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Date : 20120111


Dossier : IMM-2852-11

Référence : 2012 CF 36

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

ANTHONY ARUBI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Par la présente demande, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), Anthony Arubi (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 11 avril 2011, par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’il n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

II.        Les faits

 

[3]               Le demandeur est né le 7 juin 1969 au Nigeria, dans l’État du Delta.

 

[4]               En 1999, le demandeur a commencé à travailler comme adjoint dans l’entreprise d’enquêtes privées de son oncle.

 

[5]               En juin 2004, le demandeur a été présenté à Nuhu Ribadu, président de l’Economic and Financial Crime Commission (l’EFCC, ou la Commission des crimes économiques et financiers) du Nigeria par une connaissance, Ahmed Bello, qui travaillait pour cet organisme. À l’époque, il faisait surtout enquête sur des époux infidèles ou des employés malhonnêtes.

 

[6]               M. Ribadu lui a offert un poste contractuel pour travailler sur des dossiers mettant en cause des fonctionnaires corrompus. Selon le demandeur, il a été embauché parce que l’EFCC avait besoin d’agents qui n’étaient pas corrompus. L’une de ses missions consistait à recueillir des informations sur un ancien gouverneur de l’État du Delta, le chef James Onanefe Ibori, et plus particulièrement sur les pratiques corrompues de celui‑ci durant son mandat à titre de gouverneur. Ces informations allaient ensuite permettre de déclarer M. Ibori coupable de blanchiment d’argent et de détournement de fonds publics.

 

[7]               Le demandeur a commencé à recueillir des preuves en vue d’établir que M. Ibori était impliqué dans des virements illégaux de fonds à différentes entreprises, lesquelles servaient de façades pour du blanchiment d’argent. Il a ensuite transmis ses constatations à M. Ribadu par l’entremise de M. Bello, qui supervisait son travail.

 

[8]               En 2008, le demandeur a commencé à recevoir d’étranges appels et des menaces de mort de Julius Agambi. Ce dernier jurait qu’il allait le tuer pour le rôle qu’il avait joué dans le dépôt d’accusations de corruption contre M. Ibori.

 

[9]               En septembre 2008, le demandeur, qui circulait à bord d’une automobile avec un ami, a essuyé des coups de feu tirés par des hommes qui les suivaient. Le demandeur a réussi à se protéger en rampant et en se cachant dans un caniveau. L’attaque a eu lieu près de son domicile, sur l’avenue Victory, à Warri. Après l’incident, le demandeur s’est présenté à la police pour faire une déposition, mais sans succès, parce qu’il n’y avait pas d’agent pour la prendre. Il est retourné au poste de police une seconde fois, mais on lui a dit qu’il avait probablement été victime de voleurs armés.

 

[10]           Le demandeur a jugé que son identité était compromise. M. Bello, son supérieur immédiat à l’EFCC, a suggéré qu’il déménage à Makurdi, dans l’État de Benue. Un soir, le demandeur est sorti avec M. Bello pour aller prendre un verre. Ce dernier, pendant qu’il était aux toilettes, a été abattu par des hommes non identifiés. Le demandeur, témoin de la scène, est parvenu à s’enfuir du bar. Il n’est pas allé voir la police, parce qu’il a eu l’impression que celle-ci ne serait d’aucune aide.

 

[11]           Croyant sa vie en danger, le demandeur s’est enfui à Lagos, où des dispositions ont été prises pour qu’il prenne l’avion pour le Canada. Au Canada, le demandeur a présenté une demande d’asile.

 

[12]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger à cause des nombreux problèmes concernant sa crédibilité et de son incapacité à fournir des éléments de preuve convaincants à l’appui de ses allégations.

 

[13]           La Commission a également conclu que le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait exposé à un risque au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR s’il retournait au Nigeria.

 

III.       Les dispositions législatives applicables

 

[14]           Le texte des articles 96 et 97 de la LIPR est le suivant :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Personne à protéger

 

 

Person in need of protection

 

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

 

 

 

IV.       Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

 

A.        Les questions en litige

 

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas digne de foi?

