Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20120213


Dossier : IMM-2959-11

Référence : 2012 CF 209

Ottawa (Ontario), le 13 février 2012

En présence de Monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

 

ROBERTO EDUARDO AMAYA JEREZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      Motifs du jugement et jugement

 

I.          Aperçu général

 

[1]               En 2009, M. Roberto Eduardo Amaya Jerez a quitté son Salvador natal et a fait une demande d’asile au Canada. Il allègue craindre les trafiquants de drogue qui ont tenté de l’obliger à vendre de la drogue dans le restaurant dont il était propriétaire à San Martin.

 

[2]               Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Amaya Jerez, concluant que sa crainte n'était pas liée à l’un des motifs reconnus dans la Convention sur les réfugiés et qu'il n'était pas exposé personnellement au risque de mauvais traitements. Il a été établi qu'il était plutôt exposé à un risque généralisé lié à la criminalité.

 

[3]               Monsieur Amaya Jerez soutient que la Commission a commis des erreurs en tirant ces deux conclusions. Selon lui, la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve démontrant qu'il était considéré comme un homosexuel et qu'il était persécuté, du moins en partie, pour ce motif. De plus, il soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle il était exposé à un risque généralisé, et non à un risque auquel il était personnellement exposé, était déraisonnable vu la preuve soumise.

 

[4]               À mon avis, la Commission n'a pas ignoré des éléments de preuve importants. De plus, ses conclusions étaient raisonnables compte tenu de la preuve produite.

 

[5]               Il y a deux questions en litige :

 

                                                              i.      La Commission a-t-elle ignoré des éléments de preuve?

                                                            ii.      La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

II.        Contexte factuel

 

[6]               En 2003, M. Amaya Jerez et sa femme ont ouvert à San Martin un petit restaurant qui attirait une clientèle très diversifiée, comprenant notamment des homosexuels et des trafiquants de drogue locaux. Un de ces derniers, surnommé « El Chino Tres Colas », a tenté de convaincre M. Amaya Jerez de vendre de la drogue dans son restaurant, mais ce dernier a refusé.

 

[7]               En 2004, deux associés de Chino Tres Colas, appelés « Cousin » et « El Tabatha », ont expliqué à M. Amaya Jerez qu'il allait devoir collaborer avec eux. Ils ont appuyé la pointe d’un fusil sur la tête de M. Amaya Jerez et ont menacé sa femme enceinte en pointant un fusil vers son ventre et son vagin. Monsieur Amaya Jerez a été battu. Au cours de l’agression, les membres du gang ont entré la pointe d’un fusil dans les sous-vêtements de M. Amaya Jerez et lui ont dit [traduction] « su tu laisses entrer les homos dans le restaurant, tu dois donc en être un toi-même ».

 

[8]               Monsieur Amaya Jerez a pris des dispositions pour envoyer sa femme dans une autre ville et il a fermé progressivement son commerce. Cousin et quatre autres membres du gang ont dit à M. Amaya Jerez qu'il ne pouvait refuser leur demande et qu'ils savaient où se trouvait sa femme. Ils ont battu M. Amaya Jerez, l’on soupçonné de nouveau d’être homosexuel et l’ont agressé en mettant le canon d’un fusil dans ses sous-vêtements.

 

[9]               Monsieur Amaya Jerez a déclaré ne pas avoir porté plainte à la police parce qu'il avait vu des membres importants de la police, dont le chef de la police locale, fraterniser dans son restaurant avec les mêmes trafiquants de drogue qu'il craignait. Cependant, M. Amaya Jerez a eu besoin de soins médicaux et a été hospitalisé pendant trois jours. Son médecin généraliste a déclaré qu'il avait des blessures sur tout le corps, y compris une blessure à la tête qui avait exigé cinq points de suture, d’importantes meurtrissures et lacérations au dos et des marques d’agression sexuelle dans la région anale et génitale.

 

[10]           Monsieur Amaya Jerez a fui San Martin et s’est installé à San Salvador avec son épouse, où il a trouvé un autre travail et a vécu dans cette ville jusqu'en juillet 2007; à cette date, toutes les personnes de son entourage voulaient de l'argent. Parmi eux se trouvait Cousin, qui a reconnu M. Amaya Jerez parce qu’il se rappelait l’avoir connu à San Martin.

