Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20120119

Dossier : T-2182-10

Référence : 2012 CF 70

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2012

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

FRANK VAILLANCOURT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Frank Vaillancourt (le demandeur) est membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). En 2006, il a fait l’objet de deux mesures disciplinaires qu’il a contestées devant un comité d’arbitrage. Puisque ces mesures disciplinaires sont considérées comme étant graves, il pouvait être représenté par un avocat du Groupe des représentants des membres (GRM), conformément à l’article 47.1 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC, 1985, ch. R-10 [la Loi] et aux Consignes de 1997 du commissaire (représentation), DORS/97-399 [les Consignes]. Le 24 juillet 2009, l’avocate du GRM qui agissait alors dans son dossier a cessé de le représenter. Le demandeur s’est prévalu du processus de révision prévu aux Consignes pour contester le refus du GRM de continuer de le représenter. En date du 18 novembre 2010, la surintendante Louise Lafrance (l’officier désigné) a confirmé la décision du GRM. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

I. Contexte

[2]               Le demandeur a demandé à être représenté par le GRM dans le cadre de la contestation des mesures disciplinaires qui lui ont été imposées en 2006. Ces mesures disciplinaires sont sérieuses et peuvent compromettre sa carrière au sein de la GRC. Entre 2006 et juillet 2009, pas moins de six avocats différents du GRM ont été assignés pour le représenter. Les changements d’avocats sont survenus pour diverses raisons et dans différentes circonstances qu’il n’est pas nécessaire de détailler aux fins de la présente décision. Il suffit d’indiquer que plusieurs événements sont survenus, dont certains étaient hors du contrôle du demandeur ou du GRM, et que, par ailleurs, la relation entre le demandeur, le GRM et certains des avocats assignés à son dossier n’a pas toujours été au beau fixe. À certaines occasions, le demandeur, doutant de la capacité du GRM de lui offrir des services de représentation adéquats, a requis la possibilité de retenir les services d’un avocat de l’extérieur, aux frais de la GRC; cette demande a été refusée parce qu’une telle possibilité n’est pas prévue à la réglementation et aux Consignes.

 

[3]               À l’automne 2008, le demandeur a, par le biais d’un avocat externe, déposé auprès du comité d’arbitrage, une requête en arrêt des procédures relatives aux deux avis disciplinaires, invoquant notamment les problèmes liés à sa représentation par le GRM. Dans le cadre de cette requête, il avait l’intention de faire témoigner des avocats du GRM. Cette requête était présentable le 28 ou le 29 janvier 2009.

 

[4]               À compter de janvier 2009, c’est Me Caroline Chrétien qui a été assignée par le GRM pour représenter le demandeur. Il est utile de s’attarder sur certains événements qui ont ponctué la relation entre Me Chrétien et le demandeur et plus particulièrement, aux événements qui ont mené à la fin du mandat de représentation de Me Chrétien.

 

[5]               Le 7 janvier 2009, le demandeur a signé le mandat de représentation préparé par Me Chrétien. Lorsqu’il a signé ce mandat de représentation, il était accompagné d’un avocat de l’extérieur et il l’a signé en ajoutant l’annotation suivante : « Sous réserve de mes droits et d’une révision à l’extérieur pour ce document ».

 

[6]               Peu après avoir signé le mandat de représentation, le demandeur a demandé à Me Chrétien de le représenter dans le cadre de la requête en arrêt des procédures liées aux mesures disciplinaires. Me Chrétien aurait refusé au motif que le GRM limitait sa représentation à la contestation des avis disciplinaires, et que, de toute façon, elle serait en conflit d’intérêts puisque la requête en arrêt des procédures mettait en cause les services que le demandeur avait reçus du GRM. Le demandeur a continué de se faire représenter par un avocat externe aux fins de la requête en arrêt des procédures. Dans le cadre de cette requête, le tribunal d’arbitrage a ordonné la communication du dossier du GRM relatif à la représentation du demandeur à l’employeur. Le 29 janvier 2009, le demandeur s’est désisté de sa requête en arrêt des procédures; le dossier relatif à l’arbitrage des mesures disciplinaires pouvait poursuivre son cours.

