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Date : 20120124


Dossier : IMM-3011-11

Référence : 2012 CF 95

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

YIXIN CHEN

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Yixin Chen (la demanderesse), conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 (LIPR), d’une décision datée du 30 mars 2011 par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs énoncés ci‑dessous.

 

II.        Faits

 

[3]               La demanderesse, une citoyenne de la République de Chine âgée de 23 ans, dit craindre la persécution parce qu’elle pratique le Falun Gong.

 

[4]               Après avoir obtenu un diplôme de l’école secondaire no 65 de Guangzhou, elle a échoué à son examen d’admission à l’université en juillet 2008. Elle a alors commencé à chercher un emploi, en vain. Avec le passage du temps sont apparus un état de frustration et de dépression et des problèmes d’insomnie.

 

[5]               Le jour de l’An 2009, la demanderesse a été présentée à Mme Meifang Yang, une amie de sa mère. Ayant été informée de sa situation, cette femme a invité la demanderesse chez elle en lui disant qu’elle pouvait peut‑être lui venir en aide.

 

[6]               Le lendemain, la demanderesse a rencontré Mme Hong Li au domicile de Mme Yang. Les deux femmes ont initié la demanderesse au Falun Gong, lui expliquant que cette pratique d’union du corps et de l’esprit vise un idéal supérieur de vérité, de compassion et de tolérance.

 

[7]               La lecture du livre Zhuan Falun a accru l’intérêt de la demanderesse pour le Falun Gong. Elle a commencé à apprendre les cinq enchaînements du Falun Gong en février 2009 et elle a vu son état s’améliorer radicalement au cours des trois mois suivants. Elle ne faisait plus d’insomnie, et son état de dépression et de frustration avait disparu. Elle s’exerçait avec le groupe de Mmes Yang et Li.

 

[8]               Le 15 novembre 2009, Mme Li a téléphoné à la demanderesse pour la prévenir que Mme Yang et son groupe d’enseignants avaient été arrêtés par le Bureau de la sécurité publique (BSP). Mme Li a suggéré à la demanderesse de se cacher.

 

[9]               La demanderesse s’est immédiatement rendue au domicile de son amie situé en banlieue de Guangzhou. Pendant qu’elle était cachée, la demanderesse a appris que des agents du BSP s’étaient présentés au domicile de ses parents pour l’arrêter. Ils ont aussi menacé ses parents pour découvrir où elle se cachait.

 

[10]           Pour aider la demanderesse à s’enfuir, ses parents ont réservé un vol à destination du Canada. Elle est arrivée au Canada le 3 janvier 2010 et a fait une demande d’asile le 6 janvier 2010.

 

[11]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas produit une preuve crédible suffisante pour corroborer son allégation selon laquelle elle était réellement une adepte du Falun Gong en Chine et au Canada. Elle a également conclu que la demanderesse n’était pas crédible. Le tribunal a donc jugé qu’il n’existait pas une possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée ni exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque de subir la torture si elle retournait en Chine.

III.       Dispositions législatives

 

[12]           Voici le libellé des articles 96 et 97 de la LIPR :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

 

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

IV.       Question en litige et norme de contrôle

 

A.        Question en litige

 

[13]           Une seule question est soulevée en l’espèce :

 

·                    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas crédible?

 

B.        Norme de contrôle

 

[14]           La crédibilité est une question de fait qui doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (voir Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, [2010] A.C.F. no 673, au paragraphe 11). La Cour doit établir « si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.S.C. no 9, au paragraphe 47).

