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Date : 20120131


Dossier : IMM-3840-11

Référence : 2012 CF 118

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

LIZ COOPER

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision du 24 mai 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, [1969] RT Can no 6) ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[2]               La demanderesse, originaire de Sainte-Lucie, craint son ex-petit ami. La Commission a refusé sa demande d’asile parce qu’elle manquait de crédibilité. Elle a déclaré ce qui suit :

Le témoignage de la demandeure d’asile était truffé d’incohérences, de contradictions et d’invraisemblances. Les déclarations de la demandeure d’asile concernant des aspects importants de sa demande d’asile n’étaient ni cohérentes ni convaincantes. Compte tenu de l’importance accordée à la recherche de ses parents dans son récit, il est raisonnable de s’attendre à ce que la demandeure d’asile rende un témoignage clair et convaincant à cet égard, chose qu’elle n’a pas faite.

 

[3]               J’estime que la décision de la Commission sort du champ des issues juridiquement acceptables compte tenu des faits et du droit, et qu’elle est déraisonnable. Nonobstant les préoccupations touchant la crédibilité de la demanderesse, cette décision n’a pas donné lieu à une analyse substantielle de la demande d’asile. Au lieu de s’attarder sur les questions factuelles pertinentes en regard de la demande de protection, la Commission s’est concentrée sur des sujets sans importance et sans rapport avec celle-ci. Par conséquent, la Commission n’a pas analysé le fondement de principe de l’allégation touchant le risque. Comme l’avait déclaré le juge Luc Martineau dans Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 10-12 : 

[…] La Commission peut aussi à bon droit tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison […] La Commission peut rejeter des preuves non réfutées si celles-ci ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire dans son ensemble, ou si elle relève des contradictions dans la preuve […]

 

Ce ne sont cependant pas tous les types d'incohérence ou d'invraisemblance contenue dans la preuve présentée par le demandeur qui justifieront raisonnablement que la Commission tire des conclusions défavorables sur la crédibilité en général. Il ne conviendrait pas que la Commission tire ses conclusions après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication du demandeur […] La Cour a statué en particulier que le fait qu'un revendicateur voyage avec de faux documents, détruit ses documents de voyage ou ment à leur sujet à son arrivée sur les instructions d'un agent est accessoire et a une valeur très limitée aux fins de l'évaluation de la crédibilité en général […]

 

[Renvois omis]

 

 

[4]               Deuxièmement, la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse manquait de crédibilité était vague et imprécise. Avant d’examiner la décision en question, il est utile de rappeler certains des principes qui régissent l’évaluation de la crédibilité :

a.       Une commission peut à bon droit tirer des conclusions sur la crédibilité sur la base des invraisemblances, du bon sens et de la raison : Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228; Lubana, précitée.

b.      La preuve non contredite peut être rejetée si elle ne saccorde pas avec les probabilités de l’affaire dans son ensemble, ou si des incohérences sont relevées dans la preuve : Akinlolu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 296.

c.       Les inférences doivent être raisonnables et formulées en termes clairs et explicites : Hilo.

d.      Toutes les incohérences et invraisemblances ne justifient pas une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Ce type de conclusion ne devrait pas se fonder sur un examen microscopique de questions sans pertinence ou périphériques eu égard à la demande d’asile : Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 444.

e.       La preuve ou les témoignages ayant trait à la question de savoir si un demandeur d’asile voyage avec de faux documents, détruit ses documents de voyage ou ment à leur sujet à son arrivée sont accessoires et ont une valeur très limitée aux fins de l’évaluation de la crédibilité : Lubana.

f.        L’évaluation des témoignages doit prendre en compte l’âge, la culture, l’origine et les antécédents sociaux du témoin, ainsi que son manque de cohérence lorsque des éléments de preuve médicale établissent qu’il souffre d’un problème psychologique.