 

[7]               Bien que Me Chrétien n’ait pas représenté le demandeur dans le cadre de la requête en arrêt des procédures, elle a déposé auprès du comité d’arbitrage une requête en son nom pour récupérer les documents relatifs à la représentation du demandeur par le GRM qui avaient été communiqués à l’employeur. Cette requête a été rejetée en juin 2009.

 

[8]               En juin 2009, le demandeur a aussi demandé à Me Chrétien de l’accompagner et de l’assister dans le cadre d’une enquête interne de la GRC. Me Chrétien a alors informé le demandeur qu’elle ne pouvait l’accompagner parce que sa présence à la rencontre ferait d’elle un témoin ce qui pourrait créer un conflit d’intérêts et l’obliger à se retirer du dossier.

 

[9]               Le 13 juillet 2009, Me Chrétien a rencontré le demandeur pour faire le point sur son dossier et sur sa représentation par le GRM. Lors de cette rencontre, Me Chrétien a remis au demandeur une lettre qui contenait entre autres, le paragraphe suivant :

                        […]

Cette lettre confirme également que la soussignée vous a expliqué les notions de conflit d’intérêts et de conflit de loyauté et que vous jugez et que la soussignée est toujours en mesure de continuer à vous représenter pour les avis disciplinaires. Nous vous demandons de confirmer notre mandat de représentation à votre égard suivant cette décision et que vous comprenez les implications de cette décision pour la soussignée et le GRM.

 

[…]

 

Cette correspondance laisse sous-entendre que lors de la rencontre du 13 juillet 2009, Me Chrétien et le demandeur ont convenu que le GRM pouvait continuer de représenter le demandeur dans le cadre des mesures disciplinaires. Dans la lettre, Me Chrétien a demandé au demandeur de confirmer son mandat de représentation.

 

[10]           Le demandeur soutient qu’il n’était pas prêt à confirmer le mandat de représentation de Me Chrétien sur le champ.

 

[11]           Le 17 juillet 2009, Me Chrétien a envoyé une deuxième lettre au demandeur lui demandant de confirmer ou de révoquer son mandat de représentation dans les deux jours suivants la réception de la lettre, à défaut de quoi, elle considérerait que son mandat de représentation était révoqué. La lettre se lit en partie comme suit :

                        […]

Le 13 juillet dernier, nous vous avons rencontré pour vous exposer la situation de conflit d’intérêts dans laquelle le GRM et moi-même nous retrouvons. Lors de cette rencontre, nous vous avons remis une lettre ayant pour but de confirmer ou de révoquer notre mandat. Sur réception de celle-ci, vous nous avez dit ne pas être en mesure de prendre une décision à ce sujet. Le 14 juillet dernier, après une deuxième demande de notre part, et bien que vous aviez pris connaissance de la lettre remise lors de notre rencontre, vous nous avez encore indiqué ne pas pouvoir répondre à celle-ci.

 

Soyez avisé qu’à défaut de recevoir la lettre de confirmation/ou révocation dûment signée par vous dans les 2 jours suivant la réception des présentes, nous considérerons notre mandat révoqué et n’agirons plus comme vos représentants légaux dans vos avis disciplinaires.

 

[…]

 

 

[12]           Le demandeur n’a pas donné suite à la demande de Me Chrétien, mais le 23 juillet 2009, Me Jasmine Patry, agissant au nom du demandeur, a envoyé une lettre à Me Chrétien l’informant que son client n’avait pas l’intention de révoquer son mandat de représentation. Prenant soin de préciser qu’elle ne représentait pas le demandeur dans le cadre de la contestation des mesures disciplinaires, Me Patry a soutenu que le GRM devrait lui-même prendre l’initiative de cesser de représenter le demandeur en raison des conflits d’intérêts et de loyauté entre le demandeur et le GRM et particulièrement entre le demandeur et Me Chrétien. Me Patry a également suggéré au GRM d’autoriser la représentation externe du demandeur aux frais de la GRC.

