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Date : 20120113


Dossier : IMM-7518-10

Référence : 2012 CF 47

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2012

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

JANAKAN SIVALINGAM

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Janakan Sivalingam [le demandeur], un jeune Tamoul du Sri Lanka, sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la Loi], le contrôle judiciaire de la décision du 19 novembre 2010 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] selon laquelle il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger [la décision].

 

[2]               Pour les motifs énoncés plus bas, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               Le demandeur craint d’être persécuté car il a été détenu le 31 mai 2006 par l’armée sri‑lankaise [l'ASL] : elle l’a interrogé au sujet des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET], mais le demandeur n’a jamais été soupçonné d'avoir participé à cette organisation. Cependant, durant cet interrogatoire, il a été déshabillé, frappé au ventre et projeté contre un mur. Il a été libéré plus tard le même jour après que ses parents sont venus s’enquérir de lui au camp, mais l’ASL a quand même gardé sa carte d’identité. Lorsqu’il l’a réclamée, le demandeur a été giflé. Cela dit, la carte lui a été restituée une semaine plus tard.

 

[4]               À la fin de 2006, le demandeur, sa famille et de nombreuses autres personnes de sa communauté ont été transportés de chez eux au temple local où ils ont été photographiés par l’ASL avant d’être relâchés.

 

[5]               La famille du demandeur vivait près d’un camp de l’ALS et a déménagé ailleurs à Jaffna pour éviter l’armée. Le demandeur s’est installé à Colombo en mars 2007 avec un ami [l’ami].

 

[6]               En août 2007, le demandeur a été dévalisé par un homme parlant tamoul et en septembre de la même année, les troupes gouvernementales ont tiré sur son ami à Colombo. Le demandeur n’a pas été témoin de cette scène. En novembre 2007, il a fui en Malaisie où il est resté presque deux ans sans réclamer le statut de réfugié parce qu’il avait indûment prolongé la durée de séjour autorisée par son visa de visiteur et qu’il craignait d’être expulsé. Il a présenté une demande d’asile à son arrivée au Canada le 18 avril 2009.

 

[7]               Un mois plus tard, en mai 2009, les TLET ont été vaincus au Sri Lanka.

 

L’AVIS PRÉALABLE À L’AUDIENCE

 

[8]               L’audition de la demande devant la Commission était prévue le 13 septembre 2010. Six jours avant l’audience, la Commission a avisé l’avocat du demandeur qu’en plus des questions soulevées un an plus tôt, elle examinerait également le changement de situation et les raisons impérieuses [l’avis de dernière minute].

 

LA DÉCISION

 

[9]               La Commission a conclu que la crainte de persécution du demandeur n’était plus fondée compte tenu du changement de situation survenu au Sri Lanka.

 

[10]           La Commission a commencé par résumer l’histoire récente. Elle a d’abord décrit la longue guerre civile qui a déchiré le pays et la persécution subie par les jeunes hommes tamouls. Elle s’est attelée ensuite à examiner la preuve relative aux conditions régnant au Sri Lanka depuis la fin de la guerre civile contenue dans le cartable national de documentation. La Commission a reconnu que les personnes soupçonnées d’avoir eu des liens avec les TLET couraient encore un certain danger, mais a estimé que les conditions s’étaient améliorées pour le reste de la population tamoule. Même si la situation des droits de la personne progresse, la Commission a aussi noté qu’il y avait encore du chemin à faire en ce qui concerne le traitement de la minorité tamoule au Sri Lanka. Elle a également relevé que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le HCR] avait modifié ses Principes directeurs [les Principes directeurs] et ne recommandait plus que tous les Tamouls sri-lankais soient considérés a priori comme des réfugiés. De plus, ces Principes directeurs ne désignent plus les jeunes hommes tamouls comme l’un des groupes pour lesquels le HCR prône une protection continue.