 

V.        Observations des parties

 

A.        Observations de la demanderesse

 

[15]           La Commission a jugé que la demanderesse avait une bonne compréhension de la théorie du Falun Gong, mais a néanmoins conclu qu’elle avait acquis ces connaissances « aux fins de la présentation d’une fausse demande d’asile »  (voir la décision de la Commission, au paragraphe 29). La demanderesse estime que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en présumant qu’elle a acquis des connaissances au sujet du Falun Gong dans le seul but de présenter une fausse demande d’asile. Elle invoque à l’appui la décision Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 533, au paragraphe 13 (Zhang), dont voici un extrait :

[…] il est possible que Mme Zhang ait acquis ses connaissances du Falun Gong au Canada. Il est tout aussi possible que ses connaissances du Falun Gong aient été acquises en Chine. Il n’y a aucun fait établi, et certainement aucun mentionné par la Commission, selon lequel la Commission pouvait conclure qu’il était plus probable que les connaissances de Mme Zhang avaient été acquises au Canada. La conclusion selon laquelle la Commission a rejeté le témoignage de Mme Zhang concernant ses connaissances du Falun Gong constituait donc une conjecture parce que non étayée par la preuve.

 

[16]           Dans son mémoire, la demanderesse s’appuie aussi sur la décision Song c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1321, au paragraphe 69 (Song) pour déclarer que la Commission a commis une erreur en fondant sa décision sur une simple hypothèse étant donné qu’elle ne disposait d’aucune élément de preuve pour étayer sa conclusion.

 

[17]           La Commission a également rejeté l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait échoué à son examen d’admission à l’université, déclarant « […] que la capacité de la demandeure d’asile de citer des ‘chapitres’ et des ‘versets’ du Zhuan Falun ne correspond pas à la capacité intellectuelle d’une personne dont les résultats à l’école secondaire sont tout au plus médiocres » (voir la décision de la Commission, au paragraphe 12). La demanderesse soutient que rien dans la preuve ne permettait à la Commission de conclure que sa connaissance du Falun Gong dénote une capacité intellectuelle supérieure qui lui aurait permis de réussir son examen d’admission à l’université.

 

[18]           La Commission a tiré une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité de la demanderesse parce qu’elle n’a présenté aucun document prouvant qu’elle avait passé des examens d’admission à l’université. Dans Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 974, la Cour a conclu que l’absence de preuve corroborante ne constituait pas un fondement suffisant pour douter de la crédibilité de l’intéressée.

 

[19]           De plus, selon la demanderesse, la Commission a jugé, à tort, que la demanderesse n’était pas crédible parce qu’elle avait omis certains détails dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Elle a expliqué que les personnes qui pratiquent le Falun Gong pour une raison telle la guérison ne peuvent profiter de ses bienfaits. Par contre, elle a aussi déclaré que sa motivation première à pratiquer le Falun Gong était de régler ses problèmes d’insomnie et de dépression. La demanderesse affirme avoir fourni une explication raisonnable à ce sujet durant l’audience, en disant qu’elle « avait, au fil du temps, été en mesure de se défaire de son objectif de guérison » et que « ses pensées et ses opinions avaient changé avec le temps » (voir la décision de la Commission, au paragraphe 16).

 

[20]           La Commission a rejeté cette explication parce que la demanderesse n’avait pas déclaré dans son FRP que sa vision du Falun Gong avait changé. La demanderesse affirme que cette omission est sans importance. Selon elle, les décisions Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 868 et Afonso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 51, s’appliquent en l’espèce. Dans les deux cas, la Cour a conclu qu’une omission de ce genre ne devrait pas porter à la demande d’asile un coup aussi fatal qu’une contradiction directe.

 

[21]           En somme, la demanderesse prétend que la Commission a fait une analyse microscopique des éléments de preuve qu’elle a présentés et qu’elle a ainsi négligé les éléments essentiels. Dans Djama c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 531, la Cour a conclu que la Commission avait exagéré l’importance de quelques détails et perdu de vue l’essentiel des faits sur lesquels reposait la demande d’asile.