g.       De même, lorsqu’il s’agit d’évaluer les déclarations des réfugiés aux agents d’immigration à leur arrivée au Canada, le juge des faits doit garder à l’esprit que [traduction] « la plupart des réfugiés ont vécu dans leur pays d’origine des expériences qui leur donnent de bonnes raisons de ne pas faire confiance aux personnes en autorité » : professeur J.C. Hathaway, The Law of Refugee Status (Toronto, Butterworths) (1991), aux pages 84 et 85, tel que cité par le juge Martineau dans Lubana.

h.       Lorsqu’une conclusion quant à la crédibilité repose sur les incohérences du demandeur, il convient d’en donner des exemples spécifiques. Celles-ci doivent avoir trait à d’autres éléments de preuve reconnus comme dignes de foi. En d’autres mots, les incohérences peuvent se présenter sous deux formes : la preuve issue du témoignage du témoin est intrinsèquement incohérente; ou, la preuve contredit les documents ou le témoignage d’autres témoins. Dans ce dernier cas, la preuve qui se trouve contredite doit être reconnue comme digne de foi.

i.         L’effet cumulatif d’incohérences et de contradictions mineures peut justifier une conclusion d’ensemble défavorable quant à la crédibilité du demandeur d’asile : Feng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 476.

j.        Une conclusion générale d’absence de crédibilité peut théoriquement s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents émanant du témoignage d’un témoin : Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238.

[5]               En l’espèce, la Commission a accordé une importance déraisonnable aux titres de voyage de la demanderesse, et ces documents ont servi de fondement au rejet de la demande d’asile. Quant aux incohérences, contradictions et invraisemblances qui entachaient d’après elle tout le témoignage de la demanderesse, la Commission n’a pas fourni d’exemple spécifique ni démontré en quoi ce témoignage était incohérent, contradictoire ou invraisemblable. Dans l’arrêt Hilo, la Cour d’appel fédérale déclarait ce qui suit au paragraphe 6 :

[…] la Commission se trouvait dans l’obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l’appelant. L’évaluation […] que la Commission a faite au sujet de la crédibilité de l’appelant est lacunaire parce qu’elle est exposée en termes vagues et généraux. La Commission a conclu que le témoignage de l’appelant était insuffisamment détaillé et parfois incohérent. Il aurait certainement fallu commenter de façon plus explicite l’insuffisance de détails et les incohérences relevées. De la même façon, il aurait fallu fournir des détails sur l’incapacité de l’appelant à répondre aux questions qui lui avaient été posées.

 

[Renvois omis]

 

[6]               On ne peut pas dire, en lisant toute la décision, que la Commission a formulé, en termes clairs et explicites, les motifs pour lesquels elle a mis en doute la crédibilité de la demanderesse. Dans la mesure où la décision en contient, ces motifs sont vagues et reposent sur des suppositions. Par conséquent, la Commission n’a pas évalué de façon substantielle et sérieuse le lien avec le motif prévu à la Convention invoqué par la demanderesse après son retour du Royaume-Uni (R.-U.), à savoir qu’elle était exposée à une menace de violence physique de la part de son petit ami après être revenue à Sainte-Lucie.

 

[7]               Je souligne également que la Commission a étayé sa conclusion sur la crédibilité sur l’observation selon laquelle la demanderesse n’avait pas nommé son persécuteur. Deux remarques s’imposent à ce sujet. Tout d’abord, la Commission a concentré son analyse sur des événements antérieurs à ceux qui ont donné lieu à la demande d’asile, et n’a donc jamais posé la question; par ailleurs, le nom du persécuteur figurait dans le FRP de la demanderesse.

