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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date: 20120203

Dossier : IMM-2728-11

Référence : 2012 CF 150

Ottawa (Ontario), le 3 février 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

RODRIGO OCAMPO AGUILAR

IRMA GORDILLO ENCISO

VICTOR MANUEL OCAMPO GORDILLO

CARLOS ALBERTO OCAMPO GORDILLO

JOSE SALVADOR OCAMPO GORDILLO

RODRIGO OCAMPO GORDILLO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de révision judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR] qui vise la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci-après le tribunal), rendue le 4 avril 2011, voulant que M. Rodrigo Ocampo Aguilar (demandeur), son épouse Mme Irma Gordillo Enciso et leurs quatre enfants, Victor Manuel, Carlos Alberto, tous les deux mineurs ainsi que Jose Salvador et Rodrigo Ocampo Gordillo, tous les deux majeurs (les demandeurs), ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[2]               Pour les raisons qui suivent, cette demande de révision judiciaire est rejetée.

 

II.        Faits

 

[3]               Les demandeurs sont tous citoyens du Mexique.

 

[4]               Le demandeur est chauffeur de taxi dans la ville de Mexico. Il allègue avoir eu plusieurs problèmes avec deux trafiquants de stupéfiants, El Pelon et El Cejon, qui habitent près de son domicile.

 

[5]               Le 21 mars 2008, le demandeur revient de son travail et aperçoit El Pelon et El Cejon qui transigent devant son domicile. Il leur demande de quitter les lieux, mais les deux individus refusent. Il s’ensuit une dispute qui se transforme en bagarre. Les enfants du demandeur ainsi que d’autres voisins interviennent et font fuir les deux individus.

 

[6]               Le demandeur ne porte pas plainte à la police contre les deux hommes car il craint les  conséquences pour lui et sa famille. De plus, il allègue que son voisin Francisco a déjà eu des démêlés avec eux et est mystérieusement disparu en novembre 2007. Son corps a été retrouvé un mois plus tard.

 

[7]               Le demandeur et ses parents vont voir El Pelon et El Cejon le lendemain de leur dispute pour leur demander de ne plus récidiver. Les deux hommes refusent d’obtempérer et menacent de les tuer s’ils décident de porter plainte aux autorités.

 

[8]               Le 15 avril 2008, le demandeur revient de son travail avec son taxi. Il aperçoit de nouveau les deux hommes qui bloquent son stationnement. Il s’ensuit une nouvelle dispute. Une heure plus tard, l’un d’entre eux sonne à la porte du domicile du demandeur et lui demande de sortir à l’extérieur, mais le demandeur refuse. L’homme le menace de mort, alléguant que ce dernier interfère avec leur commerce. Le demandeur et son fils Rodrigo tentent de maîtriser l’homme, mais il réussit à se libérer et à fuir. L’homme monte dans une voiture de marque Volkswagen de laquelle il fait feu. Le demandeur et son fils évitent les tirs.

 

[9]               Le demandeur ne porte toujours pas plainte à la police puisqu’il croit que les autorités sont de connivence avec les trafiquants.

 

[10]           Les demandeurs quittent le Mexique le 3 juillet 2008.

 

 

III.       Législation

 

[11]           Les articles 96 et 97 de la LIPR se lisent comme suit :

Définition de « réfugié »

 

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

IV.       Questions en litige et norme de contrôle

 

A.        Questions en litige

 

[12]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève deux questions en litige :

 

1.         Est-ce que le tribunal manque à son obligation d’équité procédurale en omettant de faire part de ses préoccupations face aux contradictions qu’il relève entre le récit des demandeurs et leurs témoignages à l’audience?

 

2.         Est-ce que le tribunal commet une erreur en concluant que le récit factuel des demandeurs n’est pas crédible?

 

B.        Norme de contrôle

 

[13]           L’obligation du tribunal de permettre  au demandeur de répondre à ses doutes devant des contradictions est une question d’équité procédurale qui s’apprécie selon  la norme de la décision correcte (voir la décision Azali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 517 au para 12 [Azali]).

