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 Date : 20111219


Dossier : IMM-7645-11

Référence : 2011 CF 1489

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

AL-MUNZIR ES-SAYYID

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Une question préliminaire

[1]               L'avocate du demandeur a demandé que le juge soussigné se récuse pour les motifs indiqués ci‑après, dans la section intitulée « Contexte » (au paragraphe 4) et, quand ce dernier a refusé de le faire, elle lui a demandé de rendre sa décision avant la fin semaine, disant qu'elle aimerait avoir la possibilité de faire annuler sa décision relative au sursis à l’exécution de la mesure de renvoi devant un tribunal provincial ou la Cour d'appel fédérale, car elle savait déjà quelle serait cette décision, et ce, avant même que l'affaire soit attendue. (Il resterait encore à voir si les deux autres tribunaux mentionnés sont même compétents à l'égard de la teneur ou du contexte spécifique de la présente affaire).

 

II. Introduction

[2]               Le demandeur, citoyen de l'Égypte, a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité en application de l'alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Un délégué du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a conclu, aux termes du paragraphe 115(2) de la LIPR, que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada.

 

III. Le contexte

[3]               Le 11 mai 1996, le demandeur, M. Al-Munzir Es-Sayyid, est arrivé au Canada à l'âge de sept ans en compagnie de sa famille et il a demandé l'asile à l'encontre de l'Égypte. Sa famille et lui avaient quitté ce pays cinq ans plus tôt et avaient vécu à un certain nombre d'endroits, dont l'Arabie saoudite, la région de Peshawar au Pakistan ainsi que l'Azerbaïdjan, avant d'arriver au Canada.

 

[4]               Le 10 avril 2003, le demandeur a obtenu l'asile au Canada. Son père, comme l’a expressément spécifié l'avocate du demandeur dans sa plaidoirie détaillée, M. Mahmoud Jaballah, a été nommé dans un certificat visé au paragraphe 77(1) de la LIPR. Ce certificat, comme l'avocate l’a  précisé, fait actuellement l'objet d'un litige devant la présente Cour, et elle a également précisé dans sa plaidoirie qu’en ce qui concerne le père du demandeur, M. Mahmoud Jaballah, son dossier se trouve entre les mains de la Cour fédérale depuis dix  ans. (À cet égard, la Cour signale aussi qu'au début de l'audience, l'avocate du demandeur a demandé que le juge soussigné se récuse car, a-t-elle dit, ce dernier a un parti pris dans les affaires de criminalité à cause de son interprétation stricte de la sécurité du public. Quand le juge soussigné a précisé qu'il n'entendait pas se récuser parce que sa tâche consiste simplement à veiller, comme dans n’importe quel cas, à interpréter la loi et à appliquer la jurisprudence en tenant compte du contexte de chaque affaire car il est juge, un membre de la magistrature, et non un législateur élu de l'organe législatif du gouvernement, ni un membre de l'organe exécutif du gouvernement, et que sa tâche consiste simplement à veiller à ce que la loi soit interprétée et la jurisprudence appliquée d’une manière qui reflète à la fois les intentions du législateur et l'interprétation précisée dans le contexte de la jurisprudence; l'avocate du demandeur a également déclaré qu'elle voulait que le juge soussigné sache que le père du demandeur, M. Mahmoud Jaballah, se trouvait [traduction] « dans son bureau » pour l'audition par voie de conférence téléphonique de la demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi de son fils, ce à quoi le juge soussigné a répondu que, comme dans le cas d'une audience publique, tous étaient les bienvenus et qu'il était normal pour un père de vouloir être présent à l'audience de son fils.)

 

[5]               Le 13 novembre 2009, la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité, en application de l'alinéa 36(1)a) de la LIPR, et elle a prononcé à son égard une mesure d'expulsion.

 

[6]               Le 14 juin 2010, l'Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a mis en branle un processus visant à obtenir un avis de danger au sujet du demandeur; cet avis de danger a été délivré le 12 octobre 2011.

 

[7]               Le 28 octobre 2011, le demandeur a déposé une demande d'autorisation visant à soumettre l'avis de danger à un contrôle judiciaire. La présente requête en sursis à l'exécution de la mesure de renvoi est accessoire à cette demande.

 

A. Les antécédents criminels

[8]               Le demandeur a de longs antécédents criminels, qui ont débuté à l'époque où il était assujetti à la Loi sur la justice pénale pour les adolescents, LC 2002, c 1 et qui ont continué par la suite. Durant la période de six ans comprise entre le 9 décembre 2004 et le 15 décembre 2010, il a été déclaré coupable des actes criminels suivants :

a.       9 décembre 2004 : menaces; deux chefs de possession de biens criminellement obtenus d'une valeur de moins de 5 000 $; tentative de vol de plus de 5 000 $; omission de se conformer à une condition d’un engagement (paragraphe 145(3) du Code criminel);

b.      12 janvier 2005 : voies de fait et vol de moins de 5 000 $;

c.       6 décembre  2005 : complot en vue de commettre un vol et défaut de se conformer à une décision (article 137 de la Loi sur la justice pénale pour adolescent);

d.      18 janvier 2006 : vol qualifié;

e.       31 août 2006 : entrave à un policier;

f.        23 avril 2007 : possession de biens criminellement obtenus d'une valeur de moins de 5 000 $ et port d'une arme dissimulée;

g.       17 avril 2009 : vol à main armée, usage d'une fausse arme à feu et vol qualifié;

h.       15 décembre 2010 : durant une période d’incarcération, possession de trois grammes d'héroïne.

