Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120124


Dossier : T-1179-11

Référence : 2012 CF 91

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2012

En présence de Monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

DEREK SATNARINE

STEPHANIE ANGEL PERSAUD

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 28 juin 2011 par une agente de citoyenneté. Celle-ci a rejeté la demande de citoyenneté présentée par Derek Satnarine au nom de sa fille adoptive, Stephanie Angel Persaud (les demandeurs), parce qu’elle n’était pas convaincue que Stephanie n’avait pas été adoptée principalement pour qu’elle puisse acquérir un statut ou un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté, au sens de l’alinéa 5.1(1)d) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (Loi).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               C’est à Toronto, en 2005, que Derek Satnarine a rencontré pour la première fois et décidé d’adopter Stephanie Angel Persaud, qui était en visite au pays. Stephanie est la fille biologique de la sœur du demandeur, qui vit actuellement au Guyana. La mère de Stephanie n’a consenti à l’adoption qu’en 2008. Dans l’intervalle, Derek n’a pas rendu visite à Stephanie.

 

[4]               Depuis mars 2008, Stephanie vit au Canada avec Derek et n’est pas retournée au Guyana.  Elle communique avec ses parents biologiques à Noël, au Nouvel An et à l’occasion des anniversaires de naissance.

 

II.         Décision visée par le contrôle

 

[5]               Dans sa lettre, l’agente a passé en revue les renseignements recueillis au cours de deux entretiens distincts avec les demandeurs au sujet de l’adoption. Elle signale notamment ce qui suit :

•           Derek a adopté Stephanie pour aider sa sœur et assurer une vie meilleure au Canada à sa fille, qui est une excellente élève et qui pourrait ainsi entreprendre des études universitaires en comptabilité à l’université Ryerson;

•           Stephanie téléphone assidûment à ses parents biologiques lors d’occasions spéciales et des jours de fête;

•           Stephanie n’est pas retournée au Guyana pour rendre visite à ses parents et frères et sœurs biologiques parce qu’il n’est pas certain qu’elle puisse obtenir un visa pour rentrer au Canada;

•           Derek n’a pas établi de régime enregistré d’épargne-études (REEE) pour permettre à Stephanie de poursuivre ses études, étant apparemment empêché de le faire du fait que Stephanie n’est pas titulaire d’un numéro d’assurance sociale;

•           Quand on lui a demandé si l’arrivée d’un nouveau membre dans la famille lui occasionnait des difficultés financières, Derek a répondu que c’était uniquement le cas quand Stephanie avait besoin de soins médicaux, puisqu’elle ne possède pas encore la carte santé de l’Ontario;

•           Stephanie reçoit une allocation de 500 $ par mois;

•           Stephanie a déclaré qu’au nombre des activités amusantes faites en famille, elle allait magasiner avec Derek;

•           Stephanie a présenté une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire (CH), demande qui est toujours en traitement;

•           Stephanie a passé la majeure partie de son enfance au sein de sa famille biologique; elle était âgée de 14 ans au moment de son adoption par Derek, qu’elle n’avait rencontré qu’une fois auparavant.

 

[6]               Compte tenu des renseignements qui précèdent, l’agente n’était pas convaincue que l’adoption ne visait pas l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté. D’après la preuve au dossier, les demandeurs n’ont amorcé leur relation qu’après l’adoption, en 2008. La relation entre Stephanie et sa mère biologique se poursuivait grâce à des communications régulières.

 

[7]               En outre, la décision de procéder à l’adoption a été expliquée par la volonté d’aider la mère biologique et d’offrir à Stephanie une vie et une éducation de meilleure qualité au Canada. Par conséquent, l’agente de la citoyenneté a jugé que Derek n’avait pas réussi à établir que Stephanie satisfaisait aux conditions d’obtention de la citoyenneté.

 

III.       Questions en litige

 

[8]               La présente demande soulève deux questions :

 

a)         L’agente a-t-elle commis une erreur dans l’appréciation de la preuve?

