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Date : 20120210

Dossier : T‑1946‑10

Référence : 2012 CF 204

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 février 2012

En présence de Mme la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

 

BANDE DES DÉNÉS DE SAMBAA K’E et

BANDE DES DÉNÉS DE NAHANNI BUTTE

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

JOHN DUNCAN, MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN, GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD‑OUEST et PREMIÈRE NATION ACHO DENE KOE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La bande des Dénés de Sambaa K’e [la BDSK], la bande des Dénés de Nahanni Butte [la BDNB] et la Première Nation Acho Dene Koe [la PNADK] revendiquent des territoires qui se chevauchent dans l’angle sud‑ouest des Territoires du Nord‑Ouest [les T.N.‑O.].

 

[2]               La BDSK et la BDNB sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien [le Canada ou le ministre] a reporté toute consultation avec elles jusqu’à ce qu’une entente de principe soit conclue avec la PNADK à l’issue des négociations qui sont actuellement en cours entre le Canada et la PNADK en matière de revendications territoriales globales. La BDSK et la BDNB ont également constitué le gouvernement des Territoires du Nord‑Ouest [le G.T.N.‑O.] et la PNADK défendeurs dans la présente demande.

 

[3]               La BDSK et la BDNB affirment qu’en retardant les consultations avec elles tant qu’une entente de principe ne sera pas intervenue entre lui et la PNADK, le Canada manque à son obligation légale et constitutionnelle de les consulter et de prendre les mesures d’accommodement qui s’imposent à leur égard.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion que le Canada avait l’obligation de consulter la BDSK et la BDNB en temps opportun et de manière sérieuse et qu’il a manqué à cette obligation. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Les rapports entre la BDSK, la BDNB et la PNADK

[5]               La BDSK, la BDNB et la PNADK sont des peuples autochtones au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11. Elles sont toutes parties au Traité no 11 qui a été signé le 27 juin 1921.

 

[6]               Le Traité no 11 visait à céder à la Couronne de vastes étendues de terres autochtones. Dans le rapport du commissaire qui accompagne le Traité, les terres en question sont désignées, de façon générale, comme [traduction] « le territoire situé au nord du 60e parallèle et le long du Mackenzie et de l’océan Arctique ».

 

[7]               En échange de cette cession, la Couronne a pris certains engagements envers les populations autochtones. En particulier, elle s’est engagée à mettre des terres de côté à titre de réserves. Suivant le rapport du commissaire, en réponse aux craintes exprimées par les Autochtones d’être confinés dans les réserves, on les a assurés [traduction] « qu’ils choisiraient eux‑mêmes, pour leur usage [...] les réserves mentionnées dans le traité et qu’ils seraient libres d’aller et venir comme bon leur semblerait ». Les réserves promises n’ont toutefois jamais été créées.

 

[8]               Le Traité no 11 protégeait en outre le droit des Autochtones de s’adonner à la chasse, au piégeage et à la pêche à l’intérieur des limites du territoire visé par le Traité. Les parties conviennent que la BDSK et la BDNB jouissent toujours des droits que leur confère ce traité. Les Premières Nations et le Canada ne s’entendent toutefois pas sur la question de savoir si le Traité no 11 a éteint le titre aborigène sur les terres en question et sur l’effet du Traité sur leurs autres droits ancestraux, tels que leurs droits de gouvernance.

 

[9]               La BDSK, la BDNB et la PNADK continuent toutes à revendiquer leur titre aborigène sur leurs terres traditionnelles respectives, tandis que la position du Canada est que le Traité no 11 a eu pour effet d’éteindre le titre aborigène des Premières Nations.

 

[10]           La BDSK, la BDNB et la PNADK possèdent chacune des terres traditionnelles dans l’angle sud‑ouest des T.N.‑O., une région appelée région du Deh Cho. Toutefois, les deux tiers des terres revendiquées par la PNADK en tant que territoire traditionnel lui appartenant sont situés au Yukon et en Colombie‑Britannique, alors que la plus grande partie du territoire revendiqué par la BDSK et la BDNB se trouve dans les T.N.‑O.

 

[11]           Il existe également un différend entre, d’une part, la PNADK, et, d’autre part, la BDSK et la BDNB, au sujet des frontières de chacun de leur territoire traditionnel respectif et sur la question de savoir si chacune de ces Premières Nations jouissait du droit exclusif d’utiliser les terres en question.

 

Le processus de règlement des revendications territoriales globales

[12]           Dès lors que le Canada accepte de négocier la revendication territoriale globale d’un peuple autochtone, les parties concluent une « entente‑cadre » qui précise le processus de négociation.

 

[13]           Dans l’hypothèse où les négociations initiales révèlent l’existence d’un terrain d’entente suffisant, les parties signent une « entente de principe » exposant les points essentiels sur lesquels elles s’entendent. Une entente de principe n’est pas juridiquement contraignante et les points qui y sont abordés peuvent faire l’objet d’autres négociations.

 

[14]           Une fois que les parties ont convenu de la façon de régler toutes les questions en litige, les parties rédigent un accord définitif qui peut notamment comprendre une entente sur des questions telles que la propriété des terres, les avantages financiers, les questions de gouvernance et les chevauchements territoriaux. Une fois ratifié par toutes les parties, l’accord définitif bénéficie d’une protection constitutionnelle et est considéré comme un traité au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

 

Le processus Deh Cho

[15]           Les Premières Nations Deh Cho ont présenté une revendication territoriale globale au sujet de laquelle le Canada a accepté d’entamer des négociations en 1998. La BDSK, la BDNB et la PNADK faisaient toutes partie de ce processus.

 

[16]           Vers 1999, le Canada a entamé des négociations en vue de résoudre les revendications territoriales globales avec le conseil tribal Deh Cho conformément aux clauses de « l’Entente‑cadre des Premières nations du Deh Cho ». Ce processus de négociation est toujours en cours et est appelé « processus Deh Cho ». Il ne vise que les terres situées dans les T.N.‑O.

 

[17]           Comme la PNADK affirmait que les deux tiers de son territoire traditionnel se trouvaient à l’extérieur des T.N.‑O., elle a d’abord demandé au Canada d’établir un processus distinct de revendication territoriale globale pour les terres qu’elle revendiquait dans les T.N.‑O., le Yukon et la Colombie‑Britannique. Dans sa réponse de mars 1999, le Canada a informé la PNADK qu’il n’était pas disposé à entamer des négociations avec chacune des collectivités. En conséquence, bien qu’elle ait initialement participé au processus Deh Cho, la PNADK a à plusieurs reprises fait part de ses préoccupations au sujet de l’impossibilité de résoudre toutes les questions en suspens dans le cadre de ce processus.

 

[18]           L’Entente‑cadre des Premières Nations du Deh Cho prévoyait notamment que les négociations menées dans le cadre du processus Deh Cho ne seraient pas confidentielles. Elle précisait également que l’un des objectifs visés était d’arriver à une entente sur l’utilisation, la gestion et la préservation des terres, de l’eau et des autres ressources.

 

[19]           Aux termes de l’Entente‑cadre des Premières Nations du Deh Cho, les parties s’engageaient par ailleurs à « explorer les options et [à décider] des façons de procéder pour régler les questions transfrontalières touchant la partie du territoire du Deh Cho située hors des Territoires du Nord‑Ouest ».

 

[20]           Le processus Deh Cho est coordonné par les Premières Nations du Deh Cho [les PNDC], par l’entremise du conseil tribal de ces Premières Nations. La BDSK, la BDNB et la PNADK font toutes partie, avec d’autres Premières Nations de la région du Deh Cho, du conseil tribal des Premières nations du Deh Cho. Chacune conserve cependant son statut de Première Nation indépendante et possède ses propres droits ancestraux et droits issus de traités en ce qui concerne leur territoire traditionnel respectif.

 

[21]           Les négociations entamées dans le cadre du processus Deh Cho sont toujours en cours et aucune entente de principe n’a encore été conclue.

 

[22]           Outre les différends qui existent depuis longtemps au sujet de leurs frontières respectives entre la BDSK et la PNADK, et entre la PNADK et la BDNB, il existe aussi un désaccord entre ces trois Premières Nations au sujet de l’exploitation pétrolière et gazière dans la région. La PNADK s’est montrée plus intéressée que la BDSK et la BDNB à poursuivre l’exploitation des ressources pétrolières et gazières. D’ailleurs, la BDSK a publiquement déclaré qu’elle préférerait attendre que les revendications territoriales soient réglées avant de poursuivre l’exploitation des réserves pétrolières et gazières.

 

[23]           Bien que la BDSK et la BDNB aient tenté dans le cadre du processus Deh Cho de faire désigner comme zones protégées certaines parties des terres faisant l’objet de revendications portant sur des territoires qui se chevauchent, la PNADK a cherché à ouvrir ce territoire à la prospection minière et gazière.

 

[24]           Aucune suite n’a été donnée à la proposition faite par le Canada en 1999 d’agir comme médiateur en vue de régler les conflits frontaliers entre les Premières Nations. Deux ans plus tard, dans le cadre du processus Deh Cho, les Premières Nations du Deh Cho ont adopté une motion exigeant que des ententes frontalières soient conclues entre la BDSK, la BDNB et la PNADK.

 

[25]           Bien que les revendications territoriales ne soient toujours pas réglées, plusieurs ententes ont été conclues dans le cadre du processus Deh Cho. Parmi celles‑ci, mentionnons l’« Entente sur les mesures provisoires » conclue en 2001 entre les Premières Nations du Deh Cho, le Canada, et les Territoires du Nord‑Ouest. L’entente précise notamment le rôle des Premières Nations du Deh Cho dans la gestion des ressources pendant que les négociations se poursuivent. L’entente sert également de guide pour les intervenants en attendant la conclusion d’une entente définitive.

 

[26]           Le Comité d’aménagement du territoire du Deh Cho [le CATDC] a par ailleurs été mis sur pied en 2001. Le Canada fait partie de ce comité, qui est chargé de réglementer la conservation, la mise en valeur et l’utilisation des terres, des eaux et des autres ressources de la région.

 

[27]           Le CATDC a dressé une série de cartes devant servir à l’élaboration d’un plan d’aménagement du territoire. Ces cartes proposent des frontières délimitant les territoires traditionnels de la BDSK, de la BDNB et de la PNADK. Les parties ont échangé de la correspondance au cours de ce processus, dans le cadre duquel la BDSK et la BDNB ont toutes deux identifié leurs zones d’utilisation principale et d’utilisation traditionnelle des terres.

 

[28]           Une entente provisoire sur l’exploitation des ressources a été conclue en octobre 2003. Elle visait à favoriser l’exploitation des ressources gazières et pétrolières dans la région du Deh Cho de manière à ce que les Premières Nations du Deh Cho en bénéficient directement en attendant la conclusion d’un accord définitif.

 

[29]           En 2005 et 2006, la BDSK, la BDNB et la PNADK ont échangé de la correspondance avec le CATDC au sujet de la délimitation du territoire de la BDSK, de la PNADK et de la BDNB en vue du zonage des terres. Les lettres de la BDSK et de la BDNB identifiaient les secteurs au sujet desquels il y avait mésentente et indiquaient les zones d’utilisation principale qui faisaient carrément partie de la région désignée maintenant revendiquée par la PNADK.

 

[30]           En 2006, certaines des zones d’utilisation principale revendiquées par la BDSK et la BDNB ont été acceptées par le CATDC, ainsi qu’il ressort de la version définitive du plan de zonage et d’aménagement du territoire du Deh Cho, qui a par la suite été approuvé par les Premières Nations du Deh Cho.