 

[9]               En ce qui concerne les déclarations de culpabilité du demandeur en tant qu'adulte, qui sont datées du 17 avril 2009, le délégué du ministre a relevé les faits suivants à partir de l'exposé conjoint des faits qui a été déposé à l'appui du plaidoyer de culpabilité :

a.       25 juin 2007 : le demandeur et un complice, armés d'un couteau et d'un fusil à canon tronqué, respectivement, ont maîtrisé la victime, une escorte et son ami, dans son appartement et leur ont volé la somme de 1 910 $ en espèces, leurs téléphones cellulaires, le sac à main de la victime et diverses cartes d'identité;

b.      1er juillet 2007 : le demandeur et quatre complices sont entrés dans un club privé et ont dérobé aux clients la somme de 3 000 $ en espèces et 1 500 $ d'équipement personnel. Le demandeur a été identifié comme l'un des malfaiteurs qui portait un fusil;

c.       26 juillet 2007 : le demandeur, armé d'un fusil, ainsi qu'un complice sont entrés dans la chambre d'hôtel d'une escorte et lui ont dérobé son sac à main, qui contenait 505 $ en espèces, deux cartes de crédit, deux téléphones cellulaires, des cartes d'identité et des effets personnels. La victime n'a pas signalé l'incident à la police mais cette dernière a trouvé ses effets personnels au cours de son enquête;

d.      1er août 2007 : la victime, une escorte, s'est fait voler à sa sortie d’un ascenseur par trois hommes, qui l'ont poussée et lui ont dérobé son sac à main, son téléphone cellulaire, des pièces d'identité et la somme de 395 $ en espèces. Le demandeur a reconnu avoir commis le crime.

 

B. L'avis de danger

[10]           Dans des motifs écrits, le délégué du ministre a analysé le comportement criminel du demandeur, qui était passé de larcins commis dans des cours d’école à des vols qualifiés prémédités et bien planifiés, impliquant des armes et des menaces de violence à l'endroit de femmes surtout vulnérables et marginalisées (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, dossier du demandeur (DD) aux pages 17 à 21).

 

[11]           Dans ses motifs, le délégué du ministre a également examiné l'absence de réadaptation du demandeur. Ce dernier a commis des infractions pendant qu'il était en probation pour des infractions antérieures et, durant son incarcération, il a été cité pour un certain nombre d'infractions disciplinaires et a plaidé coupable à l'accusation réduite de possession de trois grammes d'héroïne. Il a aussi fallu le transférer de l'Établissement de Joyceville à sécurité moyenne à l'Établissement de Millhaven à sécurité maximale parce que, dans une installation à sécurité moyenne, on ne pouvait pas le superviser ou le contrôler convenablement (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 21 à 26).

 

[12]           En raison des actes criminels graves et nombreux que le demandeur avait commis, lesquels impliquaient des armes à feu et des menaces de violence contre un groupe de personnes vulnérables et marginalisées, ainsi qu’en raison de sa non-réadaptation malgré une période de probation et d'incarcération, le délégué a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur représentait un danger actuel et futur pour le public au Canada et que sa présence au pays présentait un risque inacceptable (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, à la page 26).

 

[13]           Le délégué du ministre a également évalué l’allégation de risque de préjudice du demandeur en Égypte en tant que fils d'une personne considérée comme un dissident politique. Se fondant sur la preuve documentaire relative à la situation actuelle de ce pays, le délégué du ministre a conclu que le demandeur n'avait pas établi qu'il craignait avec raison d'être persécuté ou d’être exposé à un risque de préjudice, au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, respectivement, s'il retournait en Égypte (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 26 à 33).

 

[14]           Le délégué du ministre a fait remarquer, notamment, que l’ancien régime en place, qui considérait le père du demandeur comme un dissident politique, avait été renversé, que le Service des enquêtes de sécurité de l'État [SESE], le principal organisme chargé des interrogatoires et de la torture des dissidents politiques, avait été démantelé, que des dossiers récupérés, exposant en détail les sévices commis par le SESE, avaient été rendus publics, et que quelques prisonniers politiques, dont des membres du groupe Al Jihad, avaient été libérés de prison (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 26 à 33).

 

[15]           Le délégué du ministre a tout de même examiné l'allégation du demandeur selon laquelle, depuis la révolution, des Égyptiens ont été arrêtés, détenus et jugés devant des tribunaux militaires pour des crimes civils. Le délégué a signalé qu’il s’agissait dans la majorité des cas de personnes qui avaient pris part à des manifestations, et que les autres cas étaient des personnes qui avaient insulté les militaires dans les médias. Aucun des cas d'arrestation et de détention ne mettait en cause des membres de la famille de personnes considérées comme des dissidents politiques, et aucune preuve n'avait été soumise pour montrer que les membres de la famille de M. Mahmoud Jaballah étaient pris pour cible par le nouveau régime (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 31 à 33).