 

[13]           Me Chrétien n’a pas répondu à la lettre du 23 juillet 2009 de Me Patry. Toutefois, le lendemain, elle a écrit au président du comité d’arbitrage saisi de la contestation des avis disciplinaires pour l’informer qu’elle ne représentait plus le demandeur en raison de motifs sérieux au sens du Code de déontologie des avocats, RRQ, c. B-1, r.3 [le Code de déontologie] et que le GRM ne pouvait plus représenter le demandeur. La lettre contient ce qui suit :

                        […]

La présente est pour vous informer que nous ne représentons plus M. Vaillancourt pour les avis disciplinaires GAD 395-12-132/198.

 

En raison de motifs sérieux, tel que prévu à l’article 3.03.04 du Code de déontologie des avocats (Barreau du Québec), et que nous ne pouvons révéler en raison de nos obligations professionnelles, la soussignée et le Groupe des représentants des membres ne peuvent plus représenter M. Vaillancourt.

 

[…]

 

[14]           Me Chrétien n’a toutefois pas envoyé de lettre au demandeur pour l’informer qu’elle et le GRM cessaient de le représenter.

 

II. Encadrement législatif

[15]           Il convient d’examiner l’encadrement législatif ayant trait à la représentation des membres de la GRC. Au terme du paragraphe 47.1(1) de la Loi, un membre de la GRC peut représenter un autre membre dans certaines circonstances. Ce paragraphe prévoit également que le commissaire peut prescrire dans quelles circonstances un membre ne peut pas représenter ou assister un autre membre :

47.1 (1) Sous réserve des règles établies conformément au paragraphe (3), un membre peut représenter ou assister un autre membre :

 

a) lors de la présentation d’un grief en vertu de la partie III;

 

b) lors des procédures tenues devant une commission, autre que la Commission;

 

c) lors de la préparation d’observations écrites en vertu du paragraphe 45.19(6);

 

d) lors d’un appel interjeté en vertu des articles 42, 45.14 ou 45.24.

47.1 (1) Subject to any rules made pursuant to subsection (3), a member may be represented or assisted by any other member in any

 

(a) presentation of a grievance under Part III;

 

(b) proceeding before a board, other than the Commission;

 

 

(c) preparation of written representations under subsection 45.19(6); or

 

(d) appeal under section 42, 45.14 or 45.24.

 

[16]           L’article 1 des Consignes défini le GRM comme suit :

« Groupe des représentants des membres » Unité de la Gendarmerie qui relève de l’agent du Programme des relations fonctionnelles au sein de la Direction générale de la Gendarmerie et qui représente ou assiste les membres qui, selon le cas :

 

a) font l’objet de mesures disciplinaires graves en application de la partie IV de la Loi;

 

b) font l’objet de procédures visant leur renvoi ou leur rétrogradation en application de la partie V de la Loi;

 

c) sont parties à une audience devant le Comité;

 

d) présentent un grief relatif à leur renvoi par mesure administrative pour les motifs visés aux alinéas 19a), f) ou i) du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988). (Member Representative Unit)

“Member Representative Unit” means a unit within the Force that reports to the Staff Relations Program Officer within the Headquarters of the Force and that provides representation or assistance to any member who

 

 

(a) is subject to formal disciplinary action under Part IV of the Act;

 

 

(b) is subject to discharge and demotion proceedings under Part V of the Act;

 

 

(c) is a party to a hearing before the Committee; or

 

(d) is presenting a grievance relating to their administrative discharge for grounds specified in paragraph 19(a), (f) or (i) of the Royal Canadian Mounted Police Regulations, 1988. (Groupe des représentants des membres)

 

[17]           Comme le demandeur faisait l’objet de mesures disciplinaires graves, il avait le droit de recevoir les services de représentation du GRM.

 

[18]           L’article 3 des Consignes prescrit les circonstances dans lesquelles l’agent du Programme des relations fonctionnelles ne peut autoriser qu’un membre représente ou assiste un autre membre.

