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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20120104


Dossier : IMM-3362-11

Référence : 2012 CF 8

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

ERCAN CETINKAYA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi), concernant la décision rendue en date du 27 avril 2011 (la décision) par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SPR a alors décidé de rejeter la demande d’asile présentée par le demandeur en qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur, Ercan Cetinkaya, est un Kurde de 38 ans possédant la citoyenneté turque. Il a demandé l’asile à l’encontre de la Turquie parce qu’il craint que la police turque le persécute et s’en prenne à lui en raison de sa race, de sa nationalité, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social.

[3]               Le demandeur soutient que la police sait que sa famille défend les droits des Kurdes. Il dit que de nombreux membres de sa famille ont été détenus à plusieurs occasions pour avoir revendiqué leur identité kurde. En outre, plusieurs membres de sa famille ont obtenu l’asile au Canada depuis les années 1990.

[4]               Le demandeur affirme qu’il a été insulté et humilié régulièrement par ses professeurs quand il allait à l’école. Il a été forcé de quitter après deux ans l’école intermédiaire qu’il fréquentait en raison des descentes effectuées dans les villages kurdes par les forces de sécurité et les gendarmes et de l’oppression que ceux‑ci exerçaient sur ces villages. Il affirme également qu’il a été l’objet de discrimination, qu’il a subi de la violence physique et qu’il a été puni par ses officiers supérieurs pendant son service militaire obligatoire de 18 mois, de 1992 à 1994.

[5]               Le demandeur dit qu’il était un sympathisant actif des partis politiques pro‑kurdes comme le HADEP et le DTP lorsqu’il vivait en Turquie. Il aurait participé à différentes manifestations condamnant les atteintes aux droits de la personne des Kurdes commises par la population et les autorités turques. Depuis la première fois où il a été détenu en novembre 1998 alors qu’il participait à une manifestation organisée par le parti politique pro‑kurde HADEP, le demandeur aurait été détenu par la police à six reprises alors qu’il participait à des manifestations de ce genre; il aurait aussi été maltraité, battu, notamment à coups de pied, et, parfois, torturé en détention. Il dit que certains de ces incidents ont coïncidé avec des manifestations favorables aux droits des Kurdes ayant eu lieu à l’époque des célébrations de la Newroz (nouvelle année) kurde en mars 2008 et 2009 (les manifestations de la Newroz). Lorsqu’il a été détenu pendant les manifestations de la Newroz, il aurait été sévèrement battu et aurait été soumis à la falaka, qui consiste en des coups de fouet assénés sur la plante des pieds. Lorsqu’il a été détenu en 2008, la police a menacé de le tuer.

[6]               Avec l’aide financière de son frère, le demandeur a obtenu un visa pour les États‑Unis et il est arrivé à Détroit, au Michigan, le 22 juillet 2009. Le même jour, il a traversé la frontière canadienne et a demandé l’asile au Canada. Il a alors produit une déclaration manuscrite (la déclaration manuscrite) et rempli le formulaire de « Demande d’asile au Canada » (le formulaire de demande). Il a aussi produit un Formulaire de renseignements personnels (le FRP) le 13 août 2009. La SPR a instruit sa demande d’asile le 11 avril 2011. Elle a rendu sa décision le 27 avril 2011 et l’a notifiée au demandeur le 29 avril suivant.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]               La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas une crainte subjective d'être persécuté aux mains de la police et des forces de sécurité en Turquie et que sa crainte d’être persécuté par la police n’avait pas de fondement objectif. Elle a conclu également qu’il n’était pas un témoin crédible et qu’elle ne disposait pas d’une preuve convaincante démontrant qu’il serait exposé à plus qu’un risque généralisé s’il retournait en Turquie.

[8]               La SPR a constaté que le demandeur avait dit, au cours de l’audience, qu’il avait été battu par les autorités parce qu’il participait à des manifestations. Elle a constaté également que le demandeur n’avait pas produit de preuve documentaire démontrant qu’il avait effectivement participé à ces manifestations. La SPR a dit que le demandeur avait allégué, dans l’exposé circonstancié de son FRP, dans sa déclaration manuscrite et dans le formulaire de demande, qu’il avait été torturé et battu pendant qu’il était en détention, mais qu’il n’avait pas corroboré ces allégations. Elle a dit aussi que le demandeur avait admis à l’audience qu’il avait seulement été battu, lorsqu’on lui avait demandé d’expliquer l’absence de corroboration de ses allégations. La SPR a conclu que le demandeur avait essayé de lui faire croire qu’il avait été torturé par la police pendant sa détention.

[9]               La SPR a constaté que le demandeur avait écrit dans sa déclaration manuscrite qu’il avait participé à des manifestations organisées par les organisations civiles kurdes légitimes depuis 1997. Il a écrit aussi dans cette déclaration qu’il avait été arrêté, insulté, maltraité et torturé par la police en 1998 à cause de sa participation à des manifestations. Alors que son FRP mentionne plusieurs incidents survenus après 1998, sa déclaration manuscrite ne fait état que d’un seul incident, lequel est survenu en 1998. Aucune date précise n’étant indiquée dans le formulaire de demande, la SPR a rejeté la prétention formulée par le demandeur à l’audience selon laquelle ce formulaire fait état de plusieurs incidents survenus pendant une certaine période de temps.

[10]           La SPR a demandé au demandeur d’expliquer les omissions relevées dans la déclaration qu’il a faite au point d'entrée. Elle a ensuite rejeté son explication selon laquelle l’agent d’immigration avait pris le document avant qu’il ait terminé d'inscrire son récit. La SPR a estimé qu’elle ne disposait d’aucune preuve convaincante démontrant que le demandeur n’avait pas eu assez d’espace ou de temps pour relater tout son récit ou qu’il n’avait pas eu la possibilité de le faire. De plus, elle a fait remarquer que le demandeur avait signé le document, indiquant ainsi que celui‑ci était complet, véridique et exact, et qu’une ligne avait été tracée dans le reste de l’espace réservé à son récit.

