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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20111213

Dossier : IMM-306-11

Référence : 2011 CF 1413

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

VANESSA VALE PEREIRA

 

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire que Vanessa Vale Pereira (la demanderesse) a présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, à la suite à la décision d’A. Bilich, agent d’immigration, Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent). Dans cette décision, l’agent a rejeté la demande par laquelle la demanderesse souhaitait obtenir le statut de résidente permanente pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[2]               La demanderesse, citoyenne du Brésil, est arrivée au Canada le 31 décembre 2002 à titre d’étudiante et de visiteuse en règle jusqu’au 7 février 2003. Pendant qu’elle faisait ses études au Brésil, elle avait décidé de quitter son pays à cause des mauvais traitements que sa sœur et elle avaient subis. À son arrivée au Canada, elle s’est installée chez sa sœur et sa tante; cette dernière était sans statut juridique au Canada. La demanderesse a présenté une demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire. En 2008, cette demande a été transformée en une demande à titre d’épouse en vertu de l’article 124 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, tel que modifié par L.C. 2002, ch. 8, parce qu’elle s’était mariée en 2007. Entre-temps, sa sœur a obtenu le statut de résidente permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[3]               En 2010, comme l’époux de la demanderesse ne s’était pas présenté à l’entrevue relative à l’établissement de cette dernière en 2008 et que leur mariage s’était rompu en 2009, la demande de résidence permanente de la demanderesse a été examinée sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire, plutôt qu’à titre de demande présentée dans la catégorie des époux.

 

[4]               La demanderesse soutient être venue au Canada pour échapper au [traduction] « régime de tutelle » que la famille de son oncle avait créé parce que ses parents et ses grands-parents étaient décédés et qu’elle n’avait plus de famille immédiate au Brésil. Elle n’a donc plus de liens avec son pays d’origine.

 

[5]               De plus, elle est établie au Canada : elle travaille comme femme de ménage et habite chez sa tante. Même si cette dernière ne vit pas légalement au Canada, c’est elle qui tient la famille unie d’après la demanderesse, créant un sentiment d’appartenance, surtout après la rupture de son mariage et les sentiments d’abandon que cet échec conjugal a fait naître. Cet échec l’a aussi amenée à trouver auprès de sa sœur et de sa tante le soutien affectif dont elle a besoin, et ces dernières sont sa seule véritable famille. Malgré ces facteurs, l’agent a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

 

[6]               À titre de question préliminaire, la demanderesse soutient que le dossier que l’agent avait entre les mains était incomplet, ce qui dénote un manque de diligence de la part de ce dernier. Cependant, l’avocate de la demanderesse reconnaît que l’importance des documents censément manquants est purement hypothétique. Par ailleurs, il n’y a absolument aucune preuve qu’en raison des présumées lacunes du dossier du tribunal, la demanderesse a été victime d’un préjudice quelconque. L’argument préliminaire de la demanderesse est donc sans fondement.

 

* * * * * * * *

 

[7]               La présente demande soulève les questions suivantes :

1.      L’agent a-t-il commis une erreur dans la manière dont il a énoncé le critère juridique relatif à une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et dont il a appliqué ce critère à la présente affaire, notamment en omettant d’analyser comme il le fallait la situation personnelle de la demanderesse?

 

2.      L’agent s’est-il livré à des conjectures et a-t-il tiré des conclusions de fait abusives, commettant ainsi une erreur susceptible de contrôle?

 

 

[8]               Il est convenu que le fait de savoir si l’agent énonce le bon critère lorsqu’il évalue des motifs d’ordre humanitaire est une question de droit, qui doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte (Ebonka c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 80, au paragraphe 16 [Ebonka]; Premnauth c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1125, au paragraphe 20 [Premnauth]). Cependant, la manière dont l’agent applique ce critère à la situation particulière du demandeur et, au bout du compte, sa décision d’accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire sont des questions mixtes de fait et de droit, qui doivent être contrôlées selon la norme de la raisonnabilité (Ebonka, au paragraphe 16; Premnauth, au paragraphe 21; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 [Suresh]; Tartchinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 185 F.T.R. 161, au paragraphe 19 [Tartchinska]).