 

2.         La Commission a-t-elle mal interprété la preuve du demandeur ou présenté erronément certains faits?

 

B.        La norme de contrôle applicable

 

[15]           Une conclusion relative à la crédibilité est une question de fait, susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Lawa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, [2010] ACF no 673, au paragraphe 11).

 

[16]           Il est clair aussi que les questions de fait et d’appréciation de la preuve relèvent du champ d’expertise de la Commission et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Theophile c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)), 2011 CF 961, [2011] ACF no 1177, aux paragraphes 16 et 17; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 et 53 (Dunsmuir)). Il incombe à la cour de révision de décider si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

V.        Les observations des parties

 

A.        Les observations du demandeur

 

[17]           Au paragraphe 10 de sa décision, la Commission écrit : « [e]n outre, si le directeur de l’EFCC, Nuhu Ribadu, s’inquiétait vraiment du fait que son personnel enquête sur James Ibori, il aurait pu se tourner vers le Bureau des enquêtes criminelles (CID) de la police du Nigeria, qui enquête sur des fraudes, au lieu de s’en remettre à une personne inexpérimentée, comme le demandeur d’asile pour faire le travail ». Le demandeur allègue que l’inférence de la Commission, relativement au fait que l’EFCC ait nommé une personne inexpérimentée pour mener une enquête plutôt que de confier le dossier de M. Ibori à la police nigériane, montre qu’elle ignore le fonctionnement et les pouvoirs de l’EFCC au Nigeria.

 

[18]           Selon le demandeur, la Commission interprète mal la preuve quand elle écrit, au paragraphe 8 de sa décision, qu’elle « estime invraisemblable que le directeur d’un organisme national qui a une très grande visibilité embauche un enquêteur privé inexpérimenté âgé de 25 ans, dont l’expérience consistait pour l’essentiel à espionner des époux infidèles et des employés malhonnêtes, pour enquêter sur un cadre supérieur du gouvernement soupçonné d’avoir commis une fraude importante et un détournement de fonds publics ». Le demandeur soutient qu’il était en fait âgé de 35 ans quand l’EFCC a fait appel à ses services. De plus, il avait déjà cinq ans d’expérience comme enquêteur privé avant que la Commission lui confie sa mission.

 

[19]           Au paragraphe 9 de sa décision, la Commission fait les commentaires suivants sur la preuve que le demandeur a produite :

[…] La lettre ne mentionne […] aucune des dates auxquelles le demandeur d’asile s’est acquitté de ces tâches pour le compte de l’EFCC ou la période au cours de laquelle il a travaillé pour l’EFCC. La lettre elle‑même ne semble pas authentique. Le logo de l’EFCC figurant sur la lettre semble avoir été coupé dans le haut et est manifestement différent du logo qui apparaît à la fois dans un article de l’une des pièces du demandeur d’asile et dans le site Web officiel de l’EFCC. À la ligne de l’adresse dans l’en‑tête de la lettre, la ville de Port harcourt est écrite avec un « h » minuscule au lieu d’un « H » majuscule, tel qu’elle apparaît dans les références officielles à la ville. Le conseil du demandeur d’asile soutient que les problèmes liés à la lettre reflètent simplement les normes moins rigoureuses au Nigeria […] Le tribunal n’est pas convaincu qu’un organisme national comme l’EFCC ne se préoccuperait pas de son en‑tête officiel ou ne serait pas en mesure d’assurer sa qualité. […]

 

[20]           Le demandeur soutient que, dans son appréciation de l’authenticité de sa lettre, la Commission a appliqué la norme canadienne au système nigérian.

 

[21]           Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur d’écriture lorsqu’elle a écrit, au paragraphe 4, que « James Agambi a juré de tuer le demandeur […] », plutôt que Julius Agambi. Il s’agit là d’une erreur minime, dit le demandeur, mais il allègue que cette confusion, relativement au nom de M. Agambi, dénote clairement la qualité de la décision que la Commission a rendue.