 

[14]           D’autre part, la Cour conclut, dans l’affaire Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 354, [2009] ACF no 438 au para 26, que la norme de contrôle applicable, à l’appréciation de la crédibilité, est celle de la décision raisonnable (voir aussi l’affaire Zarza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 139, [2011] ACF no 196 au para 16).

 

V.        Positions des parties

 

A.        Position des demandeurs

 

[15]           Le demandeur soutient que les conclusions du tribunal, entourant les évènements du 21 mars 2008, sont déraisonnables. Il prétend que le tribunal erre en affirmant qu’il est invraisemblable que l’altercation avec ses agresseurs soit survenue à l’intérieur de son taxi. Le demandeur souligne qu’il n’a que neuf ans de scolarité et qu’il se peut qu’il n’ait pas spécifiquement mentionné être sorti de son taxi le 21 mars 2008, lorsqu’il a répondu au questionnaire contenu dans son formulaire de renseignements personnel [FRP].

 

[16]           Le demandeur soutient également que le tribunal ne l’avise pas de ses doutes sur les évènements du 21 mars 2008, contrevenant ainsi à son obligation d’équité procédurale (voir la décision Tanase c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 32).

 

[17]           Le demandeur allègue que le tribunal tire une inférence déraisonnable de son omission d’insérer le contexte des évènements du 22 mars 2008 dans son FRP. Le tribunal écrit, au paragraphe 20 de sa décision, « [qu’il] ne croit pas que le demandeur se soit rendu chez ces deux vendeurs de drogue, [...] il ne mentionne pas s’y être rendu avec eux dans son histoire». Le demandeur soutient que cette conclusion est abusive puisqu’il s’agit d’une omission innocente, tel que l’explique la Cour dans la décision Basseghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 1867 (QL) [Basseghi].

 

[18]           Le demandeur prétend également que le tribunal erre en concluant à une contradiction apparente entre son FRP et son témoignage à l’audience. Le tribunal écrit, au paragraphe 18 de sa décision : « [...] Le tribunal reviendra sur le même sujet pour demander si, le 22 mars, ces hommes lui ont dit autre chose et il répond "que je me souvienne, non" [...] Le tribunal souligne que ce jour-là, il déclare dans son récit avoir reçu des menaces de mort et le demandeur déclare fermement qu’il n’a pas reçu de menaces de mort, ce qui étonne le tribunal ». Le demandeur rappelle qu’il fournit une explication raisonnable  en affirmant qu’il a plutôt reçu des menaces implicites de la part des deux trafiquants de drogue.

 

[19]           D’autre part, le demandeur qualifie de mineure la contradiction entre son témoignage et celui de son fils concernant l’incident du 15 avril 2008. Contrairement à ce que le tribunal écrit dans sa décision, le fils du demandeur ne mentionne pas que deux hommes se sont rendus au domicile familial pour discuter avec son père. Il a plutôt expliqué la situation à l’agent d’immigration en termes généraux.

 

[20]           Le tribunal ne tient pas compte des faits entourant l’assassinat de M. Jose Ocampo Aguilar, le frère du demandeur. Le demandeur souligne l’importance de cette omission puisque le tribunal  doit se pencher sur les risques que subiraient les demandeurs advenant leur retour au Mexique. Selon le demandeur, le tribunal commet une erreur  fondamentale en écartant cet élément de preuve important de son analyse.

 

[21]           Le demandeur soutient que le cumul d’erreurs matérielles commises par le tribunal appelle l’intervention de cette Cour.

 

B.        Position du défendeur

 

[22]           En réponse, le défendeur soutient le contraire. Le tribunal conclut raisonnablement à une contradiction importante entre le FRP du demandeur et son témoignage sur l’altercation du 21 mars 2008. Le demandeur a décrit de façon exhaustive les évènements du 21 mars dans son FRP et ne fait aucunement mention du fait que les trafiquants l’ont fait descendre de force de sa voiture avant de l’agresser physiquement. Le défendeur souligne qu’il est admis par la jurisprudence que les omissions au FRP peuvent être source de conclusions négatives en matière de crédibilité (voir les décisions Navaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 856 au para 17; Chavez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 FCPI 738; Kabengele c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1866).

