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 Date : 20120113


Dossier : IMM-554-11

Référence : 2012 CF 33

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2012

En présence de Monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

HUA HE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Hua He (la demanderesse), sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision rendue par le gestionnaire du programme d’immigration de l’ambassade du Canada à Beijing, Sidney Frank (le décideur), qui a rejeté la demande de visa de résidente permanente qu’elle a présentée en tant que candidate d’une province au motif qu’elle était interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations suivant l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, je n’ai pas été convaincu qu’il y avait eu erreur de la part de l’agent ou manquement aux principes de justice naturelle. Par conséquent, la demande est rejetée.

 

LES FAITS

[3]               La demanderesse est citoyenne de la Chine. Le 8 mars 2010, elle a présenté, avec son conjoint et leur fils, une demande de résidence permanente au Canada dans le cadre du Programme des candidats du Nouveau‑Brunswick.

 

[4]               Au cours de l’évaluation initiale de la demande, un agent d’immigration a remarqué que la demanderesse avait déclaré des gains totaux d’environ 2 278 579 RMB entre 1997 et 2007. D’après la demande, ces revenus étaient censés provenir d’un emploi de directrice des ventes / représentante commerciale à la Yunnan Weitong Bulding Material Co. Ltd, située à Kunming, dans la province du Yunnan (l’entreprise). L’agent d’immigration a demandé à l’Unité antifraude de procéder à des vérifications relativement à l’emploi de la demanderesse.

 

[5]               Hong Yan Ren (désigné par les initiales RHO dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI)), adjoint à la vérification de l’Unité antifraude, a téléphoné à l’entreprise afin de savoir si la demanderesse y avait travaillé et, le cas échéant, de déterminer à quel moment et de vérifier l’exactitude du revenu qu’elle avait déclaré. Il devait également vérifier l’identité de Huang Liang Kun, qui avait signé la lettre de référence de la demanderesse.

 

[6]               RHO a donc téléphoné à l’entreprise et a été mis en communication avec Huang Shaolin, qui travaillait au sein du service des applications Web de l’entreprise et était chargé de la préparation des fiches de présence des employés et de la tenue de la liste des employés. M. Huang a déclaré ne pas connaître la demanderesse.

 

[7]               RHO a ensuite été référé au directeur général de l’entreprise, Huang Deng Ta, qui a d’abord déclaré ne pas connaître la demanderesse malgré le fait qu’il travaillait pour l’entreprise depuis plus de dix ans. Lorsque RHO a rappelé deux heures plus tard, Huang Deng Ta a confirmé qu’il connaissait la demanderesse et qu’elle avait travaillé pour l’entreprise pendant cette période à son atelier de Hongshengda.

 

[8]               Ces appels téléphoniques ont fait naître des réserves quant à l’authenticité de l’emploi que la demanderesse affirmait avoir occupé au sein de l’entreprise. Ces réserves ont été exposées dans une lettre qui a été envoyée à la demanderesse le 9 août 2010 (la lettre d’équité), dans le but de lui donner l’occasion d’y répondre et de soumettre des éléments de preuve supplémentaires. Le 1er septembre 2010, en guise de réponse, la demanderesse a fait parvenir deux lettres par télécopieur, l’une de M. Huang Deng Ta et l’autre de M. Huang Shaolin. Dans sa lettre, M. Huang Deng Ta expliquait qu’il s’était trompé lors du premier appel car il n’avait jamais eu à collaborer étroitement avec la demanderesse lorsque celle-ci travaillait pour l’entreprise. Quant à M. Huang Shaolin, il déclarait avoir dit ne pas connaître la demanderesse parce qu’il ne voulait pas avoir de problèmes et qu’il ne l’avait pas très bien connue pendant son passage dans l’entreprise.

 

[9]               Le 20 septembre 2010, la demanderesse a été reçue en entrevue par l’agent des visas Daniel Unrau (l’agent). L’agent a réitéré les réserves énoncées dans la lettre d’équité, mais les explications de la demanderesse ne l’ont pas convaincu. Il a donc recommandé au décideur de refuser la demande de la demanderesse pour fausses déclarations.

 

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[10]           Le décideur a jugé que la demanderesse était interdite de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR parce qu’elle avait fait de fausses déclarations au sujet de son emploi au sein de l’entreprise. Suivant l’alinéa 40(2)a) de la LIPR, l’interdiction de territoire dont est frappée la demanderesse vaut pour deux ans.