3. Pour l’application de l’alinéa 47.1(3)b) de la Loi, l’agent du Programme des relations fonctionnelles ne peut autoriser qu’un membre représente ou assiste un autre membre lors des griefs, des procédures, de la préparation d’observations ou d’appels visés au paragraphe 47.1(1) de la Loi, dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes :

 

a) la représentation ou l’assistance par ce membre pourrait créer un conflit d’intérêts;

 

b) la représentation ou l’assistance par ce membre pourrait nuire à l’efficacité et à la bonne administration de la Gendarmerie;

 

c) ce membre est un représentant des membres et la représentation ou l’assistance est sollicitée pour des fonctions qui ne relèvent pas du Groupe des représentants des membres;

 

d) ce membre est en poste dans une division autre que la division d’affectation du membre à représenter ou à assister, sauf si l’agent du Programme des relations fonctionnelles autorise une telle représentation ou assistance pour les motifs suivants :

 

(i) le membre qui désire se faire représenter ou assister a, sans succès, fait tous les efforts raisonnables pour se faire représenter ou assister par un membre en poste dans sa division d’affectation,

 

 

(ii) aucun membre du Groupe des représentants des membres n’est disponible pour représenter ou assister le membre,

 

(iii) la représentation ou l’assistance par le membre est raisonnable dans les circonstances, compte tenu des critères suivants :

 

(A) la disponibilité de celui-ci,

 

 

(B) la distance entre les postes des deux membres,

 

(C) les coûts que doit supporter la Gendarmerie pour une telle représentation ou assistance;

 

e) le membre qui désire se faire représenter ou assister est un témoin devant le Comité, sauf s’il fait l’objet de mesures disciplinaires graves distinctes découlant de la même affaire dont est saisi le Comité;

 

 

 

f) le membre qui désire se faire représenter ou assister est une personne intéressée, autre qu’une partie, dans une affaire devant une commission d’enquête ou le Comité

3. For the purpose of paragraph 47.1(3)(b) of the Act, the Staff Relations Program Officer shall not authorize a member to represent or assist another member in a grievance, proceeding, preparation or appeal referred to in subsection 47.1(1) of the Act if

 

 

 

(a) representation or assistance by the member could result in a situation of conflict of interests;

 

 

(b) representation or assistance by the member could impair the efficiency, administration or good government of the Force;

 

 

(c) the member is a member representative and representation or assistance by the member is sought for functions other than those of the Member Representative Unit;

 

(d) the member is posted in a division other than the division in which the member who wishes to be represented or assisted is posted, unless the Staff Relations Program Officer authorizes the representation or assistance on the grounds that

 

 

(i) the member who wishes to be represented or assisted has, without success, made every reasonable effort to obtain representation or assistance from a member who is posted in the same division as the member,

 

(ii) no member from the Member Representative Unit is available to represent or assist the member, and

 

 

(iii) representation or assistance by the member from whom it is sought is reasonable under the circumstances, having regard to

 

 

(A) the availability of the member,

 

(B) the distance between the posts of the two members, and

 

(C) the financial cost to the Force of the representation or assistance;

 

(e) the member who wishes to be represented or assisted is a witness before the Committee, unless that member is the subject of a separate formal disciplinary action arising from the same matter being considered by the Committee; or

 

(f) the member who wishes to be represented or assisted is an interested person but not a party in a matter before a board of inquiry or the Committee.

 

[19]           L’article 4 des Consignes prescrit que lorsque l’agent du Programme des relations fonctionnelles refuse d’autoriser la représentation ou l’assistance à un membre en application de l’article 3, il doit envoyer un avis motivé au membre qui sollicite la représentation ou l’assistance.

 

[20]           L’article 5 des Consignes prévoit un mécanisme de révision d’une décision refusant d’autoriser la représentation d’un membre :

5. (1) Dans les 14 jours suivant la réception de l’avis visé à l’article 4, le membre qui sollicite la représentation ou l’assistance peut présenter à l’agent du Programme des relations fonctionnelles une demande accompagnée de documents à l’appui afin que le refus soit révisé par un officier désigné par le commissaire.

