ce qui suit :

                L’issue de la demande de contrôle judiciaire a été importante. Le juge Teitelbaum a annulé les conclusions de fait que le commissaire Gomery avait tirées à l’encontre de M. Pelletier, réparant ainsi le préjudice causé à la réputation de ce dernier. Le juge Teitelbaum a conclu que le commissaire avait préjugé de diverses questions, qu’il n’avait pas été impartial à l’endroit de M. Pelletier et qu’il avait tenu à son égard des propos désobligeants qui avaient terni sa réputation et sa personne, et y avaient porté atteinte.

                Les questions étaient importantes aux yeux de M. Pelletier, car son héritage politique était en jeu. Les questions étaient également complexes sur le plan des faits, et les documents étaient volumineux (280 000 pages dans le dossier conjoint de demande).

                La quantité de travail a été extraordinaire : les avocats, exclusion faite des parajuristes et des étudiants, ont travaillé 1 193 heures;

                Il était dans l’intérêt du public d’instruire le contrôle judiciaire. Celui‑ci concernait la conduite appropriée de la Commission d’enquête.

 

III.       Les observations des défendeurs

[7]               L’avocat du procureur général du Canada et l’avocat de la Commission d’enquête ont présenté des observations parce qu’ils s’opposaient aux montants réclamés au titre des dépens. Le procureur général du Canada ne s’est pas opposé à ce que la Cour adjuge une somme globale. Invoquant l’article 407 des Règles, les deux avocats ont demandé à la Cour que l’adjudication de la somme globale soit, dans la plus grande mesure possible, fondée sur la colonne III du tarif.

 

[8]               En résumé, les défendeurs ont fait valoir que M. Pelletier demandait essentiellement à la Cour de lui adjuger les dépens sur une base avocat‑client, soulignant que puisque la somme de 300 000 $ demandée, qui inclut les honoraires d’un second avocat, est fondée sur ses propres calculs, elle équivaut au moins au triple du montant que prévoit la colonne V du tarif – la plus élevée du tarif, et au quintuple du montant qui lui serait adjugé selon la colonne III, sans compter les sommes qu’il a reçues du gouvernement du Canada. D’après les facteurs qui régissent une telle adjudication, ont‑ils soutenu, M. Pelletier n’a pas droit à des dépens avocat‑client.

 

[9]               L’avocat du procureur général du Canada a fait valoir que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour adjuger à M. Pelletier une somme globale selon la fourchette supérieure de la colonne III du tarif, y compris les honoraires pour la présence d’un second avocat, mais avec les réserves suivantes : 1) le nombre d’heures réclamées au titre des articles 14A et B devrait être, dans les deux cas, réduit à 35, et 2) pour ce qui est des débours, en l’absence de preuve à cet égard, les parties devraient tenter de régler elles‑mêmes la question et, si elles n’y parviennent pas, elles devraient la renvoyer à l’officier taxateur.

 

[10]           Il s’ensuit que l’avocat du procureur général a sollicité une ordonnance pour que soit adjugée à M. Pelletier la somme de 26 340,00 $ au titre des honoraires, excluant les débours, mais incluant les taxes.

 

[11]           Il a cité le passage suivant, tiré de l’arrêt Sherman c Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CAF 29, de la Cour d’appel fédérale pour affirmer que l’objet des règles relatives aux dépens n’est pas de rembourser la totalité des dépenses et des débours qu’une partie a engagés dans le cadre d’un litige, mais plutôt d’assurer une compensation partielle :

L’objet des règles relatives aux dépens n’est pas de rembourser toutes les dépenses et débours engagés par une partie dans la poursuite d’un litige, mais bien d’assurer une compensation partielle. Les dépens adjugés sont, en principe, les dépens partie‑partie. À moins que la Cour n’en ordonne autrement, la Règle 407 exige qu’ils soient évalués selon la colonne III du tableau du tarif B. Comme la Cour fédérale l’a dit de façon fort à propos dans Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd. (1998), 159 F.T.R. 233, le tarif B représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a obtenu gain de cause et l’imposition d’une charge excessive à la partie déboutée.

 

 

[12]           Les observations de l’avocat du commissaire Gomery ont été semblables à celles du procureur général du Canada, sauf qu’il s’opposait à l’adjudication d’une somme globale et a demandé à la Cour d’ordonner que les dépens soient taxés conformément à la colonne III du tarif.