 

[16]           Le délégué du ministre a également évalué les considérations d'ordre humanitaire [CH] et a conclu qu'il n'y avait pas assez de facteurs CH pour écarter le risque que posait le demandeur pour le public au Canada (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 33 à 37).

 

IV. La question en litige

[17]           Le demandeur satisfait-il  à chacun des trois volets du critère conjonctif qui s'applique à un sursis?

 

V. Analyse

[18]           Le critère qui s'applique à l'octroi d'une ordonnance de sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi est le suivant :

(1)   s'il existe dans la demande principale une question sérieuse à juger;

(2)   si la partie qui sollicite le sursis subirait un préjudice irréparable si ce sursis n'était pas accordé;

(3)   si, selon la prépondérance des inconvénients, c'est à la partie qui sollicite le sursis que le refus d'accorder ce dernier causera le plus grand préjudice.

(Toth c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF); RJR‑ MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311).

 

[19]           Le critère applicable au sursis est de nature conjonctive et il faut donc que le demandeur satisfasse à chacun des volets de ce critère tripartite.

 

[20]           La Cour, après avoir lu tous les documents présentés, entendu les deux parties dans le cadre d'une audience par téléconférence et réfléchi à l'affaire, souscrit à la position du défendeur.

 

[21]           Le demandeur ne soulève pas une question défendable dans sa demande sous-jacente et il n'établit pas qu'il subirait un préjudice irréparable si le sursis, prévu pour les 19, 20 ou 21 décembre 2011, n'était pas accordé. La Cour convient avec le défendeur que, en l'espèce, la prépondérance des inconvénients fait pencher la balance en faveur de l'intérêt du public. Le demandeur est un étranger qui doit être renvoyé parce qu'on a jugé qu'il est interdit de territoire pour grande criminalité, comme il est expliqué ci‑après.

 

            (1) La question sérieuse à juger

[22]           Le demandeur allègue que le délégué du ministre a fait abstraction d’éléments de preuve, qu’il les a mal interprétés et les a sélectionnés aléatoirement, qu'il s'est fondé sur des conjectures, qu'il s'est basé à tort sur des rapports de police et des rapports du Service correctionnel du Canada [SCC] et qu'il n'a pas examiné de façon appropriée le dossier du demandeur établi sous le régime de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

 

[23]           La Cour conclut que les allégations du demandeur sont infondées. Le délégué du ministre a procédé à une évaluation équilibrée et raisonnable de la totalité des éléments de preuve et il a examiné de façon appropriée le dossier criminel du demandeur.

 

[24]           Contrairement à l'allégation d'erreur que formule le demandeur, le délégué du ministre n'a pas dit que le statut de réfugié au sens de la Convention n’a pas été reconnu à la famille. Au contraire, il déclare que M. Es‑Sayyid s'est vu refuser ce statut le 19 mars 1999, une décision que la Cour a infirmée le 8 septembre 2010, et que ce statut lui a par la suite été accordé le 10 avril 2003. Le délégué du ministre ne dit pas que la famille s'est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 9 et 10).

 

[25]           Dans le même ordre d'idées, le délégué du ministre ne qualifie pas le rapport de profil du SCC de [traduction] « version officielle des infractions ». Le délégué présente plutôt des extraits tirés de deux sections de ce rapport : l'un intitulé [traduction] « version du détenu », que le délégué qualifie de version de M. Es-Sayyid, et l'autre intitulé [traduction] « version officielle », que le délégué qualifie de version officielle. Le délégué du ministre utilise simplement la terminologie du rapport de profil de SCC (Rapport de profil de SCC, DD, aux pages 81 et 82; Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, à la page 15).

 

[26]           Il n'y a pas non plus de fondement à l'allégation selon laquelle le délégué du ministre se fonde sur des conjectures pour conclure que l'ampleur des activités criminelles du groupe est vraisemblablement inconnue, que le demandeur a probablement joué un rôle de leader au sein de ce groupe, que les habitudes de vie du demandeur donnaient à penser qu'il était plus impliqué que cela dans des activités criminelles et que le demandeur avait participé de son plein gré à une activité criminelle lorsqu'on l'avait trouvé en possession d'héroïne. Toutes ces constatations sont fondées sur la preuve.

 

[27]           Le délégué du ministre signale que, d'après la preuve documentaire, l'ampleur des activités criminelles du groupe était vraisemblablement inconnue :

            [traduction]

[...] Il est signalé dans la preuve documentaire versée au dossier que même si la police avait mis M. Es‑Sayyid et ses complices sous surveillance, et même si ce dernier avait plaidé coupable à un certain nombre d'infractions, l'ampleur des activités criminelles du groupe est vraisemblablement inconnue, vu que les victimes ont été prises pour cible à cause de leurs propres activités de travail illégales et de leur réticence ultérieure à communiquer avec la police.

 

(Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa115(2)a) de la LIPR, DD, à la page 18).

 

[28]           Le délégué du ministre signale également que, d'après la preuve documentaire, le demandeur a déclaré que [traduction] « la plupart de ses amis ont un casier judiciaire et que, même s'il n'était pas un leader dans son cercle d'amis, il allait le " devenir " » et, plus tard, que [traduction] « dans la rue, la majorité de ses semblables étaient plus âgés que lui mais qu'ils l'avaient d'une certaine façon placé dans le rôle de leader » (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, à la page 18).

