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 Date: 20120209


Dossier : IMM-4837-11

Référence : 2012 CF 193

Montréal (Québec), le 9 février 2012

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

SECHAN YOON

JISEOK YOON

JIWON YOON

JIN KYUNG KIM

 

 

 

demandeurs

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I Introduction

 

1.            La SPR occupe une position privilégiée en tant que tribunal des faits. Elle a la possibilité d’entendre les demandeurs, de les écouter afin de cerner avec précision le nœud de la revendication, les fondements de l’histoire qui lui est racontée.

 

2.            L’interprète fait un travail exceptionnel en ce qu’il se doit de traduire chacune des nuances des propos des revendicateurs au tribunal. Les demandeurs ont, en outre, le droit de se faire comprendre en vertu l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte]. Il peut arriver, cependant, qu’une mauvaise interprétation fasse perdre au tribunal l’avantage que lui procure l’audience, celui d’écouter les demandeurs pour apprécier adéquatement leur crainte.

 

3.            Le témoignage d’un revendicateur d’asile nécessite déjà de la part du tribunal administratif que celui-ci soit réceptif aux différentes nuances dans leurs propos résultant directement de leur vécu et cela selon leur propre perception. L’interprète joue donc un rôle crucial pour aider le tribunal dans sa tâche d’écouter de manière active les demandeurs. Comme expliqué dans le Guide de l’interprète de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié à la p 35 :

À une audience de la SPR, les demandeurs d'asile doivent expliquer au tribunal ce qui les a amenés à demander l'asile. Lorsqu'ils doivent fournir le détail des circonstances entourant leur demande d'asile, les demandeurs d'asile doivent souvent se remémorer les moments émouvants et douloureux de leur vie, dont il leur est difficile de parler. Dans ces situations, si vous faites preuve de professionnalisme, vous pourrez ainsi inspirer confiance, ce qui facilitera des échanges fluides entre les commissaires et le demandeur d'asile. [La Cour souligne]

 

 

4.            Pour s’assurer que l’ensemble d’un cas ou le tableau entier d’un récit soit compris, cela nécessite une traduction claire, nette et compréhensible. Sans cela, la crédibilité d’un récit pourrait ne pas être adéquatement appréciée. D’ailleurs, un raisonnement démontrant un manque de crédibilité serait mis en doute par une traduction infidèle au témoignage du demandeur.

 

II Procédure judiciaire

 

5.            Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 13 juin 2011,  selon laquelle les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugié au sens de la Convention tel que défini à l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

III Faits

6.            Le demandeur principal, Sechan Yoon, son épouse Jin Kyung Kim, leurs enfants Jiseok Yoon, quinze ans, et Jiwon Yoon, dix-sept ans, sont citoyens de la  Corée du Sud.

 

7.            Monsieur Sechan Yoon, son épouse et leurs enfants allèguent craindre les hauts dirigeants de l’église JMS, une secte religieuse [secte] fondée par Jung Myung Seok en 1980. Ainsi, en raison de leur départ de la secte ils seraient, dorénavant, qualifiés par celle-ci de « traîtres ».

 

8.            Madame Jying Kyung Kim a joint la secte alors qu’elle était encore étudiante. Elle aurait été agressée sexuellement par les chefs religieux de la secte pendant la fin de ses études supérieures. Elle craint que le même schéma ne se répète avec sa fille advenant un retour en Corée du Sud.

 

9.            Monsieur Sechan Yoon a joint la secte en 1993 et a travaillé pour celle-ci en 1999 comme exploitant de stationnement et comme gestionnaire des activités des jeux de hasard d’octobre 2005 à octobre 2007. Il a été condamné à trois reprises pour ses actions commises pour le compte de la secte. Il a été, d’abord, par deux fois, reconnu coupable de fraudes et d’insolvabilité en raison des dettes importantes contractées au bénéfice de la secte et pour lesquelles il a été emprisonné puis une troisième fois lorsqu’il a été arrêté, en compagnie d’autres membres de la secte pour avoir jouer aux cartes contre de l’argent. Son dernier séjour en prison fut du 15 octobre 2007 au 30 juin 2008.