 

[23]           De plus, le défendeur soutient que le niveau de scolarité du demandeur n’a rien à voir en l’instance. Tout demandeur a l’obligation de présenter une demande digne de foi, surtout lorsqu’il est conseillé par un avocat. Ainsi, dans la mesure où il existe une différence significative entre le FRP d’un demandeur et son témoignage à l’audience, le tribunal peut tirer des inférences négatives et conclure à un manque de crédibilité.

 

[24]           Selon le défendeur, le tribunal peut penser qu’il est invraisemblable que le demandeur ait rencontré El Pelon et El Cejon le lendemain de l’altercation. De plus, le demandeur modifie son témoignage pour le faire concorder avec le récit de son FRP. Au début, il parle de menaces de mort proférées contre lui et sa famille puis d’insultes pour en revenir à la première version. Le défendeur souligne que devant de telles variations dans un témoignage, il devient tout à fait loisible au tribunal de conclure à un manque de crédibilité du demandeur.

 

[25]           Sur le déroulement des évènements du 15 avril 2008, le tribunal constate une contradiction importante entre les déclarations du demandeur et celles de son fils, Rodrigo. Le demandeur prétend qu’un homme est venu à son domicile afin de le menacer. Le fils du demandeur présente une version différente lors de son entrevue avec l’agent d’immigration le 4 août 2008. Le fils du demandeur prétend que deux hommes se sont présentés à leur résidence au lieu d’un. Toutefois, il tente d’ajuster son témoignage durant l’audience et mentionne que l’un d’eux est arrivé plus tard et n’est pas entré dans le domicile du demandeur.

 

[26]           Le défendeur affirme qu’il est de jurisprudence constante que les réponses données à un agent d’immigration et un récit ou un témoignage contradictoire devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR] peuvent miner la crédibilité d’un demandeur (voir les décisions Carranza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 914 au para 20; Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262 au para 1). Le défendeur fait valoir qu’il est loisible au tribunal de conclure que la demande d’asile n’est pas fondée.

 

[27]           Le défendeur soutient aussi que le demandeur n’a pu établir un lien entre l’assassinat de son frère et les problèmes avec ses deux voisins.

 

[28]           Le défendeur allège que le tribunal fonde son constat d’absence de crédibilité sur le cumul d’omissions, de contradictions et d’invraisemblances entourant les éléments clés du récit du demandeur. Le tribunal entend les demandeurs de vive voix il peut donc évaluer adéquatement leur crédibilité (voir les décisions Berhane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 510 au para 45; Asashi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 102 au para 8).

 

[29]           Finalement, le défendeur rappelle que la Cour, lorsqu’elle siège en matière de révision judiciaire, ne doit pas usurper le rôle dévolu au tribunal et compléter sa propre appréciation de la preuve (voir les décisions Nanton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 266 au para 7; Garas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1247 au para 22).

 

 

 

 

 

VI.       Analyse

 

1.         Est-ce que le tribunal manque à son obligation d’équité procédurale en omettant de faire part de ses préoccupations face aux contradictions qu’il relève entre le récit des demandeurs et leurs témoignages à l’audience?

 

[30]           Le tribunal ne commet aucun manquement à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur en l’instance.

 

[31]           « L'obligation d'équité n'exige pas que les demandeurs soient confrontés à des renseignements qu'ils ont eux-mêmes fournis» (voir la décision Mahdoon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 284 au para 22; Azali précitée au para 26).

