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Date : 20120210

Dossier : IMM‑3396‑11

Référence : 2012 CF 205

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 février 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

XIAO FANG HUANG

XUE LI SU (personne mineure)

YONG QI SU (personne mineure)

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse principale, Xiao Fang Huang, et ses deux enfants mineurs, qui sont les autres demandeurs, prient la Cour d’annuler la décision, en date du 6 mai 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a tranché que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, leur demande est accueillie.

 

Contexte

[3]               Les demandeurs sont des citoyens de la Chine. La demanderesse principale affirme qu’elle et son fils ont reçu des diagnostics d’anémie en février 2007. Elle était inquiète pour leur santé. En février 2008, un ami lui a fait découvrir le christianisme et lui a dit qu’elle serait bénie et protégée si elle croyait en Dieu. La demanderesse principale a commencé à prier seule et, plus tard le même mois, elle a assisté à un office religieux pour la première fois dans la maison‑église de son ami. Elle a assisté aux offices régulièrement par la suite.

 

[4]               Elle affirme que, le 17 août 2008, pendant l’office auquel elle assistait, on l’a avisée que des représentants du Bureau de la sécurité publique (le BSP) étaient en route. La demanderesse principale a fui et s’est cachée. Son mari lui a dit que le BSP était venu chez eux et l’avait interrogé, et que certaines de ses photos avaient été confisquées. La demanderesse principale a également appris que deux des membres de l’église, dont son ami, avaient été arrêtés.

 

[5]               La demanderesse principale était inquiète pour sa propre sécurité et celle de ses enfants. Elle a fait appel aux services d’un passeur pour venir au Canada. Elle affirme qu’après avoir quitté la Chine, elle a appris que son mari avait été congédié et que son ami avait été condamné à trois ans d’emprisonnement.

 

[6]               Dans le formulaire de renseignements personnels (le FRP) modifié qu’elle a soumis avant le deuxième jour d’audience devant la Commission, la demanderesse principale alléguait qu’elle craignait également qu’on s’en prenne à elle personnellement parce qu’elle avait violé la politique de planification familiale de la Chine. Sa mère lui a raconté qu’une femme de leur village avait été stérilisée de force parce qu’elle avait deux enfants.

 

[7]               La Commission était d’avis que les questions déterminantes portaient sur l’identité de la demanderesse principale en tant que chrétienne et le bien‑fondé de sa crainte d’être stérilisée de force.

 

            Crainte relative à la stérilisation

[8]               La Commission a pris acte de l’allégation de la demanderesse principale voulant qu’une femme de son village ait été stérilisée sans son consentement. La Commission s’est dite d’avis que sa crainte n’était étayée par aucune preuve documentaire et était incompatible avec la preuve qui lui avait été soumise.

 

[9]               La Commission a conclu que la preuve indiquait de manière prépondérante que, dans la province d’origine de la demanderesse principale, le Guangdong, la violation de la politique de planification familiale donnait lieu à une amende, et non à la stérilisation forcée. La Commission a souligné qu’elle n’avait trouvé aucun rapport faisant état de stérilisation forcée entre 2002 et 2005 dans la province du Guangdong. La Commission a estimé que l’imposition d’une amende ne pouvait être assimilée à de la persécution dans le cadre d’une demande d’asile.

 

[10]           La Commission a estimé que la demanderesse principale n’avait présenté aucune preuve convaincante démontrant que les politiques avaient changé au Guangdong. À son avis, la crainte de la demanderesse relevait de la pure conjecture et se fondait sur une histoire concernant une femme de son village. La Commission a conclu que cette crainte d’être stérilisée n’était pas étayée par des éléments de preuve objectifs.

 

Christianisme

[11]           La Commission a jugé que l’allégation selon laquelle le BSP s’était rendu à 18 reprises au domicile de la demanderesse principale pour la trouver manquait de vraisemblance, puisque rien n’indiquait qu’elle avait joué un rôle au sein de son église. La Commission a également relevé des incohérences dans son témoignage concernant les photos saisies qui, selon ce qu’alléguait la demanderesse principale, étaient des photos d’autres membres de l’église. La Commission était d’avis que cette allégation était incompatible avec son témoignage suivant lequel l’église prenait nombre de mesures de sécurité pour protéger l’identité de ses membres. La Commission a également rejeté la réponse de la demanderesse principale pour expliquer comment le BSP pouvait avoir su quelles photos montraient des membres de l’église et son explication quant au fait qu’elle n’avait pas demandé à son mari de détruire les photos.