 

10.        Monsieur Sechan Yoon et son épouse se sont disputés au sujet de la place qu’occupait l’église dans leur vie. Madame Jying Kyung Kim a quitté la famille au mois de novembre 2007 pour aller vivre seule. Elle a continué à travailler pour la secte. Les deux enfants du couple sont allés vivre avec les parents de son époux. Leur mère leur aurait téléphoné une fois par mois.

 

11.        Monsieur Sechan Yoon délaisse progressivement la secte en 2005. Il allègue avoir eu des difficultés à se trouver un emploi en raison de son casier judiciaire. En 2008, il travaille chez un floriculteur et allègue que des membres de la secte se seraient présentés à son lieu de travail. Après cet évènement, le propriétaire lui aurait demandé de partir.

 

12.        Monsieur Sechan Yoon et ses enfants arrivent au Canada le 30 juillet 2009. Le 5 août 2009, ils y demandent l’asile.

 

13.        Madame Jying Kyung Kim s’étant réconciliée avec son époux, arrive au Canada le 18 décembre 2009 et y demande l’asile le 22 décembre 2009.

 

IV Décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire

14.        La SPR a déterminé que les demandeurs n’étaient pas crédibles pour les motifs suivants :

a)         Le demandeur principal a témoigné, lors de l’audience, que des représentants de la secte étaient venus à son lieu de travail pour le menacer, raison pour laquelle il aurait perdu son emploi. Il a, pourtant, omis de mentionner ces faits dans son formulaire de renseignements personnels [FRP].

 

b)         Le demandeur a contredit lors de son témoignage des renseignements contenus dans son FRP relatifs au nombre de mois durant lesquels il était employé par floriculteur.

 

c)         La preuve documentaire révèle que les hauts dirigeants de la secte ont été condamnés pour agressions sexuelles ce qui démontre que la Corée du Sud est en mesure de protéger ses citoyens. Les demandeurs pourraient donc porter plainte.

 

d)         Aucune preuve ne démontre que la fille des demandeurs, aujourd’hui âgée de dix-sept ans, était adepte de la secte et qu’elle était visée par des membres de la secte puisque la jeune fille a toujours résidé au même endroit et se rendait à l’école à pied.

 

e)         Les demandeurs n’ont pas soumis de preuve démontrant que les membres de la secte les poursuivraient. En effet, depuis 2008, ils n’auraient pas subi de menaces même si le père du demandeur principal a eu de la difficulté à obtenir de la part de la secte une preuve d’affiliation pour les demandeurs. Il aurait été obligé de prétendre que les demandeurs se trouvaient en Chine et qu’ils reviendraient sous peu.

 

f)          La menace alléguée par le demandeur principal, reçue en 2009, concernant le risque d’enlèvement des enfants ne coïncide pas avec ses déclarations initiales. De plus, ce risque n’équivaut pas à de la persécution, car le demandeur aurait témoigné que la pratique de la secte consistait à faire travailler les enfants durant l’été à vendre des fleurs et des noix de cajou sans rémunération.

 

g)         Il n’a pas été possible pour la SPR de désigner le véritable lieu de résidence des demandeurs puisque la demanderesse n’avait pas demandé un nouveau certificat de résidence lors de son déménagement.

 

i)                    Le demandeur principal a toujours résidé au même endroit et n’a jamais cherché à fuir la secte.

 

15.              Les lignes directrices ont été appliquées par la SPR lors du témoignage de la demanderesse sur les agressions sexuelles dont elle aurait été victime. Celle-ci a témoigné hors de la présence de son mari. Ces faits ne sont pas mentionnés dans son FRP puisqu’elle ne voulait pas que son époux les sache.

 

16.              La SPR conclut également à une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans les villes de Changwon ou Pusan. La SPR rejette la prétention des demandeurs selon laquelle leur certificat de résidence permettrait aux membres de la secte de les retrouver. De plus, la SPR est d’avis que rien n’indique que la secte aurait l’intérêt de les rechercher advenant leur retour. La SPR conclut qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs de se réinstaller dans les PRI suggérées malgré le casier judiciaire du demandeur et le fait que la demanderesse poursuive une formation de chef cuisinier au Canada.