 

[11]           Le décideur a déclaré que sa décision reposait sur les entrevues téléphoniques menées le 6 juillet 2010. Elle reposait aussi sur les réponses données par la demanderesse, d’abord à la lettre d’équité puis lors de l’entrevue en personne effectuée le 20 septembre 2010. Le décideur a déclaré que les réponses n’avaient pas permis de dissiper les réserves exprimées.

 

[12]           Les réserves en question sont exposées dans la lettre d’équité ainsi que dans les notes du STIDI prises par l’agent au sujet de l’entrevue du 20 septembre 2010. L’agent a en effet exprimé des réserves quant aux éléments suivants :

   - Huang Shaolin, qui travaillait pour l’entreprise depuis cinq ans, a déclaré ne pas connaître la demanderesse;

   - Huang Deng Ta, qui travaillait pour l’entreprise depuis dix ans, a d’abord déclaré ne pas connaître la demanderesse, puis s’est ravisé deux heures plus tard en disant qu’en fait, il la connaissait. Huang Deng Ta n’a jamais été le supérieur de la demanderesse et il était par ailleurs responsable des ventes dans une région différente. Toutefois, l’agent était étonné de l’entendre dire qu’il ne la connaissait pas puisque son frère, Huang Liang Kun, avait été superviseur de la demanderesse et que cette dernière était une directrice des ventes efficace.

 

[13]           Dans les notes du STIDI, l’agent expliquait qu’il n’était pas convaincu que les documents et les déclarations faites à l’entrevue parvenaient à dissiper les doutes qu’il avait quant à la possibilité que la demanderesse ait fait de fausses déclarations concernant son emploi au sein de l’entreprise. Il disait accorder plus de poids au rapport établi consécutivement aux vérifications faites par téléphone qu’aux renseignements fournis après coup par la demanderesse, étant donné que ceux-ci [traduction] « [...] semblaient avoir été préparés aux seules fins de les présenter » (Dossier du tribunal, page 7).

 

LES QUESTIONS EN LITIGE 

[14]           La demanderesse a soulevé un certain nombre de questions que l’on pourrait essentiellement résumer ainsi :

a) L’agent a-t-il tenu dûment compte des explications présentées par la demanderesse en réponse à la lettre d’équité?

b) Le processus d’enquête suivi était-il adéquat?

c) Les motifs de décision remis à la demanderesse comportaient-ils des lacunes ou étaient‑ils insuffisants?

 

ANALYSE

[15]           L’étranger qui souhaite résider au Canada de façon permanente doit, avant son entrée au pays, présenter une demande de résidence permanente. Un visa lui sera délivré si, après contrôle, l’agent des visas est convaincu que le ressortissant se conforme au paragraphe 11(1) de la LIPR et au paragraphe 70(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

 

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

Délivrance du visa

 

70. (1) L’agent délivre un visa de résident permanent à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre d’une des catégories prévues au paragraphe (2);

 

 

b) il vient au Canada pour s’y établir en permanence;

 

 

c) il appartient à la catégorie au titre de laquelle il a fait la demande;

 

d) il se conforme aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie;

 

 

 

e) ni lui ni les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, ne sont interdits de territoire.

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

Issuance

 

70. (1) An officer shall issue a permanent resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that

 

(a) the foreign national has applied in accordance with these Regulations for a permanent resident visa as a member of a class referred to in subsection (2);

 

(b) the foreign national is coming to Canada to establish permanent residence;

 

(c) the foreign national is a member of that class;

 

 

(d) the foreign national meets the selection criteria and other requirements applicable to that class; and

 

 

(e) the foreign national and their family members, whether accompanying or not, are not inadmissible.

 

 

 

[16]           L’une des exigences les plus importantes imposées par la LIPR à celui qui demande un visa de résident permanent est l’obligation de fournir des renseignements véridiques, exacts et complets.  Le paragraphe 16(1) de la LIPR exige que l’auteur d’une demande visée par la LIPR réponde véridiquement aux questions qui peuvent lui être posées. À défaut, l’étranger sera interdit de territoire pour fausses déclarations (paragraphe 40(1)).