[11]           La SPR a conclu que le demandeur ne l’avait pas convaincue, compte tenu de la preuve qu’il avait produite, qu’il avait assisté aux manifestations et aux célébrations de la Newroz après 1998 comme il l’alléguait dans son FRP. Le demandeur n’avait pas produit une preuve documentaire étayant les allégations contenues dans son FRP. Il n’avait pas produit une preuve documentaire établissant qu’il avait participé aux manifestations pro‑kurdes auxquelles il disait avoir assisté, des rapports médicaux confirmant qu’il avait été torturé ou des articles de journaux indiquant que les manifestations avaient bien eu lieu les jours où il y aurait participé et aurait été arrêté. La SPR a rejeté son explication selon laquelle il n’avait pas consulté un médecin après avoir été soumis à de la torture parce qu’il n’y avait aucun signe physique de celle‑ci.

[12]           La SPR a constaté que l’affidavit que l’épouse du demandeur avait déposé ne donnait pas de détails concernant l’arrestation de ce dernier ou sa présence à des manifestations. En outre, les documents que le demandeur a produits après l’audience n’indiquaient pas qu’il avait participé à des manifestations. La SPR a conclu que le demandeur n’avait participé à aucune manifestation après 1998 et qu’il avait inventé ces faits pour étayer sa demande. Elle a conclu en outre que, comme le demandeur n’avait participé à aucune manifestation, la police ne s’intéresserait pas à lui, de sorte que sa crainte de persécution n’avait pas de fondement objectif.

[13]           La SPR a aussi constaté que le demandeur avait attendu dix ans après son arrestation et la violence dont il avait été victime en 1998 – la seule violence que, selon elle, le demandeur a subie – pour quitter la Turquie. Le demandeur connaissait le processus d’asile en vigueur au Canada puisque d’autres membres de sa famille avaient obtenu l’asile dans ce pays. La SPR a rejeté son explication concernant son retard à quitter la Turquie (il n’avait pas d’argent), soulignant que le demandeur n’en avait rien dit dans son FRP. Par ailleurs, la SPR ne disposait d’aucune preuve documentaire convaincante démontrant que le père du demandeur avait envoyé de l’argent pour l’aider à quitter la Turquie. En outre, le témoignage du demandeur selon lequel l’entreprise de cosmétiques de sa femme était florissante montrait également qu’il n’était pas vraisemblable qu’il n’ait pas eu l’argent nécessaire pour quitter la Turquie. La SPR a aussi rejeté son explication selon laquelle il ne pouvait pas voyager sans sa famille. Elle a dit que les membres de la famille du demandeur n’étaient pas ciblés et que ce dernier les avait finalement laissés derrière lui de toute façon. Se fondant sur ces conclusions, la SPR a affirmé que le demandeur n’avait pas une crainte subjective de persécution en Turquie et que sa crainte n’avait pas de fondement objectif. Elle a affirmé également qu’elle ne disposait pas d’une preuve convaincante démontrant que le demandeur était exposé à un risque plus grand que celui auquel faisaient face tous les citoyens de Turquie.

LES DISPOSITIONS LÉGALES

[14]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]


Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou  occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

a.                   La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’était pas crédible?

b.                  La SPR a-t-elle appliqué le mauvais critère concernant la torture?

c.                   La conclusion de la SPR au sujet de la torture était‑elle raisonnable?

d.                  Les motifs de la SPR étaient-ils suffisants?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[16]           La Cour suprême du Canada a statué dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, que l’analyse relative à la norme de contrôle n’a pas à être effectuée dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs faisant partie de l’analyse relative à la norme de contrôle.

[17]           Dans Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, le juge Max Teitelbaum a statué, au paragraphe 21, que les conclusions relatives à la crédibilité sont au cœur de la conclusion de fait de la SPR, de sorte que c’est la norme de la raisonnabilité qui s’y applique. Dans Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1586, le juge John O’Keefe a statué, au paragraphe 23, que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à la crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a décidé que la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions relatives à la crédibilité est celle de la raisonnabilité. La norme de contrôle applicable à la première question en l’espèce est celle de la raisonnabilité.

[18]           Dans Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, la Cour suprême du Canada a statué au paragraphe 43 que la torture s’entend :

du recours illégitime à des mesures psychologiques ou physiques pour infliger à une personne une douleur ou des souffrances aiguës, lorsque cette douleur ou ces souffrances sont infligées par un agent de l’État ou avec son consentement.

 

[19]           La question de savoir si un acte particulier, par exemple la falaka alléguée par le demandeur, est visé par la définition de la torture approuvée par la Cour suprême du Canada exige que le droit soit appliqué aux faits présentés à la SPR. Comme la Cour suprême du Canada l’a dit au paragraphe 51 de Dunsmuir, précité, c’est généralement la norme de la raisonnabilité qui s’applique à ce type de question. C’est cette norme qui s’applique à la deuxième question en l’espèce.

[20]           La question de savoir si le demandeur a été torturé en Turquie est purement une question de fait. Dans Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada a indiqué, au paragraphe 51, que les conclusions de fait sont généralement assujetties à la norme de la raisonnabilité. C’est cette norme qui s’applique à la troisième question en l’espèce.

[21]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[22]           Récemment, la Cour suprême du Canada a décidé dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision (voir le paragraphe 14). Elle a statué que les motifs doivent être en corrélation avec le résultat dans le cadre d’un exercice global. Le caractère suffisant des motifs est donc inclus dans l’analyse de la raisonnabilité de la décision dans son ensemble.

