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 Date: 20120125


Dossier : IMM-134-12

Référence : 2012 CF 100

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Scott

 

ENTRE :

 

LÉON MUGESERA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        La requête du demandeur, déposée le 23 janvier 2012, aux termes des articles 44 et 50 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, et des règles 368 et 373 des Règles des Cours Fédérales, DORS/98-106, vise à obtenir :

 

a)         une injonction interlocutoire enjoignant aux défendeurs de ne pas exécuter la mesure de renvoi émise contre le demandeur, jusqu’à l’étude et la décision finale à être rendue sur la demande de réouverture de la décision du délégué, déposée par le demandeur au délégué en date du 19 janvier 2012 compte tenu de ladite demande et des pièces reproduites à son soutien au dossier du demandeur IMM-9680-11 daté du 21 janvier 2012 et des nouveaux éléments de preuve (déposés dans ce dossier);

 

b)         un ordre de sursis à l’encontre de l’exécution d’une mesure de renvoi émise contre le demandeur, jusqu’à la décision finale à être rendue sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans le dossier numéro IMM-9680-11, compte tenu des questions soulevées au dossier IMM-9680-11 daté du 21 janvier 2012 et des nouveaux éléments de preuve (déposés dans ce dossier); et

 

c)         un ordre de sursis à l’encontre de l’exécution d’une mesure de renvoi émise contre le demandeur jusqu’à la décision finale à être rendue sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans le dossier numéro IMM-134-12, compte tenu du dossier de la Cour et des nouveaux éléments de preuve (déposés dans ce dossier).

 

[2]        L’argumentation soulevée par l’avocate du demandeur veut que :

 

a)                  la disposition législative à la base de la décision du délégué du ministre est invalide, inconstitutionnelle et inopérante en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte], et des obligations internationales ratifiées par le Canada de même que la décision attaquée;

 

b)                  la décision du délégué du ministre, prise sous les termes de l’alinéa 115(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], viole l’obligation de non-refoulement imposée par le paragraphe 33(2) de la Convention relative au statut des réfugiés [Convention] et d’autres principes de justice fondamentale et, ce faisant, viole l’article 7 de la Charte, les obligations auxquelles se sont engagées le Canada et l’expectative légitime que celles-ci soient respectées;

 

c)                  la LIPR et la décision du délégué du ministre contreviennent de plus aux obligations imposées par la Convention contre la torture et par le Pacte international sur les droits civils et politiques [Pacte] au regard de l’obligation de non-refoulement;

 

d)                  la LIPR doit être interprétée en conformité avec la Convention et crée une obligation légale ainsi qu’un devoir d’agir équitablement;

 

e)                  sur le plan des principes de justice fondamentale et des garanties procédurales, la LIPR et la décision du délégué du ministre ne répondent pas aux exigences d’une audience équitable et impartiale devant un tribunal indépendant pour la définition de ses droits, au droit à la présomption d’innocence, au droit au procès équitable et à l’application régulière de la LIPR garantis par l’article 7 de la Charte, l’alinéa 2 e) de la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44 et l’article 14 du Pacte;

 

f)                    à l’égard du processus suivi dans le cas en l’instance, la décision du délégué du ministre est le fruit d’une inconduite des défendeurs qui a donné lieu à des conclusions déraisonnables, les défendeurs voulant livrer le demandeur à une organisation qu’ils ont qualifié et fait qualifier par la CISR « d’organisation à des fins brutales limitées » poursuivant des buts contraires aux buts et valeurs des Nations-Unies;

 

g)                  ce faisant, les défendeurs ont caché et violé leur devoir d’impartialité et de divulgation d’informations pertinentes qui démontraient la nature du gouvernement Rwandais, dirigé par le Front patriotique rwandais [FPR], qualifié « d’organisation à des fins brutales limitées » par la CISR, suite à la position juridique prise par le gouvernement canadien; le risque pour le demandeur en tant qu’opposant à cette organisation; l’absence d’État de droit au Rwanda, la persécution des magistrats et l’absence d’indépendance judiciaire;

 

h)                  la décision du délégué du ministre est aussi entachée d’une erreur de droit quant à l’examen du risque, de violation grave d’équité par le défaut de motivation relativement au risque de persécution selon l’article 96 de la LIPR et viciée par l’ignorance de la preuve établissant un risque de persécution; et

 

i)                    des erreurs de droit dans la détermination du risque de torture et de mauvais traitements, du fardeau, du rôle et de la fiabilité des assurances diplomatiques ont été commises par le délégué, qui a aussi erré en ignorant les éléments de preuve pertinents à l’égard du poste occupé par le demandeur, et des motifs humanitaires.

