Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120117


Dossier : IMM-3791-11

Référence : 2012 CF 61

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 17 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

DERIA UWITONZE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Lorsqu’un demandeur n'a pas établi son identité, on tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité et, habituellement, la demande est rejetée. Ainsi que l'a déclaré la Cour dans la décision Najam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 425 :

[16]            La preuve de l'identité du revendicateur est d'une importance cruciale pour sa revendication. Je partage l'avis du défendeur qui affirme que si l'identité du revendicateur n'est pas prouvée, la revendication doit être rejetée; c'est donc dire que la Commission n'a pas besoin de faire une analyse de la preuve concernant d'autres aspects de la revendication. Comme le juge Joyal l'a déclaré au paragraphe 13 de la décision Husein, précitée :

 

[...] Je suis d'avis qu'il n'était pas nécessaire que la Commission poursuive son analyse de la preuve après avoir conclu que l'identité des revendicateurs n'était pas établie ou que la principale demanderesse n'avait pas prouvé qu'elle était bien la personne qu'elle prétendait être. La question de l'identité revêtait une importance cruciale en l'espèce. Le défaut de la principale demanderesse de prouver qu'elle appartenait bien à un clan victime de persécution a véritablement porté atteinte à la crédibilité de sa prétention qu'elle avait une crainte bien fondée d'être persécutée.

[Non souligné dans l'original.]

 

II. La procédure judiciaire

[2]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR], relativement à une décision datée du 10 mai 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du Statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n'avait pas la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

III. Le contexte

[3]               La demanderesse, Mme Deria Uwitonze, est âgée de 21 ans et originaire du Burundi.

 

[4]               La demanderesse est une Tutsi, dont les parents ont été tués par les Hutus en 1993. Elle a une sœur et un frère, avec lesquels elle a vécu de 1993 à 2000.

 

[5]               Elle allègue que, le 24 octobre 2000, les forces rebelles ont réduit en cendres sa maison, dans la province de Kayanza.

 

[6]               Après l'incendie, la sœur de la demanderesse s’est fiancée à un marchand hutu à Bjumbura (Burundi); la demanderesse et son frère ont rejoint le couple à Bjumbura.

 

[7]               Le beau-frère de la demanderesse était membre du Conseil national pour la défense de la démocratie [CNDD], qui a pris le pouvoir au Burundi en 2005. La demanderesse allègue que son beau-frère souhaitait la marier à M. Adolphe Nshimirimana, directeur de la Documentation nationale auprès du CNDD.

 

[8]               La demanderesse a refusé les projets qu’avaient M. Nshimirimana et son beau-frère à son endroit.

 

[9]               Plus tard, en 2005, la demanderesse a déménagé à Ngagara, chez une famille hutu, dont les membres étaient amis de son beau-frère et eux aussi partisans du CNDD. La demanderesse a été maltraitée et battue par la maîtresse de la maison.

 

[10]           Durant son séjour au sein de cette famille, la demanderesse a noué une relation romantique avec le fils du voisin. Elle a continué de refuser les propositions de mariage de M. Nshimirimana.

 

[11]           La demanderesse allègue que, au milieu du mois de novembre 2007, elle a été violée par deux hommes pendant qu'on l'avait laissée seule à la maison.

 

[12]           En mai 2008, la demanderesse s’est installée chez des amis de la famille de son ami de coeur. Elle a ensuite trouvé refuge au Canada le 22 juillet 2008.

 

[13]           La demanderesse craint que, si elle retourne au Burundi, elle sera obligée d’épouser un homme que son beau-frère souhaite qu'elle marie. Elle craint aussi d'être violée de nouveau.

 

[14]           Pour établir son identité, la demanderesse a produit les documents suivants : une carte d'identité nationale, une carte d'étudiante et un extrait d'un certificat de naissance.

 

IV. La décision faisant l'objet du présent contrôle

[15]           La Commission a conclu que la demanderesse n’était pas digne de foi, et ce, pour les raisons suivantes.

 

[16]           Premièrement, la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi en rapport avec sa présumée identité. La demanderesse dit qu'elle est Deria Uwitonze, née le 23 janvier 1990. Après avoir examiné les éléments de preuve qu'elle avait en main, la Commission a conclu qu'elle est Deria Girukwishka, née le 23 novembre 1990. Cette conclusion repose sur les éléments suivants :

a)      selon la conclusion du rapport d'expert, les trois documents que la demanderesse a produits pour prouver son identité ne sont pas concluants;

b)      le présumé motif pour lequel elle dit avoir obtenu un certificat de naissance a été considéré comme invraisemblable;

c)      le témoignage de la demanderesse au sujet des frais qu'elle aurait payés et des empreintes qui ont été prises pour qu'elle puisse obtenir une carte d'identité nationale ne sont pas étayés par la preuve documentaire objective soumise à la Commission;

d)      les autorités américaines ont confirmé que la demanderesse est en réalité Deria Girukwishka, née le 23 novembre 1990;

e)      la Commission a pris en considération l'allégation de la demanderesse selon laquelle elle a utilisé un nom lié au nom d'emprunt, utilisé dans son passeport, pour créer son adresse électronique. À l'époque où elle a créé cette dernière (à la fin de 2007), le passeport n'était pas en sa possession. La Commission a conclu que le mot « Gideria » est formé des éléments suivants : GI, qui est la première syllabe de son nom Girukwishka, et Deria, qui est son prénom.