 

Le processus de règlement des revendications territoriales de la PNADK

[31]           Bien que le Canada ait dans un premier temps refusé d’entreprendre des négociations individuelles en vue de régler les revendications territoriales respectives des Premières Nations des Territoires du Nord‑Ouest, il semble qu’il ait changé sa position en 2007 ou en 2008, lorsque le Canada et le G.T.N.‑O ont convenu d’entamer directement avec la PNADK des pourparlers quant à ses revendications territoriales communautaires. Comme nous l’avons déjà signalé, la PNADK estimait depuis un certain temps que le processus des Premières Nations du Deh Cho ne tenait pas adéquatement compte de ses intérêts, compte tenu notamment de ses revendications territoriales sur de vastes étendues situées à l’extérieur des T.N.‑O.

 

[32]           Le 14 juillet 2008, la PNADK a signé sa propre entente‑cadre avec le Canada et le G.T.N.‑O. [l’Entente‑cadre de la PNADK] en vue de la conclusion éventuelle de son propre accord sur ses revendications territoriales globales. Les attendus de l’Entente‑cadre de la PNADK précisent que les parties à l’entente entendent négocier une revendication territoriale globale pour clairement définir certains droits, revendiqués par la PNADK dans les Territoires du Nord‑Ouest, relatifs aux terres, aux ressources et à la gouvernance.

 

[33]           L’Entente‑cadre de la PNADK précise les objectifs et l’échéancier des négociations entre les parties, les sujets à négocier, ainsi que le processus d’approbation d’une éventuelle entente de principe et d’un éventuel accord définitif.

 

[34]           Parmi les « sujets à négocier » énumérés dans l’Entente‑cadre de la PNADK, on relève la question [traduction] « des régions désignées, de la sélection des terres et de la tenure des terres désignées ». L’article 12 de l’Entente‑cadre de la PNADK stipule qu’[traduction] « [a]vant d’achever la Phase 1 de l’accord définitif, les parties délimiteront de façon définitive la région désignée en tenant compte de toute entente conclue pour résoudre les questions de chevauchement de territoires [dans les T.N.‑O.] entre la Première Nation Acho Dene Koe et tout autre groupe autochtone ».

 

[35]           L’article 4.3 de l’Entente‑cadre de la PNADK prévoit que [traduction] « le Canada et le gouvernement des Territoires du Nord‑Ouest présentera à la Première Nation Acho Dene Koe, qui l’acceptera, une offre de règlement fondée sur sa part proportionnelle de l’offre faite aux Premières Nations du Deh Cho dans le cadre du processus des Premières Nations du Deh Cho ».

 

[36]           L’Entente‑cadre de la PNADK concerne des terres qui sont décrites comme étant un [traduction] « territoire revendiqué par la PNADK », qui est délimité sur la carte jointe à l’entente. Bien que des terres situées au Yukon et en Colombie‑Britannique figurent sur cette carte comme faisant partie du territoire traditionnel de la PNADK, l’Entente‑cadre de la PNADK précise bien que seules les terres revendiquées par la PNADK dans les Territoires du Nord‑Ouest font l’objet de négociations aux termes de l’entente. Parmi ces terres se trouvent des zones revendiquées en tant que zones d’utilisation principale par la BDSK et la BDNB et que le CATDC (dont le Canada faisait partie) avait accepté en 2006 de considérer comme constituant leurs zones d’utilisation principale.

 

[37]           L’article 8 de l’Entente‑cadre de la PNADK stipule que les négociations menées dans le cadre de l’entente sont confidentielles. La PNADK a toutefois divulgué au public la teneur de l’entente.

 

Le Canada n’a pas avisé ou consulté la BDSK et la BDNB avant de conclure l’Entente‑cadre avec la PNADK.

 

Négociations sur des territoires se chevauchant

 

[38]           Le Canada est depuis longtemps au courant des revendications formulées au sujet de territoires qui se chevauchent dans la région du Deh Cho dans les Territoires du Nord‑Ouest. La politique du Canada est, dans toute la mesure du possible, de laisser les Premières Nations concernées régler entre elles les problèmes de chevauchement.

 

[39]           À cette fin, le Canada a encouragé les Premières Nations du Deh Cho, y compris la BDSK, la BDNB et la PNADK, à résoudre entre elles leurs questions frontalières et de chevauchement. La BDSK et la BDNB conviennent qu’il s’agit de la façon la plus souhaitable de résoudre les questions de chevauchement.

 

[40]           En vue d’aider les Premières Nations à résoudre leurs problèmes de chevauchement, le Canada a fourni du financement pour faciliter les négociations entre les trois Premières Nations en question. Entre 2008 et 2011, la BDSK et la BDNB ont reçu 435 000 $ du Canada pour les aider à résoudre leurs différends frontaliers. La BDSK et la BDNB ont utilisé cet argent pour mener des recherches, compiler les documents, organiser des rencontres communautaires et se préparer en vue de rencontres avec la PNADK et pour y participer.

 

[41]           En juillet 2008, le Canada a nommé M. Bob Overvold à titre de représentant spécial du ministre chargé d’explorer divers scénarios pour résoudre les problèmes de chevauchement dans la région du Deh Cho en général. Suivant son mandat, M. Overvold devait entamer des discussions avec les groupes autochtones au sujet de leurs droits dans les zones qui se chevauchaient, mais il n’avait pas le mandat de les consulter sur les questions visées par le processus de négociation des revendications territoriales.

 

[42]           La fiche d’information que M. Overvold a remise à la BDSK et à la BDNB précisait l’approche préconisée par le Canada en ce qui concerne les questions de chevauchement des territoires des Premières Nations et soulignait que les questions de chevauchements [traduction] « devraient faire l’objet de discussions dès le début du processus de négociation et pendant toute la durée de celui‑ci ».

 

[43]           La BDSK et la BDNB ont invité M. Overvold à l’une de leurs rencontres. M. Overvold a également recueilli des renseignements relatifs aux problèmes de chevauchements auprès de diverses Premières Nations et a soumis au ministre un rapport et des recommandations. Dans son rapport, il remettait notamment en question la politique actuelle du Canada en matière de consultations sur les questions de chevauchement, en laissant entendre que le Canada pouvait [traduction] « rechercher les occasions d’entamer plus tôt des discussions sur les chevauchements à défaut de mener des consultations ».

 

[44]           Plusieurs rencontres ont eu lieu entre les trois Premières Nations, mais en juin 2010, les négociations ont été rompues. Divers points de désaccord ont surgi à la suite des opinions divergentes exprimées par les divers groupes et des différentes conceptions du processus à suivre pour les résoudre.

 

[45]           À titre d’exemple, la PNADK souhaitait un traité de paix, tandis que la BDSK et la BDNB préconisaient plutôt une entente sur les chevauchements et les frontières. La BDSK et la BDNB insistaient pour tenir une rencontre avec les aînés et les exploitants pour déterminer l’utilisation traditionnelle et contemporaine du territoire, alors que la PNADK s’opposait à cette méthode. La PNADK voulait négocier un traité portant sur les revendications territoriales globales conjointement avec la BDSK et la BDNB, tandis que la BDSK et la BDNB préféraient continuer à faire partie du processus Deh Cho.

 

[46]           À la suite de la rupture des négociations sur les chevauchements, la BDSK et la BDNB ont communiqué avec M. Overvold pour lui expliquer la situation et l’informer que la BDSK et la BDNB s’attendaient à ce que des consultations directes avec le Canada soient entamées.

 

Avis envoyé au Canada au sujet des préoccupations de la BDSK et de la BDNB

[47]           En juillet 2008, la BDSK a avisé le Canada qu’une partie du territoire revendiqué par la PNADK suivant l’Entente‑cadre de la PNADK correspondait à la « zone d’utilisation principale » de la BDSK. La BDSK a fait savoir au Canada que [traduction] « tout projet d’aménagement ou de cession de terres dans ce secteur devait faire l’objet de consultations auprès de la BDSK et être soumis à son approbation ».

 

[48]           La BDNB a également écrit au Canada au cours du même mois pour l’informer que la carte jointe à l’Entente‑cadre de la PNADK montrant le territoire revendiqué par la PNADK comprenait une partie du territoire traditionnel de la BDNB. De plus, la BDNB a elle aussi avisé le Canada que tout projet d’aménagement ou de cession de terres dans ce secteur devait faire l’objet de consultations auprès de la BDSK et être soumis à son approbation.

 

[49]           La BDSK et la BDNB ont également soumis au Canada une abondante documentation pour appuyer leurs revendications territoriales, y compris une carte montrant l’étendue des terres revendiquées sur des territoires se chevauchant, des données sur l’utilisation des terres, des rapports archéologiques, des cartes indiquant le nom des lieux traditionnels, ainsi que des études sur l’exploitation traditionnelle du territoire.

 

[50]           M. Peter Redvers était le facilitateur des négociations pour l’équipe de négociation conjointe de la BDSK et de la BDNB. En novembre 2009, M. Redvers a mis la main sur une brochure du gouvernement canadien intitulée [traduction] « Négociations communautaires avec la Première Nation Acho Dene Koe et les Métis de Fort Liard en ce qui concerne le territoire, les ressources et les questions de gouvernance, la signature d’une entente de principe et le processus de sélection des terres ».

 

[51]           Sous la rubrique [traduction] « Offre fédérale », le document précisait que la PNADK [traduction] « serait en mesure de sélectionner au total 6 474 kilomètres carrés de territoire dans les T.N.‑O. à l’égard desquelles elle serait titulaire à la fois des droits de surface et des droits d’exploitation du sous‑sol » [la « superficie des terres de la PNADK »].

 

[52]           Selon l’affidavit souscrit par M. Redvers, la BDSK et la BDNB ont calculé qu’il n’y avait que 6 064 kilomètres carrés de terres dans l’angle sud‑ouest des Territoires du Nord‑Ouest qui se trouvent à l’extérieur des zones d’utilisation principale des terres de la BDSK et de la BDNB. De plus, les droits de surface et les droits d’exploitation du sous‑sol de certaines de ces terres sont présentement détenus par des tiers. Par conséquent, il n’y a pas suffisamment de terres disponibles pour constituer la superficie des terres de la PNADK sans porter atteinte aux zones d’utilisation principale des terres de la BDSK et de la BDNB, ce qui porterait par conséquent atteinte à leurs droits ancestraux et à leurs droits issus de traités.

 

[53]           En novembre 2009, l’avocat de la BDSK et de la BDNB a écrit au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l’époque, M. Chuck Strahl, pour l’informer officiellement que la BDSK et la BDNB estimaient que l’Entente‑cadre de la PNADK porterait [traduction] « inévitablement atteinte » au Traité no 11 et à leurs droits ancestraux. Par conséquent, la BDSK et la BDNB demandaient que le Canada procède sans délai à des consultations officielles, directes et approfondies.

 

[54]           Le Canada a répondu à la BDSK et la BDNB par lettre datée du 21 décembre 2009 dans laquelle Mme Pamela McCurry, sous‑ministre adjointe principale, Politiques et orientation stratégique, a expliqué que la zone désignée de la PNADK ne serait délimitée qu’à l’étape de l’accord définitif. Mme McCurry précisait également que [traduction] « le gouvernement du Canada estime qu’il serait prématuré d’entamer des consultations avant que ne soit connue l’issue des discussions [avec la PNADK] sur les chevauchements » [non souligné dans l’original].

 

[55]           En mars 2010, la BDSK et la BDNB ont obtenu une copie d’une carte qui avait été dressée par le Canada et sur laquelle était indiqué le territoire revendiqué par la PNADK et qui correspond maintenant à ce qu’on appelle la « région désignée ADK ». La BDSK et la BDNB ont immédiatement contacté le Canada pour l’informer que le territoire indiqué sur la carte était [traduction] « inexact et trompeur et nuisait par ailleurs aux négociations actuellement en cours [au sujet des frontières] ».