 

[11]           La Commission a noté que le demandeur n’a jamais prétendu qu’on le soupçonnait d’entretenir des liens avec les TLET et a estimé, compte tenu de la rapidité avec laquelle il a été relâché, que tel n’était pas le cas. D’autre part, la Commission , en s’appuyant sur la preuve issue du cartable national de documentation, a rejeté l’argument du demandeur selon lequel les conditions au Sri Lanka n’avaient connu aucun changement durable.

 

[12]           La Commission a également conclu que le demandeur n’était pas une personne à protéger, car le risque d’extorsion ou d’autres préjudices était généralisé et non personnel.

 

[13]           Finalement, après s’être demandé s’il existait des raisons impérieuses de ne pas renvoyer le demandeur au Sri Lanka même s’il n’avait plus de crainte fondée de persécution, la Commission est parvenue à une conclusion négative, notant que « [p]ar définition, toute persécution s’accompagne d’un préjudice physique ou mental, ou d’autres sanctions. Le préjudice subi par le demandeur d’asile n’est pas si extraordinaire ou exceptionnel que, en raison des nouvelles circonstances au Sri Lanka, il serait injustifié de le renvoyer dans ce pays ».

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           Le demandeur soutient que :

1.                  la Commission n’a pas agi équitablement en communiquant l’avis de dernière minute;

2.                  la Commission a erré en droit en effectuant un examen sélectif de la preuve sur le changement des conditions régnant dans le pays sans évoquer certains éléments essentiels;

3.                  la Commission a erré en concluant qu’il n’existait aucune raison impérieuse;

4.                  l’incompétence de son avocat était telle qu’elle équivalait à un déni de justice naturelle puisque le droit d’être représenté lui a été refusé en réalité;

5.                  la décision de la Commission de considérer cette affaire comme une décision à caractère persuasif devrait être infirmée, car il n’a pas été avisé préalablement de son intention, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale.

 

            Question 1 – L’avis de dernière minute

 

[15]           La Commission est maîtresse de sa propre procédure et elle peut, à mon avis, notifier tardivement les questions qu’elle se propose de trancher, pour autant qu’aucun préjudice n’en résulte. Je présume, puisqu’il s’agit d’un avis de dernière minute, que la Commission aurait accordé un ajournement au demandeur s’il l’avait demandé. Or, il n’en a rien fait. Je ne trouve pas cela étonnant dans la mesure où la nouvelle de la défaite des TLET avait été largement relayée. Je pense qu’il est raisonnable d’en déduire que l’avocat savait que le changement des conditions dans le pays serait une question importante, bien avant que la Commission ne communique l’avis de dernière minute.

 

Question 2 – Des éléments de preuve essentiels ont-ils été mis de côté?

 

[16]           En juillet 2009, le HCR publiait un document intitulé « Note relative à l’applicabilité des Principes directeurs de 2009 sur le Sri Lanka » [la note]. Ces Principes directeurs ont été émis en avril 2009, juste avant la défaite des TLET en mai suivant. La note précisait qu’en dépit de la fin des hostilités, les Tamouls de tous âges provenant du nord du Sri Lanka devaient être considérés comme des réfugiés en l’absence de preuves claires indiquant qu’ils ne satisfaisaient plus à ce critère. La note, qui faisait partie du dossier certifié du tribunal, s’achevait par la déclaration suivante :

Révisions ultérieures

 

Le HCR procédera à une réévaluation minutieuse de la situation au Sri Lanka, dans le but de mettre à jour les Principes directeurs, dès lors qu’il sera possible de déterminer que des changements substantiels et durables ont clairement eu lieu dans ce pays. En attendant, les Principes directeurs d’avril 2009 continueront d’être considérés comme valides et applicables.

 

 

[17]           Par la suite, les Principes directeurs ont été mis à jour et publiés sous cette forme le 5 juillet 2010 [les nouveaux Principes directeurs]. Le HCR avait donc estimé que des changements substantiels et durables étaient survenus.