 

LES ARGUMENTS

Le demandeur

La SPR a appliqué le mauvais critère concernant la torture

 

[23]           Le demandeur affirme que la SPR n’a pas appliqué le bon critère concernant la torture et que la transcription n’appuie pas la conclusion de la SPR selon laquelle il a admis avoir été battu, mais pas torturé. Il se réfère à l’échange survenu à l’audience qui figure à la page 298 du dossier certifié du tribunal.

[24]           Le demandeur soutient que la SPR a appliqué le mauvais critère concernant la torture lorsqu’elle a dit que, s’il avait été torturé, il aurait été très grièvement blessé. Il cite l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] RT Can no 36 :

Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.

 

 

[25]           Le demandeur avance qu’il n’est pas exigé qu’une victime de torture soit grièvement blessée et présente des signes de torture. En l’espèce, le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il avait été privé de sommeil et d’eau et qu’il avait subi la falaka à plusieurs reprises. Ces faits étaient suffisants pour qu'il soit satisfait au critère concernant la torture.      

La conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas été torturé était déraisonnable

[26]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable que la SPR rejette son témoignage selon lequel il avait été torturé uniquement parce qu’il n’a pas produit un rapport médical faisant état de ses blessures. Il soutient également qu’il a expliqué de manière raisonnable pourquoi il n’avait pas produit une preuve documentaire confirmant ses arrestations et les mauvais traitements dont il avait été victime de la part de la police, car il a indiqué dans son témoignage qu’il avait trop peur de la police et que sa situation aurait été pire s’il était allé à l’hôpital pour que ses blessures soient constatées. Il n’a pas admis à l’audience qu’il n’avait pas été torturé, c’est la SPR qui l’a dit, pas lui.

                        La conclusion de la SPR relative à la crédibilité était déraisonnable

[27]           Le demandeur soutient également que le Cartable national de documentation de la SPR sur la Turquie révèle qu’un grand nombre de Kurdes sont arrêtés pendant les manifestations se déroulant à l’époque des célébrations de la Newroz. Les documents qu’il a produits après l’audience révèlent également que ces célébrations ont eu lieu à peu près au moment où il dit avoir été arrêté, détenu et battu, ce qui, selon lui, montre que la conclusion de la SPR selon laquelle il n’a pas produit une preuve des manifestations était déraisonnable. Ces documents indiquent que son témoignage était conforme aux autres éléments de preuve, de sorte que la SPR n’aurait pas dû conclure qu’il n’était pas crédible.

[28]           La conclusion de la SPR selon laquelle il n’était pas crédible à cause du manque de détails dans le formulaire de demande était également déraisonnable. Le demandeur a déclaré dans son témoignage que l’agent d’immigration lui avait dit, au moment de son entrevue au point d'entrée, qu’il n’accepterait plus de renseignements tant que son frère ne confirmerait pas leur lien de parenté. Or, l’entrevue n’a pas continué même si son frère a fourni la confirmation. Le formulaire de demande indique que le demandeur a dit [traduction] « j’ai été poursuivi (sic) et torturé par la police turque à maintes reprises », pas seulement au cours de l’incident de 1998 qui était expressément mentionné dans son exposé circonstancié manuscrit rédigé au même moment. Le demandeur souligne aussi qu’il n’a pas modifié son récit entre le moment où il a rempli le formulaire de demande et le moment où il a rempli son FRP; il a seulement fourni des détails additionnels lorsqu’il a eu la possibilité de le faire.

[29]           Le demandeur soutient que la SPR commet une erreur lorsqu’elle met en doute la crédibilité d’un demandeur d’asile pour la simple raison que les renseignements fournis lors de l’entrevue au point d'entrée ne sont pas détaillés. L’entrevue effectuée au point d'entrée sert à déterminer si la personne peut présenter une demande d’asile. La déclaration faite au point d'entrée ne faisant pas partie de la demande d’asile proprement dite, on ne devrait pas s’attendre à ce qu’elle contienne tous les détails de celle‑ci. Le demandeur s’appuie à cet égard sur RKL c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116.

[30]           Le demandeur dit que le témoignage fait sous serment par un demandeur d’asile devrait être présumé véridique, à moins qu’il existe des motifs suffisants de ne pas y ajouter foi (voir Armson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1989] ACF no 800 (CAF); Alfonso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 51; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 709; Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1526; Hussein c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 853). Il prétend que les conclusions de la SPR sont fondées sur de simples hypothèses ou conjectures, et non sur des déductions raisonnables, et que la décision devrait être annulée car elle n’est pas fondée sur la preuve qui a été produite.

[31]           Il dit également que la SPR a exposé les faits de manière inexacte lorsqu’elle a conclu qu’il avait attendu dix ans après l’incident de 1998 pour quitter la Turquie. Le demandeur a déclaré dans son témoignage que la police avait menacé expressément pour la première fois de le tuer lors de l’incident de 2008 et que ce n’est qu’après celui‑ci qu’il avait pris la décision de quitter le pays.

                        Les motifs de la SPR étaient insuffisants

[32]           Le demandeur affirme en outre que la SPR n’explique pas clairement dans ses motifs pourquoi elle a conclu qu’il n’était pas crédible. Le juge Francis Muldoon a dit ce qui suit au paragraphe 7 de la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 :

Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur

[33]           La SPR avait l’obligation d’examiner les éléments de preuve qu’elle jugeait crédibles, mais ses motifs ne montrent pas qu’elle l’a fait. Elle n’a pas expliqué pourquoi elle a conclu que la demande d’asile du demandeur n’avait pas de fondement objectif. Le demandeur soutient en outre que la SPR n’a pas expliqué pourquoi elle avait rejeté les éléments de preuve qui allaient à l’encontre de ses conclusions alors qu’elle avait l’obligation de le faire. La SPR n’a pas parlé dans ses motifs de la preuve relative à la situation en Turquie qu’il avait produite, de sorte que les motifs sont insuffisants.

