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Date : 20111216


Dossier : T-955-11

Référence : 2011 CF 1485

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

ANGELA TOLUWANI ADEJUMO et OLUREMI OMOLOLA ADEJUMO

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               Angela Toluwani Adejumo est maintenant âgée de dix ans. Elle est une citoyenne du Nigeria. Sa mère biologique est décédée alors qu’elle était bébé et elle n'a pas vécu avec son père depuis l'âge de 18 mois. La sœur de son père, autrement dit sa tante, Oluremi Omolola, une citoyenne canadienne, elle-même sans enfant, l'a adoptée conformément aux lois du Nigeria et avec l'approbation des autorités en Colombie‑Britannique où elle vit. La demande de citoyenneté canadienne d'Angela a été rejetée par un conseiller en immigration de Citoyenneté et Immigration Canada au motif que l'adoption n’a pas créé un véritable lien affectif parent‑enfant et qu'elle visait principalement l'acquisition d’un statut ou d'un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté. Il s'agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

[2]               Dans le passé, de telles adoptions étaient visées par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. L'enfant adopté devait tout d'abord obtenir la résidence permanente. La Loi sur la citoyenneté a cependant été modifiée en décembre 2007 et en avril 2009 pour traiter de telles situations. Le paragraphe 5.1(1) prévoit maintenant ce qui suit :

5.1 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

 

*                  a) elle a été faite dans l’intérêt supérieur de l’enfant;

*                   

*                  b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

*                   

*                  c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

 

 

*                  d) elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté.

 

 (1) Subject to subsection (3), the Minister shall on application grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

 

 

 

 

*                   (a) was in the best interests of the child;

 

 

*                   (b) created a genuine relationship of parent and child;

 

 

*                   (c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen; and

*                    

*                   (d) was not entered into primarily for the purpose of acquiring a status or privilege in relation to immigration or citizenship.

 

 

[3]               Il ressort donc que la décision du conseiller en immigration était fondée sur les alinéas 5.1(1)b) et d) de la Loi.

 

La situation difficile d’ANGELA

 

[4]               Le père d'Angela est un homme relativement à l'aise selon les normes du Nigeria. Il passe la plupart de son temps à travailler dans les champs pétrolifères en Arabie Saoudite. Depuis le décès de son épouse, la jeune Angela a vécu avec la mère de son père, c’est‑à‑dire sa grand‑mère. Cependant, la grand‑mère est devenue vieille et fragile et ne peut pas vraiment s'occuper de sa petite‑fille. M. Adejumo s'est remarié et il a deux enfants avec sa deuxième épouse. Celle‑ci n'est pas particulièrement enthousiaste à l'idée que la jeune Angela vive sous son toit (une Cendrillon?).

 

[5]               La sœur de M. Adejumo, Oluremi Omolola, une citoyenne canadienne qui est divorcée et sans enfant, a offert d'adopter la jeune Angela et de la traiter comme sa fille. L'adoption a été approuvée de façon préliminaire à la fois par les autorités du Nigeria et du Canada en 2007 et a été accordée en 2008. Il n'est pas contesté que malgré le fait qu’Angela se soit vu refuser l'entrée au Canada et qu’Oluremi Omolola ait passé la plus grande partie du temps ici, cette dernière a pris toutes les décisions importantes en ce qui concerne les études et les soins médicaux d'Angela.

 

[6]               Le père d'Angela n'est pas néanmoins complètement absent. Il n'a pas, selon les mots du conseiller, [traduction] « véritablement coupé sa relation de parent avec sa fille ». Il se considère comme une figure paternelle et en mesure de la soutenir financièrement et émotionnellement. Le conseiller a estimé qu'un véritable lien affectif parent‑enfant se poursuivait et que par conséquent, un véritable lien affectif parent‑enfant ne pouvait pas se développer entre la tante et la nièce tant que la relation avec le père biologique était maintenue. Aucun véritable lien affectif parent‑enfant n'a été établi à l'exclusion d’un lien avec le père et la belle-mère.

 

[7]               Le conseiller a ensuite tiré la conclusion suivante : [traduction] « Compte tenu de ces renseignements, je ne suis pas convaincu que cette adoption ne visait pas principalement l'acquisition d'un statut ou d’un privilège relatifs à l'immigration ou à la citoyenneté. »

 

[8]               Qu'il me soit permis de dire immédiatement que ce deuxième motif relève de la pure conjecture et qu’il sera rejeté si le premier motif est écarté.