 

b)         L’agente a-t-elle manqué à l’équité procédurale ou fait entrave à l’exercice de sa compétence en demandant l’aide d’un tiers pour rédiger ses motifs?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[9]               Selon l’article 5.1 de la Loi, l’agente était tenue de procéder à une enquête et une évaluation essentiellement axées sur les faits, ce qui commande l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir Jardine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 565, [2011] ACF no 782 aux paragraphes 16 et 17). Or, selon cette norme, la Cour ne devrait pas intervenir sauf si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables ou si elle déroge aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

[10]           En revanche, les questions d’équité procédurale et de compétence comme celle soulevée par les demandeurs au point « B » commandent l’application de la norme de la décision correcte (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434 aux paragraphes 42 et 43).

 

V.        Analyse

 

A.        L’agente a-t-elle commis une erreur dans l’appréciation de la preuve?

 

[11]           Les demandeurs contestent les conclusions de fait de l’agente qui, selon eux, ont été tirées de façon abusive et arbitraire ou sans tenir compte de la preuve. Ils soutiennent que leurs affidavits contredisent ces conclusions.

 

[12]           Toutefois, compte tenu des observations du défendeur, je ne suis pas convaincu que l’on puisse qualifier de déraisonnable l’appréciation de la preuve faite par l’agente.

 

[13]           Par exemple, dans son affidavit, Stephanie conteste la conclusion de l’agente selon laquelle elle [traduction] « téléphone[rait] assidûment » à sa mère biologique ou, plus généralement, qu’il y aurait entre elles des contacts réguliers. Cependant, elle confirme que des appels sont faits à Noël, au Nouvel An et lors des anniversaires de naissance, ce qui ne va pas à l’encontre de la façon dont l’agente a résumé la situation, à savoir qu’il y avait des contacts réguliers [traduction] « lors d’occasions spéciales et des jours de fête ».

 

[14]           Dans son affidavit, Stephanie admet qu’on a refusé de lui accorder un visa de séjour à deux occasions mais soutient qu’on ne lui a jamais demandé si [traduction] « toute la famille s’était vue refuser un visa de séjour à plusieurs reprises », comme le laisse entendre l’agente. Je remarque que l’agente a seulement utilisé les mots [traduction] « il semble », ce qui laisse supposer que ces renseignements ont été trouvés au dossier et qu’ils n’étaient pas associés à une déclaration précise de la part de Stephanie.

 

[15]           Dans son affidavit, Derek affirme [traduction] « ne pas avoir dit qu’il n’a[vait] pas épargné en vue de son éducation », ajoutant qu’on l’avait seulement interrogé au sujet d’un REEE. Le compte rendu de l’agente à ce sujet est néanmoins compatible avec sa réponse à la question [traduction] « Avez-vous établi un REEE pour payer les études futures de Stephanie – collège, université? » Les notes prises lors de l’entrevue indiquent que Derek a déclaré : [traduction] « Non. Impossible d’ouvrir un compte à son nom – ne possède pas de NAS. Je n’ai pas mis d’argent de côté pour l’université. »

 

[16]           Dans le même ordre d’idées, Derek conteste, dans son affidavit, le fait que l’agente a fait allusion à la question de [traduction] « savoir si l’arrivée d’un nouveau membre dans la famille occasionnait des difficultés financières ». À l’entrevue, l’agente lui a en fait demandé, pour être exact, si [traduction] « [l]’adoption de Stephanie a occasionné des dépenses supplémentaires. Quel effet cela a-t-il eu sur vos finances? » Même si cette question est libellée quelque peu différemment, elle entraîne une réponse analogue. L’agente a noté que Stephanie n’avait pas de carte de santé, que Derek acquittait ses frais et qu’une allocation de 500 $ était versée. Ces éléments de preuve figurent dans la décision de l’agente et dans les affidavits des demandeurs.

 

[17]           Dans son affidavit, Derek expose aussi les raisons de l’adoption de Stephanie. Il signale qu’il est en mesure de l’aider financièrement, étant donné que, seule, sa sœur arrive difficilement à prendre soin d’elle. Derek exprime son désir d’avoir un enfant à lui et d’offrir à Stephanie une vie meilleure et la possibilité d’étudier au Canada. L’agente a estimé que l’adoption visait à aider la mère biologique de Stephanie et d’offrir à cette dernière une vie et une éducation de meilleure qualité au Canada, ce qui est conforme aux déclarations du demandeur et ne constitue pas une interprétation erronée de la preuve.

