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Date : 20120202


Dossier : IMM-2591-11

Référence : 2012 CF 131

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

BAHAR MALEKI

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

[1]               Mme Bahar Maleki a été jugée interdite de territoire au Canada par un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, au motif qu’elle appartenait à un groupe dont il existait des motifs raisonnables de croire qu’il s’était livré à des actes visant le renversement par la force du gouvernement de l’Iran.

 

[2]               Mme Maleki soutient que des erreurs de fait rendent la conclusion de la Commission déraisonnable. Elle me demande d’infirmer cette décision et d’ordonner à un tribunal de la Commission différemment constitué de réexaminer la question de son interdiction de territoire au Canada. Cependant, je ne vois aucune raison d’infirmer la décision en cause. La conclusion de la Commission était appuyée par la preuve. Par conséquent, je devrai rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               La seule question en litige est de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable.

 

II.         Le contexte factuel

[4]               La demande d’asile de Mme Maleki au Canada est fondée sur sa crainte d’être persécutée en Iran en raison de ses activités politiques passées et du fait qu’elle a eu un enfant en dehors des liens du mariage (une infraction punissable par l’emprisonnement ou la mort par lapidation). Mme Maleki a quitté l’Iran il y a dix ans à l’âge de seize ans, et a vécu en Irak et en Turquie avant d’arriver au Canada en 2010.

 

[5]               À son arrivée, Mme Maleki a été interrogée par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada, à qui elle a déclaré qu’elle était [traduction] « membre d’un parti communiste iranien, le Komolei ». Ce parti, également connu sous le nom de Komala, est une organisation qui chercherait à renverser le gouvernement de l’Iran par la force.

 

[6]               Un délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a préparé un rapport alléguant que Mme Maleki était interdite de territoire, parce qu’elle appartenait à un groupe se livrant à des actes visant le renversement d’un gouvernement par la force, conformément à l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). (Les références législatives se trouvent en annexe.)

 

[7]               L’affaire a été déférée à la Commission qui a conclu, après une audience, qu’il existait des motifs raisonnables de croire que Mme Maleki était membre d’un groupe se livrant à des actes visant le renversement d’un gouvernement par la force, et qu’elle était donc interdite de territoire.

 

III.       La décision de la Commission

[8]               La Commission a fait référence à la jurisprudence ayant défini le terme « renversement » comme « l’introduction d’un changement par des moyens illicites ou à des fins détournées se rapportant à une organisation » (Suleyman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 780, au paragraphe 63), et comme « [t]out acte commis dans l’intention de contribuer au processus de renversement d’un gouvernement » (Shandi (Re), [1991] ACF no 1319). L’expression « par la force » désigne notamment « la coercition ou la contrainte par des moyens violents, la coercition ou la contrainte par des menaces d’user de moyens violents et, […] la perception raisonnable du risque qu’on exerce une coercition par des moyens violents » (Oremade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1077, au paragraphe 27).

 

[9]               La Commission s’est ensuite penchée sur l’historique du Komala, tel que le présente le Jane’s Information Group (le groupe Jane) :

 

·        Le pari Komala a été fondé au Kurdistan iranien en 1969. Il a été forcé d’opérer dans la clandestinité, à l’exception d’une courte période consécutive à la révolution de 1979. Il a pris les armes pour la première fois en 1979;

 

·        en 1984, le parti Komala fusionnait avec l’Union des militants communistes pour former le Parti communiste d’Iran (CPI), dont il représentait maintenant la section kurde;

 

·        le parti Komala s’est ensuite scindé. L’une des factions s’opposait à sa participation dans le CPI et a quitté le groupe principal; elle a pris le nom de Parti Komala du Kurdistan iranien (Komala-PIK) et adopté une idéologie socialiste;

 

·        les éléments restants se sont rassemblés sous la bannière du Parti communiste Komala d’Iran (Komalah-CPI), qui a conservé l’idéologie marxiste-léniniste originale de l’organisation. Mme Maleki appartenait à ce groupe.

 

[10]           Le groupe Jane expliquait aussi que le parti Komala a participé au renversement d’un gouvernement par la force. En 1979, ce parti a soutenu le renversement du shah et y a contribué. Ayant aussi refusé de s’aligner avec la République islamique, le Komala a fomenté une rébellion qui a été écrasée. D’ailleurs, lors de son entrevue, à son arrivée au Canada en 2010, Mme Maleki a déclaré que le Komala avait pris part, dans le passé, à des activités violentes contre le gouvernement de l’Iran, mais que la ligne de parti sur l’usage de la violence avait changé.

 

[11]           La Commission était convaincue qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le parti Komala, du moins dans sa forme initiale, s’était livré à des actes visant le renversement d’un gouvernement par la force. Néanmoins, elle a ensuite cherché à établir si le groupe auquel Mme Maleki appartenait (Komalah-CPI) était le même que le parti Komala original. Si tel était le cas, les activités du parti original seraient imputables au Komalah-CPI (Al Yamani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1457).

