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Date : 20111220


Dossier : IMM-4068-11

Référence : 2011 CF 1504

[traduction française certifiée, non révisée]

Toronto (Ontario), le 20 décembre 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

KATTERINE NAYIBE MARTINEZ GONZALEZ

GERMAN DARIO ACOSTA FERNANDEZ DAVID ACOSTA MARTINEZ

PAULA ANDREA ACOSTA MARTINEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               German Dario Acosta Fernandez et sa famille sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a déterminé que les membres de cette famille n'avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. La question déterminante pour la Commission portait sur la protection de l'État en Colombie pour les victimes d'extorsion de la part des Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC].

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j'ai conclu que la décision de la Commission était raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Contexte

 

[3]               L'expérience de M. Acosta avec les FARC a commencé en 1993 lorsqu'il a été la cible d'extorsion alors qu'il exploitait sa propre entreprise de camionnage. En raison de ces menaces, M. Acosta a abandonné son entreprise de camionnage afin d'accomplir un autre travail.

 

[4]               En 2003, alors que la situation était devenue plus stable en Colombie, M. Acosta a décidé d'établir à nouveau son entreprise de camionnage, cette fois dans la ville de Santamarta. Le 2 décembre 2009, lorsqu’il traversait la ville de Buenaventura, quatre membres des FARC se sont approchés du camion de M. Acosta et l'ont menacé ainsi que son assistant à la pointe du fusil. Les bandits ont volé 200 000 pesos à M. Acosta et ont exigé qu'il paie une somme supplémentaire de 1,5 million de pesos par mois en échange de la permission d'exercer des activités commerciales dans la région.

 

[5]               À son retour à Bogotá, M. Acosta a signalé l'incident au bureau du procureur général [BPG]. Le BPG l’a dirigé vers le groupe d'action unifiée pour la liberté personnelle [GAULA]. À l’évidence, le GAULA n'avait pas compétence à l’égard des montants moins importants d'extorsion comme celui sur lequel portait l'affaire de M. Acosta. Par conséquent, le GAULA l’a renvoyé au BPG qui a alors conseillé à M. Acosta de signaler l'incident à la police de Buenaventura. Monsieur Acosta n'a pas suivi ce conseil.

 

[6]               Le 22 janvier 2010, deux membres des FARC se sont présentés à M. Acosta, cette fois à son garage à Santamarta. Ils l'ont menacé et exigé qu'il leur paie 20 millions de pesos.

 

[7]               Monsieur Acosta n'a rien fait pour signaler cette deuxième tentative d'extorsion à la police. Après avoir consulté son épouse et son beau‑frère, il a décidé de fuir la Colombie avec sa famille et de venir au Canada.

 

Analyse

 

[8]               Bien que les demandeurs soulèvent plusieurs arguments, en définitive, la Cour doit se prononcer sur le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission portant qu'ils n’avaient pas réfuté la présomption selon laquelle l'État de Colombie serait en mesure de les protéger.

 

[9]               Les demandeurs soutiennent que la Colombie n'est pas une démocratie bien établie comme les États-Unis. Par conséquent, l’observation tirée du paragraphe 46 de l'arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 DLR (4th) 413 [Hinzman], selon laquelle un demandeur doit épuiser tous les recours à sa disposition avant de demander l'asile, ne devrait pas s'appliquer en l'espèce.

 

[10]           Manifestement, les démocraties ne sont pas toutes de valeur égale et la maturité du système démocratique d'un pays donné se situera inévitablement quelque part dans l'éventail démocratique (Capitaine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 98, 166 ACWS (3d) 150).

 

[11]           Cependant, il est un principe bien établi du droit canadien des réfugiés que le fardeau de preuve qui incombe au demandeur pour réfuter la présomption de la protection de l'État est « en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause : plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Kadenko (1996), 143 DLR (4th) 532, [1996] ACF no 1376 (QL) (CAF), au paragraphe 5).

 

[12]           L'arrêt Hinzman de la Cour d'appel fédérale ne change pas cette situation. En effet, il rappelle que le demandeur d'asile provenant d'un pays démocratique « devra s'acquitter d'un lourd fardeau pour démontrer qu'il n'était pas tenu d'épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l'asile » (au paragraphe 57). Pour réfuter la présomption selon laquelle l'État est en mesure de protéger ses citoyens, un demandeur doit « confirmer d’une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection » (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, [1993] ACS no 74 (QL), au paragraphe 50 [Ward].

