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Date : 20120123


 Dossier : IMM-657-11

Référence : 2012 CF 86

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2012

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

 

JOSE FERNANDO ACEVEDO MUNOZ

OLGA LUCIA VALENCIA HERRERA

JUAN FERNANDO ACEVEDO VALENCIA

SANTIAGO ACEVEDO VALENCIA

 

 

 

Demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

Défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Jose Fernando Acevedo Munoz (le demandeur principal), Olga Lucia Valencia Herrera, Juan Fernando Acevedo Valencia et Santiago Acevedo Valencia (les demandeurs), demandent le contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi) d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 6 janvier 2011, par laquelle la Commission a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger (la décision).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande des demandeurs sera accueillie.

 

[3]               Les demandeurs sont un mari, sa femme et leurs deux fils mineurs. Ils sont citoyens de la Colombie et craignent les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC).

 

[4]               Les faits suivants sont tirés des paragraphes 4 à 6 de la décision :

En 1998, [le demandeur principal] était propriétaire d’une ferme à Abejorral, dans la région de Verada, à Antioquia, et vivait avec sa famille dans les environs, à Medellín. Il faisait partie du groupe d’action communautaire (Junta de Acción Comunal – JAC) à Verada. Il a expliqué que, en mars 1999, il a reçu une première note du front 47 des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), qui le menaçait de lui causer des ennuis parce qu’il contrecarrait les activités des FARC; le demandeur d’asile principal a cru qu’il était question de son travail lié aux programmes de la JAC destinés aux jeunes, qui avaient pour but de faire obstacle au recrutement des jeunes de la région par les FARC. En avril 1999, les FARC ont dynamité un projet de la JAC visant la déviation d’un cours d’eau, et elles ont laissé des notes sur les lieux pour affirmer leur contrôle dans la région. La JAC a sollicité l’aide de la police locale, qui lui a dit qu’elle ne pouvait rien faire. Le demandeur d’asile principal a affirmé que, en mai 1999, il a échappé à un camion qui semblait le suivre en s’arrêtant à côté d’un camion de transport rempli de bananes. Lorsqu’il est arrivé à sa ferme, son contremaître lui a donné une deuxième note provenant des FARC; deux hommes en camion l’avaient laissée en disant qu’il leur avait échappé cette fois, mais qu’il était dans leur mire. Le demandeur d’asile principal a déduit que la note venait des FARC. Il a affirmé que, un mois plus tard, les FARC ont laissé une troisième note sur le corps d’une vache de sa ferme qu’elles avaient tuée; la note disait que c’est lui qui mourrait la prochaine fois. Il a encore signalé l’incident à la police locale, qui lui a dit qu’elle ne pouvait pas faire grand-chose, car l’incident portait seulement sur la mise à mort de deux de ses vaches et que la région était reconnue pour être une « zone rouge » des FARC. Malgré toutes ces notes, il a continué de s’occuper de sa ferme jusqu’en juillet 1999, lorsqu’il a reçu une balle dans le dos en tenant de fuir les guérilleros qui se trouvaient à la ferme. Il a pu se rendre dans une ferme voisine, où son voisin l’a conduit chez un médecin à Albejorral pour qu’il y reçoive des soins.

 

En août 1999, pendant qu’il se remettait de sa blessure à la maison, à Medellín, son épouse a reçu un sufragio (lettre de condoléances) des FARC pour la mort de son mari. Le demandeur d’asile principal a aussi reçu un appel d’un collègue de la JAC, le père Leonardo, qui lui a dit que des guérilleros des FARC qui avaient récemment été arrêtés par les autorités possédaient une liste de cibles, parmi lesquelles figuraient le demandeur d’asile principal et d’autres membres de la JAC.

 

Comme le demandeur d’asile principal et sa famille avaient déjà des visas états-uniens obtenus en 1998 en vue de vacances aux États‑Unis, ils ont quitté la Colombie le 18 août 1999 à destination ce pays.