 

[12]           La Commission a tiré une inférence défavorable du témoignage de la demanderesse principale selon lequel le BSP n’avait laissé ni assignation ni mandat lors des visites qui auraient été faites à son domicile. Selon la Commission, ce témoignage était incompatible avec les renseignements contenus dans les documents concernant la situation dans le pays.

 

[13]           En raison de ces incohérences, la Commission a conclu que la descente de police à l’église de la demanderesse principale et la saisie des photos n’avaient pas eu lieu, mais également que les documents présentés pour corroborer ces allégations (le certificat des articles saisis et un avis de cessation d’emploi prouvant que son mari avait perdu son emploi) étaient frauduleux.

 

[14]           Compte tenu de ces conclusions défavorables quant à la crédibilité de la demanderesse principale, la Commission a conclu que l’allégation selon laquelle elle avait pratiqué le christianisme en Chine n’était pas crédible.

 

[15]           La Commission s’est ensuite penchée sur la question de savoir si la demanderesse principale pratiquait réellement le christianisme au Canada. La Commission a renvoyé au principe de la « bonne foi » dans la présentation d’une demande d’asile, principe qui, à son avis, soutient la thèse selon laquelle une demande d’asile ne peut être accueillie si la personne qui n’était pas par ailleurs menacée manipule délibérément les faits de manière à créer un risque de persécution. La Commission a estimé que la demande d’asile de la demanderesse principale n’avait pas été faite de bonne foi, après être parvenue à la conclusion que la demanderesse principale ne pratiquait pas réellement le christianisme en Chine et qu’elle avait joint les rangs de l’église chrétienne au Canada seulement pour soutenir sa demande d’asile frauduleuse.

 

[16]           La Commission a conclu, à titre subsidiaire, qu’il n’existait aucune possibilité sérieuse que la demanderesse principale soit persécutée en tant que chrétienne si elle retournait en Chine. La Commission a fait état d’éléments de preuve selon lesquels les groupes de chrétiens non enregistrés sont généralement tolérés au Guangdong. Selon certains éléments de preuve, les autorités perturbaient les activités chrétiennes dans d’autres régions de la Chine, mais la Commission a estimé qu’il y avait très peu de preuve à cet effet en ce qui concerne le Guangdong.

 

[17]           La Commission a fait état d’un incident, en décembre 2008, où il y avait eu descente de police dans une église au Guangdong, mais a souligné qu’il n’avait donné lieu à aucune arrestation et que personne ne s’était vu imposer une peine d’emprisonnement. La Commission a constaté qu’aucun des autres incidents ayant donné lieu à des arrestations de chrétiens au cours des dernières années n’était survenu au Guangdong. S’appuyant sur Nen Mei Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 470, la Commission a conclu qu’il est raisonnable d’estimer que, s’il existait un risque important de persécution, cette situation serait documentée.

 

[18]           La Commission a donc conclu que la demanderesse principale ne risquait pas d’être persécutée en tant que chrétienne au Guangdong ou ne serait pas personnellement exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou encore au risque d’être soumise à la torture.

 

[19]           La Commission a conclu que, comme les demandes d’asile des deux demandeurs mineurs reposaient sur les allégations de la demanderesse principale, ils n’avaient pas non plus qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. Par conséquent, la Commission a rejeté toutes les demandes d’asile des demandeurs.

 

Questions à trancher

[20]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

 

1.                  La Commission a‑t‑elle fait erreur dans son appréciation du volet de la planification familiale de la demande d’asile, en n’examinant pas les éléments de preuve les plus récents sur ce point et en se fondant plutôt sur une preuve désuète pour tirer sa conclusion?