 

[13]           De plus, le fait pour le demandeur d'asile de ne pas avoir sollicité la protection de son État d’origine peut faire échouer sa demande d’asile « s’il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine » (Ward, précité, au paragraphe 49).

 

[14]           En l'espèce, la Commission a parfaitement compris que le fardeau incombant au demandeur d'asile est lié au degré de démocratie dans le pays en question. La Commission a assez longuement analysé l'étendue de la démocratie en Colombie et a examiné plus en profondeur la nature et la portée de ses institutions d'application de la loi. Aucune erreur de la part de la Commission n'a été démontrée à cet égard.

 

[15]           Les demandeurs soutiennent de plus que la loi n'exige pas que le demandeur d'asile mette sa vie en danger pour se prévaloir de la protection de l'État et qu'il était déraisonnable de s'attendre à ce que M. Acosta risque sa vie en retournant à Buenaventura pour déposer un rapport de police concernant la première tentative d'extorsion. Selon les demandeurs, la Commission a commis une erreur en ne se demandant pas s'il était raisonnable dans les circonstances d'exiger que la victime d'une tentative d'extorsion retourne sur la scène du crime.

 

[16]           En règle générale, le demandeur d'asile sera tenu de solliciter la protection auprès des autorités appropriées : Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 491, [2011] ACF no 610 (QL); Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1050, 141 ACWS (3d) 116.

 

[17]           Il ressort clairement que la Commission était consciente qu'il incombait à M. Acosta de prendre « toutes les mesures raisonnables à sa disposition » pour obtenir la protection de l'État (motifs, au paragraphe 23 [non souligné dans l'original]). La Commission n'était pas convaincue que c'était ce qu'il avait fait. De plus, il ressort clairement de la transcription que le principal motif offert par M. Acosta pour expliquer pourquoi il n’a pas sollicité la protection à Buenaventura était sa frustration à l'égard du manque de collaboration de la part des autorités colombiennes. Dans les circonstances, la conclusion de la Commission selon laquelle M. Acosta n'avait pas fait des efforts raisonnables pour solliciter la protection de l'État à Buenaventura était raisonnable en soi.

 

[18]           Je ne suis également pas convaincue que la Commission a commis une erreur en s'appuyant sur le fait que M. Acosta n’a pas sollicité la protection de l'État à l'égard de la deuxième tentative d'extorsion. Comme l'a indiqué la Commission, M. Acosta n'est pas allé à la police locale à Santamarta. Il n’a pas non plus cherché à savoir s'il pouvait signaler l'affaire au GAULA, puisque les exigences monétaires imposées lors du deuxième incident étaient beaucoup plus élevées que celles du premier.

 

[19]           La Commission a tenu compte des raisons données par M. Acosta pour expliquer pourquoi il n’avait pas demandé la protection de l'État relativement à la deuxième tentative d'extorsion, et les a rejetées.. Ce faisant, elle a examiné la preuve relative à l'existence de la protection de l'État en Colombie, ainsi que la question de savoir si M. Acosta pouvait raisonnablement s'attendre à obtenir cette protection. La Commission a reconnu que la preuve à cet égard était mixte et a manifestement pris en compte la preuve contraire sur laquelle les demandeurs s'appuyaient.

 

[20]           Enfin, je reconnais certes que les deux mentions du Mexique dans un paragraphe de la décision de la Commission sont malheureuses, mais je suis néanmoins convaincue qu'elles ne sont rien de plus qu'une erreur typographique. Après avoir examiné l'ensemble des motifs, y compris la longue analyse sur la situation du pays, il ne fait pas de doute que la Commission a compris que le pays en cause dans la présente demande d'asile était la Colombie.

 

Conclusion

 

[21]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Certification

 

[22]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et aucune n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

                                                                                                            « Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                         IMM-4068-11

 

INTITULÉ :                                       KATTERINE NAYIBE MARTINEZ GONZALEZ

                                                            et autres c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 19 décembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Terry Guerriero

POUR LES DEMANDEURS

 

Daniel Engel

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Terry S. Guerriero

Avocat

London (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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