 

[5]               En mai 2006, les demandeurs ont présenté une demande d’asile aux États-Unis, mais la demande a été rejetée le 1er octobre 2009. Juste avant le dépôt de la demande aux États-Unis, le neveu du demandeur principal lui a envoyé une note des FARC.

 

[6]               Le 18 novembre 2009, les demandeurs sont venus au Canada et ont demandé l’asile à leur arrivée.

 

LA DÉCISION

 

[7]               La Commission a tiré la conclusion suivante sous le titre « Conclusion » :

Le tribunal conclut que les demandeurs d’asile bénéficient d’une protection de l’État adéquate en Colombie et que, par conséquent, ils n’ont pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

 

[8]               La commission a aussi fait des remarques incidentes sur d’autres questions, y compris :

·         la question de savoir si le demandeur principal aurait dû déployer des efforts plus grands pour obtenir la protection de l’État en 1999;

·         la question de savoir si l’absence des notes que les demandeurs ont reçues de la part des FARC en 1999 jette un doute sur la crédibilité du récit que le demandeur a fait des événements pertinents;

·         la question de savoir si la note des FARC produite par le neveu du demandeur principal en 2006 était un faux et celle de savoir si la Commission aurait dû soulever ses préoccupations au sujet de cette note à l’audience.

 

[9]               Il est évident que la décision n’est fondée réellement que sur les conclusions de la Commission selon lesquelles (i) lorsque la décision a été rendue en janvier 2011, la Colombie était une démocratie fonctionnelle et (ii) les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État.

 

[10]           Dans les circonstances, je ne traiterai pas des questions décrites ci-dessus qui ont fait l’objet de remarques incidentes. Je traiterai seulement du caractère raisonnable de la conclusion de la Commission au sujet de l’existence de la protection de l’État.

 

[11]           Le demandeur principal soutient que la Commission a mal évalué le fondement de sa demande d’asile dans son analyse au sujet de l’existence actuelle de protection de l’État.

 

[12]           Le demandeur principal note qu’il a été visé comme cible militaire par les FARC, comme d’autres membres de la JAC, et que son formulaire de renseignements personnels montre que sa demande d’asile est fondée sur son opinion politique. Il est d’avis que les FARC le voient comme un ennemi politique principalement parce que, dans le cadre de son bénévolat, il a gêné les efforts de recrutement des FARC en montrant à de jeunes hommes à développer leurs compétences et apprendre des métiers.

 

[13]           Le demandeur principal soutient que la Commission semble avoir cru qu’il craignait d’être victime d’extorsion par les FARC et non que sa crainte était fondée sur son appartenance à la JAC.

 

[14]           La conclusion générale de la Commission est la suivante :

 […] Selon la preuve documentaire, les FARC ciblent toujours les politiciens bien en vue, les principaux défenseurs des droits de la personne et les hautes instances de l’armée, de la police et de la magistrature dans certaines régions du pays. En novembre dernier, elles ont revendiqué l’enlèvement et le meurtre d’un gouverneur d’un département. La preuve documentaire ne démontre pas, cependant, que les FARC ciblent des petites gens pour leur extorquer des choses sans importance ni qu’elles suivent leurs déplacements d’un bout à l’autre de ce vaste pays.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[15]           À mon avis, cette conclusion laisse entendre que la Commission a seulement examiné si des personnes risquant d’être victimes d’extorsion mineure seraient recherchées et ciblées par les FARC si elles retournaient en Colombie.

 

[16]           De plus, lorsque la Commission a traité des lignes directrices sur l’admissibilité des réfugiés du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés, elle a déclaré :

 […] En outre, cette source grandement respectée énumère 11 groupes qui sont ciblés par les FARC et qui ressemblent à ceux relevés précédemment par le Département d’État des États-Unis. Rien n’indique que les FARC ciblent les gens qui n’ont pas payé les fonds exigés.

[Non souligné dans l’original.]

 

[17]           Une fois de plus, à mon avis, il semble que la Commission n’a examiné les documents que pour déterminer si une personne risquant d’être victime d’extorsion serait ciblée par les FARC.