 

[56]           Suivant la BDSK et la BDNB, la PNADK avait à toutes fins utiles mis fin aux négociations sur le chevauchement par lettre datée du 24 juin 2010 dans laquelle le chef Kotchea de la PNADK affirmait que, selon l’étude menée par la PNADK sur l’utilisation traditionnelle des terres, [traduction] « ADK est le seul propriétaire et utilisateur des terres sur lesquelles vous [la BDSK et la BDNB] affirmez avoir des droits ».

 

[57]           Le 21 mai 2011, la BDSK et la BDNB ont écrit une lettre au ministre lui‑même dans laquelle elles lui faisaient part du fait qu’elles craignaient depuis longtemps que les négociations menées en vertu de l’Entente‑cadre de la PNADK se traduisent par une atteinte inévitable à leurs droits. Elles ont fait observer que, pour toute réponse, le Canada les avait invitées à négocier directement avec PNADK pour résoudre leurs problèmes de chevauchement et de frontières. La BDSK et la BDNB ont fait part au ministre des difficultés qu’elle avait rencontrées lors des pourparlers en question en faisant observer que les négociations sur les chevauchements ne dispensaient pas le Canada de son obligation de les consulter.

 

[58]           La BDSK et la BDNB ont informé le ministre qu’on leur avait dit que la PNADK et le Canada étaient sur le point de conclure une entente de principe censée comprendre une carte provisoire englobant des zones principales d’utilisation traditionnelles de la BDSK et de la BDNB. Comme elles estimaient que cette entente aurait des incidences directes sur leurs droits ancestraux et leurs droits issus de traités, la BDSK et la BDNB ont renouvelé leur demande de création [traduction] « d’un processus de consultation directe et officielle entre le Canada et la BDSK et la BDNB dans un avenir immédiat ».

 

[59]           Ne recevant aucune réponse à leur demande de consultation, si ce n’est un accusé de réception verbal, la BDSK et la BDNB ont poursuivi leurs démarches en vue d’être consultées. L’avocat de la BDSK et de la BDNB a écrit personnellement au ministre Duncan le 30 août 2011 une lettre dans laquelle il indiquait : [traduction] « la présente se veut une demande finale adressée par la BDSK et la BDNB au Canada pour que celui‑ci s’acquitte de son obligation de les consulter et d’entamer sans délai des consultations sérieuses et approfondies au sujet des éventuelles atteintes aux droits ancestraux et aux droits issus de traités que possèdent la BDSK et la BDNB en raison des revendications de la PNADK sur des territoires qui chevauchent ceux de la BDSK et de la BDNB ».

 

[60]           L’avocat demandait par ailleurs au Canada de s’engager à ne conclure aucun autre accord avec la PNADK tant que les consultations menées avec la BDSK et la BDNB ne seraient pas terminées, étant donné que toute entente future entre le Canada et la PNADK [traduction] « risque d’éliminer des avenues de consultation, ce qui causerait préjudice à la BDSK et la BDNB ».

 

La décision à l’examen

[61]           Dans une lettre datée du 25 octobre 2010, le ministre Duncan a répondu à la lettre du 21 mai 2010 que la BDSK et la BDNB lui avaient adressée. En voici un extrait :

[traduction]

Je peux vous assurer que [la BDSK] et la [BDNB] seront consultées. Toutefois, pour que ces consultations soient efficaces et productives, elles sont normalement effectuées après la signature d’une entente de principe. Or, aucune entente de principe n’a encore été conclue avec [la PNADK].

 

[62]           Le ministre a également expliqué ce qui suit :

[traduction]

Plusieurs raisons justifient cette façon de procéder. En premier lieu, les paramètres de l’entente de principe provisoire font encore l’objet de négociations et n’ont pas encore été arrêtés. Deuxièmement, à l’étape de l’entente de principe, il n’est pas nécessaire de définir la portée géographique des zones désignées ou des terres désignées. Ces mesures seront prises à l’étape des négociations relatives à l’accord définitif. Troisièmement, la confidentialité de nos négociations nous empêche de diffuser les versions provisoires des ententes de principe. Ces documents deviennent publics une fois que les parties les ont signés.

 

 

[63]           Le ministre a fait observer que les ententes de principe ne sont pas juridiquement contraignantes et que le Canada serait par conséquent en mesure d’examiner [traduction] « s’il y a lieu » les revendications et les droits d’autres groupes autochtones formulés au cours des consultations qui seraient alors menées. Le ministre a également fait observer que les ententes de principe et les accords définitifs comprenaient des clauses visant à s’assurer que les ententes conclues ne portent pas attente aux droits ancestraux et aux droits issus de traités d’autres peuples autochtones.

 

[64]           Le ministre concluait sa lettre en encourageant la BDSK et la BDNB à continuer à tenter de résoudre les problèmes de chevauchement en menant des négociations avec la PNADK, qualifiant cette façon de procéder de [traduction] « meilleure façon de faire avancer les choses ».

 

[65]           C’est cette décision du ministre qui est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

La demande de contrôle judiciaire de la BDSK et de la BDNB

[66]           La BDSK et la BDNB affirment qu’en décidant d’attendre de conclure une entente de principe avec la PNADK avant d’entamer des consultations avec elles, le Canada a fait défaut de respecter son obligation légale et constitutionnelle de les consulter et de prendre les mesures d’accommodement qui s’imposent.

 

[67]           Les demanderesses sollicitent les réparations suivantes :

1.                  Un jugement déclarant que le Canada a, envers la BDSK et la BDNB, l’obligation légale et constitutionnelle de les consulter adéquatement en temps opportun au sujet des aspects de la revendication territoriale de la PNADK qui porteraient atteinte ou qui seraient susceptibles de porter atteinte aux droits ancestraux et aux droits issus de traités de la BDSK et de la BDNB, y compris la détermination des terres et des ressources faisant partie de la région désignée ou des terres désignées visées par la revendication territoriale de la PNADK, l’utilisation des terres et des ressources en question, et la réglementation et la gestion desdites terres et ressources;

 

2.                  Un jugement déclarant qu’en décidant d’attendre qu’une entente de principe soit conclue avec la PNADK avant de les consulter, le ministre ne respecte pas, ne remplit pas et n’honore pas l’obligation légale et constitutionnelle du Canada susmentionnée;

 

3.                  Une ordonnance annulant la décision du ministre d’attendre avant d’entamer des consultations de fond avec la BDSK et la BDNB;

 

4.                  Une ordonnance enjoignant au ministre d’initier et d’engager sans délai des consultations approfondies, sérieuses et adéquates avec la BDSK et la BDNB dans l’intention de mettre au point des mesures d’accommodement concrètes pour répondre à leurs préoccupations en ce qui concerne la détermination des terres et des ressources faisant partie de la région désignée ou des terres désignées visées par la revendication territoriale de la PNADK, et la réglementation ou la gestion des terres et des ressources en question, le tout conformément aux motifs du jugement de la Cour et sous réserve des conditions suivantes :

 

a.                   les modalités de la consultation sont celles que le ministre et la BDSK et la BDNB arrêteront d’un commun accord, étant entendu qu’à défaut d’un tel accord, l’une ou l’autre partie peut s’adresser à la Cour pour les faire déterminer;

 

b.                  il est loisible à l’une ou l’autre partie de s’adresser à nouveau à la Cour pour obtenir toute autre ordonnance supplémentaire requise pour faire progresser les consultations et en faciliter le dénouement;

 

5.                  Une ordonnance interdisant au ministre de poursuivre les négociations quant à tout sujet relevant de l’Entente‑cadre de la PNADK dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il touche la BDSK ou la BDNB, et interdisant au ministre de soustraire des terres à l’aliénation pendant le déroulement des négociations et avant le dénouement de consultations satisfaisantes avec la BDSK et la BDNB;

 

6.                  Les dépens de la présente demande sur une base avocat‑client.

 

Questions en litige

[68]           Certains points ne sont pas contestés en l’espèce. En particulier, le Canada admet ce qui suit :

1.                  La BDSK et la BDNB jouissent du droit de chasser, de piéger et de pêcher sur la plus grande partie du territoire visée par le Traité no 11;

 

2.                  La BDSK et la BDNB possèdent des droits issus de traités en ce qui concerne les terres situées à l’intérieur du territoire revendiqué par la PNADK;

 

3.                  Le Canada envisage d’apporter des modifications au régime établi par le Traité;

 

4.                  La BDSK et la BDNB affirment en outre qu’elles possèdent des droits ancestraux qui leur permettent de faire valoir un titre aborigène sur le territoire, indépendamment des droits que leur reconnaissent par ailleurs les traités;

 

5.                  Le Canada a l’obligation de consulter la BDSK et la BDNB et, au besoin, de prendre des mesures d’accommodement à leur égard;

 

6.                  L’obligation du Canada de consulter la BDSK et la BDNB est déclenchée par la négociation de l’Entente‑cadre de la PNADK.

 

 

[69]           Bien qu’il n’existe aucun différend au sujet de l’existence de l’obligation de consulter, le litige porte en l’espèce sur l’étendue et la teneur de cette obligation et le moment où elle doit être exécutée.

 

[70]           La première question à laquelle il faut répondre est celle de la norme de contrôle qui doit être appliquée à la décision du ministre en ce qui concerne l’ampleur et la teneur de ses consultations avec la BDSK et la BDNB ainsi que le moment où il doit mener ces consultations.

 

Norme de contrôle

[71]           Dans l’arrêt Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, aux paragraphes 61, 62 et 63, la Cour suprême du Canada a défini la norme de contrôle applicable aux décisions gouvernementales mettant en jeu une obligation de consultation.

 

[72]           Suivant l’arrêt Nation haïda, s’agissant de questions de droit, le décideur doit, en règle générale, rendre une décision correcte; par contre, en ce qui a trait aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit, la juridiction de contrôle peut devoir faire preuve de déférence à l’égard du décideur (ci‑dessus, au paragraphe 61).

 

[73]           Comme nous l’avons fait observer dans la section précédente des présents motifs, la Couronne admet qu’elle a l’obligation de consulter la BDSK et la BDNB en l’espèce. En ce qui concerne ce que le ministre estime être la portée de cette obligation, la Cour suprême a déclaré, dans l’arrêt Nation haïda, que « [l]’existence et l’étendue de l’obligation de consulter ou d’accommoder sont des questions de droit en ce sens qu’elles définissent une obligation légale. Cependant, la réponse à ces questions repose habituellement sur l’appréciation des faits. Il se peut donc qu’il convienne de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du premier décideur » (ci‑dessus, au paragraphe 61).

 

[74]           La Cour a également fait observer que « [l]a question de savoir s’il y a lieu de faire montre de déférence et, si oui, le degré de déférence requis dépendent de la nature de la question dont était saisi le tribunal administratif et de la mesure dans laquelle les faits relevaient de son expertise ». La Cour a reconnu que « [e]n l’absence d’erreur sur des questions de droit, il est possible que le tribunal administratif soit mieux placé que le tribunal de révision pour étudier la question, auquel cas une certaine déférence peut s’imposer ». Dans ce cas, « la norme de contrôle applicable est vraisemblablement la norme de la décision raisonnable » (tous les passages précités sont extraits de l’arrêt Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 61).

 

[75]           Dans la mesure où « la question est une question de droit pur et peut être isolée des questions de fait, la norme applicable est celle de la décision correcte ». Toutefois, lorsque les deux types de questions sont inextricablement liés entre elles, la norme de contrôle applicable est vraisemblablement celle de la décision raisonnable (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 61).

 

[76]           Pour ce qui est du processus de consultation lui‑même, la Cour suprême a jugé, dans l’arrêt Nation haïda, que « [l]e processus lui‑même devrait vraisemblablement être examiné selon la norme de la décision raisonnable ». Par ailleurs, suivant la Cour suprême, « [l]a perfection n’est pas requise : [...] [l]e gouvernement doit déployer des efforts raisonnables pour informer et consulter ». Dans la mesure où « tous les efforts raisonnables ont été déployés pour informer et consulter, on a alors satisfait à l’obligation [...] » (tous les passages précités sont tirés de l’arrêt Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 62).