 

V Point en litige

17.              La principale question en litige se formule ainsi :

Les erreurs d’interprétation durant l’audience ont-elles porté atteinte à l’article 14 de la Charte et aux principes d’équité procédurale durant l’audience?

 

VI Dispositions législatives pertinentes

 

18.              Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent au présent cas :

 

Définition de « réfugié »

 A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Personne à protéger

 (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection

 

 

VII Position des parties

19.              La partie demanderesse soutient que les problèmes de traduction avec l’interprète désigné par la SPR sont responsables des conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité. En effet, les demandeurs ne parlant pas français, un interprète était présent à l’audience pour effectuer la traduction du français au coréen et du coréen au français. À l’audience, était présent un autre interprète, monsieur Ki-Chan Yune  ayant traduit les documents de la famille à son arrivée au Canada.

 

20.              La partie demanderesse prétend que monsieur Yune a relevé plusieurs irrégularités dans la traduction, que les demandeurs avaient de la difficulté à comprendre les questions et que l’interprète avait du mal à suivre l’instance. La partie demanderesse a fait part, au cours de l’audience, des possibles problèmes de traduction, mais la SPR a refusé de changer d’interprète puisque les demandeurs avaient admis comprendre le coréen de l’interprète. La partie demanderesse affirme, toutefois, qu’elle n’était pas, alors, en mesure de juger de l’interprétation.

 

21.              La partie demanderesse prétend que les multiples questions d’éclaircissement des propos des demandeurs, des rectifications de l’interprète ont empêché les demandeurs d’exposer le fondement de la revendication en toute équité.

 

22.              Les demandeurs avaient droit, selon elle, à une interprétation fidèle, impartiale et concomitante de leurs propos effectuée par une personne compétente conformément à l’article 14 de la Charte. La SPR a donc erré en refusant d’ajourner l’audience ou de changer d’interprète, et cela, malgré les problèmes évidents de traduction.

 

23.              La partie demanderesse soumet en preuve un affidavit de monsieur Yune qui a relevé de la transcription de l’audience les principaux problèmes d’interprétation touchant le cœur du récit des demandeurs.

 

24.              La partie demanderesse soutient, par ailleurs, que la PRI suggérée par la SPR est déraisonnable en ce que celle-ci ne fait pas mention de la preuve documentaire. Elle soutient aussi que le problème de traduction a vicié le raisonnement de la SPR sur la possibilité de retrouver les demandeurs par le certificat de résidence.

 

25.              La partie défenderesse soutient, quant à elle, que les demandeurs ne se sont pas opposés au travail de l’interprète lorsqu’ils en avaient l’occasion. Ils auraient confirmé à deux reprises qu’ils comprenaient l’interprète.

 

26.              De plus, la partie demanderesse fait valoir que la Cour devrait accorder une faible valeur probante à l’affidavit de l’interprète monsieur Yune puisqu’il serait un ami des demandeurs et qu’il n’est, par conséquent, pas impartial. Celui-ci ne ferait, par ailleurs, que critiquer le choix de certains mots. La partie défenderesse soumet, à cet égard, que l’article 14 de la Charte n’exige pas une traduction parfaite.

 

27.              Deuxièmement, le manque de crédibilité des demandeurs n’est pas uniquement attribuable à la traduction puisque la SPR a également noté des contradictions et des invraisemblances dans le témoignage des demandeurs.

 

28.              Troisièmement, la partie défenderesse affirme que la PRI proposée par la SPR est raisonnable puisque les demandeurs n’ont pas soumis de preuve selon laquelle il serait possible pour la secte de les retrouver dans les villes de refuge envisagées par la SPR comme le démontrent les motifs de sa décision.

 

VIII Analyse

Les erreurs d’interprétation durant l’audience ont-elles porté atteinte à l’article 14 de la Charte et aux principes d’équité procédurale durant l’audience?