 

[18]           Pour rendre sa décision, la Commission s’est principalement fondée sur les nouveaux Principes directeurs qui supprimaient la présomption d’admissibilité au statut de réfugié pour tous les Tamouls du nord, notamment les jeunes hommes, et établissaient cinq catégories de Tamouls encore à risque. Le demandeur ne relevait d’aucune de ces catégories.

 

[19]           Eu égard aux nouveaux Principes directeurs, le demandeur – qui n’a en fait jamais eu de liens avec les TLET et n’a jamais été pris pour quelqu’un de tel – n’était pas présumé, au moment de l’audience devant la Commission, courir un danger.

 

[20]           À mon avis, la Commission était en droit de s’appuyer sur ce document et n’était tenue d’en citer d’autres que s’ils (i) présentaient un autre point de vue fiable et bien à propos sur les dangers encourus par les jeunes hommes tamouls en 2010, ou qu’ils (ii) prouvaient de manière convaincante que les hostilités ou les violations systémiques de droits de la personne reprendraient bientôt. L’examen des documents en question montre ci-après que, contrairement à ce qu’avance le demandeur, ils ne satisfont pas à ce critère.

 

[21]           Le premier de ces documents, intitulé Sri Lanka – a bitter peace et publié par l’International Crisis Group le 11 janvier 2010, indique qu’à la fin de 2009, la plupart des Tamouls qui avaient été déplacés et internés étaient rentrés chez eux et que ceux qui étaient toujours dans les camps jouissaient d’une plus grande liberté. D’après les auteurs, à la fin de 2009, la victoire remportée sur les Tamouls et la paix qui en avait résulté étaient encore fragiles, et le resteraient jusqu’à ce que des réformes du type de celles qu’ils recommandaient répondent aux nombreuses doléances des Tamouls et d’autres Sri-lankais. Cependant, le rapport concluait qu’il était [traduction] « improbable » qu’un successeur des TLET ou qu’un groupe militant tamoul émerge dans un avenir rapproché.

 

[22]           À mon avis, cela signifie que le risque de résurgence de la guerre civile était inexistant. Comme ce document ne contredisait pas les nouveaux Principes directeurs du HCR, j’estime qu’il n’était pas nécessaire que la Commission s’y réfère relativement à la question du changement des conditions dans le pays.

 

[23]           Le demandeur prétend également que tout en mentionnant le document, la Commission a ignoré d’importants renseignements contenus dans le Report on Human Rights practices de 2009 sur le Sri Lanka du département d’État américain. Ce rapport, daté du 11 mars 2010, décrivait plutôt la situation durant le conflit à l’intérieur et au-delà de la zone de combat, et confirmait que les jeunes hommes tamouls couraient un danger particulier. Cependant, j’estime que ces conclusions étaient dépassées lorsque la Commission a instruit la demande d’asile du demandeur. Dans les circonstances, elle n’était pas tenue de s’y référer en détail.

 

[24]           La Commission a également cité le Country of Origin Information Report sur le Sri Lanka du Home Office du Royaume-Uni, daté du 18 février 2010. Ce rapport évoquait de graves violations des droits de la personne, et une anarchie globale prenant la forme de l’extorsion et du vol généralisé. Cependant, il ne traitait pas du caractère durable de la paix ni du danger encouru par les jeunes hommes tamouls. Il n’était donc pas déraisonnable que la Commission néglige de mentionner ce rapport dans les circonstances.

 

[25]           Un rapport antérieur du Home Office du Royaume-Uni, préparé en août 2009, notait que les jeunes hommes tamouls du Nord étaient victimes de discrimination et de profilage et qu’ils étaient souvent soupçonnés d’être membres des TLET. À mon avis, ce rapport était aussi désuet au moment de l’audition de la demande d’asile du demandeur. Par conséquent, il est raisonnable qu’il n’ait pas été mentionné dans la décision.