 

[22]           La demanderesse prétend que la Commission a examiné à la loupe les éléments de preuve qu’elle a présentés. Selon la Commission, la demanderesse a omis de dire qu’on l’avait avisée de garder le livre Zhuan Falun caché et a négligé d’inclure ce fait dans son FRP. De plus, aux yeux de la Commission, il était invraisemblable que la demanderesse commence à pratiquer le Falun Gong en lisant le livre. Enfin, elle a jugé invraisemblable qu’elle reçoive du courrier de la Chine à son nom si elle était réellement recherchée par les autorités chinoises (voir la décision de la Commission aux paragraphes 13, 14, 15 et 18). La demanderesse prétend que ces conclusions ne sont pas déterminantes en l’espèce.

 

[23]           Par ailleurs, la Commission a refusé d’accorder du poids à un document signé par les soi‑disant compagnons de pratique de la demanderesse. Selon cette dernière, la Commission a appliqué la mauvaise norme de preuve dans son analyse en exigeant que la demanderesse prouve l’authenticité de sa pratique religieuse. « [L]a norme de preuve civile constitue la bonne façon d’apprécier la preuve » (voir Alam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 4, au paragraphe 8 (Alam)).

 

[24]           Enfin, la demanderesse souligne que la Commission a douté de l’authenticité de sa carte d’identité de résident (CIR) bien qu’elle ait déclaré, au paragraphe 5 de ses motifs, que cette même pièce d’identité était authentique.

 

B.        Observations du défendeur

 

[25]           Selon le défendeur, la Commission a tiré des conclusions raisonnables à l’égard de la crédibilité. La Commission est habilitée à tirer des conclusions à l’égard des faits et de la crédibilité. Une cour de révision doit donc se garder d’intervenir à moins que le demandeur ne puisse prouver le caractère déraisonnable de la décision. De l’avis du défendeur, lorsqu’une conclusion concernant la crédibilité repose sur plusieurs éléments, la cour de révision n’a pas à vérifier si chaque élément satisfait au critère du caractère raisonnable (voir Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 673; Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.); Dehghani c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 587; Alizadeh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 11; Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (Sheikh)).

 

[26]           Les lacunes importantes cernées dans la preuve touchaient directement à l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était recherchée par les autorités chinoises parce qu’elle pratiquait le Falun Gong. La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni une preuve crédible ou digne de foi et a tiré un certain nombre de conclusions qui ont miné sa crédibilité. Selon le défendeur, la Commission était en droit d’exiger une preuve documentaire. Elle a ensuite jugé que la preuve documentaire présentée à l’appui était insuffisante en l’espèce (voir Sheikh, précité; Bin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 213 F.T.R. 47, 2001 CFPI 1246, au paragraphe 21 (Bin); Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, aux paragraphes 10 à 12; Matsko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 691, au paragraphe 14 (Matsko)).

 

[27]           Le défendeur donne des exemples d’éléments pour lesquels la demanderesse n’a pas présenté de documents corroborant sa version des faits. La demanderesse prétend s’être tournée vers le Falun Gong par suite de son échec à l’examen d’admission. Elle n’a pas fourni une preuve documentaire suffisante pour établir qu’elle a effectivement passé des examens d’admission à l’université ou comment elle y a échoué. La Commission n’a pas accepté l’explication selon laquelle elle ne savait pas qu’une preuve de la sorte serait exigée à l’audience. Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission était raisonnable puisque la demanderesse était représentée par un avocat et qu’elle a produit des documents similaires, comme son relevé de notes de l’école secondaire.

 

[28]           La Commission a par ailleurs conclu que la demanderesse n’avait pas présenté une preuve suffisante pour établir qu’elle était une vraie adepte du Falun Gong. Elle a déposé un document signé par 18 personnes qui ont fait des exercices de Falun Gong avec elle dans le parc Milliken. La Commission a accordé un poids minime au document puisque les signataires n’y confirment pas que la demanderesse était une véritable adepte du Falun Gong et ne précisent pas pendant combien de temps elle a participé aux séances au parc Milliken ni s’ils la connaissent personnellement. La demanderesse reconnaît avoir déjà inscrit son nom sur des listes similaires pour d’autres personnes, sans savoir qui elles étaient ou quelles étaient leurs idéologies. Le défendeur maintient qu’il était raisonnable pour la Commission de tirer une conclusion défavorable (voir Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 971 et Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 544 (Li)).