 

29.              La norme de contrôle pour cette question est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

30.              L’interprétation des propos des demandeurs au cours de l’audience est en jeu ici. La Cour a formulé les remarques suivantes relatives aux répercussions des problèmes d’interprétation dans Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 326 :

[16]      Il y a donc des éléments de preuve démontrant que l'interprète a commis des erreurs dans la traduction. Contrairement à ce que la Cour a dit dans Basyony c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 427, au paragraphe 8 (1re inst.) (QL), il ne s'agit pas en l'espèce de différences de nuances dans le texte original et dans la traduction. Les erreurs ne sont pas ici sans importance : elles touchent au fondement même du rejet de la revendication. La Commission s'est fondée, à tout le moins en partie, sur les erreurs de traduction pour conclure que le demandeur n'était pas crédible. Elle a rejeté la revendication du demandeur principalement en raison de cette conclusion défavorable concernant la crédibilité. À mon avis, le demandeur n'a pas eu droit, contrairement à ce qui est garanti à l'article 14 de la Charte, à une interprétation continue, fidèle, impartiale, concomitante et effectuée par une personne compétente. Comme la crédibilité du demandeur était l'élément déterminant en l'espèce, cela est suffisant pour accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

31.              Dans le présent cas, la Cour se base sur l’affidavit de monsieur Yune, seule preuve au dossier permettant de prendre acte des problèmes d’interprétation engendrés par la traduction lors de l’audience. En effet, ce dernier a traduit pour les demandeurs les documents se trouvant au dossier du tribunal [DT]. Même si monsieur Yune n’était pas habilité à agir devant la SPR à titre d’interprète accrédité, il n’a pas été démontré que son affidavit n’est pas probant ou que monsieur Yune soit partial.

 

32.              La Cour remarque de la transcription partielle de l’audience que d’importantes erreurs d’interprétation se sont glissées lors du témoignage des demandeurs. À titre d’exemple, le demandeur a précisé n’avoir été employé par le floriculteur que quelques mois, mais la réponse de l’interprète n’a pas reflété ce fait. (Dossier du demandeur [DD] à la p 165). Or, les propos mal interprétés du demandeur ont été repris dans la décision de la SPR au paragraphe 10 de sa décision et ont porté atteinte à la crédibilité du demandeur.

 

33.              Les échanges entre la SPR et le demandeur sur la question du registre de résidence comme moyen de retrouver les demandeurs sont également préoccupants. En effet, la transcription révèle que le demandeur ne comprenait pas la question du tribunal et que l’interprète a modifié la date dans sa traduction du français au coréen (DD à la p 170). La demanderesse a, par ailleurs clairement mentionné que le fait de vivre ailleurs qu’à l’adresse enregistrée ne posait aucun problème juridique ce que l’interprète a traduit comme n’étant pas obligatoire (DD à la p 171).

 

34.              Or, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles sur l’obligation d’enregistrer le lieu de résidence puisque le nom de la demanderesse, qui n’habitait plus avec les demandeurs, figurait tout de même au registre (Décision de la SPR au para 19).

 

35.              L’examen de la transcription révèle, de manière non équivoque, que certaines nuances du témoignage du demandeur n’ont pas été perçues par la SPR en raison des erreurs d’interprétation lors de la traduction. La Cour n’a exposé, ici, que des exemples de plusieurs divergences observables entre les propos des demandeurs et ceux traduits à la SPR qui ont eu lieu lors de la traduction. Cela a vicié le raisonnement de la SPR concernant tant l’appréciation de la crainte subjective que la détermination de la PRI.  

 

36.              De plus, l’échange suivant est problématique et révèle que la traduction a posé des problèmes durant l’audience :

PAR LE COMMISSAIRE PRÉSIDENT (à la personne en cause)

 

-         O.k. C’est pas la question. Ma question est : depuis quand est-ce que vous craignez ces 200 personnes? Depuis quelle date?

 

PAR LA PERSONNE EN CAUSE (au commissaire président)

 

-         À cause de -- j’étais envoyé au prison ---

 

PAR LE CONSEIL (au commissaire président)

 

-         Je dois intervenir parce qu’il semble que il n’y a pas de ---

 

 

PAR LE COMMISSAIRE PRÉSIDENT (à l’interprète)

 

-         Je ne sais pas si c’est un problème d’interprétation ou un problème d’évasion mais ça ne fonctionne pas. C’est quelle question que vous demandez le revendicateur?