 

TOUS LES LIENS OU LES LIENS LÉGAUX

 

[9]               L'article 5.1 du Règlement sur la citoyenneté prescrit la façon de présenter une demande de citoyenneté en vertu de la Loi. Certains facteurs doivent être considérés pour déterminer si les conditions de la Loi ont été remplies. Le sous‑alinéa 5.1(3)a)(ii) est rédigé comme suit :

(3) Les facteurs ci-après sont considérés pour établir si les conditions prévues au paragraphe 5.1(1) de la Loi sont remplies à l’égard de l’adoption de la personne visée au paragraphe (1) :

 

 

*                  a) dans le cas où la personne a été adoptée par un citoyen qui résidait au Canada au moment de l’adoption :

*                   

[…]

 

(ii) le fait que l’adoption a définitivement rompu tout lien de filiation préexistant;

 

(3) The following factors are to be considered in determining whether the requirements of subsection 5.1(1) of the Act have been met in respect of the adoption of a person referred to in subsection (1):

 

*                  (a) whether, in the case of a person who has been adopted by a citizen who resided in Canada at the time of the adoption,

 

 

(ii) the pre-existing legal parent-child relationship was permanently severed by the adoption;

 

 

[10]           Il y a lieu de souligner que la version anglaise demande de considérer le « pre‑existing legal parent-child relationship », tandis que la version française parle de « tout lien de filiation préexistant ».

 

[11]           Le décideur ne semble pas s'être arrêté sur cette différence, que j'ai soulevée lors de l'audience à Vancouver. J'ai demandé des exposés supplémentaires.

 

[12]           Les parties, de même que la Cour, conviennent que la première étape consiste à établir s'il y a un sens commun aux deux versions. Il ne fait pas de doute qu’il y a ambigüité en l’espèce étant donné qu’il y a une différence entre des liens dits juridiques et des liens, quel qu’il soit. Une fois le sens commun établi, la Cour doit déterminer s’il est compatible avec l'intention du législateur (Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 RCS 539). Lorsqu'une des deux versions a une portée plus large que l'autre, la signification commune favorise le sens le plus restreint ou limité (Schreiber c Canada (Procureur général), 2002 CSC 62, [2002] 3 RCS 269). En conséquence, le libellé plus restreint de la version anglaise doit être privilégié en l'espèce. Il s'ensuit donc que le Règlement n'exige pas que le père biologique rompe tous les liens sociaux avec sa fille. Par ailleurs, il est clair que selon les lois du Nigeria il n'a plus d'obligation légale envers elle.

 

[13]           Bien qu'elles n'aient pas de force obligatoire, les directives ministérielles peuvent être utiles pour guider la prise de décisions des agents des visas (John c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 85, [2010] ACF no 100 (QL)). En l'espèce, les directives du ministre permettent au père naturel d'entretenir une relation avec son enfant, particulièrement si cet enfant a été adopté par un membre de la parenté. Dans le Bulletin opérationnel 183 de Citoyenneté et Immigration Canada, il est indiqué que bien que le parent naturel ne devrait plus agir en tant que parent, « une relation continue avec le parent naturel et sa famille élargie peut toujours exister. »

 

[14]           Le décideur a soit commis une erreur de droit en ne soulignant pas la différence entre les versions anglaise et française du Règlement, soit omis de fournir des motifs suffisants en n’établissant pas de distinctions avec le Bulletin opérationnel 183. Comme le bulletin aurait vraisemblablement mené à une conclusion différente, il avait l'obligation d'expliquer la raison pour laquelle il n’en a pas tenu compte (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, 83 ACWS (3d) 264 (CF)). De plus, il n'a pas pris en compte la décision de la Cour dans Rubio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 272, [2011] ACF no 318 (QL).

 

[15]           En conséquence, j'accueille la demande de contrôle judiciaire et je renvoie l'affaire à un autre décideur pour nouvelle décision.

 

Droit d’appel

 

[16]           Selon la règle générale, toute décision finale de la Cour peut être portée en appel devant la Cour d'appel fédérale (Loi sur les Cours fédérales, article 27). Si une question relative à la résidence permanente sous le régime de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés demeurait non résolue, un appel ne pourrait être interjeté que si une question grave de portée générale était certifiée (LIPR, alinéa 74d)).

 

[17]           S’il s’agissait d’un jugement rendu en appel d'une décision d'un juge de la citoyenneté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, il ne pourrait en être interjeté appel (Loi sur la citoyenneté, paragraphe 14(6)). Ce n'est cependant pas le cas et la présente affaire n'est pas visée par cette exception. Par conséquent, le ministre peut interjeter appel de plein droit.

 

DÉPENS

 

[18]           Aucune demande de dépens n’a été présentée.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS;

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision, datée du 29 mars 2011 de rejeter la demande de citoyenneté canadienne d’Angela Toluwani Adejumo, dossier de visa numéro A090200005, est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        T-955-11

 

INTITULÉ :                                       ANGELA TOLUWANI ADEJUMO et OLUREMI OMOLOLA ADEJUMO c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 30 novembre 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Deanna Okun-Nachoff

 

POUR LES DEMANDERESSES

Kim Sutcliffe

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCrea & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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