 

[11]           Cousin a volé le portefeuille et les clés de M. Amaya Jerez, lui a dit qu'il le tuerait s'il portait plainte à la police et lui a rappelé que Chino Tres Colas avait des comptes à régler avec lui. Monsieur Amaya Jerez et son épouse se sont installés dans une autre ville, Chalchuapa, et se cachaient chez eux lorsqu'ils ne travaillaient pas. Incapable de fonctionner de cette façon toute sa vie, il a décidé de quitter le pays.

 

[12]           Monsieur Amaya Jerez a obtenu un visa de travail au Canada et y est arrivé en 2009. Après qu'il eut quitté le Salvador, sa femme a été accostée par les membres d’un gang qui ont tenté de kidnapper leur enfant. Elle a aussi été abordée par d'autres hommes qui lui ont demandé où se trouvait M. Amaya Jerez.

 

[13]           Au Canada, M. Amaya Jerez n’a jamais obtenu l’emploi qui lui avait été promis et il a été incapable de renouveler son permis de travail. Craignant de retourner au Salvador, il a présenté une demande d’asile en juin 2010.

 

III.       La décision de la Commission

 

[14]           La Commission a estimé que M. Amaya Perez était un témoin sincère. De plus, son compte rendu des événements était conforme à la preuve documentaire selon laquelle le Salvador est aux prises avec un problème de criminalité extrêmement grave, qui comprend des tentatives d'extorsion et des actes violents commis par des trafiquants de drogue. De plus, la preuve documentaire a confirmé l'existence du trafiquant de drogue appelé Chino Tres Colas. Il s’agit d’un des chefs importants et en vue de Mara 18, une organisation connue qui se livre au trafic de la drogue et à la criminalité de rue. Selon certaines nouvelles, Chino Tres Colas a récemment fait l’objet de poursuites à cause des crimes violents qu'il a commis.

 

[15]           La Commission a tenu compte de l’allégation de M. Amaya Jerez selon laquelle il avait fait l’objet de violences à caractère sexuel. Elle a conclu que ses allégations étaient pour l’essentiel fondées, mais elle a estimé qu'elles ne permettaient pas de fonder une demande sur les articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 [LIPR] (voir les articles pertinents de la Loi en annexe).

[16]           Premièrement, il n'avait pas démontré l’existence d’un lien avec un des motifs de la Convention. Essentiellement, M. Amaya Jerez a été victime d’actes criminels, notamment d’extorsion; il a subi des pressions pour vendre de la drogue et il a été agressé par suite de son refus. Le traitement qu'il a subi n’était lié à aucun des motifs de persécution reconnus à l’article 96.

 

[17]           Deuxièmement, l’article 97 de la LIPR protège les personnes qui affrontent un risque auquel ne sont pas exposés de façon générale les autres citoyens du même pays. La Commission a souligné que M. Amaya Jerez avait certes été visé personnellement par les événements au Salvador, mais qu’il n'était pas exposé personnellement à des risques de mauvais traitements. Monsieur Amaya Jerez a attiré l'attention de Chino Tres Colas parce qu'il représentait une source potentielle de revenus. De plus, la preuve documentaire a confirmé qu'il existe au Salvador de nombreux membres de gangs qui pratiquent l’extorsion de façon généralisée. La Commission a conclu que toutes les personnes possédant des entreprises, des installations ou des actifs sont exposées à un risque généralisé.

 

[18]           Monsieur Amaya Jerez a soutenu qu'il était exposé personnellement à un risque parce que les mauvais traitements qu'il avait subis résultaient en partie du fait qu'il était considéré comme un homosexuel. La Commission a exprimé son désaccord. Elle a conclu qu’aucun élément de preuve ne démontrait que le demandeur était considéré comme un homosexuel au Salvador. Les agents de persécution allégués savaient qu'il était un homme marié avec des enfants. De plus, en réponse à des questions à ce sujet, M. Amaya Jerez n'a pas dit qu'il se considérait comme un homosexuel. Selon la Commission, bien que les criminels qui ont agressé M. Amaya Jerez l’aient accusé d’être un homosexuel, ils ne l’ont pas fait parce qu’ils croyaient réellement qu'il était homosexuel.

 

[19]           Par conséquent, la Commission a établi que la preuve n’étayait pas l’existence d’une persécution du fait de l'orientation sexuelle. Elle a conclu que M. Amaya Jerez n’était ni une personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR, ni un réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96.