 

[18]           Les demandeurs ont également dit avoir peine à croire que l’agente ait pu conclure que leur relation n’avait débuté qu’en 2008, après l’adoption. Stephanie a commencé à vivre avec Derek en mars 2008 alors que le jugement d’adoption n’a été rendu que le 10 décembre 2008. Avant de vivre avec Derek, toutefois, Stephanie n’avait rencontré Derek qu’une seule fois, en 2005. Indépendamment de la date réelle du jugement d’adoption, ce n’est qu’en 2008 qu’ils ont commencé à vivre sous le même toit et à tisser des liens aux fins de l’adoption, une mesure que Derek envisageait pourtant depuis leur première rencontre en 2005. La conclusion de l’agente était donc justifiée.

 

[19]           Bien qu’au paragraphe 29 de la décision Jardine, précitée, le juge Richard Mosley ait blâmé une agente de la citoyenneté pour n’avoir attribué aucune importance à certains éléments de preuve contradictoires essentiels se rapportant à l’adoption, il a reconnu qu’« il y aurait peut-être encore eu lieu de faire montre de retenue à l’endroit de l’agente et de conclure que la décision appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit s’il avait été évident que l’agente avait apprécié correctement l’ensemble de la preuve ».

 

[20]           En l’espèce, l’agente a tenu compte de l’ensemble de la preuve et il y a lieu de faire preuve d’une grande retenue eu égard à son appréciation des faits. Contrairement à ce qui a été fait dans Jardine, précitée, aucun élément de preuve contradictoire n’a été ignoré à tort par l’agente.

 

[21]           Dans leurs affidavits, les demandeurs confirment la plupart des renseignements figurant dans la décision de l’agente et les craintes qu’ils soulèvent sont le reflet de leur désaccord quant aux termes employés et quant à l’appréciation de la preuve. Puisque les conclusions de l’agentes appartiennent aux issues possibles acceptables, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

B.         L’agente a-t-elle manqué à l’équité procédurale ou fait entrave à l’exercice de sa compétence en demandant l’aide d’un tiers pour rédiger ses motifs?

 

[22]           Les demandeurs reprochent également à l’agente d’avoir sollicité l’aide du coordonnateur des programmes pour la rédaction de ses motifs. Selon eux, il s’agit d’une erreur touchant à la compétence, car l’agente est tenue par la loi d’examiner les demandes et de rendre une décision, fonctions qu’elle ne peut partager avec d’autres.

 

[23]           Cependant, je suis disposé à convenir avec le défendeur qu’il n’y a pas eu entrave à la compétence ni manquement à l’équité procédure en l’espèce. Le coordonnateur des programmes n’a fait que des suggestions de forme concernant le style et la mise en page ou l’ajout de certaines précisions. Malgré quelques correctifs mineurs apportés au libellé des motifs, les ébauches et la lettre de refus subséquente précisent que l’agente a tiré ses propres conclusions et a rédigé ses motifs de manière indépendante. Les suggestions qui ont été faites ne portaient pas sur le résultat final et ne l’ont pas modifié.

 

VI.       Conclusion

 

[24]           Il était raisonnable que l’agente apprécie la preuve comme elle l’a fait et qu’elle craigne que l’adoption ne vise l’acquisition d’un statut ou d’un privilège relatifs à l’immigration ou à la citoyenneté en violation de l’alinéa 5.1(1)d). Puisque la décision rendue est uniquement le fait de l’agente, celle-ci n’a pas manqué à l’équité procédurale ni fait entrave à sa compétence en demandant à un tiers de l’aider à mettre en forme le texte de ses motifs.

 

[25]           Par conséquent, la demande est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

«  D. G. Near »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1179-11

 

INTITULÉ :                                       SATNARINE ET AUTRES c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 JANVIER 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LES DEMANDEURS

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.