 

[17]           Deuxièmement, la Commission a conclu que la demanderesse a fabriqué son exposé circonstancié pour justifier sa demande d'asile. La Commission n'a pas cru que son beau-frère l’avait forcée à épouser M. Nshimirimana, ni que ce dernier lui avait demandé de l'épouser, avait l'intention de le faire ou avait même eu un contact quelconque avec elle. De ce fait, la menace à sa vie n'était pas digne de foi. Les problèmes suivants ont été relevés :

a)      le manque de connaissances de la demanderesse au sujet de M. Nshimirimana;

b)      l'invraisemblance de son allégation selon laquelle elle ignorait que M. Nshimirimana était marié.

 

[18]           Pour ce qui est de l'allégation selon laquelle la demanderesse avait fui son pays sous une fausse identité, la Commission a conclu que cela ne cadrait pas avec les éléments de preuve que l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) avait produits.

 

[19]           La Commission n'a pas cru au viol de la demanderesse. Cette dernière avait omis de mentionner que c'était à cause du viol qu'elle avait abandonné ses études et quitté le pays, même si plusieurs questions lui avaient été posées à ce sujet. Une autre raison pour ne pas ajouter foi à l'allégation de viol de la demanderesse était que cette dernière ne se souciait plus des conséquences possibles de ce viol sur sa santé.

 

[20]           La Commission a conclu que l'allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait été menacée par les individus qui avaient tué ses parents n'était pas digne de foi car, à l’époque où ceux‑ci avaient censément perdu la vie, elle n'aurait été âgée que de trois ans.

 

[21]           En évaluant la crainte qu'avait la demanderesse d'être violée au Burundi, la Commission a conclu que celle-ci n'était pas digne de foi. Son niveau d'instruction, la possibilité qu'elle avait de voyager, son indépendance et sa débrouillardise, les liens qu'elle avait avec une famille au Burundi et les liens qu'elle avait peut-être, par l'entremise de son père, avec un réseau influent au Burundi faisaient que son récit était invraisemblable.

 

V. La question en litige

[22]           La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son examen des éléments de preuve de la demanderesse et en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité?

 

VI. Les dispositions législatives applicables

[23]           Les articles 96 et 97 de la LIPR s'appliquent en l'espèce :

Définition de « réfugié »

 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

VII. La position des parties

[24]           La demanderesse soutient que la Commission a commis des erreurs de fait et de droit :

a)      en rapport avec son présumé viol;

b)      en rapport avec le fait que la Commission n'a pas appliqué les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe [Directives];

c)      en rapport avec l'évaluation de la Commission quant à sa crédibilité, relativement à la carte d'identité nationale.

 

[25]           Le défendeur a précisé que la Commission était fondée à conclure que la demanderesse n’était pas digne de foi. En réponse à l'allégation de la demanderesse selon laquelle la Commission aurait dû tenir compte de son hésitation à dévoiler la violence sexuelle dont elle avait été victime, le défendeur soutient qu’il s’agit d’une explication donnée après coup et que rien n'indique que son avocate soit intervenue ou ait fait état de doutes quelconques lors de la première audience pour attirer l'attention de la Commission sur cette présumée hésitation à témoigner ou sur son incapacité à le faire.

 

VIII. Analyse

[26]           La crédibilité et les questions de fait et de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité, conformément à l'arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

[27]           Une conclusion que tire la Commission au sujet de la crédibilité a droit au degré le plus élevé de retenue judiciaire. Ainsi que l'a expliqué le juge Yvon Pinard dans la décision Profète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 1165 :

[11]      Par ailleurs, le demandeur prétend que le tribunal a erré lorsqu’il a déterminé que son témoignage était évasif, ambigu et non crédible. Cet argument ne saurait justifier l’intervention de cette Cour, puisque l’appréciation du témoignage est au cœur même de la juridiction du tribunal, lequel a eu l’avantage de voir le demandeur et de l’entendre.