 

[17]           L’étranger qui veut entrer au Canada a une obligation de franchise qui le contraint à divulguer les faits importants. Les tribunaux ont reconnu qu’il était primordial, pour assurer l’application juste et équitable du régime d’immigration, que les demandeurs procèdent à une divulgation complète. Ainsi qu’on peut le lire à la section 9 du Guide d’Exécution de la loi ENF 2 – Évaluation de l’interdiction de territoire, les dispositions de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR ont pour but de veiller à ce que les demandeurs donnent des renseignements honnêtes, complets et véridiques en tout point dans leurs demandes d’entrée au Canada. À ce sujet, mon collègue, le juge Mosley, tient les propos suivants au paragraphe 14 la décision Haque c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 315 :

L’article 3 de la LIPR énumère des objectifs en matière d’immigration qu’il ne faut pas perdre de vue dans l’application de la Loi. Ces objectifs comprennent l’enrichissement et le développement du Canada socialement, économiquement et culturellement tout en assurant la protection et la sécurité des Canadiens. Les décisions en matière d’admissibilité, dont dépend la protection efficace des frontières canadiennes, reposent nécessairement, pour une bonne part, sur la capacité des agents d’immigration de vérifier les renseignements donnés par les demandeurs. Les omissions ou les fausses déclarations risquent d’engendrer des erreurs dans l’application de la Loi.

 

 

[18]           C’est dans ce contexte légal et réglementaire que la décision de rejeter la demande de Mme Hua He doit être contrôlée.

 

[19]           Deux facteurs doivent être réunis pour pouvoir conclure qu’une personne est interdite de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. D’abord, le décideur doit arriver à la conclusion que cette personne a fait de fausses déclarations. Ensuite, il doit s’agir de fausses déclarations importantes en ce sens qu’elles pourraient entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. La Cour a jugé que dans les deux cas, la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable (voir, par exemple, Koo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 931, au paragraphe 20, [2009] 3 RCF 446; Ghasemzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 716, au paragraphe 18, 372 FTR 247; Mugu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 384, au paragraphe 36, 79 Imm LR (3d) 64).  Par conséquent, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier à au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). C’est cette norme qu’il convient d’appliquer dans le cadre de l’examen de la première question.

 

[20]           Les deuxième et troisième questions portent sur l’équité procédurale. Elles commandent donc l’application de la norme de la décision correcte (Suresh c. Canada (MCI), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3; Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539).

 

a) L’agent a-t-il tenu dûment compte des explications présentées par la demanderesse en réponse à la lettre d’équité?

[21]           L’avocat de la demanderesse soutient que l’agent n’a pas compris l’objet de la lettre d’équité et qu’il était fermé à toute forme d’explication pouvant être offerte en réponse à cette lettre. Pour étayer ce qu’il avance, l’avocat cite le passage suivant des notes du STIDI, où l’agent a écrit ce qui suit :

[traduction]

[...] [J]e ne suis pas convaincu que les documents et les déclarations parviennent à dissiper les doutes quant à la possibilité que [la demanderesse] ait fait de fausses déclarations concernant son emploi [...] Dans mon évaluation, j’ai accordé plus de poids au rapport établi consécutivement aux vérifications téléphoniques qu’aux renseignements fournis en réponse à la lettre d’équité, car ceux-ci semblaient avoir été préparés aux seules fins de les présenter. Maintenant que la [demanderesse] est au courant de nos doutes, il est impossible d’obtenir des renseignements fiables en procédant à de nouvelles vérifications car les autorités concernées sont désormais au fait des circonstances et pourraient avoir été convaincues de fournir de fausses informations.

 

Dossier du tribunal, page 7

 

 

[22]           J’ai soigneusement examiné le dossier et je ne puis convenir avec la demanderesse qu’il lui était impossible de dissiper les doutes exprimés par l’Unité antifraude. Comme je l’ai dit plus haut, les réserves concernant le présumé emploi de la demanderesse et, implicitement, la provenance de ses avoirs, venaient du fait qu’au départ, tant M. Shaolin (qui travaillait pour l’entreprise depuis cinq ans et était chargé de la préparation des fiches de présence des employés et de la tenue de la liste des employés) que M. Deng Ta (directeur général de l’entreprise et supérieur direct de la demanderesse en 2007, aux dires de cette dernière) avaient dit ne pas connaître la demanderesse. Lors d’une deuxième conversation téléphonique, M. Deng Ta s’est rétracté et a dit qu’il ne s’était pas immédiatement souvenu de la demanderesse puisqu’elle avait travaillé dans une autre succursale de l’entreprise; prié d’en dire plus, il a répondu qu’il était occupé et a raccroché.