 

[22]           Au paragraphe 15 de sa décision, la Commission mentionne que « […] n’a été présenté aucun élément de preuve permettant au tribunal de conclure que l’assassinat par balle d’Ahmed Bello qui a eu lieu par la suite à Makurdi concerne d’une façon ou d’une autre le demandeur d’asile ou qu’il était lui aussi ciblé. […] On se serait attendu à ce que les assassins frappent avant ou après que le demandeur d’asile s’en aille aux toilettes s’il était effectivement ciblé lui aussi ». Le demandeur allègue que la Commission émet l’hypothèse déraisonnable que les assassins travaillent tous de la même façon, en s’assurant que leur cible se trouve bien là où ils prévoyaient qu’elle serait.

 

[23]           Le demandeur soutient qu’il a établi une probabilité raisonnable de persécution (voir Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 67, [1989] 2 CF 680).

 

[24]           Enfin, le demandeur allègue que la Commission a omis d’examiner comme il faut la crainte que lui inspirait l’influence que James Ibori et ses partisans exercent au Nigeria.

 

B.        Les observations du défendeur

 

[25]           Le défendeur est d’avis que la Commission a conclu de façon raisonnable que les allégations de persécution du demandeur n’étaient pas dignes de foi.

 

[26]           Le défendeur allègue qu’étant donné la nature de l’expérience qu’avait le demandeur à titre d’enquêteur privé, il était loisible à la Commission de conclure qu’il était peu plausible que le président de l’EFCC l’ait embauché pour faire enquête sur le gouverneur d’un État pour blanchiment d’argent et détournement de fonds publics. Le défendeur rappelle de plus à la Cour que la Commission a le droit de se fier au bon sens pour apprécier la vraisemblance des allégations d’un demandeur.

 

[27]           Selon le défendeur, il est peu probable que le président de l’EFCC se serait fié au demandeur pour faire enquête sur M. Ibori, plutôt que de se tourner vers le Bureau des enquêtes criminelles de la police du Nigeria, qui se spécialise dans les enquêtes relatives aux crimes de nature économique.

 

[28]           Le défendeur souligne les lacunes et les irrégularités présentes dans la lettre que le demandeur a déposée pour corroborer son emploi auprès de l’EFCC. La Commission y a relevé plusieurs lacunes. Premièrement, la lettre n’indique pas la date d’embauche du demandeur. Deuxièmement, le logo de l’EFCC semble avoir été découpé de la lettre et il est visiblement différent de celui qui apparaît sur le site Web officiel de l’EFCC et sur plusieurs pièces que le demandeur a déposées. Enfin, la ville de Port Harcourt est écrite avec un « h » minuscule. Le défendeur allègue que la Commission a soupesé et apprécié convenablement la véracité de ce document, et a conclu avec raison qu’il n’était pas authentique.

 

[29]           Par ailleurs, aucune preuve n’a été présentée à la Commission pour établir que l’assassinat par balle survenu à Makurdi mettait en cause le demandeur. Le défendeur soutient que la Commission a conclu raisonnablement que le demandeur, s’il était vraiment ciblé, aurait lui aussi été abattu avant d’aller aux toilettes ou après.

 

[30]           La Commission a rejeté le témoignage du demandeur et a conclu que sa documentation n’était pas fiable. La prétention de persécution du demandeur doit donc être rejetée, car il est impossible d’établir un lien entre cette prétention et la preuve produite.

 

[31]           Le demandeur allègue que la Commission a mal interprété la preuve et a présenté des faits erronément, car son âge est inexact dans la décision et l’agent de James Ibori n’est pas James Agambi, mais Julius Agambi. Cependant, le défendeur réplique que les erreurs de la Commission sont minimes et peu importantes, car il est évident qu’elle a bien compris et saisi les problèmes que soulevait la demande d’asile du demandeur. Ces erreurs n’ont pas d’incidence sur la raisonnabilité de la décision dans son ensemble.