[34]           Enfin, le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui lui ont été présentés après l’audience, notamment une copie du transfert d’argent et l’affidavit de son père confirmant que le demandeur n’avait pas les moyens financiers de quitter la Turquie plus tôt. La SPR n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas tenu compte de ces éléments de preuve ni pourquoi ils n’étaient pas convaincants.

Le défendeur

[35]           Le défendeur affirme que, par ses prétentions, le demandeur demande essentiellement à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. La SPR a conclu de manière raisonnable que le demandeur n’était pas crédible, en se fondant sur les omissions relevées dans la déclaration qu’il a faite au point d'entrée, l’absence de preuve documentaire et son retard à quitter la Turquie. La conclusion raisonnable relative à la crédibilité était déterminante, de sorte que la présente demande devrait être rejetée.

            La conclusion de la SPR relative à la crédibilité était raisonnable

[36]           La conclusion relative à la crédibilité à laquelle la SPR est parvenue était raisonnable compte tenu des éléments dont celle‑ci disposait. La SPR a constaté que le demandeur n’avait pas produit une preuve documentaire corroborant son allégation de torture et sa présence aux manifestations, et il avait omis des détails importants dans sa déclaration au point d'entrée. En outre, la SPR a rejeté l’explication donnée par le demandeur au sujet de cette omission. Toutes ces conclusions étaient raisonnables, de sorte que la conclusion générale de la SPR concernant la crédibilité l’était également.

[37]           Vu l’absence de preuve corroborante et le fait qu’aucun incident survenu après 1998 n’était mentionné dans le formulaire de demande, la SPR n’était pas convaincue que le demandeur avait assisté à des manifestations et aux célébrations de la Newroz après 1998 comme il l’alléguait dans son FRP. En conséquence, elle n’était pas convaincue que la police s’intéresserait au demandeur après 1998, et elle a conclu avec raison que la crainte de persécution du demandeur n’avait pas de fondement objectif. Le défendeur souligne que la SPR a également conclu que, compte tenu des dix années qui se sont écoulées avant que le demandeur quitte la Turquie, celui‑ci n’avait pas une crainte subjective de persécution. La SPR a rejeté de manière raisonnable l’explication du demandeur et la conclusion qu’elle a tirée de cette période de dix ans était raisonnable.

[38]           Le demandeur n’a pas apaisé les doutes de la SPR au sujet de la crédibilité : ses prétentions portent sur des questions très précises et ne tiennent pas compte de l’ensemble de la preuve, laquelle a été jugée insuffisante par la SPR. Celle‑ci a formulé ses conclusions en termes clairs et explicites, conformément à Hilo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1991] ACF no 228 (CAF), au paragraphe 6.

                        La SPR n’a pas appliqué le mauvais critère concernant la torture

[39]           Sur ce point, le demandeur a mal interprété les motifs de la SPR, lesquels étaient raisonnables en fonction de la preuve. La SPR a demandé au demandeur de produire une preuve corroborante parce qu’elle avait des doutes au sujet de sa crédibilité. Le demandeur n’en a produit aucune. La SPR a conclu que l’absence de preuve corroborante de torture démontrait également que le demandeur avait enjolivé sa demande d’asile, et cette conclusion était raisonnable compte tenu de la preuve.

[40]           La SPR ne disposait pas d’une preuve convaincante démontrant que le demandeur avait participé à l’une des activités qu’il avait décrites après 1998. La preuve dont à la SPR disposait, notamment une preuve documentaire produite après l’audience par le demandeur, démontre seulement que ces activités ont eu lieu, non que le demandeur y a assisté. Sans son témoignage, qu’elle a jugé non crédible de manière raisonnable, la SPR ne disposait d’aucune preuve lui permettant de conclure que le demandeur était présent lors des manifestations.

[41]           Le défendeur affirme également qu’une absence de documents acceptables sans qu’une explication raisonnable soit donnée à cet égard constitue un facteur important aux fins de l’appréciation de la crédibilité d’un demandeur d’asile et peut mener à une conclusion selon laquelle ce dernier ne s’est pas acquitté du fardeau de démontrer le bien‑fondé de sa demande. Le défendeur s’appuie sur Syed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 357; Bin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1246; Nallanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 326; Nadarajalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 444. L’absence de preuve corroborante en l’espèce n’a eu pour effet que d’étayer les conclusions défavorables auxquelles la SPR était déjà parvenue.

[42]           L’omission relevée dans le formulaire de demande du demandeur n’était pas la seule raison qui expliquait la conclusion de la SPR. Des différences entre les déclarations faites au point d'entrée par un demandeur d’asile et son témoignage sont suffisantes pour justifier une conclusion défavorable relative à la crédibilité lorsque ces contradictions portent sur des éléments fondamentaux de la demande d’asile (voir Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262, aux paragraphes 1, 20 et 21).

[43]           Il était loisible à la SPR de tenir compte de cette preuve contradictoire. La SPR a rejeté les explications du demandeur concernant les contradictions parce que la déclaration manuscrite avait été écrite et signée par le demandeur, ce dernier indiquant ainsi qu’elle était complète, véridique et exacte, et qu’une ligne avait été tracée dans l’espace laissé en blanc sur la page. Le défendeur soutient qu’en qualité de juge des faits, la SPR pouvait rejeter les explications du demandeur (Hevia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 472, au paragraphe 14; Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, au paragraphe 10).

[44]           Le défendeur soutient également que la façon dont la SPR a traité la preuve produite après l’audience est sans importance puisque cette preuve a trait seulement à la période de temps qui s’est écoulée avant que le demandeur quitte la Turquie, alors que la SPR a conclu que le demandeur avait inventé d’autres aspects de son récit.