 

[77]           Enfin, la Cour suprême a déclaré, dans l’arrêt Nation haïda, que « [si] le gouvernement n’a pas bien saisi l’importance de la revendication ou la gravité de l’atteinte, il s’agit d’une question de droit qui devra vraisemblablement être jugée selon la norme de la décision correcte ». Toutefois, si le gouvernement a raison sur ces points et agit conformément à la norme applicable, « la décision ne sera annulée que si le processus qu’il a suivi était déraisonnable ». L’élément central n’est pas le résultat, mais le processus de consultation et d’accommodement (tous les passages précités sont extraits de l’arrêt Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 63).

 

[78]           Il y a lieu de signaler que l’affaire Nation haïda a été jugée avant que la Cour suprême du Canada ne rende l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. Cependant, dans l’arrêt Première Nation des Ahousaht c. Canada (Pêches et Océans), 2008 CAF 212, 297 D.L.R. (4th) 722, au paragraphe 34, la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’arrêt Dunsmuir ne changeait rien à la norme de contrôle qui s’applique dans le cas des décisions se rapportant à l’obligation de consulter (voir également l’arrêt Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650, au paragraphe 74).

 

Origine et rôle de l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’accommodement

[79]           Pour bien situer les questions soulevées par la présente demande dans leur contexte, il est utile de commencer par examiner les règles de droit qui concernent l’origine et le rôle de l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’accommodement.

 

[80]           Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, au paragraphe 1, « [l]a gestion de ces rapports s’exerce dans l’ombre d’une longue histoire parsemée de griefs et d’incompréhension ». La Cour a signalé que « [l]a multitude de griefs de moindre importance engendrés par l’indifférence de certains représentants du gouvernement à l’égard des préoccupations des peuples autochtones, et le manque de respect inhérent à cette indifférence, ont causé autant de tort au processus de réconciliation que certaines des controverses les plus importantes et les plus vives » (au paragraphe 1).

 

[81]           C’est dans ce contexte que la Cour suprême a déclaré que « [l]’objectif fondamental du droit moderne relatif aux droits ancestraux et issus de traités est la réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones et la conciliation de leurs revendications, intérêts et ambitions respectifs » (Mikisew, ci‑dessus, au paragraphe 1).

 

[82]           L’obligation de consulter les peuples autochtones et, au besoin, de prendre des mesures d’accommodement, repose sur l’honneur de la Couronne. Si elle entend agir honorablement, la Couronne « ne peut traiter cavalièrement les intérêts autochtones qui font l’objet de revendications sérieuses dans le cadre du processus de négociation et d’établissement d’un traité » (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 27). Elle se doit de respecter ces droits éventuels non encore prouvés.

 

[83]           L’affaire Nation haïda portait sur des droits ancestraux plutôt que sur des droits issus de traités, mais la jurisprudence subséquente a confirmé que les mêmes principes s’appliquaient en matière de traités (voir, par exemple, l’arrêt Mikisew, ci‑dessus, au paragraphe 34, et la décision Première Nation de Ka’a’gee Tu c. Canada (Procureur général), 2007 CF 763, 315 F.T.R. 178, au paragraphe 96).

 

[84]           L’obligation de consultation revêt un caractère à la fois légal et constitutionnel (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 34, et R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, au paragraphe 6). Elle est, de plus, « un corollaire de celle d’arriver à un règlement équitable des revendications autochtones au terme du processus de négociation de traités » (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 32, citant l’arrêt Nation haïda, au paragraphe 20).

 

[85]           Ainsi que la Cour suprême l’a fait observer dans l’arrêt Rio Tinto : « [l]orsque les négociations sont en cours, la Couronne a l’obligation tacite de consulter les demandeurs autochtones sur ce qui est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur leurs droits issus de traités et leurs droits ancestraux, et de trouver des mesures d’accommodement dans un esprit de conciliation » (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 32, citant l’arrêt Nation Haïda, au paragraphe 20). L’obligation de consulter « oblige la Couronne à tenir compte des droits ancestraux contestés ou établis avant de prendre une décision susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur ces droits » (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 35).

 

[86]           La Cour suprême a expliqué que l’obligation de consulter « découle de la nécessité de protéger les intérêts autochtones lorsque des terres ou des ressources font l’objet de revendications ou que la mesure projetée peut empiéter sur un droit ancestral » (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 33). Sans cette obligation, les groupes autochtones auraient à s’adresser au tribunal pour obtenir une injonction interlocutoire en vue de faire cesser l’activité préjudiciable, un parcours qui s’avère souvent semé d’embûches.

 

[87]           L’obligation de consulter est principalement un droit procédural (Mikisew, ci‑dessus, au paragraphe 33). Elle n’est cependant pas fondée sur l’obligation d’équité en common law, mais « fait [plutôt] partie intégrante du processus de négociation honorable et de conciliation qui débute au moment de l’affirmation de la souveraineté et se poursuit au‑delà du règlement formel des revendications » (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 32).

 

[88]           Bien qu’elle soit principalement de nature procédurale, l’obligation de consulter comporte un volet substantiel. Il ne suffit pas, pour s’acquitter de cette obligation [traduction] « de prévoir un mécanisme permettant aux intéressés d’échanger des renseignements et d’en discuter » (Wii’litswx c. British Columbia (Minister of Forests), 2008 BCSC 1139, [2008] 4 C.N.L.R. 315, au paragraphe 178). Les consultations doivent être sérieuses et être menées de bonne foi « dans l’intention de tenir compte réellement des préoccupations des peuples autochtones dont les terres sont en jeu » (Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, [1997] A.C.S. no 108, au paragraphe 168; voir également Arthur Pape, The Duty to Consult and Accommodate: A Judicial Innovation Intended to Promote Reconciliation in Aboriginal Law since Delgamuukw, éd. Maria Morellato (Aurora (Ontario), Cartwright Group Ltd., 2009), à la page 317).

 

[89]           Dès lors qu’une véritable consultation a lieu, il n’est pas essentiel que Sa Majesté conclue une entente. L’obligation de prendre des mesures d’accommodement exige plutôt que « les préoccupations des Autochtones soient raisonnablement mises en balance avec l’incidence potentielle de la décision sur ces préoccupations et avec les intérêts sociétaux opposés. L’idée de compromis fait partie intégrante du processus de conciliation » (Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie‑Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550, au paragraphe 2).

 

[90]           Toutefois, [traduction] « lorsque les mesures que la Couronne se propose de prendre risquent d’avoir des effets négatifs importants sur une solide revendication autochtone, l’obligation qui est faite à la Couronne de mener de véritables consultations peut l’obliger à modifier le plan d’action envisagé pour éviter de porter atteinte aux droits des Autochtones ou pour minimiser cette atteinte en attendant une solution finale » (Wii’litswx, ci‑dessus, au paragraphe 178. Voir également Nation haïda, ci‑dessus, aux paragraphes 41‑42, 45‑50; Taku River, ci‑dessus, au paragraphe 29; Mikisew, ci‑dessus, au paragraphe 54).

 

[91]           Après avoir ainsi expliqué l’origine et le rôle de l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’accommodement, je passe maintenant à l’examen de la question de savoir dans quels cas cette obligation existe.

 

Dans quels cas y a‑t‑il obligation de consulter et de prendre des mesures d’accommodement?

 

[92]           Le Canada a l’obligation de consulter ses peuples autochtones lorsqu’il « a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre aborigène revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui‑ci » (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 35).

 

[93]           L’exigence de connaissance, à satisfaire pour donner naissance à l’obligation de consulter et d’accommoder est peu élevée (Mikisew, ci‑dessus, au paragraphe 55). D’ailleurs, la connaissance d’une revendication crédible, mais non encore établie, suffit à faire naître l’obligation de consulter et d’accommoder (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 37). Dans le cas d’un traité, la Couronne, en tant que partie, a d’ailleurs toujours connaissance de son contenu (Mikisew, ci‑dessus, au paragraphe 34).

 

[94]           L’existence possible d’une revendication est essentielle, mais il n’est pas nécessaire de prouver que la revendication connaîtra une issue favorable (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 40).

 

[95]           Même si le critère à respecter pour déclencher l’obligation de consulter est peu rigoureux, le contenu de l’obligation varie selon les circonstances. Une des considérations qui entre en ligne de compte est la solidité de la revendication. Une revendication faible peut ne requérir qu’une simple obligation d’informer, alors qu’une revendication plus solide peut faire naître des obligations plus contraignantes (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 37). Nous étudierons de façon plus approfondie plus loin dans les présents motifs le contenu de l’obligation de consulter en fonction des faits de la présente affaire.

 

a)         Nature des revendications en question et connaissance que la Couronne a de ces revendications

 

[96]           La BDSK et la BDNB affirment toutes les deux posséder des droits ancestraux et issus de traités sur les terres qu’elles revendiquent. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait observer dans l’arrêt R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, [1996] A.C.S. no 39, les droits ancestraux et les droits issus de traités « diffèrent, tant de par leur origine que de par leur structure ». Les droits ancestraux « tirent leur origine des coutumes et des traditions des peuples autochtones » et ils « expriment le droit des peuples autochtones de continuer à vivre de la même façon que leurs ancêtres ». En revanche, les droits issus de traités « sont inscrits dans des ententes officielles entre la Couronne et les peuples autochtones » (passages tirés du paragraphe 76).

 

[97]           Il n’est pas contesté en l’espèce que la BDSK et la BDNB possèdent des droits issus de traités. Comme nous l’avons déjà fait observer, la Couronne accepte que la BDSK et la BDNB possèdent, en vertu du Traité no 11, des droits de pêche, de chasse et de piégeage sur les terres que la PNADK revendique en tant que territoire exclusif.

 

[98]           Le Canada ne conteste pas non plus qu’il a une connaissance suffisante pour que soit déclenchée son obligation de consulter la BDSK et la BDNB en ce qui concerne les droits issus de traités en question. Le Canada maintient toutefois que ces consultations ne devraient avoir lieu qu’après que le Canada aura conclu une entente de principe avec la PNADK.

 

[99]           Le Canada n’admet pas que la BDSK et la BDNB possèdent des droits ancestraux sur le territoire lui‑même. Bien que le Canada conteste le bien‑fondé de ces revendications, il en a de toute évidence connaissance du fait qu’il participe dans le cadre du processus Deh Cho aux négociations avec la BDSK et la BDNB portant sur les revendications territoriales.

 

[100]       Je suis par conséquent convaincue que la Couronne a une connaissance suffisante pour que soit déclenchée son obligation de consulter la BDSK et la BDNB tant en ce qui concerne les droits issus de traités que les droits ancestraux (y compris les droits sur le territoire) que revendiquent la BDSK et la BDNB.

 

b)        Mesure gouvernementale susceptible de compromettre les droits revendiqués

[101]       Pour que l’obligation de consulter soit déclenchée, il faut également qu’il existe une décision de la Couronne ou une mesure gouvernementale proposée qui risque de compromettre les droits en question (Rio Tinto, ci‑dessus, aux paragraphes 41 et 45). Il n’est pas nécessaire que la décision ou la mesure proposée ait un effet immédiat sur les terres ou les ressources en question. Un simple risque d’effet préjudiciable suffit. Ainsi, l’obligation de consulter naît aussi d’une « décision stratégique prise en haut lieu » qui est susceptible d’avoir un effet sur des revendications autochtones et des droits ancestraux (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 44).