IV.       Première question en litige – La Commission a-t-elle ignoré des éléments de preuve?

 

[20]           Monsieur Amaya Jerez soutient que la Commission a déclaré à tort que « [r]ien n’indique que le demandeur d’asile est perçu comme un homosexuel au Salvador ». Cette conclusion contredit la preuve fournie par M. Amaya Jerez, lequel a été considéré par la Commission comme un témoin crédible. Il a déclaré que les membres du gang ont fait des déclarations homophobes au cours des deux agressions sexuelles, l'accusant d'être homosexuel parce qu'il servait des clients homosexuels dans son restaurant.

 

[21]           À mon avis, la Commission n'a pas ignoré cet élément de preuve. Elle a conclu que les agents de la persécution alléguée savaient que M. Amaya Jerez n'était pas vraiment un homosexuel. Ils savaient qu'il était marié. Le fait qu'il servait des clients homosexuels dans son restaurant ne faisait qu’empirer les excès de langage et les comportements menaçants des agresseurs. Cependant, ce n'est pas pour cette raison qu'ils s’intéressaient à M. Amaya Jerez et ce n’était pas non plus le fondement réel de leurs menaces. La conclusion de la Commission selon laquelle le gang s’attaquait en fait à M. Amaya Jerez parce qu'ils voulaient que le demandeur vende de la drogue dans son restaurant n'était pas déraisonnable vu la preuve qui lui était soumise.

V.        Deuxième question en litige – La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

[22]           Monsieur Amaya Jerez soutient que la Commission a conclu à tort que le témoignage de M. Amaya Jerez n'établissait pas de lien avec un motif de la Convention parce qu’elle avait ignoré son témoignage au sujet de l’orientation sexuelle dont on l’accusait. De plus, il allègue que le ministre a affirmé à tort que M. Amaya Jerez ne peut être considéré comme un homosexuel étant donné qu'il est marié. De plus, la dernière phrase de la décision de la Commission exprime l’erreur qu’elle a commise dans son cadre analytique : « Une personne ne devient pas homosexuelle du fait qu’elle a été agressée. »

 

[23]           À mon avis, la Commission a tenu compte de l’allégation de M. Amaya Jerez selon laquelle il avait été persécuté du fait de l’orientation sexuelle dont on l’accusait et elle a reconnu implicitement que les membres du gang ont pu avoir des motivations multiples. Cependant, comme il en a été question précédemment, la Commission a tenu compte de la preuve relative à cette question et a conclu que les motivations du gang étaient de nature pécuniaire.

 

[24]           Un demandeur peut certainement fonder sa demande d’asile sur son appartenance présumée à un groupe social particulier alors qu'il n’appartient pas vraiment à ce groupe. En l’espèce, la Commission n'a pas exclu cette possibilité. Elle a simplement conclu que M. Amaya Jerez était ciblé non pas à cause de son orientation sexuelle, mais parce qu’il était propriétaire d'un restaurant. Vu la preuve présentée à la Commission, je ne peux conclure que sa décision était déraisonnable.

 

[25]           De plus, M. Amaya Jerez soutient que la Commission a appliqué de façon erronée le droit régissant le risque généralisé et a ignoré sa situation particulière. Il soutient qu'il a été soumis à de multiples incidents de violence à caractère sexuel parce qu'il était considéré comme un homosexuel.

 

[26]           Cependant, la Commission a tenu compte de la preuve liée à l'orientation sexuelle qui aurait été reprochée au demandeur et a conclu que M. Amaya Jerez n'avait pas été ciblé pour cette raison. Par conséquent, il n'a pas été personnellement exposé à un risque. Compte tenu de la preuve dont la Commission était saisie, sa conclusion n'était pas déraisonnable. 

VI.       Conclusion et décision

 

[27]           Compte tenu du droit et de la preuve qui lui a été présentée, la décision de la Commission était compréhensible et justifiée. Elle n’était pas déraisonnable. De plus, la Commission n'a pas ignoré les éléments de preuve concernant l'orientation sexuelle qui aurait été reprochée à M. Amaya Jerez. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question ne sera certifiée, les parties n’en ayant proposé aucune.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’a été formulée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


Annexe A

 

Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

Définition de « réfugié »

 

     96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

  97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

Convention refugee

 

     96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

  97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2959-11

 

INTITULÉ :                                      ROBERTO EDUARDO AMAYA JEREZ c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

Lieu DE l’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE de l’audience :             Le 17 novembre 2011

 

Motifs du jugement

et jugement :                            Le juge O’REILLY

 

DATE deS motifS :                     Le 13 février 2012

 

 

 

Comparutions :

 

 

Peggy Lee

 

 

Pour le demandeur

 

Edward Burnet

 

Pour le défendeur

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

 

Elgin Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

Pour le demandeur

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.