2.                  La Commission a‑t‑elle fait erreur dans son appréciation de l’identité religieuse de la demanderesse principale en imposant une exigence relative à la « bonne foi », contrairement au droit des réfugiés et à la jurisprudence?

3.                  La Commission a‑t‑elle fait erreur en ne tirant aucune conclusion concernant l’identité religieuse des demandeurs mineurs?

4.                  La Commission a‑t‑elle fait erreur dans son évaluation du risque auquel s’exposent les chrétiens pratiquants dans la province du Guangdong?

 

Analyse

[21]           La norme de contrôle applicable à toutes les questions, à l’exclusion de la seconde, est celle de la décision raisonnable. La question de savoir si la Commission a appliqué le critère approprié à l’égard de l’élément « sur place » de la demande d’asile est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, mais l’application de ce critère aux faits est susceptible de contrôle suivant la norme de la décision raisonnable.

 

            1.  Désuétude de la preuve concernant la planification familiale

[22]           Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que, au vu du dossier, la Commission a fondé sur une preuve désuète sa conclusion suivant laquelle la demanderesse principale ne risquait pas d’être stérilisée. La Commission a fait état seulement d’éléments de preuve documentaire datant de 2005 ou antérieurs à 2005. Or, elle disposait d’une preuve pertinente plus récente sur le risque de stérilisation au Guangdong, plus particulièrement de la Réponse à la demande d’information CHN103502.EF, Chine : information sur les lois en matière de planification familiale, l’application de ces lois et les dérogations; cas signalés d’avortements forcés ou de stérilisations forcées d’hommes et de femmes, notamment dans les provinces du Guangdong et du Fujian (2007 – mai 2010). Ce document fait état d’une campagne de stérilisation au Guangdong tenue en avril 2010, qui visait près de 10 000 personnes ayant violé les règles de planification familiale. Les demandeurs ont insisté sur cette preuve dans les observations écrites qu’ils ont présentées à la Commission, mais celle‑ci n’en a pas traité.

 

[23]           Je conviens avec le défendeur que la Commission est présumée avoir soupesé et examiné toute la preuve, jusqu’à preuve contraire : Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CA). Toutefois, comme la Cour l’a indiqué dans Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 [Cepeda‑Gutierrez], l’omission de faire état d’une preuve très pertinente et digne de foi qui contredit la conclusion de la Commission constitue une erreur susceptible de contrôle. Dans la présente affaire, la Commission a limité l’analyse du risque de stérilisation forcée à une preuve dont les documents les plus récents dataient de 2005. Elle a d’ailleurs écrit ce qui suit au paragraphe 13 de ses motifs : « En outre, aucun rapport parmi les sources consultées par la Direction des recherches de la CISR ne faisait état d’incidents précis de stérilisation ou d’avortement forcés dans la province du Guangdong ». Toutefois, comme la preuve sur laquelle les demandeurs s’appuient fait état précisément d’incidents récents de stérilisation forcée dans la province du Guangdong et contredit directement la conclusion de la Commission, celle‑ci se devait de traiter expressément de cette preuve. Comme elle ne l’a pas fait, elle a commis une erreur susceptible de contrôle.

 

[24]           Je rejette l’argument du défendeur selon lequel cette preuve plus récente porterait en fait sur [traduction] « des incidents isolés ». Le rapport indique qu’il y a en très récemment une campagne de stérilisation forcée à grande échelle dans la province d’origine des demandeurs. On peut difficilement parler d’une série d’incidents isolés – il s’agirait en fait d’une initiative gouvernementale systématique.

 

2.  Exigence relative à la « bonne foi »

[25]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur de droit dans l’appréciation de l’élément « sur place » de la demande d’asile de la demanderesse principale en imposant une exigence en matière de « bonne foi ». La Commission s’est appuyée sur deux sources. La première est une décision daté du 21 septembre 1994[1] de l’Autorité d’appel en matière de statut de réfugié de la Nouvelle‑Zélande, appel relatif à la demande de statut de réfugié no 2254/94, concernant HB. La seconde est l’ouvrage de James Hathaway, The Law of Refugee Status (Toronto : Butterworths, 1991).