 

[102]       Le Canada admet que la conclusion de l’Entente‑cadre de la PNADK et le fait que les négociations avec la PNADK en ce qui concerne sa revendication territoriale globale aient débuté est susceptible ultimement d’avoir un effet sur les droits issus de traités de la BDSK et la BDNB. Elle affirme toutefois que toute entente de principe qu’elle pourrait conclure avec la PNADK n’aura aucune incidence sur les droits ancestraux ou issus de traités existants ou potentiels de la BDSK ou de la BDNB. En conséquence, à la lumière du volet « gravité des conséquences éventuelles » du critère de l’arrêt Nation haïda, à cette étape du processus, le contenu de l’obligation de consultation se situe au bas du continuum.

 

[103]       Comme le Canada admet que les mesures qu’il entend prendre sont susceptibles d’avoir une incidence sur les droits revendiqués par la BDSK et la BDNB, je suis convaincue que le premier volet du critère de l’arrêt Nation haïda a été satisfait. Je vais donc examiner plus loin dans les présents motifs les arguments du Canada au sujet de la teneur de l’obligation à laquelle il est assujetti envers la BDSK et la BDNB et la question de savoir à quel moment ces consultations devraient avoir lieu.

 

c)         Effet préjudiciable des mesures envisagées par la Couronne sur les droits ou les revendications autochtones

 

[104]       Le troisième élément auquel il doit être satisfait pour que soit déclenchée l’obligation de consulter concerne l’effet potentiel de la mesure envisagée par la Couronne sur la revendication autochtone ou les droits issus de traités.

 

[105]       Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait observer, au paragraphe 45 de l’arrêt Rio Tinto, ci‑dessus, l’élément requis à cette étape de l’analyse est « la possibilité que la mesure de la Couronne ait un effet sur une revendication autochtone ou un droit ancestral » [non souligné dans l’original]. Le demandeur doit établir « un lien de causalité entre la mesure ou la décision envisagée par le gouvernement et un effet préjudiciable éventuel sur une revendication autochtone ou un droit ancestral ».

 

[106]       La Cour a poursuivi, dans l’arrêt Rio Tinto, en faisant observer que « [u]ne approche généreuse et téléologique est aussi de mise à l’égard de ce troisième élément puisque [...] l’objectif poursuivi est [traduction] “de reconnaître que les actes touchant un titre aborigène ou un droit ancestral non encore établi, ou des droits issus de traités, peuvent avoir des répercussions irréversibles qui sont incompatibles avec l’honneur de la Couronne” [...] » (ci‑dessus, au paragraphe 46, citant Dwight G. Newman, The Duty to Consult: New Relationships with Aboriginal Peoples (Saskatoon, Purich Publishing, 2009), à la page 30).

 

[107]       De simples répercussions hypothétiques ne suffisent pas. Il doit y avoir un « effet préjudiciable important sur la possibilité qu’une Première nation puisse exercer son droit ancestral » et le préjudice « doit toucher l’exercice futur du droit lui‑même, et non seulement la position de négociation ultérieure de la Première nation » (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 46).

 

[108]       L’effet préjudiciable peut englober toute répercussion risquant de compromettre une revendication autochtone ou un droit ancestral. De plus, « la décision prise en haut lieu ou la modification structurelle apportée à la gestion de la ressource risque aussi d’avoir un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral, et ce, même si elle n’a pas d’[traduction] “effet immédiat sur les terres et les ressources” ». La raison en est qu’« une telle modification structurelle de la gestion de la ressource peut ouvrir la voie à d’autres décisions ayant un effet préjudiciable direct sur les terres et les ressources » (passages tirés du paragraphe 76 de l’arrêt Rio Tinto, ci‑dessus, [souligné dans l’original]).

 

[109]       Le Canada accepte que la conclusion de l’Entente‑cadre de la PNADK et le fait que les négociations portant sur la revendication territoriale globale de la PNADK aient débuté sont susceptibles ultimement d’avoir un effet sur les droits issus de traités de la BDSK et de la BDNB, mais i; affirme que la position des Premières Nations quant à la gravité des conséquences relève pour l’instant de la conjecture.

 

[110]       Comme nous le verrons plus loin, je ne suis pas convaincue que l’argument relatif à la gravité des conséquences soit hypothétique compte tenu des décisions qui ont déjà été prises par le Canada dans le cadre de ses négociations avec la PNADK. Le Canada a pris ces décisions sans consulter la BDSK et la BDNB.

 

[111]       La gravité des conséquences éventuelles des mesures en question sur les droits de la BDSK et la BDNB est une question qui peut être prise en compte pour définir la teneur des consultations nécessaires à cette étape du processus. Toutefois, le fait que le Canada reconnaisse que l’Entente‑cadre de la PNADK et les négociations menées avec la PNADK sont susceptibles ultimement d’avoir des conséquences sur les droits issus de traités de la BDSK et de la BDNB suffit pour répondre au troisième volet du critère posé dans l’arrêt Nation haïda et pour obliger la Couronne à consulter la BDSK et la BDNB.

 

Quelle est l’étendue de l’obligation de consulter à cette étape‑ci du processus?

[112]       Dans l’arrêt Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 39, la Cour suprême du Canada a expliqué que l’étendue de l’obligation dépendait tant de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué que de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre revendiqué.

 

[113]       Autrement dit, c’est l’ampleur des conséquences sur les droits revendiqués qui détermine le degré de consultation nécessaire dans un cas déterminé (Mikisew, ci‑dessus, aux paragraphes 34, 55 et 62‑3). Plus les conséquences éventuelles sur les droits ancestraux ou issus de traités revendiqués sont graves, plus les consultations doivent être menées en profondeur.

 

[114]       Le degré de consultation nécessaire varie d’un cas à l’autre, selon ce que l’honneur de la Couronne exige dans une situation donnée (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 43. Voir également l’arrêt Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 36; Taku River, ci‑dessus, au paragraphe 32; Tsuu T’ina Nation c. Alberta (Minister of Environment), [2010] 2 C.N.L.R. 316, [2010] A.J. no 479 (Q.L.) (C.A. Alb.), au paragraphe 71 et Ahousaht, ci‑dessus, au paragraphe 39).

 

[115]       Lorsque, par exemple, la revendication est peu solide, le droit ancestral est limité ou le risque d’atteinte est faible, la Couronne pourrait avoir pour seule obligation d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis (Nation haïda,  ci‑dessus, au paragraphe 43).

 

[116]       Par contre, lorsque la revendication repose sur une preuve à première vue solide, que le droit et l’atteinte potentielle revêtent une grande importance pour les Autochtones et que le risque de préjudice non indemnisable est élevé, il peut s’avérer nécessaire de tenir « une consultation approfondie » en vue de trouver une solution provisoire acceptable (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 44).

 

[117]       Quoique les exigences précises puissent varier selon les circonstances, la consultation requise à cette étape pourrait comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 44).

 

[118]       Entre les deux extrémités de ce continuum, on rencontrera d’autres situations. Chaque cas est un cas d’espèce. Il faut examiner chaque cas individuellement pour déterminer la teneur de l’obligation de consulter à la lumière des circonstances de l’espèce. De plus, il peut être nécessaire de réévaluer la situation à l’occasion, étant donné que le degré de consultation nécessaire peut varier à mesure que se déroule le processus et que de nouveaux renseignements sont mis au jour (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 45).

 

[119]       Je vais d’abord examiner la solidité des revendications de la BDSK et de la BDNB fondées sur leurs droits ancestraux et leurs droits issus de traités, et je vais ensuite examiner la gravité d’une éventuelle atteinte à ces revendications pour évaluer l’étendue et la teneur de l’obligation de consulter à laquelle le Canada est tenu envers la BDSK et la BDNB à l’étape qui précède la conclusion d’une entente de principe.

 

a)                  Solidité à première vue de la revendication ou des droits revendiqués

[120]       Nul ne conteste en l’espèce que la BDSK et la BDNB possèdent des droits issus de traités. Comme nous l’avons déjà fait observer, la Couronne accepte que la BDSK et la BDNB possèdent, en vertu du Traité no 11, des droits de pêche, de chasse et de piégeage sur les terres que la PNADK revendique comme territoire exclusif.

 

[121]       En ce qui concerne les droits ancestraux revendiqués par la BDSK et la BDNB, le Canada n’admet pas que la BDSK et la BDNB possèdent des droits ancestraux se rapportant au territoire lui‑même. Toutefois, le dossier qui m’a été soumis ne démontre pas que le Canada a déjà procédé à une évaluation sérieuse de la solidité des revendications formulées par la BDSK et la BDNB en ce qui concerne les droits ancestraux sur les terres en litige. En conséquence, il n’existe pas d’évaluation factuelle de la solidité des droits ancestraux des demanderesses à l’égard de laquelle la Cour devait faire preuve de déférence.

 

[122]       Se fondant sur la décision rendue par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Cook c. Canada (Minister of Aboriginal Relations and Reconciliation), 2007 BCSC 1722, 80 B.C.L.R. (4th) 138, le Canada affirme plutôt que le dossier dont dispose la Cour n’est pas suffisant pour permettre une évaluation de la solidité des droits ou des titres ancestraux revendiqués par la BDSK et la BDNB à la présente étape du processus.

 

[123]       Le Canada affirme également que, comme l’existence des droits issus de traités de la BDSK et de la BDNB a déjà été établie, il n’est pas nécessaire que la Cour évalue la solidité des droits ancestraux revendiqués par la BDSK et la BDNB. Le Canada affirme que, pour définir la teneur de l’obligation de consultation de la Couronne, la Cour devrait plutôt se concentrer sur la mesure dans laquelle les actes projetés par la Couronne porteraient atteinte aux droits de chasse, de pêche et de piégeage que possèdent la BDSK et la BDNB sur les terres en litige.

 

[124]       Toutefois, la nature et l’ampleur de l’obligation de consulter sont proportionnelles à la nature et à la portée des droits susceptibles d’être touchés. L’obligation est plus grande [traduction] « en cas d’extinction d’un droit fondamental que lorsqu’un règlement a des incidences sur des droits qui sont de toute évidence assujettis à la réglementation » (R. c. Lefthand, 2007 ABCA 206, 77 Alta. L.R. (4th) 203, au paragraphe 35).

 

[125]       Les revendications territoriales des Autochtones constituent de toute évidence un « droit fondamental ». D’ailleurs, « l’un des droits les plus fondamentaux » des Autochtones est celui qu’ils ont sur leurs terres (Nunavik Inuit c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [1999] 1 C.F. 38, [1998] A.C.F. no 1114 (QL), au paragraphe 103, citant l’arrêt Delgamuukw c. Colombie‑Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, [1997] A.C.S. no 108 (QL)).

 

[126]       En conséquence, les droits ancestraux revendiqués par la BDSK et la BDNB sur le territoire peuvent avoir une incidence sur la portée et la teneur de l’obligation de consultation de la Couronne en l’espèce. Il est donc nécessaire d’examiner les éléments de preuve relatifs à la solidité des revendications formulées par la BDSK et la BDNB au sujet de leurs droits ancestraux avant de passer à l’examen de la gravité des conséquences néfastes éventuelles sur les droits revendiqués.

 

[127]       Ce n’est pas parce que le tribunal se prononce sur l’obligation de consulter et de prendre des mesures d’accommodement avant que la preuve de l’existence du droit ancestral ne soit établie qu’il se prononce pour autant sur le fond de la revendication autochtone. Les tribunaux sont en effet capables « de différencier les revendications reposant sur une preuve ténue des revendications reposant sur une preuve à première vue solide et de celles déjà établies », et ce, même s’ils ne disposent pas d’un dossier de preuve ethno‑historique complet (Nation haïda, ci‑dessus, aux paragraphes 37 et 66).

 

[128]       D’ailleurs, dans l’arrêt Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, au paragraphe 47, le juge Binnie a confirmé que la demande de contrôle judiciaire était une procédure appropriée pour obtenir une décision au sujet de la portée et du caractère adéquat des consultations. Dans les affaires Nation haïda et Little Salmon, les juridictions inférieures avaient dans les deux cas évalué la solidité apparente des revendications autochtones en se fondant sur les affidavits qui leur avaient été soumis.