 

[23]           Il est vrai que, pour faire suite à la lettre d’équité, les deux hommes ont écrit des lettres pour expliquer qu’ils s’étaient trompés et que les réponses qu’ils avaient données leur avaient été dictées par la politique de l’entreprise sur la protection de la vie privée et leur désir d’éviter les problèmes.  Néanmoins, il était loisible à l'agent de ne pas accorder beaucoup de poids à ces lettres, compte tenu de l’entrevue qu’il avait eue avec la demanderesse et de son appréciation de l’ensemble du dossier.

 

[24]           Avant toute chose, l’agent a observé pendant l’entrevue que la demanderesse avait produit des relevés de paie uniquement pour les années 1997 à 2000 et 2005 et qu’elle avait omis de présenter des éléments de preuve permettant de corroborer qu’elle avait travaillé pour l’entreprise de 2001 à 2004, et de 2006 à 2007.

 

[25]           L’agent a aussi jugé invraisemblable que M. Shaolin affirme ne pas connaître la demanderesse parce qu’il ne savait pas si son interlocuteur, qui prétendait appeler de l’ambassade, y était réellement attaché, et qu’il devait respecter la politique de l’entreprise en  matière de protection de la vie privée. Si cela avait été le cas, M. Shaolin aurait pu répondre, tout simplement, qu’il ne pouvait fournir de renseignements au sujet de la demanderesse en raison de cette politique et mettre l’agent en communication avec un responsable ou encore, demander à son interlocuteur de prouver (par voie de lettre officielle ou autrement) qu’il appelait réellement de la part de l’ambassade.

 

[26]           Quant à l’explication donnée par M. Deng Ta, l’agent pouvait la juger tout aussi invraisemblable.  Dans sa lettre, le directeur général a écrit que [traduction] « [s]ans les efforts de Mme He et de ses collègues du service des ventes, l’entreprise n’aurait jamais pu atteindre sa taille actuelle ». En fait, Mme He aurait apparemment reçu le prix d’excellence décerné par l’entreprise et se serait vue remettre à deux occasions (en 2003 et en 2004) des « certificats de mérite » pour l’excellence de son rendement dans le domaine des ventes. Il était donc étonnant que M. Deng Ta ne se souvienne pas de la demanderesse lors du premier appel effectué par RHO.

 

[27]           En concluant qu’il fallait accorder plus de poids au rapport de vérification téléphonique qu’aux renseignements fournis consécutivement à la lettre d’équité, l’agent ne s’est pas fermé aux explications données : il ne les a tout simplement pas trouvées vraisemblables. L’argument avancé par la demanderesse équivaut en réalité à un simple désaccord concernant le poids qu’a accordé  le décideur aux explications offertes. Le fait qu’un décideur différent ou que la Cour aurait pu juger ces explications raisonnables n’est pas le critère à appliquer lors d’un contrôle judiciaire.

 

[28]           La demanderesse a été informée des réserves de l’Unité antifraude et a eu la possibilité d’y répondre, ce qu’elle a fait en produisant les lettres rédigées par MM. Shaolin et Deng Ta et en livrant son propre témoignage à l’entrevue. Le fait que l’agent n’ait pas accepté sa version ne signifie pas que rien ne pouvait être fait pour dissiper ses doutes ni qu’il a négligé d’apprécier toute la preuve de manière équitable et objective. Il ressort clairement des notes détaillées du STIDI et des affidavits souscrits par l’agent et le décideur que ceux-ci ont examiné et apprécié l’ensemble de la preuve. Le choix des agents des visas de privilégier certains éléments de preuve par rapport à d’autres se rattache à la valeur probante qu’il convient d’accorder aux éléments de preuve en question. Les agents peuvent s’appuyer sur des critères comme la raison et le bon sens et, à partir des invraisemblances, tirer valablement des conclusions défavorables quant à la crédibilité d’un demandeur. Dans la mesure où les conclusions de l’agent des visas présentent un lien rationnel avec les documents dont le tribunal est saisi et où elles ont été tirées en toute bonne foi, la Cour n’interviendra pas pour modifier le résultat qui s’ensuit.   

 

b) Le processus d’enquête suivi était-il adéquat?