ANALYSE

[45]           Je crois que la décision contient plusieurs erreurs susceptibles de contrôle qui font en sorte qu’elle est déraisonnable et qui exigent que l’affaire soit renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[46]           En premier lieu, la SPR a accordé une grande importance aux notes prises au point d'entrée pour conclure au manque de crédibilité du demandeur :

11. En outre, le 22 juillet 2009, pendant son entrevue avec l’agent d’immigration au point d’entrée, le demandeur d’asile a présenté un document rédigé de sa main indiquant les raisons pour lesquelles il demandait l’asile au Canada. Ce document manuscrit indique que, depuis 1997, le demandeur d’asile participait à des manifestations organisées par des organismes civils kurdes légitimes. En raison de sa participation à ces manifestations, le demandeur d’asile avait été arrêté, agressé verbalement et physiquement et torturé par les policiers en 1998. Le demandeur d’asile ne fait état d’aucun autre incident et mentionne seulement qu’il a été détenu et torturé jusqu’en 1998.

 

12. Bien que, dans l’exposé circonstancié de son FRP, le demandeur d’asile fasse état d’un certain nombre de cas, après 1998, où il a été arrêté et maltraité par les policiers, le compte rendu qu’il fait dans le document manuscrit qu’il a remis au point d’entrée indique que ces incidents se sont déroulés après 1998. Au moment où le tribunal questionnait le demandeur d’asile, la conseil du demandeur d’asile a fait remarquer que le demandeur d’asile indique, à la page 8 du formulaire rempli au point d’entrée, qu’il avait été arrêté et torturé par les policiers plusieurs fois. Les arguments de la conseil ne sont pas raisonnables, puisque, dans ce document, le demandeur ne fournit pas les dates auxquelles il a été arrêté et torturé par les policiers, et le demandeur d’asile a reconnu qu’il n’avait jamais été torturé par les policiers.

 

13. Prié d’expliquer les lacunes de son compte rendu manuscrit, le demandeur d’asile a jeté le blâme sur l’agent d’immigration, qui aurait pris son manuscrit avant qu’il ait terminé de raconter son histoire, le premier jour de l’entrevue. Ses explications ne sont pas raisonnables, puisque le document manuscrit a été signé immédiatement après qu’il eut terminé de raconter son histoire; une ligne est tracée sur la page, et sa signature figure encore une fois sur celle-ci, indiquant qu’il a terminé de raconter son histoire. De plus, le tribunal ne possède aucun élément de preuve convaincant selon lequel le demandeur d’asile n’a pas eu suffisamment d’espace ou de temps ou n’a pas eu la possibilité de terminer son histoire au point d’entrée, comme il le soutient. Qui plus est, à la fin de ce document, le demandeur d’asile déclare que les renseignements fournis, y compris le compte rendu qu’il a fait au point d’entrée, étaient complets, vrais et exacts.

 

14. En conséquence, à la lumière des éléments de preuve présentés, le tribunal n’est pas convaincu que le demandeur d’asile a participé aux manifestations et aux célébrations de la nouvelle année après 1998, comme il l’a allégué dans l’exposé circonstancié de son FRP et dans son témoignage. Le tribunal conclut que le demandeur d’asile a fabriqué de toutes pièces ces histoires après son entrevue avec l’agent d’immigration au point d’entrée.

 

 

[47]           La SPR écrit clairement au paragraphe 9 de la décision que le demandeur a essayé d’expliquer l’absence de documents médicaux en admettant « qu’il avait été battu, mais pas torturé par les policiers turcs, pendant qu’il était en détention, contrairement à ce qu’il avait allégué dans l’exposé circonstancié de son FRP et dans les documents fournis au point d’entrée ».

[48]           Il ressort du dossier que le demandeur n’a jamais dit qu’il n’avait pas été torturé. L’avocate du défendeur a d’ailleurs dû le reconnaître à l’audience devant la Cour. J’analyserai le témoignage du demandeur sur ce point un peu plus loin, mais il appert qu’une erreur de fait fondamentale a été utilisée pour remettre en question sa crédibilité concernant l’absence de documents médicaux.

[49]           En ce qui concerne le formulaire de demande, la SPR rejette à nouveau la prétention de l'avocate selon laquelle ce document indique clairement que le demandeur a été torturé plusieurs fois par la police, prétention qu'elle juge déraisonnable, parce que, « dans ce document, le demandeur ne fournit pas les dates auxquelles il a été arrêté et torturé par les policiers, et le demandeur d’asile a reconnu qu’il n’avait jamais été torturé par les policiers ».

[50]           La Cour a formulé une mise en garde contre une telle utilisation des notes prises au point d'entrée. Dans Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1102, le juge O’Reilly a dit au paragraphe 16 :

En ce qui a trait au fait que la Commission s’appuie sur les différences entre les déclarations de M. Wu au PDE [point d'entrée] et son témoignage à l’audience, j’admets que la Commission devrait prendre soin de ne pas trop s’appuyer sur les déclarations au PDE. Les circonstances dans lesquelles ces déclarations sont recueillies sont loin d’être idéales, et leur fiabilité soulève souvent des doutes. En l’espèce, M. Wu soutient qu’il n’a pas compris l’interprète à différents moments et que c’est ce qui explique les différences entre ses déclarations au PDE et son témoignage devant la Commission.

 

 

[51]           La SPR commet une erreur lorsqu’elle met en doute la crédibilité du demandeur simplement parce que les renseignements qu’il a fournis lors de l’entrevue au point d'entrée ne sont pas détaillés. L’entrevue effectuée au point d'entrée sert à déterminer si une personne peut présenter une demande d’asile. Elle ne fait pas partie de la demande d’asile proprement dite, de sorte qu’on ne devrait pas s’attendre à ce qu’elle contienne tous les détails de celle‑ci (voir aussi Hamdar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 382, aux paragraphes 43 à 48, et Jamil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 792, au paragraphe 25).