 

[26]           Ils font valoir, d’une part, que les sources sur lesquelles s’est fondée la Commission (une décision de l’Autorité d’appel en matière de statut de réfugié de la Nouvelle‑Zélande et un ouvrage de James Hathaway) datent d’il y a plus de 15 ans et ne concernaient pas expressément le droit canadien. Ils invoquent également Ghasemian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 266 [Ghasemian], aux paragraphes 29 à 31, et soutiennent que la bonne foi n’est pas un critère pour l’évaluation des demandes d’asile sur place au Canada. Au contraire, affirment‑ils, même si un demandeur d’asile se convertit pour une raison intéressée, il a toujours droit à la protection s’il réussit à établir qu’il craint avec raison d’être persécuté pour un des motifs prévus par la Convention.

 

[27]           La Commission a tranché la question de l’exigence relative à la bonne foi dans la décision faisant l’objet du contrôle de façon succincte, aux paragraphes 27 à 30 :

Après avoir conclu que la demandeure d’asile ne pratiquait pas le christianisme en Chine, le tribunal doit déterminer si la demandeure d’asile pratique réellement le christianisme au pays. Dans le cas d’une demande d’asile, il y a une exigence liée à la « bonne foi ». À cet égard, R.P.G. Haines, président d’un tribunal d’appel du statut de réfugié, et A.G. Wang Heed, commissaire au Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ont indiqué notamment ce qui suit :

 

[traduction]

S’il n’y a aucune exigence liée à la bonne foi dans le cas d’une demande d’asile présentée sur place, l’appelant en matière de statut de réfugié dispose des moyens de prendre unilatéralement une décision quant à l’octroi du statut de réfugié15.

 

15. Autorité d’appel en matière de statut de réfugié (Nouvelle‑Zélande), appel concernant une demande de statut de réfugié no 2254/94, concernant : HB 21 septembre 1994.

(www. Nzrefugeeappeals.govt.nz/pdfs/ref_199940921_2254.pdf).

 

À ce titre, le tribunal relève la citation suivante, tirée du livre de James Hathaway intitulé The Law of Refugee Status [le droit en matière de statut de réfugié], en ce qui a trait aux demandes d’asile présentées sur place : [traduction] « Est exclue de cette catégorie toute personne qui emploie un stratagème en présentant sciemment les circonstances de son cas de manière à créer un véritable risque de persécution qui n’existe pas »16. Le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, la demande d’asile n’a pas été présentée de bonne foi.

 

            16. Hathaway, James, The Law of Refugee Status, (1991).

 

Après avoir conclu que la demandeure d’asile ne pratique pas réellement le christianisme en Chine et qu’elle n’a pas présenté une demande d’asile de bonne foi, le tribunal estime que, selon la prépondérance des probabilités et à la lumière des constatations mentionnées précédemment, elle s’est jointe à une église chrétienne au Canada dans le seul but de soutenir sa demande d’asile frauduleuse.

 

À la lumière des éléments mentionnés ci‑dessus et selon l’ensemble des éléments de preuve présentés, le tribunal estime que la demandeure d’asile ne pratique pas de façon authentique le christianisme et qu’elle ne peut être perçue comme une chrétienne pratiquante en Chine.

 

 

[28]           Le défendeur n’a présenté aucune observation sur la question mais il a informé la Cour que la question de savoir si la bonne foi constituait une exigence dans le cadre des demandes d’asile sur place était actuellement examinée par le ministre. 

 

[29]           Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que les sources citées par la Commission posent problème. Premièrement, le passage cité comme étant un extrait de l’ouvrage de M. Hathaway ne provient pas de cette source; il s’agit d’un passage de la décision de la Nouvelle‑Zélande. Deuxièmement, l’opinion de M. Hathaway exprimée dans son texte ne semble pas soutenir la conclusion de la Commission. L’auteur affirme à la page 39 que le comportement visant à créer un risque de persécution peut néanmoins être à l’origine d’une demande d’asile valide, parce que ce comportement amènera l’État à imputer au demandeur d’asile une opinion politique négative ou un acte déloyal :