[29]           L’avocat de la demanderesse soutient que le décideur avait l’obligation de prendre d’autres mesures après l’entrevue. Il a également fait valoir que la méthode d’enquête choisie par le défendeur était inadéquate et qu’il n’était pas acceptable de s’en remettre à des entretiens téléphoniques pour effectuer des vérifications au sujet des antécédents de travail de la demanderesse et ainsi, fonder une décision portant sur des fausses déclarations pour des raisons liées à la culture chinoise et à la protection de la vie privée. 

 

[30]           Invoquant la décision Guo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 626, 148 ACWS (3d) 975, la demanderesse affirme que le décideur aurait dû chercher à obtenir d’autres éléments de preuve s’il n’était pas convaincu par les explications données en réponse à la lettre d’équité. Dans l’affaire invoquée, il n’existait tout simplement pas d’élément de preuve permettant à l’agent d’immigration de ne pas croire la demanderesse. En revanche, en l’espèce, le dossier renferme des éléments de preuve sur lesquels il est possible de s’appuyer pour conclure que la demanderesse a fait de fausses déclarations au sujet de son emploi au sein de l’entreprise. La présente affaire s’apparente donc davantage aux faits sur lesquels portait la décision rendue dans Ni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 162, par le juge Zinn, qui a conclu, de la même façon, qu’il était raisonnable de ne pas faire d’enquêtes plus poussées. Le défendeur cite également à juste titre la décision Heer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1357, 215 FTR 57, pour affirmer que lorsqu’un demandeur a eu la possibilité de dissiper les réserves exprimées, l’agent n’était pas tenu de demander des éléments de preuve supplémentaires qui soient meilleurs (au paragraphe 19).

 

[31]           Quant au second argument, rien ne permet véritablement d’affirmer que le processus consistant à s’entretenir avec des employés de l’entreprise comporte des lacunes en raison de problématiques liées à la vie privée et aux différences culturelles. Non seulement la demanderesse n’a produit aucune preuve de quelque norme culturelle pour étayer ce qu’elle avance, mais la Cour a déjà statué que les décideurs et les agents des visas affectés à l’étranger ont une bonne connaissance de la culture et de la situation du pays où ils travaillent (voir, par exemple, Uppal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 445, au paragraphe 35; Mamishov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1164, au paragraphe 23, 133 ACWS (3d) 506). Dans son affidavit, le décideur a déclaré que la méthode en question était couramment utilisée par l’ambassade du Canada à Beijing et que si elle n’était pas efficace au vu des normes chinoises, elle aurait été remplacée par d’autres techniques de vérification. La demanderesse n’a pas contre-interrogé le décideur et il n’y a pas de raison de douter de la véracité de sa déclaration.

 

[32]           Par ailleurs, même en supposant que l’entreprise applique une politique de protection de  la vie privée, M. Shaolin aurait pu en faire mention au moment en question en recommandant à RHO de s’adresser au directeur général, plutôt que de lui répondre qu’il ne connaissait pas la demanderesse. Comme nous l’avons déjà dit, M. Shaolin et M. Deng Ta auraient pu simplement refuser de répondre au lieu de dire qu’ils ne connaissaient pas la demanderesse.

 

[33]           Pour les motifs que je viens d’exposer, je suis d’avis que l’argument formulé par la demanderesse au sujet des techniques d’enquête utilisées par l’ambassade est sans fondement.

 

c) Les motifs de décision remis à la demanderesse comportaient-ils des lacunes et (ou) étaient‑ils insuffisants?

[34]           L’avocat de la demanderesse a formulé un certain nombre de critiques à l’égard des notes du STIDI; il prétend qu’elles prêtent à confusion, qu’elles paraissent incomplètes, qu’elles ne suivent pas la chronologie des faits et qu’il n’est pas toujours possible de dire qui les a réellement rédigées.  Il s’ensuit, selon lui, que ces notes ne peuvent suffire à motiver une décision, puisqu’on peut difficilement affirmer en toute confiance qu’elles constituent un compte rendu complet de la preuve.  Il a aussi émis des réserves concernant l’inscription suivante : [traduction] « NOTES PRISES À L’AIDE DE WORD. RÉVISÉES POUR PLUS DE CLARTÉ ET VERSÉES DANS LE STIDI EN DATE D’AUJOURD’HUI ». La remarque ne précise pas ce qui a été clarifié ou révisé. Enfin, l’avocat prétend que le décideur n’explique pas sa conclusion finale et se limite à dire qu’il souscrit à la recommandation de l’agent.