 

[29]            La Commission a questionné la demanderesse pour savoir si elle avait participé à des activités montrant qu’elle est une véritable adepte du Falun Gong. Elle a déclaré qu’elle n’était pas membre de la Falun Dafa Association de Toronto et qu’elle n’avait adhéré à aucun groupe à Toronto pour étudier le Zhuan Falun. Elle a aussi déclaré qu’elle n’avait jamais participé à des manifestations (voir Yang, précité).

 

[30]           Le défendeur maintient que, au vu de l’ensemble de la preuve, il était raisonnable pour la Commission de conclure que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau ni n’avait fourni une preuve crédible ou digne de foi à l’appui de sa demande d’asile.

 

VI.       Analyse

 

·                    La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas crédible?

 

[31]           Les conclusions touchant à la crédibilité d’un demandeur sont de nature factuelle. « Il ressort clairement de la jurisprudence que l’analyse que fait la Commission quant à la crédibilité d’un demandeur d’asile et à la vraisemblance de son récit est intimement liée à son rôle d’arbitre des faits et que, en conséquence, ses conclusions en la matière devraient bénéficier d’une retenue appréciable. » (Voir Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, [2008] A.C.F. no 1329, au paragraphe 13).

 

[32]           Une seule question est soulevée en l’espèce. La demanderesse n’a pas été jugée crédible parce qu’elle n’a présenté à la Commission aucun document digne de foi à l’appui de sa demande d’asile. Elle prétend que la Commission a rejeté son allégation concernant son échec à l’examen d’admission à l’université au motif qu’elle était capable de réciter des versets du Zhuan Falun, ce qui n’a rien à voir avec son rendement scolaire présumé. La demanderesse soutient que cette conclusion n’est qu’une simple hypothèse. La Cour concède que la Commission s’est livrée à des conjectures erronées établissant un lien entre les résultats scolaires de la demanderesse et sa capacité de réciter des extraits du Zhuan Falun. Cette erreur, toutefois, n’est pas déterminante en l’espèce.

 

[33]           La demanderesse affirme que la Commission a examiné à la loupe la preuve qu’elle lui a présentée et qu’elle s’est ainsi éloignée des éléments essentiels. À l’appui de sa décision, la Commission a cité un certain nombre de lacunes relevées dans la preuve de la demanderesse. La Cour considère que ces lacunes sont importantes puisqu’elles touchent au fondement même de la demande d’asile. La Commission a conclu, à juste titre, que les déclarations contradictoires que la demanderesse a faites au sujet de sa CIR avaient affaibli sa crédibilité en général. À l’audience, la Commission lui a demandé si elle avait sa carte avec elle au moment de quitter la Chine.

[Traduction]

Commissaire : Donc, vous aviez votre carte d’identité de résident avec vous lorsque vous avez quitté la Chine?

Demandeure d’asile : Oui.

Commissaire : À la question 22 de votre Formulaire de renseignements personnels, vous indiquez que votre carte d’identité de résident se trouve en Chine et que vous pouvez l’obtenir dans un délai de trois mois. C’est différent de votre témoignage d’aujourd’hui. Pouvez‑vous l’expliquer?

[…]

Demandeure d’asile : Je ne sais pas comment expliquer.

 

[34]           Elle a également déclaré, dans son FRP, qu’elle avait commencé à pratiquer le Falun Gong pour régler ses problèmes de dépression et d’insomnie. À l’audience cependant, elle a déclaré qu’on ne peut pas pratiquer le Falun Gong dans un objectif de guérison. Lorsque cette incohérence lui a été signalée, elle a affirmé que son opinion avait changé parce qu’elle avait réussi à se détacher de ses attentes.

 

[35]           Elle a également omis de mentionner dans son FRP qu’on lui avait dit de cacher le livre Zhuan Falun.