 

[29]           Le délégué du ministre signale par ailleurs que, d'après la preuve documentaire, les habitudes de vie du demandeur dénotaient que son implication dans les activités criminelles allait au‑delà des trois incidents pour lesquels il avait été reconnu coupable le 17 avril 2009 :

            [traduction] 

[...] Je suis également convaincu que, même si M. Es‑Sayyid n'a été reconnu coupable que d'infractions commises lors de trois incidents, ses habitudes de vie dénotent qu'il était plus impliqué que cela dans des activités criminelles. Selon le rapport sur le rendement du programme que l'avocat a présenté, M. Es‑Sayyid a commencé à avoir de mauvaises fréquentations lors de la détention de son père et il « a subvenu à ses besoins grâce à des activités criminelles. Toutefois, à mesure que les années passaient, il a commencé à vouloir de plus en plus d'argent et, à l'époque de son arrestation, il vivait dans un beau condo avec sa petite amie et il répondait à tous ses besoins sans s’inquiéter ». M. Es‑Sayyid était un consommateur habituel de drogues à usage récréatif, car il a dit qu'il « fumait régulièrement de la marijuana (comme des cigarettes) ». Comme il était sans travail, il est raisonnable de conclure que ses habitudes de vie étaient financées par des activités criminelles, et que ses dernières ne se sont pas limitées aux trois incidents dont il a été reconnu coupable.

 

(Motifs d'une décision en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, à la page 19).

 

[30]           Dans le même ordre d'idées, le délégué du ministre s'est fondé sur la preuve documentaire pour conclure que M. Es‑Sayyid avait pris part de son plein gré à la conduite qui s’était soldée par des manquements à la discipline pénitencière. Le délégué du ministre a pris en considération les remarques du juge chargé de déterminer la peine, remarques selon lesquelles le ministère public avait un solide dossier, il a relevé la nature et l'ampleur des infractions disciplinaires pour lesquelles le demandeur était cité et il a pris en considération les déclarations du gestionnaire des interventions d'évaluation à l'Établissement de Joyceville en rapport avec la conduite et le comportement du demandeur dans cet établissement (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, à la page 21).

 

[31]           Les conclusions de fait du délégué du ministre sont fondées sur la preuve documentaire et non sur des conjectures, comme il a été allégué. Le demandeur n'est peut-être pas d'accord avec l'évaluation que fait le délégué de la preuve et il aurait préféré une évaluation différente, mais il n'établit pas que le délégué ne pouvait raisonnablement pas évaluer sa situation comme il l'a fait.

 

a) Le délégué du ministre n’a pas fait abstraction d'éléments de preuve

[32]           Par ailleurs, pour évaluer la preuve documentaire, le délégué du ministre jouit d'une grande latitude et il est autorisé à donner à certains documents plus de poids qu'à d'autres. Le fait de ne pas mentionner des preuves documentaires particulières ne porte pas un coup fatal à la décision de l'agent, car il est présumé que ce dernier a soupesé et examiné la totalité des éléments de preuve qui lui ont été présentés, sauf si l’on prouve le contraire (Florea c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 598 (QL/Lexis) (CA), au paragraphe 1; Hassan Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1992), 147 NR 317 (CAF) (QL/Lexis)).

 

[33]           Il n'y a pas de fondement à l'allégation selon laquelle le délégué du ministre s’est trompé dans son évaluation de la réadaptation en faisant abstraction du fait que le demandeur a été détenu ou incarcéré pendant quatre ans, a déclaré avoir rompu ses liens avec son ancien cercle d'amis et a reçu une offre de travail de son frère.

 

[34]           Le délégué du ministre signale expressément que le demandeur [traduction] « est incarcéré depuis l’âge de 18 ans » et que, selon le rapport sur le rendement du programme, il [traduction] « se distance de ses mauvaises fréquentations » et que, à part deux amis légitimes, il [traduction] « a rompu ses liens avec les autres acolytes » avec lesquels il perpétrait d’habitude des crimes (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, à la page 25).

 

[35]           Le délégué du ministre examine expressément aussi la déclaration du demandeur selon laquelle son frère lui a fait une offre de travail, et il ajoute qu'il n'y a aucune lettre à cet effet de la part du frère :

            [traduction]

Le degré d'instruction et les compétences professionnelles de M. Es‑Sayyid sont limités, mais ses parents et lui disent tous trois dans leurs observations qu'il pourrait être embauché par son frère aîné, qui possède une entreprise d'installation de garages. Il n'existe aucune lettre d'emploi de cette entreprise, et le frère de M. Es‑Sayyid n'a pas produit de lettre disant qu'il serait effectivement capable d'embaucher M. Es‑Sayyid à sa libération.

 

(Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, à la page 25).