 

[3]        En somme, l’argumentation du demandeur porte sur la validité constitutionnelle de l’alinéa 115(2)b) de la LIPR, de la violation de l’obligation de non-refoulement sous les termes du paragraphe 33(2) de la Convention et des principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte. Le demandeur soutient également que le délégué du ministre a manqué à son devoir d’équité procédurale dans le traitement des éléments de preuve présentés par le demandeur et en omettant de porter à son attention une décision de la CISR, qualifiant le gouvernement du FPR « d’organisation à des fins brutales limitées ».

 

[4]        Les représentations des avocates des défendeurs veulent que la demande soit rejetée car :

a)                  elle ne répond pas aux trois critères de l’arrêt Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1988), 86 NR 302 (CAF) [Toth] ;

 

b)                  les décisions Dadar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 382 et Sogi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 799, prévoient entre autres qu’une requête en sursis d’exécution de la mesure d’expulsion n’est pas une procédure permettant de contester une décision qui a déjà fait l’objet d’une demande infructueuse de contrôle judiciaire; et

 

c)                  que les documents et affidavits déposés au soutien de la demande de sursis et d’injonction ne permettent pas de conclure qu’il y a une question sérieuse de soulever en ce que le délégué du ministre aurait fait défaut de respecter les règles d’équité procédurale ou aurait commis des erreurs de droit dans l’appréciation des éléments de preuve présentés.

 

[5]        Toute demande de sursis s’apprécie selon les trois critères de l’arrêt Toth, que le demandeur ne satisfait pas en l’instance, pour les raisons qui suivent.

 

[6]        Sur le premier critère de la question sérieuse à trancher, le demandeur ne présente pas de nouveaux éléments de preuve qui permettent à cette Cour de conclure qu’une question sérieuse sur la validité constitutionnelle de l’alinéa 115(2)b) ou sur la violation de l’article 7 de la Charte n’a pas été traitée par le juge Shore dans sa décision du 11 janvier 2012. À ce sujet, le juge Shore écrit, aux paragraphes 79 et 80 de sa décision, que:

[79]      Le fondement factuel ne saurait être apprécié à nouveau. Le jugement de la Cour suprême du Canada ne peut être infirmé directement ou indirectement par la reconsidération de la validité de l’article 115 de la LIPR comme le souhaiterait la partie demanderesse. À ce stade final, il importe également de noter que le contrôle judiciaire de la décision du délégué du ministre que demande la partie demanderesse ne pourra pas non plus adresser à nouveau la légitimité de la mesure de renvoi sans aller à l’encontre du dispositif de la Cour suprême du Canada formulé dans Mugesera, en ces termes :

 

179       Vu les conclusions de fait de M. Duquette, chacun des éléments de l’infraction prévue au par. 7(3.76) du Code criminel a été établi. Nous sommes donc d’avis qu’il existe des motifs raisonnables de penser que M. Mugesera a commis un crime contre l’humanité et qu’il est de ce fait non admissible au Canada suivant les al. 27(1)g) et 19(1)j) de la Loi sur l’immigration.

 

[80]      Selon ce raisonnement de la Cour suprême du Canada, si Léon Mugesera reste au Canada suite aux assurances reçues du Rwanda, cette Cour irait entièrement à l’encontre de la décision de la Cour suprême. (voir également les paragraphes 44 à 48 de la décision du juge Shore en date du 11 janvier 2012, sur l’application de l’article 7 de la Charte)

[La Cour souligne].

 

[7]        Enfin, sur l’argument du demandeur fondé sur le paragraphe 33(2) de la Convention, le Juge Shore en a disposé au paragraphe 35 de sa décision et le demandeur n’apporte pas d’éléments de preuve qui n’ont pas déjà été considérés dans cette même décision.

 

[8]        Le demandeur soutient par ailleurs que le délégué du ministre a manqué à son devoir d’équité procédurale en ce qu’il aurait, entre autres, omis de faire part de la décision Rwiyamirira v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2004] RPDD No 286 [Rwiyamirira], au demandeur, démontrant la nature du gouvernement Rwandais, dirigé par le FPR, qualifié « d’organisation à des fins brutales limitées » par la CISR suite à la position juridique prise par le gouvernement canadien et le risque qui s’ensuit pour le demandeur en tant qu’opposant au gouvernement en place. Ce qui satisfait selon lui le critère que sa demande soulève une question sérieuse à trancher.