 

[36]           Dans Basseghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1867, le juge Teitelbaum fait le commentaire suivant au paragraphe 33 : « Il n’est pas inexact de dire que les réponses fournies dans un FRP devraient être concises mais il est inexact de dire que ces réponses ne devraient pas contenir tous les faits pertinents. Il ne suffit pas à un requérant ou une requérante dans ce cas-ci, d’affirmer que ce qu’elle a dit dans son témoignage oral est un développement. Tous les faits pertinents et importants devraient figurer dans un FRP. » Le témoignage oral devrait être l’occasion d’expliquer les informations contenues dans le FRP. Dans Arunasalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1451, 2001 CFPI 1070, au paragraphe 47, le juge en chef Blais apporte la précision suivante : «  De plus, que la Commission ait ou non avisé le demandeur que les omissions dans le FRP soulevées à l’audience avaient une importance significative ne changerait rien à la réalité que le demandeur a omis des faits dans son FRP. Même si la Commission lui en avait parlé, elle n’en aurait pas moins eu le droit de s’appuyer sur les omissions pour établir la crédibilité ».

 

[37]           La contradiction concernant la carte d’identité de résident était importante, et la demanderesse n’a donné aucune explication. Cette omission a donc affaibli sa crédibilité. La véritable contradiction, cependant, tient au fait que les opinions de la demanderesse au sujet de la pratique du Falun Gong ont changé et qu’elle n’a donné aucune explication à ce sujet dans son FRP. Cet élément est déterminant pour la demande d’asile puisqu’il touche à l’authenticité de sa pratique. Bien qu’elle ait expliqué pourquoi ses opinions ont changé, le fait demeure qu’elle a omis d’inclure dans son FRP un élément crucial de sa demande d’asile.  

 

[38]           La demanderesse allègue que la Commission a exagéré l’importance de quelques détails et perdu de vue l’élément essentiel. La Cour estime que la Commission a formulé une hypothèse frivole en déclarant qu’il était invraisemblable que la demanderesse commence à pratiquer le Falun Gong en lisant le livre Zhuan Falun, mais elle croit qu’il était raisonnable pour le tribunal de conclure que le fait de recevoir du courrier personnel de la Chine ne concordait pas avec l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle était recherchée par les autorités chinoises.

 

[39]           Ayant relevé des problèmes de crédibilité, la Commission a ensuite examiné la preuve documentaire. Selon la jurisprudence, lorsque le récit d’un demandeur d’asile est jugé incohérent à cause de conclusions sur la crédibilité, l’absence de preuve documentaire est une considération valide aux fins de l’appréciation de la crédibilité (voir Matsko et Bin, précités). La Commission a conclu que la preuve documentaire présentée à l’appui n’était pas suffisante. Premièrement, la demanderesse n’a fourni à la Commission aucun document prouvant qu’elle avait passé l’examen d’admission. La Commission a rejeté son explication selon laquelle elle ne savait pas qu’un document de ce genre serait exigé à l’audience. Il était loisible au tribunal de tirer une conclusion défavorable puisque ce document aurait étayé son allégation quant à la raison de sa dépression et de son intérêt pour le Falun Gong.

 

[40]           La Commission a accordé un poids minime au document signé par 18 compagnons de pratique de la demanderesse. Le document ne précise pas pendant combien de temps la demanderesse a participé aux séances au parc Milliken ni si elle connaissait personnellement quelques‑uns de ses compagnons. Elle a admis avoir signé des documents du même genre auparavant. Elle a également admis qu’elle ne connaissait personnellement qu’un seul des 18 signataires. La demanderesse a présenté des photos sur lesquelles on la voit pratiquer le Falun Gong au parc Milliken. Selon la Commission, même si les photos prouvent qu’elle a assisté à des séances, elles ne permettent pas d’établir qu’elle était une véritable adepte du Falun Gong.

