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Date : 20120119


Dossier : IMM-4013-11

Référence : 2012 CF 75

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 janvier 2012

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

ISMAILA ADEBAYO ADEWUSI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Ismaila Adebayo Adewusi sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté sa demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des investisseurs, au motif qu’il est interdit de territoire au Canada pour motifs sanitaires. L’agent d’immigration a conclu que M. Adewusi souffrait d’une affection qui risquait d’entraîner un fardeau excessif pour le système de santé canadien.

 

[2]               À la conclusion de l’audience, j’ai informé les parties que je ferais droit à la demande. Voici les motifs de ma décision.

 

Le manquement à l’équité procédurale

 

[3]               Dans l’arrêt Sapru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 35, 413 NR 70, la Cour d’appel fédérale décrit quelles sont les responsabilités respectives des médecins agréés et des agents d’immigration lorsqu’ils se prononcent sur une interdiction de territoire pour motifs sanitaires sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2011, c 27, et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

 

[4]               Pour ce qui est du rôle des médecins agréés, l’arrêt Sapru enseigne que ces derniers sont tenus de fournir aux agents d’immigration des avis médicaux sur les troubles pathologiques dont un demandeur peut être atteint, ainsi que sur le coût probable du traitement requis. Quand un demandeur soumet à l’agent d’immigration un plan de gestion de son état de santé, ce plan doit être examiné par le médecin agréé, qui doit alors informer l’agent d’immigration de questions telles que la faisabilité de ce plan : Sapru, au paragraphe 36.

 

[5]               Le rôle de l’agent d’immigration consiste à déterminer si l’avis du médecin agréé est raisonnable : Sapru, au paragraphe 37. Quand l’agent d’immigration se prononce sur l’admissibilité du demandeur, il doit disposer d’assez d’éléments d’information du médecin agréé pour être convaincu que l’avis de ce dernier est raisonnable : Sapru, au paragraphe 43.

 

[6]               Le défendeur reconnaît que, en l’espèce, l’agent d’immigration a rendu une décision définitive en rapport avec l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires de M. Adewusi avant d’avoir reçu l’avis d’un médecin agréé sur les éléments de preuve médicale importants et sur les observations déposées par M. Adewusi en réponse à une lettre d’équité.

 

[7]               Il s’agit manifestement là d’un manquement au processus que prescrit l’arrêt Sapru. L’agent d’immigration n’est pas un expert en médecine. En rendant une décision définitive sur la demande de M. Adewusi en l’absence d’une évaluation appropriée, de la part d’un médecin agréé qualifié, des observations supplémentaires de M. Adewusi, l’agent d’immigration a privé ce dernier du type d’évaluation médicale individualisée que prescrivent l’arrêt Sapru et des décisions telles que Hilewitz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57, [2005] 2 RCS 706.

 

La réparation appropriée

 

[8]               En règle générale, un manquement à l’équité procédurale a pour effet de rendre nulles l’audience et la décision qui en résultent : voir l’arrêt Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, [1985] ACS no 78 (QL). Dans Cardinal, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que le droit à une audience équitable est « un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit » : au paragraphe 23. Dans le même paragraphe, la Cour fait ensuite remarquer qu’« [i]l n’appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d’hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat [d’une] audition [équitable]».

 

[9]               Il existe une exception restreinte à cette règle. C’est‑à‑dire qu’une cour de révision peut faire abstraction d’un manquement à l’équité procédurale « lorsque le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir » : Mobil Oil Canada Ltd et al c Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, [1994] ACS no 14 (QL), au paragraphe 53. Voir aussi l’arrêt Yassine c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 172 NR 308, au paragraphe 9 (CAF). Cela peut être le cas lorsque, par exemple, les circonstances de l’affaire comportent une question de droit pour laquelle il existe une réponse inéluctable : Mobil Oil, au paragraphe 52.