 

[36]           Dans le même ordre d'idées, il n'y a aucun fondement à l'allégation selon laquelle le délégué du ministre a fait abstraction de l'évaluation psychologique qu'a effectuée le Dr Simourd en juin 2011 au moment d'évaluer le degré de réadaptation du demandeur. Le délégué du ministre cite expressément un extrait du rapport :

            [traduction]

Il ressort de l'évaluation psychologique qu'a menée le Dr Simourd en juin 2011 que « la preuve clinique dénote fortement que la conduite antisociale de M. Es‑Sayyid n'est pas due dans une large mesure à une influence liée à son père, mais qu'elle est davantage le reflet d'un individu sans buts, impressionnable et immature qui a été exposé à un groupe antisocial de pairs à une période fragile de sa vie. À bien des égards, les facteurs qui ont contribué au comportement antisocial de M. Es‑Sayyid sont fort semblables à celui des délinquants qui n'ont pas les antécédents familiaux de M. Es‑Sayyid.

 

(Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 24 et 25).

 

[37]           De la même façon, il n'y a pas de fondement à l'allégation selon laquelle le délégué du ministre, quand il a évalué les changements intervenus dans la vie à la maison du demandeur, a fait abstraction du fait que son père avait été mis en liberté sous certaines conditions. Le délégué du ministre signale expressément l'effet qu'a eu la libération du père sous certaines conditions sur la vie à la maison (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 25 et 26).

 

[38]           Il ressort d'une lecture de la décision que le délégué du ministre a bel et bien tenu compte des renseignements dont, selon le demandeur, il aurait fait abstraction. Le désaccord de ce dernier porte essentiellement sur la façon dont le délégué du ministre a soupesé et évalué les éléments de preuve, ce qui n'est pas un motif de contrôle judiciaire valable.

 

            b) Le délégué du ministre a pris en considération les rapports de la police et du SCC

[39]           La jurisprudence autorise clairement les délégués du ministre à se fonder sur n’importe quel élément de preuve considéré comme crédible et digne de foi dans les circonstances.

 

[40]           Pour ce qui est des rapports d'incident de la police, la jurisprudence indique clairement que si le décideur décide de rejeter la version des faits du demandeur en faveur des faits relevés dans un rapport de police, il est tenu d'expliquer pourquoi il préfère la version de la police :

[26]           Il est loisible à la Commission de se fonder sur la preuve qu’elle juge pertinente, crédible et digne de foi et d’en apprécier la valeur. Il lui est également loisible de rejeter la version des événements donnée par le demandeur et d’accepter la version que donne le rapport de police. Cependant, il importe que, ce faisant, elle ne se méprenne pas sur la nature du rapport de police. Comme l’écrivait mon collègue le juge Mosley dans la décision Rajagopal c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2007] CF 523, au paragraphe 43, un rapport de police contient les allégations consignées par le policier après l’enquête sur la plainte, non les conclusions de fait tirées par le tribunal qui a reconnu coupable le demandeur et qui a prononcé la peine.

 

[...]

 

[29]           Comme je l’ai dit plus haut, le rapport de police ne contient pas de conclusions de fait, mais plutôt des allégations factuelles résultant d’une enquête. Selon moi, il n’était pas loisible à la Commission de tenir pour avérées les allégations contenues dans le rapport de police sans faire état d’éléments ou de témoignages permettant d’affirmer, selon la prépondérance de la preuve, que le rapport de police relatait fidèlement les faits sous‑jacents. La Commission n’a pas non plus expliqué pourquoi, s’agissant des circonstances entourant l’infraction, elle préférait les allégations contenues dans le rapport de police plutôt que le témoignage du demandeur ou que les conclusions du juge qui avait prononcé la peine. Je suis donc obligé de dire que la Commission a tiré ses conclusions sans tenir compte de la preuve et qu’elles sont par conséquent abusives et déraisonnables. La Commission a ainsi commis une erreur susceptible de contrôle.

 

(Dhadwar c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 482).

 

[41]           En l'espèce, le délégué du ministre se fonde sur les déclarations de culpabilité du demandeur, l'exposé conjoint des faits, les remarques du juge chargé de déterminer la peine et les documents du SCC. Nulle part dans la décision le délégué du ministre rejette‑t‑il la version des faits du demandeur en faveur de la version contenue dans un rapport de police. De plus, en ce qui concerne la déclaration de culpabilité du demandeur pour possession d'héroïne au sein de l'Établissement de Joyceville, le délégué du ministre explique clairement les raisons pour lesquelles il a accordé un poids considérable à l'expertise du gestionnaire d'évaluation de l'intervention qui a rédigé le rapport. Le délégué du ministre n'a pas commis d'erreur dans l'utilisation qu'il a faite des rapports. (Motifs d'une décision en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, à la page 20).

 

            c) Les déclarations de culpabilité prononcées en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents

[42]           Il n'y a aucun fondement à l'allégation du demandeur selon lequel le délégué du ministre n'a pas examiné de façon appropriée le dossier établi sous le régime de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

 

[43]           Conformément à l'alinéa 119(2)(i) et au paragraphe 119(9) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, le dossier d'un jeune délinquant « est traité comme s'il était un dossier d'adulte » lorsque l'adolescent devenu adulte est déclaré coupable d'une infraction au cours de la période prenant fin trois ans (dans le cas d'une déclaration sommaire de culpabilité) et cinq ans (dans le cas d'un acte criminel) après avoir purgé la peine imposée en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents :

(9) Si, au cours de la période visée aux alinéas (2)g) à j), l’adolescent devenu adulte est déclaré coupable d’une infraction :

 

 

[...]