 

[8]               À mon avis, bien qu’il y ait lieu d’examiner et de sonder les événements auxiliaires eu égard à la substance de la demande, les conclusions quant à la crédibilité reposaient en l’occurrence sur une question totalement périphérique. Le commissaire a manifestement imaginé que la demanderesse bénéficiait d’un statut dans un autre pays et a émis des hypothèses sur la manière dont sa vie s’est déroulée :

[…] j’estime que le récit de la demandeure d’asile n’est pas vraisemblable. Je crois que la possibilité que Liz ait quitté Sainte-Lucie avec ses parents et la deuxième fille, Lena, laissant l’aînée seule à Sainte-Lucie, est plus vraisemblable que la version que Liz propose à la Section […]

 

[9]               L’autre théorie avancée par le commissaire pouvait bien entendu être confirmée par une preuve d’un statut au Royaume-Uni, qu’il a bien cherché à obtenir. Le commissaire a relevé lui‑même la corrélation entre les deux questions :

Cela amène le tribunal à conclure que la demandeure d’asile a ou avait probablement un statut au Royaume-Uni. Je souligne que la demandeure d’asile a omis de fournir son dossier de l’immigration britannique, lequel aurait permis de résoudre ce mystère

 

[10]           Dans le cours de son analyse, le commissaire a posé un faux paradigme : s’il réussissait à établir que la demanderesse avait menti au sujet de son statut au Royaume-Uni, la demande d’asile devait échouer :

Mon travail à titre de commissaire de la Section et ma vie professionnelle antérieure à cette fonction m’ont permis d’acquérir de l’expérience en matière de passeports. […]Je juge qu’il est plus probable que le contraire que la demandeure d’asile a voyagé au Royaume-Uni et qu’elle est peut-être revenue à Sainte-Lucie avec un passeport qu’elle n'avait pas présenté parce qu’il contient de l’information qu’elle ne veut pas que je connaisse.

 

[11]           Les motifs de la décision et les questions posées par le commissaire témoignent d’une singulière insistance sur la théorie selon laquelle la demanderesse était une résidente du Royaume-Uni :

[Traduction

COMMISSAIRE : Si je vous demandais l’autorisation, et je dois l’obtenir, vous n’avez pas à me la donner, mais si je vous demandais l’autorisation de contacter les autorités anglaises pour savoir quel était votre statut au Royaume-Uni, seriez-vous d’accord?

 

DEMANDEURE D’ASILE : Mon statut?

 

COMMISSAIRE : Oui.

 

DEMANDEURE D’ASILE : Je n’avais aucun statut au Royaume-Uni.

 

COMMISSAIRE : Eh bien, selon vous, vous aviez un statut de visiteur.

 

DEMANDEURE D’ASILE : Je croyais que vous parliez de (inaudible).

 

COMMISSAIRE : Vous… d’après votre formulaire de renseignements personnels, vous aviez le statut de visiteur, très bien, il s’agit donc d’un statut, de visiteur résident temporaire. Donc, si je vous demandais l’autorisation…

 

DEMANDEURE D’ASILE : Oui vous pouvez (inaudible).

 

COMMISSAIRE : Et je pourrais vérifier auprès des autorités du Royaume-Uni si vous étiez une citoyenne ou une résidente permanente de ce pays. M’accorderiez-vous cette autorisation?

 

DEMANDEURE D’ASILE : Oui, vous pouvez aller de l’avant.

 

COMMISSAIRE : Êtes-vous citoyenne du Royaume-Uni?

 

DEMANDEURE D’ASILE : Non.

 

COMMISSAIRE : Êtes-vous une résidente permanente du Royaume-Uni?

 

DEMANDEURE D’ASILE : Non.

 

[12]           Dans une lettre ultérieure adressée à la demanderesse, le commissaire indiquait qu’il ne contacterait pas les autorités du Royaume-Uni.

 

[13]           Le commissaire a ensuite spéculé sur ce que le passeport aurait permis de découvrir. Bien que cette question soit intéressante et pertinente pour juger de la crédibilité globale de la demande d’asile, elle n’est pas décisive eu égard à la demande de protection qui, pour l’essentiel, n’a pas été envisagée.

 

[14]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour être réexaminée par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission. Aucune question à certifier n’a été proposée et la Cour estime qu’aucune ne se pose.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3840-11

 

INTITULÉ :                                       LIZ COOPER c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 DÉCEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 31 JANVIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jane Stewart

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola, Odeleye
Avocats
North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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