 

[12]           La Commission a reconnu qu’il existait peu d’éléments de preuve démontrant que le Komalah-CPI s’était livré à des actes visant le renversement d’un gouvernement par la force. Le groupe Jane signale que « Komaleh a toujours une capacité militaire et mène épisodiquement des attaques transfrontalières », et la Commission a présumé qu’il était ici question à la fois du Komalah-CPI et du Komala-PIK. Elle a ajouté que le Komalah-CPI était un groupe armé, mais qui n’a recours à la violence que pour se défendre contre le gouvernement de l’Iran. L’affirmation de Mme Maleki, selon laquelle les armes du Komalah-CPI ne servaient strictement qu’à l’autodéfense, se trouvait ainsi corroborée.

 

[13]           Cependant, d’autres éléments de preuve indiquaient que le Komalah-CPI faisait partie du même groupe que le Komala original, qui s’était manifestement livré à des actes visant le renversement d’un gouvernement par la force. Ces deux partis avaient le même chef, et leurs objectifs et idéologies sont restés identiques. Le seul changement significatif concerne leur renonciation apparente à la violence. La Commission a conclu que les partis Komala et Komalah-CPI formaient le même groupe. Cependant, rien ne prouvait que Mme Maleki se fût livrée à des actes de violence, puisque son adhésion au groupe remonte à l’époque où il se détournait de ces tactiques dans la poursuite de ses objectifs.

 

IV.       La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

[14]           Mme Maleki soutient que la décision de la Commission était déraisonnable, parce qu’elle contenait des erreurs factuelles. Elle affirme que la Commission a assimilé le parti Komalah-CPI au parti Komala d’avant 1984. Elle aurait négligé des éléments de preuve au dossier contredisant sa conclusion sur ce point. Certains éléments montraient en particulier qu’un groupe de transition avait existé entre 1984 et la fin des années 1980, alors que se formaient les partis Komalah-CPI et Komala-PKI. Rien n’indiquait que le groupe de transition se soit livré à des activités subversives.

 

[15]           Le seul élément de preuve contredisant la conclusion de la Commission était une déclaration extraite de l’ouvrage A Modern History of the Kurds, par D. McDowall, selon laquelle [traduction] « [l]e parti Komala a officiellement cessé d’exister » après la fusion avec le Parti communiste d’Iran en 1984. Cependant, ce passage est suivi d’une autre déclaration qui suggère que le parti Komala a subsisté :

[traduction]

 

Après être revenu à son identité kurde en 1991, le parti Komala comptait moins d’adhérents que les plus petits groupes auxquels il s’était uni en 1982.

 

[16]           Mme Maleki soutient que la Commission n’a pas opéré de distinction entre le Komalah‑CPI et le Komala d’avant 1984. Elle a présumé que le Komalah-CPI et l’organisation de transition ne formaient qu’une seule et même entité, mais n’a mentionné que les actes de violence imputables au groupe antérieur à 1984.

 

[17]           À mon avis, il appert des motifs que la Commission désignait à la fois le parti Komala d’avant 1984 et l’organisation de transition lorsqu’elle se référait à l’organisation « [d’]avant la scission ». La Commission a passé en revue l’historique de l’organisation depuis sa fondation en 1969 et a reconnu que le parti Komala avait fusionné avec le Parti communiste en 1984; elle s’est aussi appuyée sur la preuve rapportée par le groupe Jane, qui donnait à penser que le Komala était une organisation qui n’avait pas cessé d’exister, même après la rupture de la fin des années 1980 ou du début des années 1990. Je ne peux pas conclure que l’analyse de la Commission était déraisonnable.

 

[18]           Mme Maleki fait également valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que le Komala s’était livré à des actes visant le renversement d’un gouvernement par la force. Elle souligne que la Commission n’a cité aucun acte spécifique susceptible d’être ainsi qualifié.

 

[19]           Cependant, il n’est pas nécessaire que soient énumérés des actes spécifiques de subversion, pour autant que la Commission applique la bonne définition, comme elle l’a fait en l’espèce. Par ailleurs, la preuve étayait la conclusion de la Commission : elle indiquait en effet que le parti Komala avait pris les armes contre le shah et contre la République islamique. Mme Maleki avait elle-même déclaré que le parti Komala [traduction] « combattait le gouvernement de l’Iran par les armes. »

 

[20]           Par conséquent, la Commission s’est appuyée sur des éléments de preuve fournissant des motifs raisonnables de croire que le parti Komala avait pris part à des actes visant le renversement d’un gouvernement par la force, et que Mme Maleki en était membre. Sa décision était donc raisonnable.

 

[21]           La Cour a reconnu, dans des circonstances comparables, que ce résultat peut être drastique (Al Yamani, précitée, au paragraphe 13). Cependant, le paragraphe 34(2) de la LIPR prévoit une exception à la décision portant interdiction de territoire.

 

V.        Conclusion et décision

[22]           La décision de la Commission était fondée sur la prépondérance de la preuve dont elle disposait concernant la nature du parti Komala à travers ses diverses incarnations. Par conséquent, je ne puis conclure que la décision était déraisonnable au regard des faits et du droit. Aucune partie ne m’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune ne se pose.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale ne se pose.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


Annexe

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27



Sécurité

 

 34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

[…]

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

[…]

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

Exception

 

 (2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

 

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

 

Security

 

 34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

 

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

Exception

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2591-11

 

INTITULÉ :                                       BAHAR MALEKI
c
MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 2 FÉVRIER 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Elgin

Erica Olmstead

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Banafsheh Sokhansanj

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Elgin, Cannon & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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