 

b) la présente partie ne s’applique plus au dossier et celui-ci est traité comme s’il était un dossier d’adulte;

(9) If, during the period of access to a record under any of paragraphs (2)(g) to (j), the young person is convicted of an offence committed when he or she is an adult,

 

...

 

(b) this Part no longer applies to the record and the record shall be dealt with as a record of an adult; and

 

 

 

[44]           La déclaration de culpabilité du demandeur en tant qu'adulte, le 17 avril 2009, est survenue au cours de la période de trois ans suivant l'exécution de la peine de 18 mois qui lui avait été infligée à titre d’adolescent pour possession de biens criminellement obtenus et port d'une arme dissimulée, période qui avait débuté le 23 avril 2007. On considère donc que le dossier d'adolescent du demandeur fait partie de son dossier d'adulte et il peut être pris en considération (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 10 à 12).

 

[45]           Le délégué du ministre a conclu que les déclarations de culpabilité prononcées contre le demandeur en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents témoignaient d'un mode de comportement criminel, dont les détails n'étaient pas pertinents pour l'analyse. Le fait que le délégué du ministre ait pris en considération les déclarations de culpabilité prononcées contre le demandeur en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents étaient compatibles avec les dispositions de cette loi (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 19 et 20).

 

            d) L'évaluation raisonnable du risque

[46]           Le demandeur a fait état d'un risque de préjudice en Égypte parce qu'il est le fils d'une personne considérée comme un dissident politique. Le risque allégué a été convenablement évalué par le délégué du ministre dans le contexte de l'avis de danger visé à l'alinéa 115(2)a). Il ressort du dossier que le délégué du ministre a pris en considération les observations du demandeur ainsi que la preuve documentaire portant sur la situation actuelle en Égypte et qu’il a conclu qu'il n'y avait pas assez d'éléments de preuve fiables pour étayer l'allégation de risque du demandeur (Cupid Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 176, au paragraphe 4).

 

[47]           En particulier, le délégué du ministre a signalé que l'ancien régime au pouvoir, qui considérait le père du demandeur comme un dissident politique, a été renversé, que le SESE, le principal organisme chargé des interrogatoires et de la torture des dissidents politiques, a été démantelé, que des dossiers récupérés, exposant en détail les sévices du SESE, ont été rendus publics, et qu’un certain nombre de prisonniers politiques, dont des membres du groupe Al Jihad, ont été mis en liberté (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 28 à 31).

 

[48]           Le délégué du ministre a également tenu compte de l'allégation du demandeur selon laquelle, depuis la révolution, un certain nombre d'Égyptiens ont été mis en détention par les militaires et jugés devant des tribunaux militaires pour des crimes civils. Le délégué du ministre a fait remarquer que, dans la majorité des cas, il s’agissait de personnes qui avaient pris part à des manifestations, et que les autres étaient des personnes qui avaient insulté les militaires dans les médias. Aucun des cas d'arrestation et de détention ne mettait en cause un membre de la famille d'une personne considérée comme un dissident politique par l'ancien régime, et aucune preuve n'a été produite pour montrer que le nouveau régime prenait pour cible les membres de la famille de M. Mahmoud Jaballah (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, aux pages 31 et 32).

 

[49]           Dans son évaluation de la situation actuelle en Égypte, le délégué du ministre a tenu compte d'un document intitulé « Egypt in Transition » (l'Égypte en transition) qu'a publié le Congressional Service des États-Unis [CSR]. Le rapport du CSR est un document accessible au public, dont une version électronique figure dans le site Web du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR); ce rapport date d'avant les observations du demandeur et les informations qui y figurent ne sont pas nouvelles ou importantes, car il donne des détails sur des changements connus dans la situation du pays (Motifs d'une décision rendue en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la LIPR, DD, à la page 29).

 

[50]           Dans l'arrêt Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 125 FTR 297, la Cour d'appel fédérale a conclu que les renseignements portant sur la situation générale d'un pays qui sont accessibles au public et qui datent d'avant les observations d'un demandeur ne doivent pas être nécessairement communiqués à ce dernier pour satisfaire à l'obligation d'équité.

 

[51]           La Cour continue d’appliquer le principe énoncé dans l'arrêt Mancia :

[43]      [...]

 

[33]      Je tire le principe général suivant de l'arrêt Mancia. La preuve extrinsèque doit être communiquée à la demanderesse. L'équité ne requiert toutefois pas la communication d'éléments de preuve non extrinsèques, comme les rapports sur la situation générale du pays, à moins que ces éléments n'aient été rendus accessibles après que la demanderesse eut déposé ses observations et à moins qu'ils respectent les autres critères formulés dans cet arrêt.

[Non souligné dans l'original.]

 

(Lalane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 5, 338 FTR 238).

 

[52]           De la même façon, dans la décision Shokohi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 443, 367 FTR 161, la Cour a récemment reconfirmé le principe selon lequel il n'est pas nécessaire de communiquer à un demandeur les documents accessibles au public qui portent sur la situation dans un pays pour respecter les principes de l'équité procédurale.

 

[53]           Au vu de ce qui précède, le demandeur ne soulève pas une question sérieuse à juger dans sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire concernant l'avis de danger.