[traduction]

Il ne s’ensuit pas toutefois que toutes les personnes se livrant à l’étranger à des activités qui ne mettent pas véritablement en évidence une opinion politique oppositionnelle sont exclues de la définition de réfugié. Même s’il est évident que la déclaration ou l’acte délibéré était frauduleux, en ce sens qu’il s’expliquait principalement par la volonté d’obtenir l’asile, le fait que la demandeure d’asile se soit vue imputer conséquemment une opinion politique négative par les autorités de son pays d’origine peut néanmoins faire en sorte qu’elle soit visée par la définition de réfugié au sens de la Convention. Étant donné que le droit des réfugiés vise essentiellement l’octroi d’une protection contre des actes déraisonnables de l’État, il devrait être procédé à une analyse des risques de préjudice en cas de retour, en raison des activités politiques effectuées de façon non sincère à l’étranger.

 

Cette question se pose particulièrement lorsqu’il est allégué que le fait d’avoir présenté une demande d’asile non fondée peut en soi poser un risque sérieux de persécution. Même si ces cas constituent peut‑être les exemples les plus évidents d’une tentative « d’arriver à ses fins », le tribunal doit néanmoins prendre clairement acte des risques à l’égard des droits de la personne fondamentaux en cas de retour, qui peuvent découler du fait que l’État a imputé une opinion politique répréhensible à la demandeure d’asile, et il doit évaluer ces risques. Le simple fait que la demandeure d’asile puisse subir une certaine forme de sanction peut ne pas être suffisamment important pour constituer de la persécution, mais il existe clairement des situations où les conséquences du retour peuvent être considérées comme donnant naissance à une crainte bien fondée de persécution. Par exemple, dans Slawomir Krzystof Hubicki, la preuve démontrait que, en vertu du droit criminel polonais de l’époque, le demandeur d’asile était passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de huit ans parce qu’il avait présenté une demande d’asile au Canada. En pareille situation, le fondement de la demande n’est pas l’activité frauduleuse ou l’assertion elle‑même, mais plutôt l’opinion politique ou la déloyauté imputée à la demandeure d’asile par l’État d’origine. Dans un tel cas, la gravité de l’atteinte conséquente et les autres critères définitionnels devraient être évalués pour déterminer si le statut de réfugié est justifié.

 

 

[30]           Troisièmement, la Cour a déjà rendu des décisions, que la Commission n’a pas mentionnées, qui jettent le doute sur le bien‑fondé de sa position : Ghasemian, aux paragraphes 29 à 33, et Ejtehadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 158, aux paragraphes 10 à 12.

 

[31]           La question de savoir si l’absence de bonne foi vicie une demande d’asile sur place autrement fondée est une question à la fois difficile et intéressante. Toutefois, il n’y a pas lieu de la trancher dans la présente demande. J’ai conclu que la décision de la Commission concernant la demande d’asile sur place est déraisonnable, même si la bonne foi est une exigence. J’arrive à cette conclusion parce qu’il n’y a rien dans la décision ou le dossier qui permettait à la Commission de trancher que « elle s’est jointe à une église chrétienne au Canada dans le seul but de soutenir sa demande d’asile frauduleuse » [non souligné dans l’original].

 

[32]           Même si la demanderesse principale ne pratiquait pas le christianisme en Chine, la preuve démontre qu’elle fréquente une église chrétienne au Canada et participe à ses activités. Peut‑être que, comme Saint Paul sur le chemin de Damas, elle a eu une révélation et connu un éveil spirituel au Canada, ou peut‑être que ce n’est pas cas. Toutefois, pour parvenir à une décision quant à l’authenticité de ses croyances actuelles, la preuve doit faire l’objet d’une certaine analyse et, si sa preuve doit être complètement écartée, cette décision doit être étayée par des motifs. En l’espèce, il n’y a eu ni analyse ni justification. La Commission s’est contentée d’énoncer la conclusion à laquelle elle est parvenue et la Cour ne réussit pas, à partir du dossier, à savoir pourquoi elle est parvenue à cette conclusion.