 

[129]       Dans l’affaire Cook, sur laquelle la Couronne se fonde, des affidavits contradictoires avaient été déposés devant la Cour, et les demandeurs n’avaient pas réussi à préciser en quoi leurs droits étaient compromis. Contrairement à ce que prétend le ministre, dans la décision Cook, la Cour n’a pas refusé d’évaluer la solidité des revendications, concluant plutôt, sur le fondement du dossier de preuve qui lui était soumis, que les demandeurs n’avaient établi qu’une [traduction] « revendication crédible » (au paragraphe 151).

 

[130]       La BDSK et la BDNB affirment qu’en concluant le Traité no 11, elles n’ont pas renoncé à leurs droits ancestraux sur le territoire contesté, tandis que, si j’ai bien compris, la Couronne affirme que le traité a eu pour effet d’éteindre les droits ancestraux en question. La Couronne reconnaît toutefois qu’un élément important du Traité no 11 – l’obligation de la Couronne de mettre à part des terres en tant que réserves à l’usage exclusif des Premières Nations – n’a pas été respecté.

 

[131]       Les conséquences juridiques du défaut de la Couronne de respecter un engagement fondamental qui lui incombe en vertu du Traité touchant le titre aborigène que revendiquent la BDSK et la BDNB restent à déterminer sur la foi d’un dossier plus étoffé dans le cadre du processus d’examen des revendications territoriales. Pour les besoins de la présente demande, il est toutefois juste de considérer que les faits dont découlent ces questions sont des facteurs importants pour apprécier la solidité des revendications autochtones des demandeurs (Première Nation de Ka’a’Gee Tu, ci‑dessus, au paragraphe 105).

 

[132]       De plus, depuis 1998, le Canada participe à des négociations avec la BDSK et la BDNB au sujet des droits ancestraux qu’elles revendiquent dans le cadre du processus Deh Cho. Bien qu’il ne s’agisse d’un facteur déterminant, la participation de la Couronne au processus de revendications territoriales est un facteur que la Cour peut prendre en compte pour évaluer la solidité des revendications de la BDSK et de la BDNB (Première Nation Ka’a’Gee Tu, ci‑dessus, au paragraphe 104).

 

[133]       Dans le cadre du processus Deh Cho, la BDSK et la BDNB ont soumis au Canada une preuve abondante pour étayer leurs revendications territoriales historiques sur des territoires qui se chevauchent, y compris, notamment, des études sur les utilisations traditionnelles, des cartes indiquant les noms de lieux traditionnels, ainsi que des études archéologiques. Je ne crois pas que la PNADK ait jusqu’ici soumis au Canada des éléments de preuve semblables. En date du 15 mars 2010, on ignore si la PNADK a terminé son étude sur l’utilisation traditionnelle du territoire. En tout état de cause, on trouve dans le dossier qui a été porté à ma connaissance peu d’éléments de preuve concernant la solidité des revendications opposées de la PNADK.

 

[134]       La BDSK et la BDNB se fondent également sur une déclaration faite au cours de son contre‑interrogatoire par Mme Janet Pound, négociatrice en chef au Bureau de négociation des terres du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qu’elles estiment être une admission au sujet de la solidité de leurs revendications. L’avocat de la BDSK et de la BDNB a posé la question suivante à Mme Pound : [traduction] « Il est admis que le Canada accepte les revendications des bandes Sambaa K’E et de Nahanni Butte en ce qui concerne les chevauchements, qu’il s’agit de revendications importantes et qu’elles sont fondées? », ce à quoi Mme Pound a répondu : [traduction] « Je crois que oui ».

 

[135]       En toute équité, il faut tenir compte de l’ensemble de la réponse de Mme Pound. Elle a poursuivi en affirmant ce qui suit : [traduction] « Je crois que chaque fois que des groupes autochtones affirment quelque chose, il s’agit d’affirmations, n’est‑ce pas? Nous devons respecter ces affirmations. Le contenu des ententes ne correspond pas toujours nécessairement à leurs affirmations, mais de toute évidence, nous respectons les affirmations qu’ils font. » Je suis d’accord avec le Canada pour dire que, lorsqu’on lit sa réponse en entier, on constate que la réponse de Mme Pound ne constitue pas une admission que les revendications autochtones de la BDSK et de la BDNB sont fondées.

 

[136]       Bien qu’il ne soit pas facile de mesurer avec précision la solidité de la revendication d’un titre aborigène par la BDSK et par la BDNB à la présente étape du processus, je suis néanmoins convaincue que ces revendications reposent sur une preuve à première vue raisonnablement solide. Cette conclusion est fondée sur un examen du dossier, sur la nature des droits revendiqués, sur le libellé du Traité no 11, sur le manquement par la Couronne à l’une des obligations fondamentales que lui imposait ledit traité, sur la preuve ténue dont on dispose en ce qui concerne la solidité des revendications de la PNADK visant le territoire contesté et, enfin, sur la volonté de la Couronne de mener à bien le processus de règlement des revendications territoriales globales.

 

[137]       Je fais observer que la conclusion que je tire à cet égard en ce qui concerne les éventuelles répercussions du manquement, par la Couronne, aux obligations que lui impose le Traité no 11, s’accorde avec celle que notre Cour a tirée dans une autre affaire portant sur le Traité no 11 au sujet de droits ancestraux revendiqués (Première Nation Ka’a’Gee Tu, ci‑dessus, au paragraphe 107).

 

[138]       Le fait que la BDSK et la BDNB aient démontré que leur cause est, à première vue, raisonnablement solide, compte tenu des droits ancestraux qu’elles revendiquent sur leur territoire a pour effet de contribuer à intensifier la teneur de l’obligation de consultation qui incombe à la Couronne, puisque cette obligation n’est plus exclusivement fondée sur les droits de chasser, de pêcher et de piéger que la BDSK et la BDNB font valoir en vertu de traités.

 

[139]       Après avoir ainsi analysé la solidité des revendications de la BDSK et de la BDNB relatives à des droits ancestraux et des droits issus de traités, je passe maintenant à la question de la gravité des éventuels effets préjudiciables des négociations avec la PNADK et de la conclusion d’une éventuelle entente de principe avec cette dernière sur les revendications de la BDSK et de la BDBN.

 

b)                  Gravité des effets potentiellement préjudiciables sur les droits ancestraux et les droits issus de traités revendiqués

 

[140]       Il est acquis aux débats que la négociation de l’Entente‑cadre de la PNADK donnait lieu à l’obligation, pour le Canada, de consulter la BDSK et la BDNB. La question qui se pose est celle de l’ampleur et de la profondeur des consultations devant être menées à cette étape‑ci du processus.

 

[141]       Le Canada affirme qu’on ignore à cette étape‑ci du processus les incidences que les négociations avec la PNADK auront sur la BDSK et la BDNB, de sorte qu’il est impossible de déterminer la gravité des effets préjudiciables possibles des mesures qu’il envisage sur les droits ancestraux et les droits issus de traités de la BDSK et de la BDNB. Il s’ensuit que l’obligation du Canada de consulter la BDSK et la BDNB se situe pour le moment au bas de l’échelle du continuum de consultation et que cette l’obligation se limite à aviser les intéressés, à leur communiquer des renseignements et à discuter avec eux.

 

[142]       Le Canada souligne qu’une entente de principe ne constitue pas une « décision » contraignante. Une entente de principe n’accorde aucun droit à ses signataires et elle ne retire aucun droit aux Premières Nations qui ne l’ont pas signée. Selon le Canada, une entente de principe n’est rien de plus qu’une [traduction] « prise de position provisoire de négociation qui est susceptible d’être modifiée ».

 

[143]       Le Canada affirme par conséquent qu’il serait prématuré de sa part d’engager des consultations approfondies avec la BDSK et la BDNB à cette étape‑ci du processus. Comme on ne sera pas en mesure de connaître le détail des mesures envisagées par la Couronne ainsi que la gravité des conséquences qu’elles pourraient avoir sur les droits de la BDSK et de la BDNB tant que le Canada n’aura pas conclu d’entente de principe avec la PNADK, le Canada ne devrait pas engager de consultations avec la BDSK et la BDNB avant qu’elle ne soit conclue.

 

[144]       Je constate toutefois que le Canada n’a pas toujours soutenu le même point de vue en ce qui concerne le moment où les consultations avec la BDSK et la BDNB devraient avoir lieu et je relève que les déclarations antérieures faites par le Canada à cet égard ne semblent pas avoir été respectées.

 

[145]       On se souviendra que dans sa lettre du 21 décembre 2009 adressée à l’avocat de la BDSK et de la BDNB, la sous‑ministre adjointe principale, Politiques et orientation stratégique, expliquait qu’il serait prématuré pour le Canada d’entamer des consultations avec elles [traduction] avant que ne soit connue l’issue des discussions entre la PNADK et la BDSK et la BDBN portant sur les chevauchements. Il aurait été parfaitement raisonnable de la part de la BDSK et de la BDNB d’interpréter cette affirmation comme une déclaration que le Canada les consulterait dès que l’issue des négociations sur les chevauchements serait connue.

 

[146]       En juin 2010, le Canada était au courant du fait que les discussions relatives au chevauchement avaient échoué. Il n’a toutefois entamé aucune forme de consultation avec la BDSK et la BDNB à l’époque. Il semble en fait que la position du Canada sur le moment où les consultations devaient avoir lieu avec la BDSK et la BDNB ait changé après la rupture des négociations sur les chevauchements. On décèle ce changement de position dans la lettre du 25 octobre 2010 dans laquelle le ministre informait la BDSK et la BDNB que les consultations ne seraient entamées qu’après que le Canada aurait conclu une entente de principe avec la PNADK.

 

[147]       La position défendue par le Canada lors de l’instruction de la présente demande correspondait en gros à celle qu’a adoptée le ministre dans sa lettre du 25 octobre 2010, c’est‑à‑dire que les consultations ne devaient être entamées qu’après la signature d’une entente de principe avec la PNADK. L’avocat du Canada a toutefois également déclaré que [traduction] « l’obligation de consulter n’est déclenchée qu’au moment où l’on décide de soumettre l’accord définitif au Parlement ».

 

[148]       Compte tenu du fait que, par la décision à l’examen, le Canada s’engageait à mener des consultations avec les demanderesses une fois qu’une entente de principe serait intervenue entre le Canada et la PNADK, et compte tenu du fait que l’essentiel de l’argumentation du Canada était axé sur la conclusion d’un accord de principe avec la PNADK comme moment critique à partir duquel le Canada avait l’obligation de consulter la BDSK et la BDNB, je vais considérer qu’il s’agit là de la véritable position du Canada.

 

[149]       Comme une entente de principe ne constitue qu’une position de négociation provisoire qui est susceptible d’être modifiée, le Canada affirme que l’argument de la BDSK et de la BDNB suivant lequel les positions deviennent immuables dès lors qu’une entente de principe est conclue est mal fondé. À l’appui de cet argument, le Canada s’appuie sur plusieurs décisions rendues avant l’arrêt Nation haïda, y compris les décisions Paul c. Canada, 2002 CFPI 615, 219 F.T.R. 275, au paragraphe 108, et Pacific Fishermen’s Defence Alliance c. Canada, [1988] 1 C.F. 498, [1987] A.C.F. no 1146, aux paragraphes 8 et 13.

 

[150]       Le Canada affirme en outre qu’il serait futile de mener des consultations dans ce contexte, citant à l’appui, la décision Cook, ci‑dessus, aux paragraphes 175 à 177. Selon le Canada, il serait improductif et prématuré pour lui de mener d’autres consultations avec la BDSK et la BDNB avant qu’une entente de principe ne soit conclue avec la PNADK, parce qu’on ne pourrait que spéculer sur l’importance des répercussions sur les droits de la BDSK et de la BDNB (Tsuu T’ina, ci‑dessus, au paragraphe 85).