 

            (2) Le préjudice irréparable

[54]           Il incombe au demandeur de montrer à l’aide de preuves claires et convaincantes qu'il subira un préjudice irréparable si cette réparation extraordinaire qu'est un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi n'est pas accordée. Le préjudice irréparable doit constituer plus qu'une série de possibilités et il ne peut pas reposer simplement sur des affirmations et des conjectures (Atwal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 427; Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 562, 370 FTR 23, au paragraphe 43).

 

[55]           Le demandeur allègue qu'il subira un préjudice irréparable s'il est renvoyé en Égypte : le renvoi rendrait théorique sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire concernant l'avis de danger; il risque d'être victime d'un préjudice physique; la séparation causerait un préjudice à sa famille; il lui serait impossible de revenir au Canada avant d'avoir terminé le service militaire obligatoire d'une durée de trois ans en Égypte; il serait défavorisé par le fait d'avoir à présenter une demande de réadaptation depuis l'étranger.

 

[56]           La Cour a déjà traité de l'allégation du caractère théorique en rapport avec un avis de danger et elle a conclu que ce caractère ne constitue pas un préjudice irréparable :

            [traduction]

[44]      Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale que le caractère théorique ne peut, en soi, établir l'existence d'un préjudice irréparable. Si ce n'était pas le cas, cela priverait la Cour du pouvoir discrétionnaire d'évaluer le préjudice irréparable au cas par cas [...]

 

[45]      La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d'entendre les appels qui sont en principe théoriques et il existe un tel pouvoir en faveur de l'audition d'un appel après qu'un sursis a été rejeté. La décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans Perez, qui se rapportait à une décision d'examen des risques avant renvoi (ERAR) défavorable, suit les critères énoncés dans la décision Borowski pour décider s'il convient que la Cour entende une affaire, malgré son caractère théorique [...]

 

[46]      Un demandeur peut poursuivre son litige en donnant des instructions à un avocat depuis l'étranger. D'après la jurisprudence, le fait de renvoyer un demandeur pendant que sa demande est en instance ne constitue pas un préjudice irréparable (Selliah, précité; Ariyaratnam c. MCI, IMM‑8121‑04, 28 septembre 2004; Hussein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1266, 162 A.C.W.S. (3d) 647, au paragraphe 11). [Non souligné dans l'original.]

 

(Sittampalam, précité).

 

[57]           L'allégation selon laquelle le demandeur risque d'être victime d'un préjudice physique est conjecturale et ne constitue pas un préjudice irréparable. Le fait que l'on ne puisse pas garantir à un demandeur une sécurité absolue en cas de renvoi ne constitue pas non plus un préjudice irréparable (Da Silva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 182 FTR 58 (1re inst.) au paragraphe 18; Ram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] ACF no 883 (1re inst.) (QL/Lexis); Gogna c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 68 F.T.R. 140 (1re inst.)).

 

[58]           La présente Cour a également conclu que le fait d'être séparé de sa famille par suite de l'exécution d'une mesure de renvoi valide ne constitue pas un préjudice irréparable :

            [traduction]

[63]      En ce qui concerne l'argument de M. Sittampalam selon lequel son renvoi causerait préjudice à d'autres personnes, la jurisprudence indique principalement qu'un préjudice irréparable doit être un préjudice pour la personne qui sollicite le sursis, et non pour une tierce partie [...] Même dans les cas où la séparation causée par le renvoi peut causer d'importants problèmes économiques à l'unité familiale, le critère consiste quand même à déterminer si le demandeur lui-même subira un préjudice irréparable.

 

[64]      Il est bien établi que la dislocation et la perturbation sont les conséquences normales d'une expulsion. Que la famille de M. Sittampalam reste au Canada ou l'accompagne, ces situations de stress sont celles que vivent toutes les personnes qui, malgré elles, sont obligées de quitter le Canada. Ce situations ne sont pas assimilables à un préjudice irréparable. Ce principe a été reconnu par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Selliah, précité, ainsi que dans l'arrêt Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, 79 Imm. L.R. (3d) 157. Dans l'arrêt Selliah, le juge John Maxwell Evans a fait les commentaires suivants :

 

[13]      Le renvoi de personnes qui sont demeurées au Canada sans statut bouleversera toujours le mode de vie qu'elles se sont donné ici. Ce sera le cas en particulier de jeunes enfants qui n'ont aucun souvenir du pays qu'ils ont quitté. Néanmoins, les difficultés qu'entraîne généralement un renvoi ne peuvent à mon avis constituer un préjudice irréparable au regard du critère exposé dans l'arrêt Toth, car autrement il faudrait accorder un sursis d'exécution dans la plupart des cas dès lors qu'il y aura une question sérieuse à trancher : Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2000), 188 F.T.R. 29. 

 

[...]

 

[65]      Il y a, en l'espèce, un facteur contextuel qu'il convient de souligner. On peut comprendre que M. Sittampalam aimerait rester au Canada en compagnie de son épouse et de ses enfants, mais il a été mis en détention d'octobre 2001 à avril 2007, ce qui fait que sa famille a vécu séparée de lui et sans son soutien durant toute cette période.

 

(Sittampalam, précité).

 

[59]           La Cour a également conclu que l'obligation d'accomplir le service militaire obligatoire ne constitue pas un préjudice irréparable.