 

(2) L’officier désigné rend l’une des décisions suivantes, qui est définitive et exécutoire :

 

a) il confirme le refus;

 

b) il annule le refus et rend la décision appropriée dans les circonstances en conformité avec l’article 3.

5. (1) Within 14 days after receiving the notice referred to in section 4, the member who wishes to be represented or assisted may submit to the Staff Relations Program Officer an application with supporting documentation to have the refusal reviewed by an officer designated by the Commissioner.

 

(2) The designated officer shall render a final and binding decision that

 

(a) confirms the refusal; or

 

(b) overturns the refusal and is appropriate in the circumstances and in accordance with section 3.

 

III. La décision contestée

[21]           Dans sa décision, l’officier désigné a circonscrit comme suit les questions auxquelles elle devait répondre :

a.       Est-ce que le GRM a refusé d’autoriser la représentation du requérant en vertu de l’article 4 des Consignes du Commissaire (Représentation)?

b.      Si oui, est-ce que ce refus est confirmé ou annulé?

 

[22]           Répondant à la première question, elle a indiqué qu’il était clair pour elle que le demandeur ne désirait plus se faire représenter par le GRM et qu’il cherchait à recevoir une représentation juridique externe payée par la GRC. Elle a par ailleurs conclu, à la lumière des représentations écrites des parties, qu’en juillet 2009, le GRM [qu’elle nomme DRM dans sa décision] avait refusé d’autoriser la continuité de la représentation du demandeur. Elle a ajouté que ce refus avait été causé par le défaut du demandeur de donner un mandat de représentation clair au GRM. Elle a indiqué que cette situation s’était manifestée à plusieurs occasions depuis 2006 et avait atteint un point de non‑retour en juillet 2009. L’officier désigné a par la suite conclu que le refus du GRM de poursuivre la représentation du demandeur était « approprié dans les circonstances ».

 

[23]           Elle a ajouté qu’elle était convaincue que le demandeur n’avait pas confiance ni en les services de Me Chrétien, ni en les services des autres avocats du GRM, ce qui rendait impossible toute représentation future du demandeur par le GRM.

 

[24]           Elle a ensuite terminé sa décision comme suit :

Décision

 

Pour les raisons énumérées ci-haut, je suis d’avis qu’en juillet 2009, la DRM a refusé le maintien de la représentation au requérant et je confirme que ce refus était justifié en vertu de l’article 3 des Consignes du Commissaire (Représentation).

 

IV. Question en litige

[25]           La seule question en litige soulevée par la présente demande consiste à déterminer si la décision de l’officier désigné est raisonnable.

 

V. Norme de contrôle

[26]           Les deux parties ont soumis que la norme de contrôle de la décision raisonnable devait s’appliquer à l’égard de la décision de l’officier désigné. Je partage leur avis.

 

[27]           Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 62, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], la Cour suprême a énoncé que la détermination de la norme de contrôle appropriée à une question se faisait en deux étapes. En premier lieu, la Cour doit vérifier si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. » Lorsque cette recherche est infructueuse, la Cour doit alors procéder à une analyse de la norme de contrôle.

 

[28]           En l’espèce, aucune décision établissant la norme de contrôle à l’égard de décisions prises par des officiers désignés en vertu des Consignes applicables dans le présent dossier n’a été portée à l’attention de la Cour. Il y a donc lieu de procéder à l’analyse relative à la norme de contrôle en appliquant les facteurs énoncés au paragraphe 64 de Dunsmuir : (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif.

 

[29]           Le paragraphe 5(2) des Consignes précise que la décision de l’officier désigné est définitive et exécutoire. Il s’agit là d’une forme de clause privative qui, sans être déterminante, indique une volonté que le processus soit exhaustif et définitif et qui incite à la déférence.

 

[30]           Quant à la raison d’être du tribunal, la Loi confère au commissaire une autorité complète à l’égard de la GRC et par le biais de l’article 47.1 de la Loi, la responsabilité d’élaborer des normes en matière de représentation des membres. J’y vois le désir du législateur de confier au commissaire la responsabilité d’adopter des règles cohérentes et complètes bien adaptées à la réalité des opérations et de l’administration de la GRC. Le commissaire a choisi de mettre en place un processus interne de représentation des membres et un mécanisme de révision en cas de refus de représentation qui soit à la fois simple, efficace et complet.