 

[9]               Cette norme de raisonnabilité s’explique par la grande latitude dont jouissent les agents qui évaluent les dispenses fondées sur des motifs d’ordre humanitaire (Tartchinska, au paragraphe 18). Il convient donc de faire preuve de retenue à l’égard des décisions de fait que prennent les agents et de la façon dont ils soupèsent la preuve (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir]). Il n’appartient pas à la Cour d’évaluer les motifs d’ordre humanitaire pertinents (Suresh, au paragraphe 34), et un demandeur n’a pas droit à un résultat en particulier (Tartchinska, au paragraphe 18). Cela étant, on ne peut modifier la décision et les conclusions de l’agent que si son raisonnement est vicié et que la décision qui en découle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). La Cour se doit également d’intervenir si l’agent a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de manière abusive ou arbitraire ou fondées sur des conjectures.

 

* * * * * * * *

 

1.      L’agent a-t-il commis une erreur dans la manière dont il a énoncé le critère juridique relatif à une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et dont il a appliqué ce critère à la présente affaire, notamment en omettant d’analyser comme il le fallait la situation personnelle de la demanderesse?

 

 

[10]           Même si l’agent n’a fait mention de difficultés [traduction] « inhabituelles » et [traduction] « excessives » qu’à la fin de sa décision, il a analysé la situation personnelle de la demanderesse et n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle : la décision lue dans son ensemble dénote que le juste critère des difficultés injustifiées, inhabituelles ou excessives a été appliqué de manière raisonnable.

 

[11]           Dans sa décision, l’agent fait constamment référence à la situation personnelle de la demanderesse, plus précisément à ses liens familiaux, à son établissement au Canada, aux mauvais traitements dont elle avait été victime et à la rupture de sa relation conjugale, contrairement à ce qui avait été fait dans Kaur c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 805. Dans Kaur, aucune mention n’avait été faite de la situation personnelle de la demanderesse, de sorte que cette dernière ignorait pourquoi l’agent n’avait pas accepté sa situation personnelle, pas plus que la raison pour laquelle il n’avait accordé aucun poids à ces facteurs (au paragraphe 23). Dans le même ordre d’idées, dans Adu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 565, l’agent n’avait fait état que des facteurs favorables et rejeté la demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire : le demandeur ignorait pourquoi sa demande avait été rejetée (au paragraphe 14). En l’espèce, toutefois, la demanderesse est bien au fait des facteurs que l’agent a pris en considération et du poids qu’il leur a accordé avant d’arriver à sa conclusion : ses motifs étaient suffisants (Kang c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 293, au paragraphe 27).

 

[12]           Comme l’a déclaré le défendeur, le fond l’emporte sur la forme : ce qui importe, ce ne sont pas les mots employés, mais le fait de savoir si l’agent a analysé comme il faut les motifs d’ordre humanitaire (Pannu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1356, aux paragraphes 37 et 41). L’agent a analysé chacun des facteurs relevés par la demanderesse avant de rejeter sa demande. Il ne fait aucun doute que la situation personnelle de cette dernière a été prise en compte : une analyse appropriée a été faite. La Cour ne serait peut-être pas nécessairement arrivée à la même conclusion, mais la décision de l’agent était raisonnable, car, appartenant aux issues possibles acceptables, elle se justifie au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

2.   L’agent s’est-il livré à des conjectures et a-t-il tiré des conclusions de fait abusives, commettant ainsi une erreur susceptible de contrôle?

 

 

[13]           La demanderesse soutient tout d’abord que l’agent a commis une erreur dans son examen du rapport psychologique. Je ne suis pas d’accord. Il n’a pas commis d’erreur en accordant moins de poids au rapport psychologique, et il a clairement expliqué dans ses motifs comment il l’a évalué. Le rapport datait de cinq ans à l’époque où l’agent a rendu sa décision et il ne reflétait pas nécessairement l’état psychologique de la demanderesse à ce moment-là. Il était également fondé sur une seule évaluation subjective, comme le défendeur l’a expliqué. De plus, contrairement à Karimullah c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 824, une décision que la demanderesse a invoquée et dans laquelle la santé psychologique et affective du demandeur n’était pas mentionnée une seule fois, l’agent a bel et bien tenu compte de la situation affective de la demanderesse dans son évaluation des motifs d’ordre humanitaire.

 

[14]           L’agent n’a pas émis ensuite l’hypothèse qu’étant donné que le rapport n’était pas convaincant, l’angoisse dont souffrait la demanderesse avait complètement disparu. Il a plutôt conclu qu’en raison de l’âge de la demanderesse et du fait que huit ans s’étaient écoulés depuis son départ du Brésil, elle serait raisonnablement capable de faire face à sa situation personnelle : il existe des preuves qui étayent la conclusion de l’agent. Celui-ci ne tirait pas une conclusion psychologique, mais plutôt une conclusion factuelle reposant sur son évaluation de la preuve.