 

[10]           Le défendeur soutient que le fait d’annuler la décision d’interdiction de territoire de l’agent d’immigration et de renvoyer l’affaire en vue d’un nouvel examen ne servirait à rien. Selon lui, l’issue de la demande de résidence permanente de M. Adewusi sera inéluctablement la même.

 

[11]           À l’appui de cet argument, le défendeur se fonde sur des affidavits qu’ont déposés l’agent d’immigration et le médecin agréé qui se sont chargés d’évaluer la demande de M. Adewusi.

 

[12]           Dans son affidavit, le médecin agréé passe en revue les observations supplémentaires que M. Adewusi a déposées en réponse à une lettre d’équité. Il déclare que ces informations additionnelles n’ont pas changé sa conclusion initiale, à savoir que M. Adewusi souffre d’une grave affection qui risque d’entraîner un fardeau excessif pour le système de santé canadien.

 

[13]           Dans son affidavit, l’agent d’immigration fait référence à l’avis donné par le médecin agréé peu après qu’il a décidé de rejeter la demande de résidence permanente de M. Adewusi. L’agent dit que s’il avait examiné cet avis avant de rendre la décision visée par le présent contrôle, il aurait tout de même conclu que M. Adewusi était interdit de territoire pour motifs sanitaires.

 

[14]           En règle générale, les demandes de contrôle judiciaire doivent être instruites sur le fondement du dossier qui a été soumis au décideur initial. Des éléments de preuve additionnels peuvent être admis dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire quand, comme c’est le cas en l’espèce, un problème se pose en rapport avec l’équité du processus que l’on a suivi pour arriver à la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire.

 

[15]           Cependant, il s’agit là d’une exception étroite. Elle ne permet pas à une partie de produire une preuve par affidavit dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire dans un effort pour étayer sa position en tentant de remédier à une lacune dans le processus décisionnel.

 

[16]           L’affidavit de l’agent d’immigration est approprié, dans la mesure où il reconnaît l’erreur procédurale qui a été commise en l’espèce et tente d’expliquer comment celle-ci est survenue. Toutefois, je ne suis pas disposée à accorder un poids quelconque aux passages de cet affidavit dans lesquels l’agent d’immigration émet des hypothèses sur la façon dont il aurait tranché la demande de résidence permanente de M. Adewusi s’il avait eu en main les renseignements médicaux appropriés.

 

[17]           Quant à l’avis médical que renferme l’affidavit du médecin agréé, il n’appartient pas à la Cour de juger si l’avis de ce dernier est raisonnable ou non. C’est à un agent d’immigration qu’incombe cette responsabilité, au moment de se prononcer sur l’admissibilité du demandeur.

 

[18]           Par ailleurs, l’affidavit du médecin agréé présente des raisons pour confirmer l’évaluation initiale de ce dernier au sujet de l’admissibilité pour motifs sanitaires de M. Adewusi qui ne figurent pas dans l’évaluation que le médecin agréé a faite peu après que l’agent d’immigration a décidé de rejeter la demande de résidence permanente de M. Adewusi. On ne devrait accorder aucun poids à cet affidavit, dans la mesure où il vise à fournir des raisons additionnelles pour confirmer l’évaluation initiale du médecin agréé au sujet de l’état de santé de M. Adewusi.

 

[19]           Les observations que M. Adewusi a déposées en réponse à la lettre d’équité soulèvent une question à propos de l’exactitude du diagnostic et du pronostic du médecin agréé. En plus de fournir plusieurs rapports médicaux additionnels que le médecin agréé n’avait pas en main au moment de faire son évaluation initiale, M. Adewusi a également mis en lumière les diagnostics divergents qu’il avait reçus de ses médecins, l’absence constante de symptômes et le fait que son état ne s’était pas aggravé à la longue. Ces facteurs mettent potentiellement en doute l’exactitude du diagnostic initial du médecin agréé.