 

[32]           La juge Tremblay-Lamer traite d’une question analogue dans l’affaire Ngongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] ACF no 1627. Elle écrit, au paragraphe 16 de sa décision :

[16] À mon avis, il s'agit de regarder dans chaque dossier la situation factuelle, la législation applicable et la nature des contradictions notées. Les facteurs suivants peuvent servir de guide:

 

1.         La contradiction a-t-elle été découverte après une analyse minutieuse de la transcription ou de l'enregistrement de l'audience ou était-elle évidente?

 

2.         S'agissait-il d'une réponse à une question directe du tribunal?

 

3.         S'agissait-il d'une contradiction réelle ou uniquement d'un lapsus?

 

4.         Le demandeur était-il représenté par avocat, auquel cas celui-ci pouvait l'interroger sur toute contradiction?

 

5.                   Le demandeur communiquait-il au moyen d'interprète? L'usage d'un interprète rend les méprises attribuables à l'interprétation (et alors, les contradictions) plus probable.

 

6.                   Le tribunal fonde-t-il sa décision sur une seule contradiction ou sa décision est-elle fondée sur plusieurs contradictions ou invraisemblances ?

 

[33]           La jurisprudence citée ci-dessus s’applique pour déterminer si la Cour est devant un manquement à l’équité procédurale. En l’instance, nous sommes d’avis que le tribunal communique correctement ses doutes sur la vraisemblance de son récit au demandeur.

 

[34]           À la page 472 du dossier de la CISR, le tribunal fait un rappel au demandeur : « Monsieur, vous racontez dans votre histoire que le 21 mars vous arriver de travailler, vous les voyez en train de vendre de la drogue devant chez vous. Et voyant ça [vous dites] : "je suis allé les voir pour leur dire d’aller faire leurs petites affaires ailleurs". Donc là vous nous racontez aujourd’hui qu’ils [vous] ont forcé à sortir de la voiture ». Il est clair et sans équivoque que le tribunal communique clairement ses préoccupations au demandeur au sujet de sa version des évènements du 21 mars 2008. Il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale.

 

2.         Est-ce que le tribunal commet une erreur en concluant que le récit factuel des demandeurs n’est pas crédible?

 

[35]           L’appréciation de la crédibilité d’un demandeur est une question de fait. Ainsi, elle relève de l’expertise du tribunal et doit être revue selon la norme de la décision raisonnable (voir la décision Benmaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 755 au para 5 [Benmaran]). La Cour Suprême dans l’affaire Dusmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, nous rappelle qu’il faut déterminer si la décision « appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». La Cour doit faire preuve de retenue à l’égard des conclusions du tribunal qui portent sur des questions de crédibilité, pourvu qu'elles soient raisonnables, qu'elles s'appuient sur les éléments de preuve présentés (voir la décision Benmaran précitée, au para 5).

 

[36]           En l’espèce, le tribunal s’arrête à trois évènements essentiels de la demande d’asile et y trouve plusieurs contradictions ou omissions entre le FRP du demandeur et son témoignage à l’audience.

 

[37]           Dans un premier temps, le tribunal conclut à l’invraisemblance des évènements du 21 mars 2008, puisqu’il relève des contradictions  importantes au sujet de l’affrontement entre le demandeur et les deux trafiquants de drogues. Dans son FRP, le demandeur écrit :

[...] je suis arrivé de travailler et je me suis aperçu que [El Cejon et El Pelon] étaient en train de vendre de la drogue devant chez moi. Voyant cela je suis allé les voir pour leur dire d’aller faire leurs petites affaires ailleurs. Ils m’ont répondu qu’ils se trouvaient sur la voie publique, qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient et qu’ils n’allaient pas se retirer [...]

 

Devant leur refus de se retirer devant chez moi, j’ai continué à insister auprès d’eux pour qu’ils s’en aillent devant chez eux faire leur sale boulot [...] Comme ils ne voulaient rien entendre, le ton a monté et les insultes ont commencé à fuser de toutes parts. La situation a dégénéré pour se transformer en un affrontement à mains nues [...]