 

[31]           La question que l’officier désigné devait trancher est une question mixte de faits et de droit qui commande une interprétation et une application contextuelle des circonstances prévues à l’article 3 des Consignes. Cette analyse contextuelle requiert une connaissance approfondie du fonctionnement et des rouages de la GRC, ce qui nous amène au quatrième facteur.

 

[32]           Bien que l’officier désigné ne soit pas un expert en droit, il s’agit d’une personne qui détient un poste de haut niveau dans la GRC et qui a une connaissance approfondie du fonctionnement et de la réalité interne de la GRC.

 

[33]           Je considère donc que ces facteurs pris dans leur ensemble militent en faveur de retenue à l’égard de la décision de l’officier désigné. La décision sera donc révisée selon la norme de la décision raisonnable.

 

VI. Analyse

[34]           Le demandeur soutient que la décision de l’officier désigné est déraisonnable parce qu’elle a omis de déterminer si le refus du GRM de poursuivre sa représentation était justifié par l’une des circonstances prévues à l’article 3 des Consignes. Il soutient que le GRM avait lui-même invoqué le motif de conflit d’intérêts pour justifier son refus de poursuivre la représentation et que l’officier désigné devait déterminer si la preuve démontrait une situation de conflit d’intérêts au sens de l’article 3 des Consignes. Le demandeur soutient que l’officier désigné a omis de rattacher son analyse aux circonstances prévues à l’article 3 des Consignes et de tenir compte des circonstances prévues aux Consignes pour justifier un refus de représentation.

 

[35]           Le demandeur soutient au surplus que le défendeur invoque maintenant un nouveau motif fondé sur l’alinéa 3b) des Consignes - la représentation ou l’assistance par ce membre pourrait nuire à l’efficacité et à la bonne administration de la Gendarmerie – et que ce motif n’est pas pertinent puisqu’il n’a jamais été invoqué auparavant par le GRM. Le demandeur soutient également que l’officier désigné a analysé la preuve de façon déraisonnable.

 

[36]           Le défendeur, pour sa part, soutient qu’il est clair que l’officier désigné a exercé le mandat qui lui avait été confié de déterminer si le refus était fondé sur les circonstances prévues à l’article 3 des Consignes, et que son appréciation de la preuve était tout à fait raisonnable. Le défendeur prétend que les conclusions de fait tirées par l’officier désigné, soit que la décision du GRM de cesser de représenter le demandeur était justifiée par le refus du demandeur de confier à Me Chrétien un mandat de représentation clair et par le manque de confiance qu’il avait en Me Chrétien et le GRM, étaient les seules conclusions qui pouvaient raisonnablement être tirées de la preuve au dossier. Le défendeur ajoute que ces conclusions tombent clairement sous le coup des circonstances prévues à l’article 3 des Consignes, plus particulièrement à l’alinéa 3b) des Consignes et que, dès lors, la décision de l’officier désigné doit être jugée raisonnable même si elle n’a pas précisé le paragraphe précis sur lequel elle appuyait sa décision de maintenir le refus.

 

[37]           Le défendeur soutient au surplus que le refus du GRM de poursuivre la représentation peut également être envisagé sous l’angle du conflit d’intérêts puisqu’il s’agit de l’une des circonstances prévues à l’article 3.03.04 du Code de déontologie sur lequel Me Chrétien s’est appuyée pour justifier sa décision de cesser de représenter le demandeur.

 

VII. Discussion

[38]           Je considère que la décision de l’officier désigné est déraisonnable, et ce, pour les motifs qui suivent.

 

[39]           Je tiens à souligner au départ qu’il y a eu certaines irrégularités dans ce dossier.

 

[40]           D’une part, l’article 4 des Consignes prévoit qu’il revient à l’agent du Programme des relations fonctionnelles de décider si un membre peut ou non représenter un autre membre. Or, en l’espèce, il n’y a aucune décision de l’agent du Programme; la décision a été prise directement par Me Chrétien en son nom et au nom de l’ensemble des avocats du GRM.