 

[32]           Enfin, le défendeur soutient qu’en rejetant la demande d’asile du demandeur fondée sur l’article 96 de la LIPR, la Commission a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre le préjudice que craignait le demandeur et l’un des motifs énoncés dans la Convention. Elle a ajouté que l’attaque survenue à Warri n’était rien d’autre qu’un acte criminel. Il s’agit là d’une conclusion que le demandeur ne conteste pas.

 

VI.       Analyse

 

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas digne de foi?

 

[33]           La Commission a conclu que la présence de problèmes de crédibilité dans des aspects cruciaux de la demande d’asile était suffisante pour rejeter l’exposé circonstancié écrit et le témoignage du demandeur au sujet des faits sur lesquels il fondait sa demande. Le manque de crédibilité du demandeur a amené la Commission à conclure qu’il n’y avait pas de lien avec les motifs énoncés dans la Convention au sens de l’article 96 de la LIPR.

 

[34]           L’un des problèmes les plus importants avait trait à l’authenticité de la lettre corroborant l’embauche, par l’EFCC, du demandeur. Ce dernier soutient que la Commission a appliqué la norme canadienne au système nigérian lorsqu’elle a conclu que la lettre comportait plusieurs incohérences. Dans la décision Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587, [2004] ACF no 715, le juge Martineau écrit, au paragraphe 19 de ses motifs : « […] je suis disposé à accepter le principe fondamental des règles de droit canadien selon lequel les documents étrangers (qu’ils établissent ou non l’identité d’un demandeur d’asile) apparemment délivrés par un fonctionnaire étranger compétent devraient être acceptés comme preuve de leur contenu, à moins que la Commission n’ait une bonne raison de douter de leur authenticité ». Pour douter de l’authenticité d’un document, « la Commission doit disposer d’éléments de preuve sur lesquels fonder sa conclusion qu’un document n’est pas authentique, à moins que le problème n’apparaisse à la face même du document (Kashif c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 179) » (Jacques c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 423, [2010] ACF no 487, au paragraphe 14 (Jacques). Dans Jacques, le juge O’Reilly écrit, au paragraphe 16 :

[16] Je dégage de ma lecture de ces affaires le principe tout simple que, lorsqu’elle décide si un document est authentique ou non, la Commission doit fonder sa décision sur des éléments de preuve. Dans certains cas, la preuve proviendra d’autres éléments de preuve documentaire ou d’un témoignage entendu à l’audience. Dans d’autres cas, la preuve nécessaire apparaîtra à la face même du document. Dans tous les cas, la question essentielle sera celle de savoir si la conclusion de la Commission était raisonnable, compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait. […]

 

[35]           Les faits dont il est question en l’espèce sont assez semblables à ceux dont il était question dans Jacques, qui portait sur l’authenticité d’une lettre de corroboration. La Commission a fondé une partie de sa conclusion sur des imperfections dans l’aspect de la lettre ainsi que sur des erreurs d’écriture qui ne sont pas forcément déterminantes pour l’appréciation d’un document frauduleux. La Commission n’a pas imposé une norme canadienne au système nigérian, mais elle a omis de tenir compte du fait qu’il est possible que l’on commette des erreurs d’écriture même dans un pays où l’administration publique a accès à de vastes ressources. La Cour reconnaît que la Commission a commis une erreur, mais celle-ci n’est pas suffisamment importante pour miner entièrement sa décision.

 

[36]           Quant à l’expérience du demandeur à titre d’enquêteur privé, la Commission a conclu qu’il est « invraisemblable que le directeur d’un organisme national qui a une très grande visibilité embauche un enquêteur privé inexpérimenté âgé de 25 ans, dont l’expérience consistait pour l’essentiel à espionner des époux infidèles et des employés malhonnêtes, pour enquêter sur un cadre supérieur du gouvernement soupçonné d’avoir commis une fraude importante et un détournement de fonds publics » .« Une conclusion d’absence de crédibilité peut être fondée sur des invraisemblances, des contradictions, sur l’irrationalité et sur le sens commun (voir Sun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1255, [2008] ACF no 1570, au paragraphe 5). En l’espèce, il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion.