 

[38]           Le tribunal peut « tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison, et peut aussi rejeter des éléments de preuves qui ne sont pas contredits si ceux-ci ne sont pas compatibles avec son analyse globale de l'affaire » (voir la décision Osornio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 684 au para 16). En l’espèce, le tribunal constate une contradiction importante sur un élément essentiel de la demande d’asile des demandeurs.

 

[39]           Le demandeur reconnaît son omission par rapport au déroulement des évènements du 22 mars 2008. Dans son FRP, il ne mentionne pas s’être rendu au domicile des trafiquants, en compagnie de ses parents. Le demandeur cite la décision Basseghi. Dans cette affaire, la Cour affirme qu’il « n'est pas inexact de dire que les réponses fournies dans un FRP devraient être concises, mais il est inexact de dire que ces réponses ne devraient pas contenir tous les faits pertinents. Il ne suffit pas à un requérant d'affirmer que ce qu'il a dit dans son témoignage oral était un développement. Tous les faits pertinents et importants devraient figurer dans un FRP. Le témoignage oral devrait être l'occasion d'expliquer les informations contenues dans le FRP » (voir la décision Basseghi au para 33).

 

[40]           La Cour considère que le tribunal a raison de conclure que cette omission vient miner la crédibilité des demandeurs.

 

[41]           D’autre part, le demandeur affirme que le tribunal erre en constatant  qu’il a omis de mentionner dans son témoignage  les menaces de mort proférées à son endroit par les trafiquants de drogue. À l’audience, le demandeur maintient cette position. Pourtant, le tribunal souligne que le demandeur écrit aux lignes 61 à 63 de son FRP « ils nous ont dit que si nous commettions l’erreur de porter plainte contre eux, un membre de ma famille allait le payer très cher (ils sont même allés jusqu’à nous dire qu’ils allaient nous tuer) » (voir la page 33 du dossier du tribunal). La Cour reconnaît la justesse de la position du défendeur qui souligne, au paragraphe 15 de son mémoire supplémentaire, que « les mots "allaient nous tuer" sont explicites et ne sont pas dans l’esprit mais bien clairement écrits ». Il s’agit d’une contradiction apparente et le tribunal la discerne correctement.

 

[42]           La Cour acquiesce à la position du demandeur voulant que la contradiction entre son témoignage et celui de son fils soit mineure. Le tribunal peut  néanmoins conclure que cette contradiction porte atteinte à sa crédibilité puisqu’elle s’ajoute à d’autres manquements. Et comme le tribunal l’écrit au paragraphe 25 de sa décision « en raison de ces diverses omissions et contradictions, le tribunal ne croit pas que les événements du 21, 22 mars et 15 avril aient eu lieu ». Le cumul de contradictions porte un coup fatal à la crédibilité des demandeurs. Cette conclusion fait partie des issues possibles en l’instance.

 

[43]           Finalement, il importe de mentionner que le tribunal a conclu de façon raisonnable que l’assassinat de M. Jose Ocampo Aguilar, le frère du demandeur, n’a rien à voir avec la demande d’asile des demandeurs. Le demandeur n’a pas réussi à établir le  lien entre le décès de son frère et sa demande d’asile au Canada.

 

 

 

VII.     Conclusion

 

[44]           Le tribunal conclut raisonnablement que les demandeurs ne sont pas crédibles et qu’ils n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97(1) de la LIPR. La Cour tient à souligner aussi qu’il n’y a eu aucun manquement de la part du tribunal à l’équité procédurale.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

2.                  Il n’y a aucune question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2728-11

 

INTITULÉ :                                      RODRIGO OCAMPO AGUILAR

                                                           IRMA GORDILLO ENCISO

                                                           VICTOR MANUEL OCAMPO GORDILLO

                                                           CARLOS ALBERTO OCAMPO GORDILLO

                                                           JOSE SALVADOR OCAMPO GORDILLO

                                                           RODRIGO OCAMPO GORDILLO

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               29 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      3 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Joffe

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Thomas Cormie

Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Alain Joffe

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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