 

[41]           D’autre part, l’article 4 des Consignes prévoit que lorsque l’agent du Programme des relations fonctionnelles refuse d’autoriser la représentation, il doit en aviser le membre qui a fait une demande de service et, le cas échéant, il doit lui envoyer un « avis motivé ». Or, en l’espèce, le demandeur n’a reçu aucun avis de la part de Me Chrétien, du responsable du GRM ou de quiconque pour l’informer officiellement que Me Chrétien et le GRM refusaient de continuer de le représenter à l’égard des mesures disciplinaires dont il fait toujours l’objet. La lettre envoyée par Me Chrétien au demandeur le 17 juillet 2009 indiquait bien qu’elle considérerait son mandat révoqué si elle ne recevait pas de confirmation de mandat dans les deux jours, mais Me Patry lui a confirmé dans la lettre qu’elle lui a envoyée le 23 juillet 2009, que le demandeur n’entendait pas révoquer son mandat. On peut présumer bien des choses de l’échange de correspondance entre Me Chrétien et le demandeur, de la lettre de Me Patry du 23 juillet 2009 et de la lettre que Me Chrétien a fait parvenir le 24 juillet 2009 au président du comité d’arbitrage, mais il n’en demeure pas moins que Me Chrétien et le GRM n’ont jamais formellement avisé le demandeur qu’ils cessaient toute représentation. Dans sa lettre au président du comité d’arbitrage, Me Chrétien a invoqué l’article 3.03.04 du Code de déontologie pour justifier sa décision, précisant qu’elle ne pouvait divulguer les motifs l’ayant amené à cesser d’occuper. Or, cet article couvre plusieurs situations :

                        […]

3.03.04 L’avocat peut, pour un motif sérieux et sauf à contretemps, cesser d’agir pour le client, à la condition de faire tout ce qui est immédiatement nécessaire pour prévenir une perte.

 

Constituent notamment des motifs sérieux :

 

a)      la perte de la confiance du client;

b)      le fait d’être trompé par le client ou son défaut de collaborer;

c)      l’incitation, de la part du client, à l’accomplissement d’actes injustes ou immoraux;

d)      la persistance, de la part du client, à continuer une poursuite futile ou vexatoire;

e)      le fait que l’avocat soit en situation de conflit D’intérêts ou dans un contexte tel que son indépendance professionnelle puisse être mise en doute;

f)        le refus par le client de reconnaître ne obligation relative aux frais, déboursés et honoraires ou, après un préavis raisonnable, de verser à l’avocat une provision pour y pourvoir.

 

L’avocat doit, lorsque le client l’incite à l’accomplissement d’un acte illégal ou frauduleux et après l’avoir avisé su caractère illégal ou frauduleux de l’acte qu’il se retirerait du dossier s’il persiste, cesser d’agir pour le client.

 

[…]

 

 

[42]           Me Chrétien n’a pas informé le président du comité d’arbitrage des motifs précis pour lesquels le GRM cessait de représenter le demandeur et aucun avis formel n’a été acheminé au demandeur. L’article 4 des Consignes n’a donc clairement pas été respecté.  

 

[43]           Lorsqu’un membre répond aux exigences prévues à l’article 47.1 de la Loi et à l’article 1 des Consignes, il a, en principe, le droit d’être représenté par le GRM. Les circonstances dans lesquelles le GRM peut refuser de représenter un membre constituent des exceptions à ce principe de base et l’article 3 des Consignes prévoit les motifs qui peuvent justifier un refus de représentation. Ces motifs couvrent plusieurs situations différentes. En l’espèce, nous ne savons pas avec certitude lequel de ces motifs a motivé la décision de Me Chrétien et celle du GRM. Les parties ne s’entendent même pas sur le motif en cause; le demandeur soutient que le GRM a invoqué le motif du conflit d’intérêts, alors que le défendeur soutient que le motif en cause est plutôt celui lié à l’efficacité et à la bonne administration de la GRC. Le défendeur soutient à titre alternatif que les deux motifs peuvent s’appliquer au présent dossier.  