 

[9]        La Cour constate qu’il s’agit d’une décision de la CISR en date du 7 juillet 2004, portant sur des faits survenus au début des années 1990. Elle n’est pas convaincue, après analyse du dossier, de la décision en question et de la décision du délégué du ministre que ce dernier a manqué à son devoir d’agir équitablement puisque son analyse devait porter sur la situation qui prévaut au Rwanda au moment de l’exécution de la mesure de renvoi; ce qu’il a fait en l’instance (voir la décision Hasan v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2008 FC 1069, [2008] FCJ No1342 au para 23). La Cour ne souscrit pas non plus à l’argument du demandeur que le délégué du ministre a ignoré des éléments de preuve. Conséquemment, la Cour rejette la prétention du demandeur voulant que le défaut de soulever la décision Rwiyamirira constitue un manquement aux règles d’équité procédurale et conclut qu’il n’existe pas de question sérieuse à trancher.

 

[10]      Sur le deuxième critère du test, le demandeur ne nous démontre pas qu’il subirait un préjudice irréparable advenant son renvoi au Rwanda. Il ne présente pas de nouveaux éléments de preuve qui nous permettent de conclure que l’analyse du juge Shore de la décision du délégué du ministre portant sur les risques de torture et la crainte pour sa vie mérite d’être revue (voir les paragraphes 58 à 70 de la décision du juge Shore en date du 11 janvier 2012).

 

[11]      Sur le troisième critère du test, soit la balance des inconvénients, la Cour tient à souligner qu’aux termes du paragraphe 48(2) de la LIPR, une mesure de renvoi doit être exécutée dès que les circonstances le permettent. N’ayant pas satisfait les critères de la question sérieuse et du préjudice irréparable, la balance des inconvénients penche dès lors en faveur des défendeurs.

 

[12]      Ainsi, la Cour n’est pas convaincue que le demandeur satisfait les critères de l’arrêt Toth puisqu’il ne soumet aucuns éléments de preuve nouveaux quant à l’inconstitutionnalité de l’alinéa 115(2)b), et de la violation de l’obligation de non-refoulement et des principes de justice fondamentale qui n’ont déjà été traités par la décision du juge Shore du 11 janvier 2012. Quant à la question de l’équité procédurale, la Cour juge que le délégué du ministre a agi de façon équitable puisqu’il devait faire une analyse prospective des risques qu’encourt le demandeur, tout en tenant compte de l’évolution de la situation au Rwanda, ce qu’il a fait en l’instance.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR rejette donc la requête visant à obtenir :

1.         une injonction interlocutoire enjoignant aux défendeurs de ne pas exécuter la mesure de renvoi émise contre le demandeur, jusqu’à l’étude et la décision finale à être rendue sur la demande de réouverture de la décision du délégué, déposée par le demandeur au délégué en date du 19 janvier 2012 compte tenu de ladite demande et des pièces reproduites à son soutien au dossier du demandeur IMM-9680-11 daté du 21 janvier 2012 et des nouveaux éléments de preuve (déposés dans ce dossier);

 

2.         un ordre de sursis à l’encontre de l’exécution d’une mesure de renvoi émise contre le demandeur, jusqu’à la décision finale à être rendue sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans le dossier numéro IMM-9680-11, compte tenu des questions soulevées au dossier du demandeur IMM-9680-11 daté du 21 janvier 2012 et des nouveaux éléments de preuve (déposés dans ce dossier); et

 

3.         un ordre de sursis à l’encontre de l’exécution d’une mesure de renvoi émise contre le demandeur jusqu’à la décision finale à être rendue sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans le dossier numéro IMM-134-12, compte tenu du dossier de la Cour et des nouveaux éléments de preuve (déposés dans ce dossier).

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-134-12

 

INTITULÉ :                                       LÉON MUGESERA

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                            L’IMMIGRATION

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE

                                                            LA PROTECTION CIVILE

 

REQUÊTE CONSIDÉRÉE PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 23 JANVIER 2012 ENTRE OTTAWA, ONTARIO ET MONTRÉAL, QUÉBEC

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      25 janvier 2012

 

 

 

PRÉTENTIONS ORALES ET ÉCRITES PAR :

 

Me Johanne Doyon

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Anne-Renée Touchette

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon & Associés

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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