 

[26]           Le dernier rapport cité était un article de la BBC daté du 1er février 2010 et intitulé Fear and Anxiety in Battered Tamil City, indiquant que près de 80 000 Tamouls étaient toujours déplacés et réfugiés dans des camps au nord du pays, et que 40 000 soldats se trouvaient encore dans la péninsule de Jaffna. Cependant, cet article ne suggérait pas que des violations de droits de la personne étaient commises ou qu’il y avait un risque de résurgence de la guerre civile. Dans ces circonstances, il était raisonnable que la Commission ne mentionne pas cet article dans la décision.

 

Question 3 – Raisons impérieuses

 

[27]           Il est très malencontreux que le demandeur ait été victime de mauvais traitements durant sa brève détention, et très regrettable que son ami ait été assassiné à Colombo, mais à mon avis, cette preuve ne suffisait pas pour convaincre la Commission qu’il existait des raisons impérieuses justifiant que le demandeur ne soit pas renvoyé au Sri Lanka, malgré le rejet de ses demandes d’asile et de protection.

 

Question 4 – Compétence de l’avocat

 

[28]           Le demandeur fait valoir que l’avocat qui le représentait à l’audience était incompétent, car :

(i)                  il n’a pas demandé d’ajournement lorsqu’il a reçu l’avis de dernière minute;

(ii)                il n’a pas déposé de documents concernant les conditions actuelles dans le pays pour mettre à jour le cartable national de documentation de la Commission, dont la dernière révision remontait au 13 août 2010;

(iii)               il n’a pas présenté de traduction des documents attestant les extorsions subies par les Tamouls à Jaffna produits par son client;

(iv)              il n’a pas fait préparer de rapport psychologique pour étayer les observations ayant trait aux raisons impérieuses;

(v)                il n’a pas préparé son client à témoigner au sujet du changement des conditions dans le pays et des raisons impérieuses, et n’a pas su expliquer l’importance de ces questions.

 

[29]           Le demandeur cite l’arrêt R c B (GD), 2000 CSC 22, [2000] 1 RCS 520, dans lequel la Cour suprême a énoncé un critère à deux volets pour établir l’incompétence de l’avocat. Premièrement, la partie doit démontrer que le service fourni était en deçà de ce qu’elle pouvait raisonnablement attendre de la part d’un avocat compétent. Deuxièmement, elle doit démontrer qu’une erreur judiciaire a découlé de cette incompétence.

 

[30]           La Cour n’est pas en position de formuler une conclusion détaillée sur le caractère adéquat du service fourni par l’avocat du demandeur. Cependant, je n’ai aucune raison de conclure qu’une erreur judiciaire est survenue. La décision semble reposer sur les faits suivants :

(i)                  le demandeur n’a en fait jamais eu de liens avec les TLET et n’a jamais été pris pour quelqu’un de tel;

(ii)                la preuve n’a pas confirmé qu’il existait des raisons impérieuses;

(iii)               les nouveaux Principes directeurs indiquant que les conditions régnant dans le pays avaient durablement changé constituaient une preuve convaincante et bien à propos.

 

[31]           Le demandeur n’a pas montré que la Commission a commis une erreur ou que son avocat a omis de produire une preuve pertinente relativement à ces questions. Par conséquent, l’incompétence de l’avocat ne peut justifier l’accueil de la demande.

 

Question 5 – Équité procédurale

 

[32]           J’estime que le demandeur n’est pas à même de remettre en question le choix de la Commission de désigner la décision rendue en l’espèce comme une décision à caractère persuasif pour des raisons administratives internes qui lui sont propres. Par conséquent, le demandeur ne pouvait s’attendre à bon droit à ce que la Commission l'avise de son intention à cet égard.

 

QUESTION CERTIFIÉE

 

[33]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification aux termes de l’article 74 de la Loi.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que, pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est par la présente rejetée.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7518-10

 

INTITULÉ :                                       JANAKAN SIVALINGAM c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 29 JUIN 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacqueline Swaisland

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Jaime Todd

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J, Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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