 

IV.       La réponse de M. Pelletier

[13]           En réponse, l’avocat de M. Pelletier a formulé les observations suivantes :

1.         La question des débours appropriés ne devrait pas être renvoyée à l’officier pour taxation. Dans sa réponse, l’avocat de M. Pelletier a joint l’affidavit de Patricia Prudhomme, qui avait établi le mémoire de dépens joint à l’affidavit de Me Effendi. Elle a déclaré que les débours inclus dans le mémoire de dépens avaient uniquement trait à la demande de contrôle judiciaire de M. Pelletier. Elle a expliqué comment fonctionnait le système informatisé de comptabilisation des dépenses du cabinet d’avocats. Elle a fourni d’autres détails au sujet d’articles précis du tarif. Elle n’a pas été contre‑interrogée.

2.         Bien que M. Pelletier n’ait pas sollicité de dépens avocat‑client, il ne serait pas inapproprié de lui en adjuger, car il existe en l’espèce des circonstances spéciales : Capital Vision, Inc. c Canada (Ministre du Revenu national) [2003] ACF No 1580 (CF), Church of Jesus Christ of Latter Day Saints c King, (1998) 41 OR 3d 389 (CA) et King c Canada (Procureur Général) [2000] ACF No 1558 (CAF). L’avocat fonde ses observations sur l’objet de la demande de contrôle judiciaire de M. Pelletier, qui est de défendre sa réputation, entachée par la conduite de la Commission d’enquête. Une adjudication de dépens avocat‑client est un moyen approprié d’aider à rétablir la confiance du public envers M. Pelletier.

 

V.        L’analyse et les conclusions

[14]           Le travail de la Cour en l’espèce a été nettement simplifié grâce aux motifs de l’ordonnance rendus le 26 octobre 2011 sur la question des dépens du très honorable Jean Chrétien par la Cour d’appel fédérale qui, comme il a été mentionné, a rejeté avec dépens l’appel que le procureur général du Canada avait formé contre la décision du juge Teitelbaum.

 

[15]           C’est le juge Mainville qui a rédigé les motifs du jugement (voir Canada (Procureur général) c Chrétien, 2011 CAF 53). Devant la Cour d’appel fédérale, l’avocat de M. Chrétien a demandé, au titre des dépens et des débours engagés dans le cadre de l’opposition à l’appel du procureur général, une somme globale de 70 000 $. Subsidiairement, M. Chrétien a sollicité une ordonnance prescrivant à l’officier taxateur de taxer ses dépens à la valeur maximale de la colonne V du tarif, ce qui donnait la somme de 14 037,41 $, taxes applicables comprises (9 561,50 $ au titre des honoraires, et 4 475,91 $ au titre des débours).

 

[16]           L’avocat du procureur général a convenu qu’il était approprié d’adjuger une somme globale à M. Chrétien, mais qu’il fallait que l’adjudication soit fondée sur le tarif, ce qui donnait une somme globale de 11 282,70 $, excluant les débours mais incluant les taxes applicables.

 

[17]           Le juge Mainville a profité de l’occasion pour énoncer les principes applicables à l’adjudication de dépens supplémentaires, c’est‑à‑dire l’adjudication de dépens qui excèdent le montant maximal que prévoit le tarif, et les a appliqués aux faits relatifs à l’appel de M. Chrétien qui a obtenu gain de cause. Voici ce qu’il a écrit aux paragraphes 3 à 9 des motifs de l’ordonnance :

Les principes applicables à l’adjudication de dépens supplémentaires ont déjà été examinés par la Cour et peuvent se résumer comme suit :

 

a.     L’adjudication de dépens partie‑partie est généralement déterminée en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B et ne vise pas à indemniser une partie pour les frais juridiques qu’elle a engagés, mais représente plutôt une contribution aux frais juridiques de la partie qui a obtenu gain de cause.

 

b.    Cependant, la Cour peut, à sa discrétion, majorer les dépens afin d’adjuger des dépens partie‑partie appropriés lorsque les circonstances le justifient.

 

c.     Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut tenir compte des facteurs énoncés à l’article 400 des Règles, notamment les sommes réclamées et les sommes recouvrées, l’importance et la complexité des questions en litige, la charge de travail nécessaire, la conduite d’une partie et le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens.

 

d.    De plus, les dépens supplémentaires doivent être adjugés à titre de dépens partie‑partie, étant donné qu’ils ne dédommagent pas la partie qui a obtenu gain de cause de ses dépens avocat‑client.