 

[18]           De plus, lorsqu’elle a traité de la directive opérationnelle du ministère de l’intérieur du Royaume-Uni pour la Colombie, la Commission a déclaré :

 […] Il importe de noter que le caractère inadéquat de la protection touche les personnes dont il est question au paragraphe 3.6.4 ci‑dessus, et non les victimes communes de tentatives d’extorsion […]

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]           Je note que la Commission a fait directement référence au demandeur principal au paragraphe 34 de la décision, lorsqu’elle a écrit :

 […] En fonction de la description de ses activités et de son travail donnée dans ses allégations, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile principal n’a pas le profil susmentionné d’une cible de valeur aux yeux des FARC.

 

 

[20]           Cependant, la Commission n’a pas expliqué précisément sa compréhension des allégations et, compte tenu du fait qu’elle avait axé son examen précédent sur les victimes d’extorsion, je ne suis pas convaincue que la Commission a bien compris la demande du demandeur principal.

 

[21]           Au paragraphe 37 de la décision, la Commission a de nouveau mentionné précisément le demandeur lorsqu’elle a déclaré :

En outre, compte tenu de la capacité considérablement réduite des FARC, de leur territoire, de leur fragmentation et de la destruction de leur commandement central, et compte tenu des dix années que le demandeur d’asile principal et ses codemandeurs d’asile ont passées à l’extérieur de la Colombie, je ne crois pas, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs d’asile se trouvent toujours dans les banques de données des FARC sur les cibles militaires.

 

[22]           Ce passage démontre que la Commission savait que le demandeur principal avait été ciblé par les FARC mais, à mon avis, il ne montre pas clairement que la Commission a tenu compte du fait que le demandeur avait été ciblé en raison de ses opinions politiques à titre de membre de la JAC.

 

[23]           Pour tous ces motifs, j’ai conclu que la décision est déraisonnable parce que la Commission a analysé l’existence de la protection de l’État en fonction d’une mauvaise compréhension selon laquelle le demandeur principal craignait d’être victime d’extorsion aux mains des FARC.

 

[24]           Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner les allégations des demandeurs selon lesquels la Commission n’a pas adéquatement tenu compte de la preuve au sujet de la protection de l’État qui a été déposée en leur nom.

 

LA QUESTION CERTIFIÉE

 

[25]           L’avocat du demandeur a posé la question suivante pour certification :

[traduction]

Le principe établi dans l’affaire Rahim pour les demande de visa, selon lequel le décideur qui soupçonne que certains documents sont frauduleux doit donner à la personne visée la chance de répondre à ces soupçons, s’applique-t-il aux demandes d’asile ?

 

[26]           L’avocat du défendeur a soutenu que la réponse à cette question ne serait pas déterminante en l’espèce parce que la décision était fondée sur l’existence de la protection de l’État. Je suis du même avis et, par conséquent, je ne certifierai pas la question.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la question de l’existence actuelle de la protection de l’État pour les demandeurs en Colombie fasse l’objet d’un nouvel examen par un commissaire différent de la Commission, qui devra décider :

 

(i)                 Si les FARC auraient un intérêt à chercher et à attaquer le demandeur principal en raison du bénévolat qu’il faisait pour la JAC, qui a fait en sorte que son nom apparaît sur la liste de cibles du FARC. En d’autres mots, le demandeur principal a-t-il le profil des cibles actuelles des FARC ? Si la réponse est positive;

(ii)               Si les FARC ont actuellement la capacité de chercher des personnes qui reviennent de l’étranger. Si la réponse est positive;

(iii)             Si les demandeurs pourraient se prévaloir de la protection de l’État.

 

Les demandeurs pourront présenter de nouveaux documents pour le nouvel examen.

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


 COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-657-11

 

INTITULÉ :                                      JOSE FERNANDO ACEVEDO MUNOZ et al c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 10 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack C. Martin

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alexis Singer

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jack C. Martin

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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