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 Date : 20120119


Dossier : IMM-3903-11

Référence : 2012 CF 69

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 19 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

VERONICA BEATRIZ FERNANDEZ RAMIREZ

ROBERTO CARLOS JIMENEZ CANO

 

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               Aussi difficile que cela puisse être pour les officiers de justice (qui ne sont que des officiers de justice, pas des législateurs ou des membres de l’exécutif du gouvernement) que d’observer les effets de la criminalité généralisés dans certains pays ou d’en prendre connaissance, conformément à la jurisprudence relative à l’application de la législation, la criminalité généralisée, considérée comme un risque généralisé pour des segments d’une certaine population ou un segment important d’une certaine population, ne peut, en soi, être un motif pour accorder le statut de réfugié. (Ce sont les entités nationales ou les pays qui doivent assumer la responsabilité de la sécurité de leurs populations en les protégeant contre la criminalité généralisée; il ne s’agit pas là de la responsabilité légale des États qui accueillent des réfugiés.)

 

II. La procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), relativement à la décision, datée du 17 mai 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse principale n’avait pas la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

III. Les faits

[3]               La demanderesse principale, Mme Veronica Beatriz Fernandez Ramirez, de même que son conjoint de fait, M. Roberto Carlos Jimenez Cano, sont citoyens du Salvador, et ils disent craindre d’être persécutés par des membres du gang Mara Salvatrucha (les Maras) s’ils retournent au Salvador.

 

[4]               La demanderesse principale allègue que, en 2004, elle a été victime de harcèlement de la part d’un individu du nom d’Alberto, un membre des Maras vivant dans son quartier.

 

[5]               La famille de la demanderesse principale possède une entreprise de jardinage qui embauche des jeunes de l’endroit. La demanderesse principale allègue que, le 12 juillet 2005, son frère a été victime d’un vol, tard dans la nuit, en se rendant au travail. Il a aussi essuyé des coups de feu.

 

[6]               Après cet incident, la demanderesse principale et son frère sont allés se cacher.

 

[7]               La demanderesse principale allègue qu’elle et son frère ont été repérés par le gang et que, pour cette raison, ils se sont installés au domicile d’un ami, non loin d’où ils habitaient, et qu’ils ont ensuite déménagé chez leur grand-père, à Suchitoto. En janvier 2006, leur sœur, harcelée par un membre du gang, les a rejoints. La demanderesse principale et sa sœur sont par la suite retournées chez elles, et son frère est resté caché jusqu’en décembre 2006.

 

[8]               La demanderesse principale allègue qu’en novembre 2006, la police a fait une descente dans le quartier où vivait la famille et que de nombreux membres du gang ont pris la fuite, ont été arrêtés ou ont été tués. Selon elle, en 2007, les problèmes liés au gang ont été peu fréquents.

 

[9]               En mars 2007, Alberto est revenu dans le quartier et l’a harcelée de nouveau.

 

[10]           La demanderesse principale a quitté le Salvador et est arrivée au Canada le 25 juillet 2007, à titre de travailleuse étrangère temporaire.

 

[11]           En avril 2009, sa famille a été victime de vandalisme et d’extorsion, parce que les Maras avaient découvert que la demanderesse principale envoyait de l’argent depuis le Canada.

 

[12]           Le 9 février 2010, la demanderesse principale a demandé l’asile au Canada.

 

IV. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[13]           La Commission n’a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse principale. Elle a conclu que cette dernière n’était pas une réfugiée. Elle a jugé que la crainte qu’éprouvait la demanderesse principale était attribuable à la criminalité généralisée, et a donc conclu qu’elle n’avait pas la qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

[14]           Conformément à la preuve documentaire, la Commission a conclu qu’au Salvador, la criminalité était un problème généralisé et que le risque que courait la demanderesse principale était un risque auquel s’exposait un segment considérable de la population du pays. La Commission a donc conclu qu’il n’existait aucun risque personnel.

 

V. La question en litige

[15]           La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse relative à l’article 97 de la LIPR?

 

VI. Les dispositions législatives applicables

[16]           Les articles 96 et 97 de la LIPR s’appliquent en l’espèce :

 

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Convention refugee

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

VII. La position des parties

[17]           La demanderesse principale soutient que la violence généralisée dont fait état la preuve relative à la situation au Salvador établit l’existence d’une crainte fondée de persécution; la Commission a donc commis une erreur en concluant que la demanderesse principale n’était pas personnellement visée. Par ailleurs, elle aurait dû tenir compte du fait que le frère de la demanderesse principale avait essuyé des coups de feu et que les Maras avaient prévu la tuer.

 

[18]           Le défendeur soutient que la Commission était justifiée de conclure que la demanderesse principale et sa famille avaient été victimes de violence généralisée de la part des Maras à cause de la situation financière attribuable à leur entreprise familiale. La demanderesse principale étant exposée au même risque que la population du Salvador en général, la Commission a conclu qu’elle ne courait pas un risque personnel.

 

VIII. Analyse

[19]           La norme de contrôle est la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[20]           Pour ce qui est du risque généralisé, la Cour a déclaré, notamment dans la décision Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 991 :

[15]      Dans Innocent c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 1019, [2009] A.C.F. no 1243, au par. 67, la Cour a conclu que le fait qu’une personne ait été personnellement victime de criminalité n’en fait pas en soit [sic] une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. L’affaire Acosta Acosta c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2009 CF 213, [2009] A.C.F. no 270, mettait en cause des faits similaires à ceux en l’espèce où le demandeur avait été la cible personnelle des Maras au Honduras et avait établi qu’il était toujours recherché par le gang. La Cour a réitéré les principes énoncés dans Prophète et a conclu ce qui suit :

 

[...] Il n’est pas plus déraisonnable de conclure qu’un groupe particulier, que ce soit les personnes chargées de la perception du prix des billets d’autobus ou d’autres victimes d’extorsion qui ne payent pas, est exposé à de la violence généralisée que de tirer la même conclusion à l’égard des riches hommes d’affaires en Haïti qui, selon ce qu’on a clairement conclu, sont exposés à un risque plus important de violence que celle qui sévit dans ce pays (paragraphe 16).