 

[28]           La Cour, dans la décision Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 409, a également déclaré :

            [22]            Ceci étant dit, le rejet de cette inférence n'est pas déterminant dans la mesure où la Commission s'est fondée sur plusieurs autres contradictions et invraisemblances pour conclure que le demandeur n'était pas crédible. Il est bien établi dans la jurisprudence que les motifs du tribunal administratif doivent être évalués dans leur ensemble pour évaluer le caractère raisonnable de sa décision, et que l'analyse ne consiste pas à déterminer si chaque élément de son raisonnement satisfait au critère du caractère raisonnable (voir notamment Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282 (C.A.F.); Yassine c. M.E.I., [1994] A.C.F. no. 949 (C.A.F)). En l'occurrence, la Commission s'est appuyée sur plusieurs éléments pour fonder sa conclusion, et l'exclusion de l'un d'entre eux n'a pas pour effet d'entacher la raisonnabilité de sa décision.

 

[29]           En l'espèce, les divergences que la Commission a relevées semblent, cumulativement, étayer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

 

[30]           La conclusion d'absence de crédibilité repose essentiellement sur le manque élémentaire de connaissances de la demanderesse au sujet des informations de base de sa demande.

 

[31]           D’emblée, la Commission n'a pas été convaincue que la demanderesse avait établi son identité. Il était clairement raisonnable que la Commission rejette les explications de la demanderesse, et elle a bel et bien fait des efforts pour vérifier l'authenticité des documents de cette dernière (Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 877).

 

[32]           Lorsqu’un demandeur n'a pas établi son identité, on tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité et, habituellement, la demande est rejetée. Ainsi que l'a déclaré la Cour dans la décision Najam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 425 :

[16]            La preuve de l'identité du revendicateur est d'une importance cruciale pour sa revendication. Je partage l'avis du défendeur qui affirme que si l'identité du revendicateur n'est pas prouvée, la revendication doit être rejetée; c'est donc dire que la Commission n'a pas besoin de faire une analyse de la preuve concernant d'autres aspects de la revendication. Comme le juge Joyal l'a déclaré au paragraphe 13 de la décision Husein, précitée :

 

[...] Je suis d'avis qu'il n'était pas nécessaire que la Commission poursuive son analyse de la preuve après avoir conclu que l'identité des revendicateurs n'était pas établie ou que la principale demanderesse n'avait pas prouvé qu'elle était bien la personne qu'elle prétendait être. La question de l'identité revêtait une importance cruciale en l'espèce. Le défaut de la principale demanderesse de prouver qu'elle appartenait bien à un clan victime de persécution a véritablement porté atteinte à la crédibilité de sa prétention qu'elle avait une crainte bien fondée d'être persécutée.

[Non souligné dans l'original.]

 

[33]           Dans le cas présent, de nombreuses preuves soumises à la Commission étayent la décision qu'a prise cette dernière de rejeter les documents d'identité de la demanderesse et de considérer qu'ils n’étaient aucunement fiables; néanmoins, la Commission a poursuivi son analyse au regard de l'article 97 de la LIPR. La Cour signale que la demande de contrôle judiciaire aurait pu être rejetée au stade de la détermination de l'identité. En fait, comment la Commission peut-elle analyser la crédibilité de l'allégation formulée à l'appui d'une demande si l'identité même de l'auteur de cette dernière n'est pas établie?

 

[34]           La Commission aurait pu tenir compte de la possibilité qu’il aurait été loisible à la demanderesse de présenter une demande d'asile fondée sur son sexe à cause d'une présumée agression sexuelle, et ce, même si elle a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi, mais le raisonnement de la Commission s'explique par le comportement de la demanderesse et l'ambiguïté que suscitent les questions fondamentales.

 

[35]           La Commission a tiré des inférences défavorables au sujet de la crédibilité de la demanderesse à partir des incohérences internes de l'exposé circonstancié, ainsi que de l'omission, lors du témoignage, d'un élément crucial de la demande d'asile : la demanderesse n'a pas mentionné, lors de la première audience, qu'elle avait été violée par deux hommes; elle soutient pourtant que la Commission aurait dû prendre les Directives en considération.

 

[36]           L'avocate de la demanderesse a effectivement dit à la Commission, avant l'audience, que la demanderesse aurait peut-être de la difficulté à répondre à des questions.

 

[37]           La lecture de la transcription révèle ce qui suit :

PAR LA MEMBRE AUDIENCIÈRE

-           [...]

R.                 Oui, effectivement. Bien premièrement, regardez, Madame, elle est prête à procéder aujourd’hui. Il n’y a pas de problème à cet effet-là, mais je de la difficulté parce qu’elle a de la misère à parler. Elle va pas plus que chuchoter.

-           Hum-hum.

 

-           [...]

 

-                     ...aussi, elle a de la misère à répondre aux questions sans pleurer. Et même dans mon  bureau... je sais que c’est normal, mais je vous avertis...

 

-           Oui.