 

e.     Les dépens avocat‑client ne sont accordés que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple lorsqu’une partie a fait preuve de mauvaise foi ou d’une conduite inappropriée, répréhensible, scandaleuse ou outrageante; des raisons d’intérêt public peuvent également justifier l’adjudication de dépens sur une base avocat‑client.

 

f.     L’adjudication des dépens n’est pas une science exacte, elle relève plutôt d’un pouvoir discrétionnaire fondé sur le discernement et le bon sens.

 

(Articles 400 et 407 des Règles, Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, [2003] 2 C.F. 451; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 157, 325 N.R. 134; CCH Canadian Ltée. c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CAF 278, 243 D.L.R. (4th) 759; Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau‑Brunswick, 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405, au paragraphe 86.)

 

L’intimé justifie sa demande de dépens supplémentaires par le résultat de l’instance, l’importance des questions en litige, l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance et la conduite de l’appelant.

 

Le résultat de l’instance ne peut à lui seul justifier l’attribution de dépens supplémentaires. Par ailleurs, la conduite de l’appelant au regard de cet appel n’était pas répréhensible et ne justifie pas non plus la majoration des dépens.

 

Toutefois, je reconnais que l’importance des questions en litige à trancher dans le cadre de l’appel, ainsi que l’intérêt public à instruire l’appel, justifient la majoration des dépens. L’appel portait sur la réputation d’un ancien premier ministre du Canada et la conduite appropriée des commissions fédérales d’enquête publique. Il s’agit de questions en litige importantes et complexes d’intérêt public. Par conséquent, l’appelant se verra octroyer des dépens en plus de ceux prévus par le tarif B.

 

En ce qui concerne le montant des dépens, il relève d’un pouvoir discrétionnaire fondé sur les facteurs décrits ci‑haut. L’intimé demande 70 000 $, soit presque l’équivalent de ses dépens avocat‑client. Rien ne justifie en l’espèce d’adjuger des dépens sur une base avocat‑client. Pour sa part, l’appelant propose d’appliquer le tarif B pour adjuger des dépens de 11 282,70 $, somme comprenant les taxes mais non les débours (que l’intimé estime à 4 475,91 $). Comme je l’ai déjà mentionné, l’adjudication de dépens plus élevés que les sommes prévues par le tarif B est justifiée en l’espèce, et je ne puis donc souscrire à la position de l’appelant qui limite les dépens au tarif.

 

Compte tenu du temps que les avocats de l’intimé ont consacré à préparer l’appel et de l’importance des questions en litige, l’adjudication de 25 000 $ en plus de tous les débours et des taxes applicables me semble appropriée en l’espèce. Bien que cette somme ne suffise pas à compenser pleinement les frais juridiques engagés par l’intimé dans le cadre du présent appel, elle constitue néanmoins une contribution importante à ces dépens tout en étant conforme aux normes acceptables pour l’adjudication de dépens partie‑partie. Elle représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‑imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe.

 

Par conséquent, je suis d’avis d’adjuger à l’intimé, pour l’appel et toutes les requêtes connexes, y compris la présente requête, des dépens partie‑partie de 25 000 $, en plus des débours engagés et des taxes applicables à la présente ordonnance et aux débours. De plus, il est ordonné à l’officier taxateur de taxer les dépens en conséquence.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[18]           Dans ses observations supplémentaires, l’avocat de M. Chrétien a fait remarquer que, subsidiairement au paiement global de 70 000 $, M. Chrétien avait demandé des dépens correspondant à la valeur maximale prévue à la colonne V, soit des honoraires de 9 561,50 $ et un montant de 4 475,91 $, soit un total de 14 037,41 $, et que la Cour d’appel lui avait adjugé la somme de 25 000 $, plus les débours et les taxes applicables.

 

[19]           L’avocat de M. Chrétien a signalé que les dépens adjugés par la Cour d’appel fédérale équivalaient à deux fois et demie le montant maximal des honoraires qui auraient été autorisés selon la colonne V.

 

[20]           Appliquant le raisonnement de la Cour d’appel, l’avocat de M. Chrétien a soutenu que le montant calculé sur la base de la colonne V du tarif s’élève à 114 744,72 $ au titre des honoraires et que, si on le multipliait ce montant par 2,5, le résultat serait une adjudication, au titre des honoraires, de 286 861,68 $, par opposition à l’adjudication d’une somme globale, au titre des honoraires, de 300 000 $, inclusion faite des débours.

 

[21]           L’avocat du procureur général du Canada a décidé, ainsi qu’il l’a indiqué dans une lettre adressée à la Cour en date du 14 octobre 2011, de ne pas répondre aux observations supplémentaires de M. Chrétien.