[52]           De plus, la SPR a jugé que l’explication du demandeur était déraisonnable parce que « le demandeur d’asile a reconnu qu’il n’avait jamais été torturé par les policiers ». J’ai examiné les parties de la transcription contenue dans le DCT qui concernent cette prétendue admission. Or, ce n’est pas vrai. Le demandeur a soutenu tout au long de l’audience qu’il avait été torturé. C’est la SPR qui dit qu’il ne l’a pas été, en ayant une compréhension erronée de ce qu’est la torture :

[traduction]

LE MEMBRE : C’est pour cette raison que j’essaie de vous poser cette question. Être battu, c’est une chose. Être maltraité par la police, c’est une chose. La torture est un mot très sérieux. Si vous aviez été torturé, vous auriez été très grièvement blessé. Mais comme vous venez tout juste de dire qu’il n’y avait aucun signe de torture, cela signifie que vous avez été battu par la police.

LE DEMANDEUR D’ASILE : J’ai été battu, ils se sont attaqués à mes tissus mous, ils ont pris soin de ne pas me fracturer d’os, lorsque je répondais et qu’ils n’aimaient pas ma réponse, ils me battaient.

 

[53]           Le demandeur dit donc qu’il a été [traduction] « battu » par la police. En fait, il a donné des détails sur ce que la police lui a fait, notamment la falaka. C’est la SPR qui dit qu’il n’a pas été torturé et qui tente désespérément et en vain de l’amener à accepter sa compréhension erronée de ce qu’est la torture. Quoi qu’il en soit, le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il avait été grièvement blessé. Selon la logique de la SPR, une personne ne peut être torturée que si des signes de torture sont visibles; être grièvement blessé sans que le corps porte des marques n’est pas suffisant. Cette conclusion ne repose ni sur le droit ni sur le bon sens. De plus, il est difficile de comprendre pourquoi la SPR pense que l’on ne peut pas parler de torture quand une personne est battue par la police : [traduction] « Être maltraité par la police, c’est une chose. La torture est un mot très sérieux. » La torture est un mot sérieux et, selon l’ensemble de la preuve présentée à la SPR, c’est ce dont le demandeur a été victime.

[54]           Au paragraphe 13 de la décision, la SPR rejette pour diverses raisons l’explication du demandeur concernant le fait qu’il n’a pas donné les dates de rencontres subséquentes avec la police.

[55]           D’abord, la ligne et la signature sur la déclaration manuscrite n’indiquent pas que le demandeur a raconté toute l’histoire, et il n’y a pas, à la fin du document, une déclaration selon laquelle l’information fournie est complète, véridique et exacte. Ce que sa signature sur ce document atteste, c’est qu’il [traduction] « [croit] que les renseignements sont véridiques et [sait] que la déclaration a la même force et le même effet que si elle avait été faite sous serment ». Le demandeur n’a en aucun temps déclaré sous serment que l’information contenue dans ce document constituait toute l’histoire.

[56]           La mention selon laquelle l’information fournie est complète, véridique et exacte figure à deux endroits dans le DCT : à la page 123 relativement à la demande d’asile du demandeur et à la page 26 relativement à son FRP. Le formulaire de demande d’asile indique que le demandeur a été [traduction] « poursuivi et torturé par la police turque à maintes reprises parce [qu’il est] kurde ». Le demandeur expose le fondement de sa demande d’asile dans cette déclaration. Dans son FRP, il donne des détails en décrivant les nombreuses occasions où il a été persécuté et torturé par la police. Il explique tous les faits relatifs à sa demande d’asile, comme le formulaire de demande d’asile indiquait qu’il aurait la possibilité de le faire. Selon la logique de la SPR, suivant laquelle elle devait s’appuyer sur les renseignements que le demandeur avait déclaré sous serment être complets, véridiques et exacts, le demandeur a été torturé par la police turque [traduction] « à maintes reprises ». Nous ne pouvons pas présumer que le demandeur a raconté toute l’histoire dans la déclaration manuscrite. En d’autres termes, les motifs donnés pour rejeter l’explication du demandeur sont fondés sur une erreur de fait grave.

[57]           La conclusion selon laquelle la SPR ne disposait d’aucune preuve confirmant les rencontres que le demandeur a eues avec la police après 1998 est cruciale pour toute la suite de la décision. Pour parvenir à cette conclusion :

a.                   la SPR a accordé une trop grande importance au formulaire de demande, où il est indiqué à la question 49 : « Veuillez répondre en quelques mots. Vous pourrez expliquer tous les faits relatifs à votre demande d’asile dans un formulaire à l’intention de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié »;

b.                  elle a conclu que le demandeur avait admis qu’il n’avait pas été torturé, alors qu’aucune admission de ce genre n’a été faite;

c.                   elle a conclu que le demandeur avait déclaré sous serment que la déclaration était complète, alors qu’il ne l’a pas fait;

d.                  elle n’a pas tenu compte du fait que ce que le demandeur avait déclaré sous serment à deux reprises être véridique, complet et exact, c’est qu’il avait été torturé [traduction] « à maintes reprises » par la police turque.

 

[58]           En conséquence, la conclusion de la SPR concernant la crédibilité du demandeur au regard des dates auxquelles il a été torturé et de la forme de cette torture est déraisonnable. Comme tout le reste de la décision repose sur cette conclusion, l’affaire doit être renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen.