 

PAR L’INTERPRÈTE (au commissaire président)

 

-         Non. Je demandais ce que vous avez dit. Depuis quand? Quelle date que---

 

(DT aux pp 329-330)

 

37.              L’audience suspendue quelques instants, le conseil des demandeurs s’es entretenue avec l’interprète observateur, monsieur Yune, et, ensuite, fait part à la SPR des possibles problèmes de traduction :

 

PAR LE CONSEIL (au commissaire président)

 

-         Je sais pas si c’est ça qui a causé le malentendu. Monsieur dit que on a pas traduit la question au complet. On a traduit juste depuis quand vous craignez mais on a pas dit depuis quelle date et expliquez nous la date, le mois, l’année. Je sais pas si ils sont à l’aise. On peut continuer comme ça mais si ---

 

 

PAR LE COMMISSAIRE PRÉSIDENT (au conseil)

 

-         Oui, mais monsieur est officiellement interprète ici depuis plusieurs années alors je lui fais confiance.

 

PAR LE CONSEIL (au commissaire président)

 

-         Parfait

 

PAR LE COMMISSAIRE PRÉSIDENT (à la personne en cause)

 

-         On va continuer. C’est la quatrième fois que je demande la question. La question c’est ---

 

INTERPRETE (au commissaire président)

 

-         Je leur ai expliqué parce que j’ai un peu de difficulté parce que connais pas leur histoire.

 

PAR LE COMMISSAIRE PRÉSIDENT (à la personne en cause)

 

-         Mais ça c’est normal. Ça c’est normal. D’habitude les interprètes ne connaissent pas les revendicateurs. O.k. Alors, je vais demander la question une dernière fois. La question est : depuis quand, depuis quelle date, est-ce vous craignez ces 200 000 croyants?

 

(DT aux pp 331-332)

 

 

38.              Toutefois, ce n’est qu’après l’audience qu’il a été possible de prendre connaissance de l’ampleur des problèmes d’interprétation. Le raisonnement du juge Simon Noël dans Umubyeyi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2011 CF 69 s’applique au cas présent:

[10]      En l’espèce, la preuve par affidavit est suffisante pour remettre en question le caractère adéquat de l’interprétation lors de l’audience devant la Commission. Il est compréhensible que le seuil de preuve pour déterminer que la demanderesse avait renoncé à son droit à une interprétation équitable soit élevé, et rien n’indique qu’elle avait effectivement renoncé à ce droit (Thambiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 15; Sherpa, précitée). Quoi qu’il en soit, même si une interprétation erronée avait été raisonnablement apparente lors de l’audience même, comme dans Elmaskut c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 414, l’affaire pourrait être renvoyée à la Commission pour nouvelle décision. [ La Cour souligne]

 

39.              La Cour ne peut conclure que les demandeurs ont renoncé à leur droit garanti par la Charte. La Cour concède que la traduction, en vertu de l’article 14 de la Charte ne doit pas être parfaite, cependant, les problèmes de traduction portaient sur des éléments centraux de la revendication et ont eu une influence néfaste sur l’appréciation, par la SPR, de la crainte subjective des demandeurs.

 

40.              Cela est d’autant plus important que la SPR a fondé sa décision, sur le manque de crédibilité et les invraisemblances du récit de demandeurs notamment en concluant à l’absence de crainte subjective et à une PRI.

 

41.              D’ailleurs, suite à une nouvelle audition, le raisonnement de la SPR pourrait mener à la même conclusion de manque de crédibilité, mais, néanmoins, cette audition nouvelle est essentielle pour s’assurer que la traduction ne permettra pas de mettre en doute le raisonnement éventuel de la SPR. 

 

42.              Pour l’ensemble des motifs précédemment exposés, la décision de la SPR doit être infirmée, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le cas est renvoyé pour examen à nouveau à un panel autrement constitué.

 

 

 


JUGEMENT

La Cour ordonne que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

 

“Michel M.J. Shore”

 

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4837-11

 

INTITULÉ :                                       SECHAN YOON ET AL et  MCI

                                                           

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 9 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 9 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Angelica Pantiru

POUR LES DEMANDEURS

 

Émily Tremblay

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Angelica Pantiru

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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