 

3.  Identité religieuse des enfants

[33]           Les demandeurs soutiennent que la crainte des enfants repose sur le fait qu’ils ne seront pas en mesure de pratiquer leur religion en Chine. Ils ont commencé à pratiquer le christianisme avec leur mère à leur arrivée au Canada, comme le corrobore une lettre du révérend de leur église. Ils font valoir que la Commission n’a pas analysé la question de savoir s’ils étaient réellement des chrétiens et s’ils pourraient pratiquer librement leur religion en Chine. Ils soutiennent que la Commission avait l’obligation de statuer sur toutes les demandes d’asile, et non sur celle de la demanderesse principale seulement.

 

[34]           Je conviens avec le défendeur que la conclusion de la Commission concernant le risque de persécution des chrétiens au Guangdong s’appliquait également aux enfants et était donc suffisante pour trancher leur demande d’asile. Il y aurait lieu d’évaluer l’identité religieuse des enfants seulement si pareil risque de persécution existait.

 

4.  Analyse des risques auxquels s’exposent les chrétiens

[35]           Les demandeurs avancent que la Commission a fait abstraction de certains des éléments de preuve les plus pertinents concernant les risques auxquels s’exposent les chrétiens à Guangdong, contrairement aux principes énoncés dans Cepeda‑Gutierrez. Ainsi, la Commission a omis d’examiner une lettre de Bob Fu, président de la China Aid Association, qui, à leurs dires, réfutait plusieurs de ses conclusions. Selon les demandeurs, la Commission a également écarté une Réponse à une demande d’information qui traitait expressément de la situation au Guangdong et qui précisait notamment ce qui suit, à la page 63 du dossier de demande :

[traduction] [s]i l’on considère précisément le Fujian et le Guangdong, il est totalement incorrect de conclure que la liberté de culte est respectée dans ces provinces [...]. [L]es persécutions sont sporadiques et ne sont pas entièrement prévisibles, mais elles se produisent encore. Même les menaces de répression par le gouvernement constituent un moyen de persécution. À tout moment, les maisons‑églises du Fujian et du Guangdong, comme toutes les autres en Chine, sont exposées au risque terrifiant d’être fermées, ou de voir leurs membres subir des sanctions. Il est certain que la liberté de culte n’est pas respectée dans ces provinces, étant donné qu’elle ne l’est pas dans le reste du pays.

 

 

[36]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la Commission a analysé la preuve la plus récente concernant la persécution à laquelle sont exposés les chrétiens, mais a conclu de façon raisonnable que la preuve concernant la persécution était insuffisante pour ce qui est du Guangdong. Certains éléments de preuve allaient à l’encontre de sa conclusion, mais je ne crois pas que la preuve que les demandeurs ont présentée (deux lettres rédigées par la même personne) était cruciale au point que l’omission de la mentionner rende la conclusion déraisonnable.

 

[37]           Étant donné que la Commission a commis une erreur dans son analyse du risque de stérilisation forcée auquel était exposée la demanderesse principale et dans son analyse de la demande d’asile sur place, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un tribunal différent procède à un nouvel examen.

 

[38]           Les demandeurs ont proposé la question suivante aux fins de certification : [traduction] « Existe‑il une exigence liée à la “bonne foi” pour les personnes dont la demande d’asile repose sur des motifs de persécution religieuse en droit canadien? » Compte tenu de la décision à laquelle je suis arrivé dans la présente instance, la question posée ne permettrait pas de trancher un appel et il ne serait pas approprié de la certifier.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision rendue le 6 mai 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée et que les demandes d’asile des demandeurs sont renvoyées à la Commission pour qu’un tribunal différent procède à un nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Russel W. Zinn »  

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3396‑11

 

INTITULÉ :                                                   XIO FANG HUANG ET AL c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 1er décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 10 février 2012

 

 

 

COMPARUTION :

 

Lindsey K. Weppler

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Judy Michaely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1]  La page Web mentionnée par la Commission pour cette source n’existe plus. La décision se trouve à l’adresse suivante : http://www.refugee.org.nz/Casesearch/Fulltext/2254‑94.htm

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