 

[151]       À titre d’exemple, le Canada affirme que le processus de négociation portant sur la sélection des terres ne débutera qu’après la signature d’une entente de principe. Il est donc impossible de connaître le détail des mesures envisagées par la Couronne ou d’en évaluer les répercussions sur les droits des tiers avant la conclusion d’une entente de principe avec la PNADK (Kruger Inc. c. Première Nation des Betsiamites, 2006 QCCA 569, 149 A.C.W.S. (3d) 864, aux paragraphes 12 et 13).

 

[152]       Le Canada souligne par ailleurs qu’habituellement, les traités relatifs aux revendications territoriales renferment des clauses de non‑atteinte qui protègent les droits d’autres peuples autochtones dans une région désignée. Le Canada souligne également que tout accord définitif conclu avec la PNADK renfermera une telle disposition. Par conséquent, même un accord définitif qui serait conclu entre la PNADK et le Canada n’aurait aucune conséquence immédiate sur les droits ancestraux et les droits issus des traités de la BDSK ou de la BDNB.

 

[153]       À l’appui de cet argument, le Canada invoque la décision rendue par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Cook, ci‑dessus, qui, comme la présente affaire, concernait des revendications formulées par plusieurs Premières Nations sur des territoires qui se chevauchaient. La Cour a conclu que le Canada n’avait pas à mener des consultations approfondies ou à prendre des mesures d’accommodement avec les parties demanderesses dans cette affaire tant qu’un accord définitif ne serait pas signé entre le Canada et la Première Nation tierce.

 

[154]       Pour arriver à cette conclusion, la Cour a, dans la décision Cook, fortement tablé sur la présence d’une clause de non‑atteinte aux droits qui se trouvait dans l’accord définitif. La Cour a déclaré ce qui suit :

[traduction]

186 [...] J’estime qu’il n’existe aucun élément de preuve convaincant permettant de conclure que [l’accord définitif] cause un préjudice irréparable aux demandeurs et, plus précisément, je suis convaincue que les demandeurs, la Colombie‑Britannique et le Canada auront le temps de mener des consultations avant que [l’accord définitif] ne soit mis en œuvre [...] Au cours du processus de consultation, les demandeurs seront en mesure de donner des précisions qu’ils n’ont pu jusqu’à maintenant offrir sur les atteintes portées aux droits et aux titres qu’ils revendiquent. Il n’appartient pas à la Cour, compte tenu des éléments de preuve contradictoires qui ont été présentés, de tirer ces conclusions à leur place. L’autre facteur important en l’espèce est que la clause de non‑atteinte confirme que [l’accord définitif] ne porte pas atteinte aux droits ancestraux ou au titre aborigène de tout autre groupe autochtone.

 

 

[155]       Le Canada se fonde également sur les décisions Benoanie c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, [1993] 2 C.N.L.R. 97 (C.F. 1re inst.) ; Tsehaht First Nation c. Huu‑ay‑aht First Nation, 2007 BCSC 1141, 160 A.C.W.S. (3d) 341, au paragraphe 25; Paul, ci‑dessus, et Tremblay c. Première Nation de Pessamit, 2008 QCCS 1536, [2008] 4 C.N.L.R. 240), qui vont tous dans le même sens.

 

[156]       Le Canada souligne par ailleurs que, soit les droits ancestraux existent, soit ils n’existent pas. Les droits ancestraux ne se créent ni par des ententes ni par des traités ni par la loi et ils bénéficient d’une protection constitutionnelle en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, ils ne peuvent s’éteindre par la seule volonté de l’État (Tremblay, ci‑dessus, aux paragraphes 59 et 60).

 

[157]       Le Canada affirme par conséquent que son obligation de consulter la BDSK et la BDNB au cours de la phase qui précède la conclusion de l’entente de principe se situe au bas du continuum et que les seules obligations qui pourraient lui incomber consistent à aviser les intéressés, à leur communiquer des renseignements et à discuter avec eux (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 43; Mikisew, ci‑dessus, au paragraphe 64).

 

[158]       Je commence mon analyse en faisant observer, d’entrée de jeu, que ce qui, selon l’arrêt Haïda, est exigé de la part de la Couronne au bas du continuum est « d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées par suite de l’avis » : au paragraphe 43 [non souligné dans l’original].

 

[159]       Citant les auteurs T. Isaac et A. Knox, « The Crown’s Duty to Consult Aboriginal People », (2003), 41 Alta. L. Rev. 49, à la page 61, la Cour poursuit en faisant observer, dans l’arrêt Nation haïda, que [traduction] « la “consultation”, dans son sens le moins technique, s’entend de l’action de se parler dans le but de se comprendre les uns les autres » : au paragraphe 43 [non souligné dans l’original].

 

[160]       Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Mikisew, dans lequel la Cour a conclu que l’obligation de consultation de la Couronne se situait au bas du continuum, la Cour a néanmoins estimé que la Couronne était tenue de « nouer un dialogue directement avec » les Mikisew, ce qui l’obligeait à « demander aux Mikisew d’exprimer leurs préoccupations et les écouter attentivement, et s’efforcer de réduire au minimum les effets préjudiciables du projet sur les droits de chasse, de pêche et de piégeage des Mikisew » (ci‑dessus, au paragraphe 64).

 

[161]       Le Canada admet qu’il n’a encore engagé aucune discussion directe avec la BDSK et la BDBN au sujet de leurs préoccupations, malgré les demandes répétées de consultation que ces deux Premières Nations lui ont adressées. Comme nous l’expliquerons plus loin dans les présents motifs, je suis convaincue que le Canada ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombait de consulter la BDSK et la BDNB, et ce, même si cette obligation se situait au bas du continuum.

 

[162]       Qui plus est, et en tout état de cause, je suis convaincue, vu l’ensemble des faits particuliers de la présente affaire, que le Canada a l’obligation de consulter d’ores et déjà de façon plus approfondie la BDSK et la BDNB.

 

[163]       Je ferais observer, d’entrée de jeu, que l’obligation de consulter s’applique aux décisions stratégiques prises en haut lieu qui sont susceptibles d’avoir des effets sur les revendications autochtones et les droits ancestraux, et ce, même si les effets en question sur les terres ou les ressources contestées ne sont pas immédiats (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 44).

 

[164]       Pour être sérieuses, les consultations ne sauraient être remises au tout dernier moment d’une série de décisions. Dès que des décisions préliminaires importantes ont été prises, il se peut fort bien que le terrain soit propice à un acte particulier susceptible de faire avancer les choses (Squamish Indian Band c. British Columbia (Minister of Sustainable Resource Management), 2004 BCSC 1320, 34 B.C.L.R. (4th) 280, au paragraphe 75). On peut se trouver dans une telle situation même si les décisions préliminaires ne sont pas juridiquement contraignantes.

 

[165]       Il ressort d’ailleurs de la jurisprudence que ce n’est pas parce que les décisions préliminaires ne sont pas juridiquement contraignantes qu’il n’existe pas pour autant d’obligation de consultation. Par exemple, dans l’affaire Première Nation Dene Tha’ c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354, 303 F.T.R. 106, il a néanmoins été jugé que les négociations conduisant à un plan de coopération non contraignant entraînaient une obligation de consulter qui se situait au haut du continuum.

 

[166]       Le juge Phelan a qualifié le plan de coopération d’« accord complexe portant sur une ligne de conduite précise, une feuille de route dont l’objet était d’accomplir quelque chose. L’idée était d’établir le schéma directeur d’où découleraient tous les processus applicables d’examen réglementaire et environnemental. C’est une caractéristique essentielle de la construction du [projet en litige] » (Première Nation de Dene Tha’, ci‑dessus, au paragraphe 100). Le juge Phelan a par ailleurs fait observer que « même s’il n’est pas rédigé en des termes impératifs, le Plan de coopération servait de schéma directeur pour le projet tout entier » (ci‑dessus, au paragraphe 107).

 

[167]       Le juge Phelan a conclu que le Plan de coopération était « une forme de planification stratégique (au paragraphe 108), qui ne conférait pas en tant que tel de droits, mais qui établissait les moyens par lesquels un processus global serait géré. Le juge Phelan a par conséquent estimé qu’il s’agissait d’un processus qui porterait atteinte aux droits de la Première Nation Dene Tha’ (ci‑dessus, au paragraphe 108).

 

[168]       Je reconnais que, pour que l’obligation de consulter s’applique, il doit y avoir un effet préjudiciable important sur la possibilité qu’une Première Nation puisse exercer ses droits ancestraux ou ses droits issus de traités et que de simples répercussions hypothétiques ne suffisent pas. Je reconnais également que le préjudice en question doit toucher l’exercice futur des droits eux‑mêmes, et non seulement la position de négociation ultérieure de la Première Nation (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 46).

 

[169]       Toutefois, en l’espèce, le Canada a déjà pris des décisions sans consulter la BDSK et la BDNB, et ces décisions auront probablement des répercussions importantes sur les droits issus de traités et les droits ancestraux revendiqués par chacune d’elles.

 

[170]       Une des décisions prises par le Canada a été de limiter la revendication territoriale de la PNADK au territoire situé à l’intérieur des frontières des T.N‑O. Cette décision revêt une grande importance, compte tenu du fait que les deux tiers du territoire traditionnel revendiqué par la PNADK se trouvent à l’extérieur des T.N.‑O.

 

[171]       De même, l’offre que le Canada a faite à la PNADK en mars 2009 aura, selon toute vraisemblance, des répercussions négatives sur les revendications territoriales de la BDSK et de la BDNB. Cette offre permettrait à la PNADK de sélectionner en tout 6 474 kilomètres carrés de terres dans les T.N.‑O. pour régler ses revendications territoriales.

 

[172]       La PNADK a accepté l’offre du Canada comme point de départ aux négociations devant mener à une entente de principe sur la question de la superficie des terres. Compte tenu de la dynamique du processus de négociation, il est difficile d’imaginer que l’entente de principe puisse être moins généreuse pour la PNADK que l’offre initiale du Canada.

 

[173]       On ne trouve toutefois dans l’angle sud‑ouest des Territoires du Nord‑Ouest que 6 064 kilomètres carrés de terres qui se trouvent à l’extérieur des zones d’utilisation principale de la BDSK et de la BDNB et qui pourraient servir à satisfaire aux revendications de la PNADK. Par conséquent, l’acceptation de l’offre du Canada par la PNADK se traduira inévitablement par un empiétement sur le territoire revendiqué par la BDSK et la BDNB.

 

[174]       Ce problème est aggravé par le fait que les droits de surface et les droits relatifs au sous‑sol de certaines des terres disponibles sont actuellement détenus par des tiers. Par conséquent il n’y a tout simplement pas suffisamment de terres disponibles dans les Territoires du Nord‑Ouest pour satisfaire aux revendications de la PNADK et pour donner suite à l’offre du Canada sans empiéter sur les zones d’utilisation principale des terres revendiquées par la BDSK et la BDNB et sans porter ainsi atteinte à leurs droits ancestraux et à leurs droits issus de traités. Il ne s’agit pas de répercussions hypothétiques.

 

[175]       Qui plus est, le Canada et la PNADK se sont déjà entendus, à l’occasion de la signature de l’Entente‑cadre de la PNADK, pour ne pas créer de nouveaux régimes réglementaires et de gestion du territoire en ce qui concerne les terres en litige. Elles ont plutôt convenu d’adopter le régime qui existe présentement en vertu de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie (la LGRVM). La BDSK et la BDNB affirment que le régime de gestion des ressources prévu par la LGRVM est incompatible avec le processus de gestion du territoire préconisé par le processus Deh Cho, à savoir une cogestion collective sous l’égide d’une seule autorité responsable de la gestion.