 

[44]           Le mandat de l’officier désigné consistait à confirmer ou annuler la décision du GRM de refuser la poursuite de la représentation du demandeur. Comme le refus qui faisait l’objet de révision devait lui-même faire l’objet d’un « avis motivé », la décision de l’officier désigné appelé à confirmer ou infirmer cette décision devait, à mon avis, elle aussi être motivée. L’article 3 des Consignes prévoit des motifs qui renvoient à des circonstances bien distinctes et différentes qui sont des exceptions au principe général de la représentation. Dans ce contexte, je considère qu’un « avis motivé » doit à tout le moins préciser le ou les motifs invoqués pour justifier la décision de refuser de représenter un membre.

 

[45]           En l’espèce, l’officier désigné a conclu que la décision de Me Chrétien était « appropriée dans les circonstances » et que l’absence de lien de confiance entre le demandeur et le GRM rendait impossible toute représentation future du demandeur par le GRM. Avec égards, le mandat de l’officier désigné n’était pas de déterminer si elle jugeait le refus approprié dans les circonstances. Son mandat consistait plutôt à déterminer si le refus de Me Chrétien et du GRM de cesser de représenter le demandeur en regard de ses avis disciplinaires était fondé sur l’une des circonstances prévues à l’article 3. Elle a bien conclu à la fin de sa décision que le refus était justifié en vertu de l’article 3 des Consignes, mais elle n’a pas fait le lien entre son raisonnement et les motifs prévus à l’article 3 des Consignes. Comme la décision du GRM n’avait elle-même pas fait l’objet d’un avis motivé, il était d’autant plus important que l’officier désigné informe le demandeur du ou des motifs prévus à l’article 3 des Consignes qui, à son avis, justifiait la décision du GRM de refuser de continuer à le représenter.

 

[46]           Avec égards, je ne partage pas la proposition du défendeur lorsqu’il soutient qu’il est évident que les conclusions de fait de l’officier désigné tombent sous le coup des circonstances prévues à l’article 3 des Consignes et que ceci suffit pour rendre sa décision raisonnable. D’abord, je ne suis pas en mesure d’inférer, sans ajouter à la décision de l’officier désigné, le ou les motifs prévus à l’article 3 des Consignes qui, à son avis, justifiaient la décision du GRM. Comme je l’ai mentionné précédemment, les avocats au dossier ne s’entendent pas eux-mêmes sur les motifs en cause.

 

[47]           D’autre part, si je présume que les motifs en cause sont ceux invoqués par les parties, soit le conflit d’intérêts ou l’efficacité et la bonne administration de la GRC, je ne peux pas non plus, sans ajouter à la décision de l’officier désigné, comprendre le fondement de sa décision. Pourquoi l’officier désigné a-t-elle jugé que la représentation du demandeur créait un conflit d’intérêts pour Me Chrétien et pour tous les autres avocats du GRM? Pourquoi l’officier désigné a-t-elle jugé que la représentation du demandeur nuirait à l’efficacité et à la bonne administration de la GRC ?  La décision est silencieuse à ces égards.

 

[48]           Dans Dunsmuir, au para 47, la Cour suprême a précisé les caractéristiques que doit posséder une décision pour être jugée raisonnable :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[49]           Je considère qu’en l’espèce, il est impossible, sans ajouter aux motifs de la décision, de déterminer s’il était raisonnable de conclure que la décision du GRM était valablement justifiée par l’une des circonstances prévues à l’article 3 des Consignes. Je considère donc que la décision de l’officier désigné ne possède pas les attributs de justification et d’intelligibilité requis pour la rendre raisonnable.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’officier désigné Louise Lafrance est cassée et le dossier est retourné pour un nouvel examen par un autre officier désigné. Le tout avec dépens.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 

 

                  


 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2182-10

 

INTITULÉ :                                       FRANK VAILLANCOURT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jasmine Patry

 

POUR LE DEMANDEUR

Lindy Rouillard-Labbé

Bernard Letarte

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jasmine Patry

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.