[59]           La SPR a tiré ensuite une autre conclusion :

15 Même si le tribunal croyait que le demandeur d’asile a participé aux manifestations et aux célébrations de la nouvelle année après 1998 (ce qui n’est pas le cas), le demandeur d’asile n’a fourni à l’occasion de l’audience aucune preuve documentaire, par exemple des dossiers d’hôpitaux, indiquant qu’il avait été maltraité et torturé lorsqu’il était détenu par la police après 1998. Il n’a pas non plus fourni d’articles de journaux confirmant que les manifestations auxquelles il aurait participé avaient eu lieu les jours où il aurait été arrêté et maltraité par les policiers. Ces documents sont un élément essentiel et important de sa demande d’asile.

 

16. Prié d’expliquer pourquoi il n’avait pas fourni de preuve documentaire pour soutenir sa demande d’asile à l’audience, le demandeur d’asile a reconnu qu’il n’avait pas demandé de soins médicaux, puisqu’il ne présentait aucun signe de torture, même si l’exposé circonstancié de son FRP et les documents qu’il a présentés au point d’entrée indiquaient qu’il avait été torturé par la police.

 

17. L’affidavit présenté par l’épouse du demandeur d’asile ne fournit aucun détail sur les incidents au cours desquels le demandeur d’asile aurait été arrêté par la police. Même si la preuve documentaire indique qu’un journaliste turco-américain a été assassiné le 19 janvier 2007, il n’y a rien dans la preuve documentaire, y compris l’affidavit de l’épouse du demandeur d’asile, qui indique que ce dernier a participé aux manifestations au cours desquelles le journaliste a été tué.

 

18. C’est au demandeur d’asile qu’incombe le fardeau de prouver le bien-fondé de sa demande d’asile. À la question 31 de son FRP et dans le formulaire d’examen initial de la SPR, il est expliqué au demandeur d’asile qu’il doit fournir une preuve documentaire pour étayer sa demande d’asile. Il avait amplement le temps de se procurer cette preuve documentaire avant l’audience pour étayer sa demande d’asile. Le défaut de fournir à l’audience des éléments de preuve documentaire convaincants au sujet des manifestations et des célébrations de la nouvelle année auxquelles il aurait participé fait naître de sérieux doutes dans l’esprit du tribunal, quant à la participation du demandeur d’asile à ces activités. Les documents fournis après l’audience par la conseil montrent que des célébrations du Nouvel An avaient bel et bien lieu lors de la prétendue arrestation du demandeur d’asile, mais ils n’indiquent pas que le demandeur d’asile était présent et qu’il a été arrêté, détenu et maltraité par les policiers.

 

19. En conséquence, selon les éléments de preuve présentés, le tribunal conclut que le demandeur d’asile n’a pas établi de façon convaincante qu’après 1998, il avait participé comme il le soutient à des manifestations et aux célébrations du nouvel an. Par conséquent, le tribunal ne croit pas que le demandeur d’asile ait participé aux activités auxquelles il soutient avoir participé après 1998. Le tribunal estime que le demandeur d’asile a inventé cette histoire au sujet de sa participation à des manifestations et aux célébrations du nouvel an après 1998 pour étayer sa demande d’asile.

 

 

[60]           La SPR a affirmé également que le demandeur n’avait pas produit une preuve documentaire – des articles de journaux par exemple – indiquant que les prétendues manifestations auxquelles il aurait été arrêté ont eu lieu les jours où il y a participé et où des Kurdes ont été arrêtés en raison de leur présence sur les lieux. Le Cartable national de documentation révèle cependant que de nombreux Kurdes sont arrêtés par la police chaque année pendant les célébrations de la Newroz parce qu’ils sont des sympathisants kurdes. Même sans les prétentions du demandeur, la SPR disposait d’une preuve digne de foi confirmant ce qu’il avait dit.

[61]           L'avocate du demandeur a produit après l’audience des documents concernant les célébrations de la Newroz. La preuve démontre ce qui suit :

[traduction] Le jour de la Newroz est devenu une occasion pour la minorité kurde de Turquie de revendiquer plus de libertés ou de manifester son appui au Parti travailliste kurde, un parti illégal. (Page 203 du DCT)

 

La Newroz est célébrée par une grande partie de la population kurde du pays et s’est terminé par des émeutes qui ont fait des douzaines de morts dans le passé. Bien que les célébrations aient été relativement calmes cette année (2007), les tensions sont fortes en raison de l’arrestation et de la persécution de douzaines de politiciens pro‑kurdes soupçonnés d’avoir des liens avec les rebelles du PKK. (Page 208 du DCT)

 

 

[62]           Au paragraphe 18 de la décision, la SPR a admis que la preuve présentée après l’audience indiquait que les célébrations de la Newroz avaient eu lieu au moment où le demandeur aurait été arrêté par la police. Elle a toutefois déclaré que la preuve ne démontrait pas que le demandeur avait participé à ces célébrations et qu’il avait été arrêté, détenu et maltraité par la police.

[63]           À mon avis cependant, le demandeur a expliqué de manière raisonnable pourquoi il n’avait pas produit des éléments de preuve confirmant son arrestation et les mauvais traitements que la police lui avait fait subir. Le demandeur a déclaré à maintes reprises dans son témoignage qu’il a peur de la police et des forces de sécurité en Turquie. Il a dit qu’il avait trop peur pour aller à l’hôpital après sa détention, parce qu’il aurait dû porter plainte contre la police. Il était certain que sa situation aurait été encore pire par la suite. La SPR n’explique pas pourquoi cette explication n’est pas raisonnable.