 

[16]      Dans Ventura De Parada, le Juge Zinn a repris ces mêmes principes et s’est exprimé comme suit au paragraphe 22 :

 

Je suis d’accord avec mes collègues pour affirmer qu’un risque élevé auquel est exposé un sous-groupe de la population n’est pas personnalisé si l’ensemble de la population est généralement exposé au même risque, quoique moins fréquemment. Je suis également d’avis que, si un sous-groupe est d’une taille telle que l’on peut affirmer que le risque auquel il est exposé est répandu, alors il s’agit d’un risque généralisé.

 

[17]      Les mêmes principes ont également été appliqués par le juge Boivin dans Perez.

 

[18]      Je reconnais que le demandeur est susceptible d’être à nouveau l’objet d’extorsion et de menaces de la part de gangs s’il retourne au Salvador, mais son risque est comparable à celui encouru par toute la population. Le fait qu’il ait déjà été victime d’extorsion de la part des Maras ne suffit pas pour que son risque soit reconnu comme étant un risque personnalisé, puisque tous les citoyens du Salvador risquent de faire l’objet d’extorsion de la part des gangs. La preuve ne permet pas d’appuyer une conclusion suivant laquelle le fait d’avoir déjà été victime d’extorsion de la part de membres de gangs rend une personne plus susceptible de faire à nouveau l’objet d’extorsion. Je considère donc que la conclusion de la Commission est raisonnable : elle est fondée sur la preuve, elle est bien articulée et elle appartient aux « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au par. 47). [Non souligné dans l’original.]

 

[21]           En l’espèce, la conclusion de la Commission est étayée par la preuve, et il semble effectivement que la situation financière de la famille soit le mobile pour lequel les Maras sont entrés en contact avec la famille de la demanderesse principale.

 

[22]           La Commission a qualifié de manière raisonnable le risque couru par la demanderesse de risque d’extorsion, un risque auquel s’exposent, comme le reconnaît la demanderesse principale, de nombreuses personnes à cause des Maras.

 

[23]           La demanderesse principale soutient que sa présence au Canada a aggravé l’ampleur des demandes d’extorsion. À cet égard, elle n’a présenté sa demande d’asile qu’en février 2010, même si elle se trouvait au Canada à titre de travailleuse temporaire depuis juillet 2007.

 

[24]           La demanderesse principale craint qu’elle soit encore plus ciblée si elle retourne dans son pays d’origine, parce qu’on la considère comme fortunée. Selon la jurisprudence, il n’est pas question ici d’une affaire de risque personnel, comme il a été décrété dans la décision Guifarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182 :

[32]      Compte tenu que les deux éléments visés au sous‑alinéa 97(1)b)(ii) doivent être conjugués, la personne qui demande l’asile en vertu de l’article 97 doit démontrer non seulement l’existence probable d’un risque personnalisé visé à cet article, mais également qu’il s’agit d’un risque auquel « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne [...] sont généralement pas [exposées] ». Par conséquent, la SPR ne commet pas d’erreur en rejetant la demande d’asile présentée en vertu de l’article 97 si elle conclut que le risque personnalisé auquel le demandeur serait exposé est partagé par un sous-groupe de personnes suffisamment important pour que le risque puisse être raisonnablement qualifié de répandu ou de courant dans le pays en cause. Il en est ainsi même si ce sous-groupe peut être ciblé avec précision. Et cela est particulièrement vrai lorsque le risque découle d’un comportement ou d’activités criminelles.

 

[33]      Compte tenu de la fréquence avec laquelle les arguments avancés en l’espèce continuent d’être présentés quant à l’application de l’article 97, j’estime qu’il est nécessaire de souligner qu’il est désormais bien établi en droit que les demandes d’asile fondées sur le fait que le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible de l’être à l’avenir ne répondront pas aux exigences du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR lorsque (i) le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible d’être ciblé dans son pays d’origine en raison de son appartenance à un sous-groupe de personnes rentrées de l’étranger ou considérées comme nanties pour d’autres raisons et que (ii) ce sous-groupe est suffisamment important pour que ce risque puisse raisonnablement être qualifié de répandu ou de courant dans ce pays. À mon sens, un sous-groupe formé de milliers de personnes serait suffisamment important pour que le risque auquel ces personnes sont exposées soit considéré comme répandu ou courant dans leur pays d’origine, et donc, comme « général » au sens du sous‑alinéa 97(1)b)(ii), et ce, même si ce sous-groupe ne représente qu’un faible pourcentage de la population de ce pays. [Non souligné dans l’original.]

 

[25]           Pour qu’il soit justifié que la Cour intervienne, la demanderesse principale se doit d’établir que la décision de la Commission est déraisonnable à l’égard de la preuve. La demanderesse principale n’est pas en mesure de substituer simplement son opinion à celle de la Commission.

 

VIII. Conclusion

[26]           Si on les considère dans leur intégralité, les circonstances précises de la présente affaire reflètent bel et bien des résultats déterminés par la jurisprudence susmentionnée. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3903-11

 

INTITULÉ :                                       VERONICA BEATRIZ FERNANDEZ RAMIREZ

                                                            ROBERTO CARLOS JIMENEZ CANO c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Juan Marquez de Cardenas

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Charles Junior Jean

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Juan Marquez de Cardenas

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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