 

[41]           Il était justifié pour la Commission d’en arriver à cette conclusion. Dans Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 695, aux paragraphes 43 et 44 (Liu), la Cour a conclu que même si la Commission n’a jamais explicitement tiré une conclusion quant à la crédibilité, cela n’équivaut pas à une erreur. « Dans la présente affaire, la Commission a effectivement analysé la présence de la demanderesse principale à des événements du Falun Gong à Toronto, mais elle a conclu que sa valeur probante était peu élevée, étant donné que la demanderesse principale a admis que les photographies avaient été prises expressément aux fins de l’audience, et que quiconque pouvait assister à cet événement. » (Voir Liu, précité, au paragraphe 44.) Le contexte de cette affaire est similaire à celui en l’espèce. Cependant, contrairement à Liu, décision dans laquelle il a été établi que la Commission avait tiré des conclusions déraisonnables, il est évident ici que le tribunal a tiré des conclusions raisonnables quant à la crédibilité dans le cadre de son examen de la demande d’asile.

 

[42]           La demanderesse soutient que la Commission a appliqué la mauvaise norme de preuve en exigeant qu’elle produise un document établissant qu’elle est une véritable adepte du Falun Gong. Elle fonde son argument sur la décision Alam. La Commission ne lui a pas imposé erronément une norme de preuve. Elle a plutôt conclu que la demanderesse manquait de crédibilité et qu’elle n’était pas une véritable adepte du Falun Gong.

 

[43]           Il était raisonnable pour la Commission de conclure que la demanderesse avait acquis des connaissances au sujet du Falun Gong dans le but de présenter une fausse demande d’asile. Et contrairement aux décisions Zhang et Song, précitées, la Commission disposait d’éléments de preuve lui permettant de conclure que la demanderesse avait acquis ses connaissance dans le seul but de faire une demande d’asile.

 

VII.     Analyse distincte aux termes de l’article 97 de la LIPR

 

[44]           Dans sa décision, la Commission n’a pas effectué une analyse distincte aux termes de l’article 97 de la LIPR. Ayant jugé la demanderesse non crédible en général, le tribunal a conclu qu’elle ne sera pas personnellement exposée à une menace à sa vie, ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou à un danger si elle retourne en Chine.

 

[45]           Dans Kaleja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 668, [2011] A.C.F. no 840 (Kaleja), le juge Near formule le commentaire suivant au paragraphe 34 de ses motifs : « La jurisprudence sur cette question est partagée, mais, selon le juge Mosley, au paragraphe 22 de la décision Soleimanian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1660, 135 ACWS (3d) 474 : […] La Cour semble être arrivée à un consensus selon lequel une analyse séparée de l’article 97 n’est pas requise lorsqu’il n’y a pas de preuve pouvant démontrer que le demandeur a la qualité de personne à protéger […] ».

 

[46]           Dans Kaleja, la Cour a conclu qu’il n’y avait aucun autre motif justifiant une analyse aux termes de l’article 97. « Les éléments de preuve au regard des deux articles étaient les mêmes, et ils ont été présentés ensemble en vue de l’obtention d’une décision favorable en vertu de l’un ou l’autre article, mais ils ont été considérés comme insuffisants à cette fin. » (Voir Kaleja, au paragraphe 35.) La Commission n’avait pas, en l’espèce, à effectuer une analyse distincte. « Dans ces circonstances, bien qu’il ait peut‑être été prudent de le faire, il n’était pas nécessaire que la Commission aille plus loin et affirme explicitement que la demanderesse ne serait pas persécutée si elle retournait en Chine parce qu’elle n’est pas une véritable adepte du Falun Gong. » (Voir Li, précité, au paragraphe 22.)

 

VIII.    Conclusion

 

[47]           À la lumière des problèmes de crédibilité sous‑jacents, il était raisonnable pour la Commission de conclure que la demanderesse n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Sa demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3011-11

 

INTITULÉ :                                       YIXIN CHEN

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 24 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nkunda I. Kabateraine

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mahan Keramati

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nkunda I. Kabateraine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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