[6]        Pour ce qui est du préjudice irréparable, je me réfère de nouveau à la décision Tulina-Litvin c. Canada (MSPPC), 2007 CF 105, aux paragraphes 47 à 49, selon laquelle la crainte du service militaire obligatoire ou de faire l’objet de discrimination en Israël, notamment en raison d’un mariage entre chrétien et juif, ne constitue pas un préjudice irréparable. Ces deux motifs ont été invoqués en l’espèce. Certains critères susceptibles de constituer un préjudice irréparable ont été énoncés dans l’arrêt Varga c. Canada (MEI), 2006 CAF 324, aux paragraphes 43 à 50. Ils comprennent le risque de mourir, d’être torturé ou d’être soumis à des traitements inhumains. Ces questions n’ont pas été soulevées en l’espèce. L’existence d’un préjudice irréparable n’a pas été démontrée.

 

(Sorokin c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 355).

 

[60]           L'allégation selon laquelle le demandeur serait défavorisé par l'obligation d'avoir à présenter une demande de réadaptation depuis l'étranger à cause du [traduction] « strict examen des demandes de réhabilitation » et de la difficulté de faire en sorte que [traduction] « les détails de sa demande soient vérifiés » est conjecturale et fondée sur des affirmations, et elle ne satisfait pas au critère élevé qui consiste à prouver de manière claire et convaincante qu'il surviendra un préjudice irréparable :

            [traduction]

[43]      Le préjudice irréparable met en jeu un critère élevé. La Cour doit être convaincue que le fait de ne pas accorder le sursis causera un tel préjudice (Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CAF 261, 132 ACWS (3d) 261, aux paragraphes 12 à 21; Stampp c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 127 FTR 107, 69  ACWS (3d) 901, aux paragraphes 15 et 16; Atakora c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 68 FTR 122, 42 ACWS (3d) 486 aux paragraphes 11 et 12 (1re inst.); Legrand c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 27 Imm. L.R. (2d) 259, 52 ACWS (3d) 1301, au paragraphe 5 (C.F. 1re inst.); Akyol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 931, 124 ACWS (3d) 1119, au paragraphe 7).

 

[61]           Le demandeur n'a pas montré au moyen de preuves claires et convaincantes qu'il subira un préjudice irréparable si la réparation extraordinaire que constitue un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi n'est pas accordée.

 

            (3) La prépondérance des inconvénients

[62]           L'article 48 de la LIPR dispose qu'une mesure de renvoi exécutoire doit être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

[63]           Le demandeur sollicite une réparation en equity extraordinaire. Il est bien établi en droit qu'il est nécessaire de tenir compte de l'intérêt du public au moment d'évaluer la prépondérance des inconvénients :

[10]       Finalement, en ce qui concerne le troisième volet du critère de Toth, la prépondérance des inconvénients joue en faveur du ministre défendeur, étant donné que le gouvernement protège la population contre les criminels. La SAI a donné son opinion de façon claire et catégorique : le demandeur constitue un danger pour la population canadienne. La SAI avait le pouvoir discrétionnaire et la compétence nécessaires pour rendre une telle décision.

 

(Grant c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 141).

 

[64]           La protection du public canadien doit être un aspect prépondérant et, dans la présente affaire de grande criminalité mettant en cause de la violence, la balance penche en faveur du ministre :

[53]           Ce n’est que dans des cas exceptionnels que l’intérêt d’un demandeur l’emportera sur l’intérêt public. Or, M. Khosa n’a pas fait la preuve d’un cas exceptionnel qui justifierait de retarder le moment où le ministre de la SPPC s’acquittera de son devoir de veiller à la réalisation des objectifs de la LIPR (Dugonitsch, précité, au paragraphe 15; Selliah, précité, au par. 22).

 

(Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 83).

[35]           La prépondérance des inconvénients favorise le ministre, en ce sens que le renvoi du demandeur satisferait aux objectifs énoncés dans la LIPR : mettre en place une procédure équitable et efficace qui maintient l’intégrité du processus canadien d’asile, garantir la sécurité des Canadiens et promouvoir, à l’échelle internationale, la sécurité et la justice par l’interdiction du territoire canadien aux personnes qui sont de grands criminels ou constituent un danger pour la sécurité (LIPR, alinéas 3(2)e), g) et h).)

 

(Jama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 374).

 

[65]           Vu la nature et l'étendue de la grande criminalité du demandeur, la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l'intérêt du public à ce que l'on renvoie les étrangers que l'on a déclarés interdits de territoire au Canada pour grande criminalité.

 

VI. Conclusion

[66]           Pour tous les motifs qui précèdent, la requête du demandeur en vue d'obtenir un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi le concernant est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la requête du demandeur en vue d'obtenir un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi le concernant soit rejetée. Le renvoi prendra effet dès qu'il sera raisonnablement possible de le faire dans les circonstances et dans le contexte actuels.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

[...], trad. a., LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7645-11

 

INTITULÉ :                                       AL-MUNZIR ES-SAYYID c

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

REQUÊTE ENTENDUE PAR CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE LE 16 DÉCEMBRE 2011, À PARTIR D'OTTAWA ET DE TORONTO (ONTARIO)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 décembre 2011

 

 

 

OBSERVATIONS ORALES ET ÉCRITES :

 

Barbara Jackman

Sarah L. Boyd

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ian Hicks

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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