 

R.                 ...d’avance que je ne sais pas comment elle va être aujourd’hui, mais même dans mon bureau, très mal à l’aise. Elle est très... c’est pour ça que j’avais... c’est quelque chose que j’ai constaté dernièrement, puis moi, je veux m’assurer qu’elle est bien. Vous comprenez?

 

-           Hum-hum.

 

-                     Puis elle n’a pas de problème à procéder, c’est moi qui ai peur pour elle dans le sens que c’est très important qu’elle est capable.

 

-           Oui.

 

R.                 Et c’est une... je voulais soulever mes inquiétudes par rapport à elle, parce que je vois quelque chose qui ne va pas avec elle. Alors...

 

Q.        En quoi...?

 

R.         Je l’ai envoyé à PRAIDA pour essayer de commencé un suivi, mais, c’est...

 

Q.        En quoi? Un suivi, vous voulez dire psychologique?

 

R.         Oui.

 

Q.                 Mais est-ce qu’ils ont commencé?

 

R.                 Oui. Elle a vu quelqu’un, mais elle va aller après l’audience. Ils lui ont dit de revenir  après l’audience. On va vous envoyer voir un médecin et c’est le tout début de processus. Elle est pas incapable là, mais j’ai des inquiétudes c’est tout. En ce qui concerne (...inaudible...) qu’ils sont arrivés avec tel que relaté dans le FRP. Elle a vraiment de la difficulté et au niveau de sa mémoire là, elle a des problèmes.

 

-           [...]

 

-                     Je vais lui demander de me parler du Burundi. On va voir comment elle va réagir sur ça.

 

R.         OK.

 

-           Et par la suite, je verrai. Écoutez.

 

-           [...]

 

R.                 ...je voulais un représentant désigné.

 

-           Oui, mais...

 

R.                 Mais je sais que ce n’est pas nécessairement ce cas-là, mais j’ai déjà vu avec quelqu’un qui a des difficultés, mais honnêtement, je veux dire, honnêtement, je savais pas quoi faire, parce que je me sentais que, j’avais des doutes qu’elle serait capable de ...

 

-           Oui

 

R.                 ...de le faire.

 

-           OK.

 

R.                 Mais ça, ça, c’est moi. Ce sont mes inquiétudes. C’est pas elle qui m’a dit ça directement.

 

(Dossier du Tribunal [DT], aux pages 285 à 287).

 

[38]           Dans ces circonstances, là où il était fait référence à d'éventuels problèmes psychologiques, la Commission aurait pu tenir compte des Directives en rapport avec l'omission de mentionner le viol.

 

[39]           Néanmoins, dans le contexte du témoignage, cette erreur n'est pas déterminante. Comme l'a précisé le juge Yves de Montigny dans la décision Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1066 :

            [15]           Est-ce à dire que cette erreur est fatale?  Je ne le crois pas. Compte tenu des autres motifs invoqués par la SPR pour conclure que la demanderesse n’était pas crédible et que son comportement était incompatible avec une crainte réelle de persécution, lesquels n’avaient rien à voir avec le fait qu’elle est une femme, l’application des Directives n’aurait rien changé au sort de la revendication de la demanderesse. Cette Cour a souvent réitéré que la décision de la SPR ne sera pas infirmée en pareilles circonstances si la preuve était par ailleurs suffisante pour soutenir sa conclusion. Comme l’écrivait Mme la juge Judith A. Snider dans une décision de cette même Cour aux paragraphes 17 et 19, Sy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 379, (2005), 271 F.T.R. 242 (C.F.), [2005] A.C.F. no. 462 (QL):

 

Néanmoins, une demande de contrôle judiciaire ne sera pas nécessairement accueillie parce que la Commission a omis d’examiner les Directives dans un cas approprié.

[Non souligné dans l'original.]

 

IX. Conclusion

[40]           En conclusion, la décision de la Commission à propos du manque de crédibilité de la demanderesse est fondée sur la raison et le bon sens. Cette dernière a souligné que le comportement de la demanderesse était peu plausible parce qu'elle ne se souciait pas des conséquences du viol sur sa santé. De plus, il est important de signaler que, à la seconde audience, quand son avocate l'a interrogée, la demanderesse n'a pas eu de difficulté à relater le présumé viol.

 

[41]           Même si la question des Directives n'a pas été convenablement traitée en l'espèce, cette erreur à elle seule n'est pas une raison suffisante pour infirmer la décision de la Commission car elle a conclu à un manque de crédibilité, en plus d'un cadre d'identité non établi à partir duquel elle aurait pu, sur ce seul fondement, commencer et terminer son analyse.

 

[42]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse soit rejetée. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7836-11

 

INTITULÉ :                                       DERIA UWITONZE c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 16 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jessica Lipes

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Yaël Levy

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jessica Lipes, avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.