 

[22]           Dans le cas de M. Chrétien, j’ai adjugé une somme globale, pour l’ensemble des dépens et des débours, de 200 000 $, en motivant ma décision somme suit :

1.   les dépens avocat‑client ne sont pas appropriés;

 

2.   une majoration des dépens supérieure à la valeur que prévoient les colonnes est appropriée;

 

3.   une adjudication de dépens partie‑partie ne vise pas à indemniser une partie de ses frais juridiques, mais représente une contribution à l’égard de ces frais;

 

4.   en l’espèce, il est approprié que l’adjudication d’une somme globale représente une contribution importante aux frais que M. Chrétien a engagés, tout en respectant les normes acceptables qui s’appliquent aux dépens partie‑partie, lesquels représentent un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‑imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe.

 

L’avocat de M. Chrétien a laissé entendre que si j’appliquais le facteur de 2,5 à la valeur maximale des honoraires qui peuvent être taxés selon la colonne V, le résultat s’élèverait à 286 861,68 $ au titre des honoraires, tandis que la somme globale demandée est de 300 000 $, inclusion faite des débours.

 

Je conviens qu’un renvoi aux honoraires taxables que prévoit la colonne V du tarif est un indicateur qui permet de bien déterminer la valeur des honoraires dans le calcul de la somme globale adjugée en l’espèce, mais j’estime que l’utilisation d’un simple multiplicateur met à mal le compromis dont parle le juge Mainville.

 

Nous savons que la somme globale de 70 000 $ que réclamait M. Chrétien (laquelle incluait les débours et les taxes) était proche du montant de ses dépens avocat‑client. Pourtant, les 25 000 $ plus les débours adjugés représentent légèrement moins que la moitié du montant total des frais qu’il a engagés.

 

Je suis conscient que la préparation et l’audition relatives à la demande de contrôle judiciaire ont nécessité nettement plus de temps en ressources juridiques que l’appel devant la Cour d’appel fédérale. La différence est révélatrice dans les calculs effectués pour déterminer le montant des honoraires selon la colonne V (114 744 $ pour le contrôle judiciaire et un peu moins de 10 000 $ pour l’appel).

 

Après avoir pondéré tous les facteurs qu’a mentionnés le juge Mainville et avoir fait un rajustement approprié, notamment celui que demande le procureur général pour la présence d’un avocat à l’audience relative à la demande de Jean Pelletier, j’accorde à M. Chrétien la somme globale de 200 000 $, laquelle inclut les débours et les taxes et représente près de la moitié du montant total de la facture d’honoraires juridiques de M. Chrétien.

 

L’avocat de M. Chrétien m’a convaincu que les débours facturés sont appropriés. Je n’accorde aucuns dépens à l’égard de la présente requête.

 

[23]           Je suis conscient que M. Pelletier n’était pas un ancien premier ministre. Il était toutefois une personnalité publique bien connue, dont la réputation a été ternie par la Commission d’enquête.

 

[24]           M. Pelletier, à l’instar de M. Chrétien, s’est battu pour que les dommages causés à sa réputation soient réparés. Pour se défendre, il lui a fallu engager des frais juridiques considérables. Il devrait être dédommagé en partie pour cela.

 

[25]           Il me faut tenir compte de la somme de 101 124,50 $ que M. Pelletier a reçue du gouvernement du Canada pour les frais juridiques qu’il a engagés dans la présente affaire. Pour parvenir au compromis dont parlait le juge Mainville, cette somme doit être prise en compte. Ainsi, M. Pelletier aura engagé une somme de 400 000 $ au titre des honoraires et des débours, ce qui est semblable à la somme engagée par M. Chrétien. À mon avis, les deux devraient être traités de la même façon.

 

[26]           J’adjuge à M. Pelletier une somme globale de 200 000 $, au titre de l’ensemble des honoraires, des débours et des taxes. Étant dans une situation semblable à celle de M. Chrétien, la succession de M. Pelletier supportera environ la moitié des fonds que ce dernier a dépensés pour assurer sa défense.

 

[27]           Je suis également convaincu que les débours qu’il réclame sont appropriés. Je n’accorde aucuns dépens à l’égard de la présente requête.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE qu’une somme globale de 200 000 $ soit adjugée à la succession de M. Pelletier; au titre des honoraires, des débours et des taxes afférents à la présente requête, à payer sans délai par le procureur général du Canada.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

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