 

[15]           En conséquence, en dépit de la conclusion énoncée dans le rapport psychologique, à savoir que si l’on ne permettait pas à la demanderesse de rester au Canada, [traduction] « ses symptômes s’intensifieront et sa souffrance s’aggravera », il était raisonnable que l’agent accorde moins de poids au rapport et arrive à une conclusion factuelle différente pour les raisons susmentionnées : ses conclusions factuelles sont ancrées dans la preuve.

 

[16]           La demanderesse allègue de plus que la conclusion de l’agent selon laquelle elle avait d’autres membres de sa famille qui pouvaient subvenir à ses besoins au Brésil est abusive. Elle soutient avec raison que la conclusion de l’agent selon laquelle il y a d’autres membres de sa famille sur lesquels elle pourrait compter dans son pays, pour compenser la perte qu’elle subira, est abusive. Les seuls membres de la famille qui lui restent au Brésil sont ceux qui l’ont maltraitée. Même si son oncle n’a pas commis lui-même les sévices affectifs et psychologiques, ceux-ci l’ont été sous son toit, par son épouse : il est ridicule d’affirmer que cet homme est capable de procurer l’appui affectif nécessaire sans se rappeler constamment les mauvais traitements dont elle était victime pendant qu’elle était sous sa garde. La conclusion de l’agent quant à l’existence d’autres membres de la famille au Brésil est inintelligible et injustifiée (Dunsmuir). Mais cette unique erreur, dans les circonstances particulières de l’espèce, n’est pas déterminante et ne justifie pas que l’on fasse droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[17]           La demanderesse soutient finalement que l’agent s’est trompé dans la manière dont il a qualifié ses liens familiaux. À cet égard, le défendeur a raison de dire que l’on ne peut accorder aucun poids à la présence de la tante au Canada, car celle-ci se trouve ici illégalement et sa présence continue au pays n’est pas garantie. En outre, contrairement à Koromila c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 393 [Koromila] et Yu c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 956 [Yu], l’agent ne fait pas abstraction de la dépendance affective de la demanderesse à l’endroit de sa sœur et de sa tante : comme il l’a indiqué dans sa décision, il attache un certain poids à ce facteur humanitaire (voir Da Silva c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 347, au paragraphe 26, où l’examen que fait l’agent d’un lien affectif suffit pour distinguer cette affaire de Koromila). Même s’il y a sans nul doute une différence entre le fait de vivre ensemble ainsi que de partager la vie quotidienne et celui de faire des visites occasionnelles (Yu, au paragraphe 30), l’agent n’a pas considéré qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour que la proximité physique de la demanderesse soit nécessaire, compte tenu du fait qu’elle peut vivre de façon indépendante.

 

[18]           Il était également raisonnable pour l’agent de conclure qu’il existe des voies de communication appropriées entre le Canada et le Brésil. La sœur de la demanderesse ne peut pas nécessairement retourner au Brésil, car elle a sollicité la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, mais il n’existe aucun obstacle déraisonnable qui empêcherait la demanderesse de lui rendre visite, ni aucune restriction quant aux communications de vive voix. De ce fait, comme il n’a pas été prouvé que la proximité physique était nécessaire, en dépit de la dépendance affective reconnue de la demanderesse à l’endroit de sa tante et de sa sœur au Canada, il était raisonnable que l’agent conclue qu’après le retour de la demanderesse au Brésil, la famille serait néanmoins en mesure de rester en contact et de préserver son lien.

 

[19]           En conséquence, dans l’ensemble, les conclusions de fait de l’agent n’étaient pas abusives, mais plutôt étayées par son évaluation de la preuve. Ses conclusions étant ancrées dans la preuve, il ne s’est pas livré à des conjectures (Zhang c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 533, aux paragraphes 11 à 13). Ces conclusions étaient donc raisonnables et il y a lieu de faire preuve de retenue : la Cour n’a pas à intervenir car les conclusions tirées par l’agent appartiennent tout à fait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

* * * * * * * *

 

[20]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[21]           Je conviens avec les avocats des parties qu’il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-306-11

 

INTITULÉ :                                       VANESSA VALE PEREIRA c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 OCTOBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 DÉCEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sarah L. Boyd                                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

 

Khatidja Moloo                                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman and Associates                                                                       POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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