 

[20]           Je ne puis donc dire à ce stade que la demande de résidence permanente de M. Adewusi est vouée à l’échec. La décision de l’agent d’immigration sera donc infirmée, et l’affaire renvoyée à un agent d’immigration et à un médecin agréé différents pour nouvelle décision.

 

Les dépens

 

[21]           L’avocat de M. Adewusi soutient que, en l’espèce, le manquement à l’équité procédurale a été à ce point évident qu’il y aurait lieu de rendre une ordonnance de dépens en faveur de son client. Il dit par ailleurs que l’explication donnée dans l’affidavit de l’agent d’immigration au sujet de l’erreur qui a été commise dans le cas présent est trompeuse, et non crédible au vu des documents figurant dans le dossier du tribunal.

 

[22]           On n’adjuge habituellement pas de dépens dans les instances en matière d’immigration que la Cour instruit. Comme le prévoit l’article 22 des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22 : « Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens. »

 

[23]           Le critère permettant d’établir l’existence de « raisons spéciales » est rigoureux, et chaque affaire repose sur les faits dont est saisie la Cour : Ibrahim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1342, [2007] ACF no 1734 (QL), au paragraphe 8.

 

[24]           La Cour a conclu qu’il existe des raisons spéciales lorsqu’une partie s’est comportée d’une manière que l’on peut qualifier d’inéquitable, oppressive ou inappropriée, ou d’attribuable à de la mauvaise foi : voir Manivannan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1392, [2008] ACF no 1754 (QL), au paragraphe 51.

 

[25]           Il a aussi été conclu qu’il existe des « raisons spéciales » dans le cas d’une conduite qui prolonge inutilement ou déraisonnablement l’instance : voir, par exemple, M Untel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 535, [2006] ACF no 674 (QL); Johnson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1262, [2005] ACF no 1523 (QL), au paragraphe 26, et Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1154, [2002] ACF no 1576 (QL). À mon avis, ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[26]           Le fait que l’on fasse opposition à une demande de contrôle judiciaire en matière d’immigration et que l’on conclue par la suite que le tribunal administratif a commis une erreur ne donne pas lieu en soi à une « raison spéciale » qui justifie l’adjudication de dépens. Je ne suis pas convaincue que la décision du défendeur de défendre la présente demande était déraisonnable au point de donner droit à M. Adewusi à une adjudication de dépens.

 

[27]           Je ne suis pas disposée non plus à tirer une conclusion d’inconduite de la part de l’agent d’immigration au vu du dossier qui m’a été soumis. Dire qu’un fonctionnaire a fourni des renseignements trompeurs sous serment dans une instance judiciaire est une allégation très sérieuse, et la personne que l’on accuse d’une telle inconduite doit avoir une occasion équitable de répliquer aux allégations formulées contre elle.

 

[28]           M. Adewusi a soulevé des questions au sujet de l’explication qu’a donnée l’agent d’immigration à propos de l’erreur survenue dans le traitement de son dossier, mais il a décidé de ne pas le contre-interroger sur son affidavit. De ce fait, les préoccupations de M. Adewusi n’ont jamais été soumises à l’agent, et celui-ci n’a jamais eu l’occasion d’en traiter.

 

[29]           Je ne suis donc pas convaincue qu’il y a lieu d’accorder des dépens en l’espèce.

 

Conclusion

 

[30]           Pour les motifs qui précèdent, j’ai conclu qu’il convenait de faire droit à la demande de contrôle judiciaire.

 

Certification

 

[31]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé de question à certifier, et aucune n’est soulevée en l’espèce.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE :

 

            1.         que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que la demande de résidence permanente de M. Adewusi est renvoyée à un agent d’immigration et à un médecin agréé différents pour nouvelle décision;

 

            2.         qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4013-11

 

INTITULÉ :                                      ISMAILA ADEBAYO ADEWUSI c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 17 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 19 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario D. Bellissimo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bellissimo Law Group

(Ormston, Bellissimo, Rotenberg)

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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