[64]           Il ressort de la preuve produite après l’audience que c’est une pratique habituelle en Turquie d’arrêter des membres de la minorité kurde uniquement parce qu’ils participent à des manifestations ou à des célébrations culturelles. Un rapport de Human Rights Watch de novembre 2010 indique ce qui suit :

[traduction]

En Turquie, des centaines de personnes font actuellement l’objet de poursuites pour terrorisme ou purgent de lourdes peines après avoir été déclarées coupables de terrorisme. Leur « crime » est d’avoir participé à une manifestation pacifique, ou d’avoir lancé des pierres ou d’avoir mis le feu à un pneu lors d’une manifestation. Les modifications apportées à la loi depuis 2005 et les décisions judiciaires rendues depuis 2008 permettaient aux tribunaux turcs de condamner les manifestants en vertu des lois les plus dures sur le terrorisme […]

 

La grande majorité des manifestants faisant actuellement l’objet de poursuites en vertu des lois sur le terrorisme sont kurdes, et les lois sont habituellement invoquées dans les régions du sud‑est de la Turquie peuplées en majorité de Kurdes ou à Adana, à Mersin et dans d’autres villes où vivent de nombreux Kurdes […]

 

Dans une grande partie des poursuites dont il est question dans le présent rapport, des pierres auraient été lancées ou des pneus auraient été brûlés lors de manifestations. Or, les peines de plus en plus sévères infligées par le gouvernement aux manifestants kurdes ne semblent pas être motivées par les actes de violence commis par ces derniers, mais plutôt par l’appui idéologique qu’ils sont soupçonnés de donner au PKK […]

 

Le festival de la Newroz […] a souvent donné lieu à des manifestations, de même qu’à des célébrations culturelles.

 

Les tribunaux turcs n’ont pas considéré que le fait que la poursuite ne produise pas une preuve de l’intention précise du défendeur d’appuyer les activités illégales du PKK ou d’y contribuer empêchait une condamnation. Le tribunal pénal général de la cour de cassation a statué qu’il suffit de démontrer que des médias sympathiques diffusent les « appels » du PKK – des discours des dirigeants du PKK exhortant la population kurde à manifester ou à exprimer son opinion sur différents sujets. En se joignant à la manifestation, le défendeur est réputé avoir agi directement sous les ordres du PKK […]

 

En fait, les manifestants sont susceptibles d’être punis plus sévèrement parce que, alors que les combattants qui retournent leur veste peuvent obtenir une amnistie partielle en vertu de la disposition du code pénal turc sur le « repentir véritable », aucune disposition semblable ne permet d’alléger les peines infligées aux manifestants pacifiques qui n’ont jamais pris les armes. Les manifestants pacifiques n’ayant aucun lien clair avec le PKK sont donc susceptibles de recevoir des peines plus lourdes que les membres du PKK qui ont participé à la guérilla.

 

 

[65]           À mon avis, le témoignage du demandeur était entièrement conforme à la preuve documentaire qu’il a produite et au Cartable national de documentation sur la Turquie. Le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il avait été détenu parce qu’il est de nationalité kurde et parce qu’il avait participé à des événements culturels (la célébration de la Newroz et un mariage kurde). Il a ajouté qu’il avait été détenu et accusé de [traduction] « propagande kurde ». Il a déclaré également que les policiers lui avaient dit en 2008 qu’ils l’arrêteraient s’il participait à d’autres manifestations. C’est en 2008 que les tribunaux turcs ont approuvé l’infliction de peines plus sévères aux personnes [traduction] « soupçonnées » d’être des sympathisants du PKK. La vie du demandeur a également été menacée en 2008. Ce sont ces faits très importants, et non sa rencontre avec la police en 1998 au cours de laquelle il a été torturé, qui l’ont incité à fuir au Canada.

[66]           Un tribunal n’est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve qui lui a été présenté, mais plus un élément de preuve est important, plus il est probable que l’on conclura du fait que le tribunal n’en a pas fait mention que sa décision est déraisonnable, en particulier lorsqu’il y a une contradiction marquée avec l’une de ses conclusions. La SPR avait l’obligation d’expliquer pourquoi elle n’avait pas tenu compte des éléments de preuve qui corroboraient les allégations du demandeur. À mon avis, la SPR a omis d’apprécier la preuve sur la Turquie présentée par le demandeur, ainsi que son propre Cartable national de documentation. Voir Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, et Manitas Vargas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 543.

[67]           La SPR a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il n’avait pas les moyens financiers de quitter la Turquie. Elle a indiqué qu’elle ne disposait pas d’une preuve documentaire convaincante, comme un relevé bancaire ou un affidavit du père du demandeur indiquant que ce dernier s’était servi de l’argent de son frère pour quitter la Turquie. Or, une copie du transfert d’argent et un affidavit du père du demandeur confirmant le témoignage de celui‑ci ont été produits après l’audience. La SPR n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas tenu compte de ces éléments de preuve ni pourquoi ils n’étaient pas convaincants.

[68]           En outre, il était déraisonnable que la SPR affirme que le demandeur avait attendu dix ans avant de venir au Canada alors qu’elle n’avait pas apprécié de manière appropriée la preuve du demandeur concernant les détentions et la torture dont il avait fait l’objet après 1998 et jusqu’à ce qu’il décide de quitter la Turquie et de venir au Canada en 2008. Le demandeur a déclaré dans son témoignage que ce n’est qu’en 2008 que la police a menacé de le tuer. Il a ensuite quitté le pays à la première occasion. La SPR a donc commis une erreur de fait qui rend la décision déraisonnable en affirmant que le demandeur avait attendu dix ans avant de quitter la Turquie.

[69]           Les avocates conviennent que la présente affaire ne soulève aucune question à certifier. La Cour partage leur avis.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la SPR.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

     « James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3362-11

 

INTITULÉ :                                       ERCAN CETINKAYA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 janvier 2012

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Alla Kikinova                                                                           POUR LE DEMANDEUR

 

Julie Waldman                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Michael Loebach                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Avocat

London (Ontario)

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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