[35]           Une fois de plus, j’estime que ces arguments ne sont pas fondés. Les lacunes relevées par la demanderesse relèvent essentiellement de certains malentendus concernant l’utilisation de termes et d’acronymes. Après qu’on ait expliqué que l’acronyme « UAF » désignait l’Unité antifraude pour laquelle travaillait RHO, il ne subsistait plus aucun doute quant à l’identité de la personne qui avait procédé aux entrevues téléphoniques avec les employés de l’entreprise.

 

[36]           Quant à l’inscription [traduction] « NOTES PRISES À L’AIDE DE WORD. RÉVISÉES POUR PLUS DE CLARTÉ ET VERSÉES DANS LE STIDI EN DATE D’AUJOURD’HUI », la demanderesse en a fait grand cas sans même étayer son affirmation selon laquelle les notes du STIDI ne seraient pas un résumé exact des conversations téléphoniques et de l’entrevue. Puisque, au delà des hypothèses lancées au hasard, rien ne prouve ni n’indique que le décideur et l’agent ont agi de mauvaise foi, il faut présumer, comme le fait valoir le défendeur, qu’ils ont au contraire agi de bonne foi. Les allégations de faute, de manquement à l’équité procédurale ou de crainte de partialité constituent de graves accusations qu’il faut étayer par des éléments de preuve solides et concrets  démontrant que la conduite en question déroge de la norme imposée. En souscrivant son affidavit, l’agent a déclaré sous serment qu’il avait transféré ses notes dans le STIDI le jour suivant l’entrevue, après avoir procédé à une vérification orthographique et grammaticale du texte, et il a attesté que la teneur des notes d’entrevue n’avait été modifiée d’aucune façon. Si la demanderesse voulait remettre en question la véracité des déclarations de l’agent, elle aurait pu contre-interroger ce dernier à ce sujet, mais elle ne l’a pas fait.

 

[37]           À titre d’argument final, la demanderesse soutient que les motifs fournis à l’appui de la décision sont insuffisants parce que le décideur omet d’expliquer comment il en est arrivé à sa décision. La décision communiquée à la demanderesse est ainsi libellée :

 

[traduction]

J’en suis venu à cette conclusion en raison des résultats des vérifications effectuées par téléphone le 6 juillet 2010. Vous avez eu la possibilité de répondre à ces réserves par la poste ou en personne à l’occasion de l’entrevue du 20 septembre 2010, mais vos réponses n’ont pas permis de dissiper mes doutes.

 

 

[38]           La Cour a confirmé, à diverses reprises, que les notes du STIDI font partie des motifs de la décision. Si on les ajoute à la lettre de décision envoyée à la demanderesse, je conviens avec le défendeur qu’elles constituent des motifs suffisants quant à la façon dont le décideur en est arrivé à sa conclusion et aux raisons qui l’ont incité à tirer cette conclusion. Les notes expliquent le processus suivi par le décideur pour en arriver à ses conclusions et servent de point de départ à une évaluation des motifs de contrôle judiciaire en plus de permettre à la Cour de déterminer si le décideur a commis une erreur. Elles exposent clairement ce qui faisait craindre que la demanderesse ait fait de fausses déclarations au sujet de son emploi au sein de l’entreprise et de ses prétendus revenus, elles précisent que tous les éléments de preuve produits par la demanderesse consécutivement à la réception de la lettre d’équité ont été examinés, elles indiquent pourquoi ils n’ont pas permis de dissiper les doutes du décideur et elles expliquent en quoi les fausses déclarations étaient importantes.

 

[39]           Enfin, la Cour a aussi statué qu’il ne serait pas approprié d’obliger les agents administratifs à motiver leurs décisions de façon aussi détaillée que doit le faire un tribunal administratif qui rend ses décisions après une audience. En outre, la Cour a jugé que lorsque les notes servent à motiver une décision, le caractère suffisant des motifs est apprécié à la lumière d’un critère relativement peu élevé (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, aux paragraphes 8 à 11, 110 ACWS (3d) 152; Jeffrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605, au paragraphe 15, 148 ACWS (3d) 975).

 

[40]           À la lumière des motifs qui précèdent, je suis d’avis que la présente demande devrait être rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale et aucune n’est certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COURT STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-554-11

 

INTITULÉ :                                       HUA HE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen Fogarty

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Yael Levy

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale Fogarty

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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