 

[37]           Les conclusions relatives à la crédibilité que la Commission a tirées au sujet des coups de feu tirés à Warri sont raisonnables, elles aussi. Dans la décision Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1120, [2006] ACF no 1399, au paragraphe 9, le juge Lemieux écrit :

[9] Il est bien établi en droit que les conclusions tirées par le tribunal relativement à la crédibilité sont des conclusions de fait que la cour de révision ne peut modifier que si elle conclut que le tribunal “a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait ”, comme le prévoit l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales , une norme qui équivaut à celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[38]           La conclusion de la Commission est raisonnable, car le demandeur n’a soumis aucune preuve montrant qu’on avait tenté de le tuer à Warri. Le demandeur allègue qu’il est allé voir la police, mais aucun rapport de police n’a été établi. La police lui a dit que les hommes qui s’en étaient pris à lui étaient probablement des voleurs armés. Il était raisonnable que la Commission conclue que le demandeur avait été incapable de fournir une preuve convaincante à l’appui de ses allégations.

 

[39]           Ce problème occupe une place centrale dans la conclusion que la Commission a tirée à propos de la crédibilité, car il montre que, même si le demandeur avait travaillé pour l’EFCC, il n’avait été exposé à aucune menace à sa vie. Il étaye aussi la conclusion que la Commission a tirée au sujet de la demande du demandeur fondée sur l’article 97 de la LIPR.

 

[40]           La Commission a conclu que le demandeur n’était pas parvenu à démontrer que s’il retournait au Nigeria, il était plus probable qu’improbable qu’il s’exposerait à une menace à sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture. Elle a conclu que le demandeur n’était pas impliqué dans les attaques commises à Warri ou à Makurdi. Elle a noté aussi que le demandeur était présent dans les toilettes quand M. Bello avait été assassiné à Makurdi, et elle a ainsi conclu que le demandeur n’était pas ciblé, car les assassins l’auraient abattu.

 

[41]           La Commission avait le droit de se fonder sur le bon sens et la raison pour rejeter des éléments de preuve qui étaient incohérents et improbables (voir A.M. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 964, [2011] ACF no 1187, au paragraphe 50). Il était raisonnable que la Commission conclue que les assassins auraient abattu le demandeur en même temps s’il était effectivement ciblé.

 

[42]           D’après la Commission, le demandeur ne serait pas victime d’un risque de préjudice personnel au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. Sa conclusion est raisonnable et elle appartient aux issues possibles et acceptables.

 

2.         La Commission a-t-elle mal interprété la preuve du demandeur ou présenté erronément certains faits?

 

[43]           La Commission n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de la preuve et elle n’a pas déclaré erronément certains faits.

 

[44]           Le demandeur prétend que la Commission s’est trompée dans sa décision quand elle a présenté erronément certains faits de l’affaire. Elle écrit que le demandeur est âgé de 25 ans, au lieu de 35. Elle écrit aussi que James – et non pas Julius - Agambi a juré de tuer le demandeur.

 

[45]           Ces erreurs ne sont pas une présentation erronée des faits de l’affaire. La Commission a mentionné par erreur que le demandeur était âgé de 25 ans, plutôt que de 35. Son raisonnement à l’égard de l’invraisemblance du fait que l’EFCC aurait embauché le demandeur repose davantage sur l’inexpérience de ce dernier, en rapport avec les enquêtes sur des cadres supérieurs du gouvernement, que sur son âge. Il en est de même du prénom de M. Agambis. Ces erreurs ne sont pas déterminantes dans la décision de la Commission et ne minent pas la conclusion qu’elle a tirée.

 

 

VII.     Conclusion

 

[46]           Les erreurs que la Commission a commises n’ont pas d’incidence en fin de compte sur sa décision. Celle-ci est donc raisonnable et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  qu’il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2852-11

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            ANTHONY ARUBI

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 24 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Tubie

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Samantha Reynolds

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Tubie

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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