 

[176]       Bien que les répercussions négatives de l’adoption, par la PNADK, du régime de gestion des ressources prévu par la LGRVM en ce qui concerne les terres susceptibles de faire partie des zones d’utilisation principale de la BDSK et de la BDNB ne seraient peut‑être pas ressenties immédiatement par la BDSK et la BDNB, les tribunaux ont statué qu’il n’est pas nécessaire que le risque d’atteinte soit immédiat (Rio Tinto, ci‑dessus, aux paragraphes 44, 47 et 54). L’atteinte qui pourrait éventuellement être causée aux droits à l’autonomie gouvernementale autochtone découlant de l’application de la LGRVM sur les terres contestées se produirait plus tard, mais elle n’en demeure pas moins sérieuse.

 

[177]       Enfin, l’offre de mars 2009 que le Canada a faite à la PNADK a également eu des répercussions immédiates sur la BDSK et la BDNB, étant donné qu’elle s’est traduite par une réduction proportionnelle, par le Canada, de l’offre qu’il avait faite aux Premières Nations du Deh Cho, y compris la BDSK et la BDNB.

 

[178]       Ce risque évident d’atteinte fait en sorte que la présente espèce se distingue de l’affaire Cook sur laquelle la Couronne se fonde. Dans cette affaire, il n’y avait aucune atteinte évidente (Cook, ci‑dessus, au paragraphe 179).

 

[179]       De plus, l’affaire Cook, ne porte pas sur une situation dans laquelle des négociations sur les chevauchements avaient été rompues; aucune négociation n’avait encore été amorcée (paragraphes 115 à 118). Le tribunal avait par conséquent conclu que, même si les Premières Nations demanderesses avaient par la suite été en mesure de préciser en quoi consistait l’atteinte portée à leurs revendications, il existait encore plusieurs possibilités d’accommodements (aux paragraphes 190 et 191).

 

[180]       Même dans ces circonstances, la Cour a néanmoins reconnu que la Couronne avait l’obligation de consulter les demandeurs autochtones à l’étape de l’entente de principe, et ce, bien que la Cour ait conclu que, vu l’absence de toute atteinte, l’obligation se situait, à cette étape, au bas du continuum (Cook, ci‑dessus, aux paragraphes 179 et 192).

 

[181]       Par contraste, les mesures envisagées par la Couronne dans le cas qui nous occupe mettent en péril les revendications actuelles de la BDSK et de la BDNB ainsi que leurs droits existants (Rio Tinto, ci‑dessus, au paragraphe 49). De plus, la menace qui pèse sur les droits de la BDSK et de la BDNB est réelle; il ne s’agit pas d’une menace hypothétique, présumée ou imaginaire (Pacific Fishermen’s Defence Alliance, ci‑dessus, au paragraphe 8).

 

[182]       Je reconnais que la présence d’une clause de non‑atteinte dans un accord final entre le Canada et la PNADK assurera une certaine protection à la BDSK et à la BDNB. Quoi qu’il en soit, les espoirs de réconciliation entre la Couronne et la BDSK et la BDNB seront inévitablement compromis si des discussions sérieuses avec le Canada ne commencent qu’après que celui‑ci aura conclu un accord de principe avec la PNADK. D’ailleurs, l’avocat de la Couronne a lui‑même reconnu cette réalité à l’audience.

 

[183]       Se fondant sur le jugement Cook, le Canada soutient également que, s’il avait l’obligation d’entamer des consultations avec la BDSK et la BDNB à ce moment‑ci du processus, il lui faudrait se livrer à « une partie de ping-pong » entre la BDSK et la BDNB d’une part et la PNADK, d’autre part. Lorsque j’ai indiqué à l’avocat qu’il s’agit là d’une réalité incontournable pour toute négociation menée après la conclusion d’un accord de principe avec la PNADK, l’avocat a convenu que c’était effectivement le cas. Il a toutefois fait observer que le Canada serait en mesure d’entamer des négociations avec la BDSK et la BDNB [traduction] « armé d’une entente de principe ». C’est, évidemment, précisément ce que la BDSK et la BDNB craignent.

 

[184]       Bien qu’il ressorte à l’évidence de l’arrêt Rio Tinto qu’un effet préjudiciable sur la position de négociation ultérieure d’une Première Nation ne suffise pas, en soi, pour influer sur l’obligation de consulter, les répercussions inévitables que la conclusion d’une entente de principe entre le Canada et la PNADK aura sur les négociations en cours dans le cadre du processus Deh Cho n’est qu’un des nombreux facteurs qui entre en ligne de compte dans le cas qui nous occupe.

 

[185]       Qui plus est, il est clairement établi en droit que [traduction] « la Couronne ne peut négliger les droits ancestraux potentiels revendiqués par un groupe pour favoriser la conclusion d’un traité avec un autre groupe » (Cook, ci‑dessus, au paragraphe 162; Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 27).

 

[186]       Le Canada insiste pour dire que [traduction] « on ne perd rien à attendre qu’une entente de principe soit conclue avant d’entamer d’autres négociations avec les demanderesses » (mémoire des faits et du droit du Canada, au paragraphe 89). Je ne suis pas de cet avis. Le fait de mener des négociations avec la PNADK et d’exclure les demanderesses de toute discussion directe malgré leurs demandes répétées de consultation ne contribue guère à réconcilier le Canada avec la BDSK et la BDNB et risque fort d’avoir l’effet opposé.

 

[187]       Le processus de réconciliation est d’autant plus compromis en l’espèce du fait que le Canada a « changé les règles du jeu » en ce qui concerne le processus de consultation. Après avoir d’abord déclaré à la BDSK et la BDNB que les consultations se tiendraient une fois que l’issue des discussions sur les chevauchements serait connue, le Canada n’a en fait engagé aucune consultation. Lorsque la BDSK et la BDNB ont, à juste titre, insisté pour être consultées après la rupture des négociations sur les chevauchements, elles ont de nouveau été éconduites, le ministre leur ayant appris que les consultations n’auraient lieu qu’après la conclusion d’une entente de principe entre le Canada et la PNADK. À mon humble avis, ces changements de position ne contribuent en rien à la réconciliation des parties et ne font qu’isoler davantage la BDSK et la BDNB.

 

[188]       Le Canada affirme également qu’il ne peut entamer des pourparlers directs avec la BDSK et la BDNB tant qu’une entente de principe n’aura pas été conclue avec la PNADK, étant donné qu’il n’est pas en mesure de savoir sur quoi les discussions avec la BDSK et la BDNB porteront, ce qui nous amène bien sûr à nous demander comment il se fait que le Canada puisse engager des discussions directes avec la PNADK s’il n’a pas encore conclu d’entente de principe avec la BDSK et la BDNB.

 

[189]       On a soutenu, dans l’affaire Nation haïda, que la Couronne ne pouvait savoir si des droits existaient avant que les revendications autochtones ne soient réglées, de sorte qu’elle ne pouvait avoir l’obligation de consulter les Premières Nations ou de prendre des mesures d’accommodement à leur égard. Tout en reconnaissant que cette difficulté ne devait pas être minimisée, la Cour suprême a néanmoins jugé qu’« il est souvent possible de se faire, à l’égard des droits revendiqués et de leur solidité, une idée suffisamment précise pour que l’obligation de consulter et d’accommoder s’applique, même si ces droits n’ont pas fait l’objet d’un règlement définitif ou d’une décision judiciaire finale » (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 36).

 

[190]       La Cour suprême a expliqué que, pour faciliter cette détermination, les demandeurs devraient exposer clairement leurs revendications « en insistant sur la portée et la nature des droits ancestraux qu’ils revendiquent ainsi que sur les violations qu’ils allèguent » (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 36).

 

[191]       Bien que ces observations aient été formulées dans un contexte légèrement différend, elles s’appliquent pour l’essentiel en l’espèce.

 

[192]       La BDSK et la BDNB ont soumis au Canada une abondante documentation, notamment sur le plan historique, à l’appui de leurs revendications respectives et elles ont exposé clairement leurs revendications. D’ailleurs, le Canada n’a pas laissé entendre qu’il ne comprenait pas la nature ou la portée des revendications de la BDSK et de la BDNB. Il s’agit là d’un autre aspect qui différencie la présente espèce de l’affaire Cook invoquée par la Couronne. Dans cette décision, la Cour a en effet conclu que les consultations pouvaient être reportées jusqu’à ce que le Canada ait signé une entente de principe avec une autre Première Nation notamment en raison de l’incapacité des Premières Nations requérantes de décrire avec précision une atteinte à leurs droits ou à leurs revendications (Cook, ci‑dessus, au paragraphe 186).

 

[193]       Peut‑être parce que les négociations entre la PNADK et la Couronne sont confidentielles, très peu de renseignements sur la solidité des revendications de la PNADK ont été soumis à la Cour. Il ressort toutefois des pièces versées au dossier relativement à la présente demande que la BDSK et la BDNB ont fourni au Canada des renseignements détaillés au sujet de leurs propres revendications. On dispose donc d’amplement d’éléments pour discuter.

 

[194]       Le Canada affirme ne pouvoir consulter la BDSK et la BDNB à cette étape du processus parce que le processus relatif à la PNADK est confidentiel. Je n’accepte pas cet argument.

 

[195]       Bien que l’Entente‑cadre de la PNADK prévoie que l’entente de principe sera rendue publique, le Canada a clairement déclaré que le processus de négociation des terres sélectionnées ne commencera qu’après la conclusion d’une entente de principe. Ces négociations entre la PNADK et le Canada seront elles‑mêmes confidentielles.

 

[196]       Dans la mesure où les préoccupations du Canada portent sur la confidentialité de ses négociations avec la PNADK, j’ai demandé à l’avocat de la Couronne comment le Canada pourrait être en meilleure position pour consulter la BDSK et la BDNB relativement aux questions de sélection de terre après la conclusion d’une entente de principe avec la PNADK, sachant que les négociations qui auraient lieu après la conclusion de l’entente de principe en question avec la PNADK seraient elles aussi confidentielles. L’avocat n’a pas été en mesure de donner une réponse satisfaisante, se contentant de dire [traduction] « il s’agit là d’une question un peu difficile ».

 

Le Canada ne s’est pas acquitté de son obligation de consulter

[197]       La perfection n’est pas exigée. Dès lors que la Couronne « a déployé des efforts raisonnables pour informer et consulter les Premières nations qui étaient susceptibles d’être touchées par les mesures qu’il entendait prendre, le ministre a satisfait à son obligation ». (Ahousaht, ci‑dessus, au paragraphe 38).

 

[198]       La question décisive consiste dans tous les cas à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 45).

 

[199]       Le principe de l’honneur de la Couronne commande également que celle‑ci mette en balance les intérêts de la société et ceux des peuples autochtones lorsqu’elle prend des décisions susceptibles d’entraîner des répercussions sur les revendications autochtones (Nation haïda, ci‑dessus, au paragraphe 45).

 

[200]       Le Canada affirme qu’il a avisé la BDSK et la BDNB du processus de revendication territoriale de la PNADK et qu’il les a informées des questions abordées lors des négociations. Le Canada a désigné un représentant ministériel spécial et a appuyé les négociations entamées entre les Premières Nations en ce qui concerne les questions de chevauchement pour tenter de minimiser leurs incidences sur les droits de la BDSK et de la BDNB. Il a également reçu les renseignements de la BDSK et de la BDNB à l’appui des revendications de ces dernières et il a promis de mener des consultations plus approfondies avant que la PNADK ne procède à la sélection des terres au cours de la phase postérieure à la conclusion de l’entente de principe et d’inclure une clause de non‑atteinte dans l’accord définitif qu’il conclura avec la PNADK.

 

[201]       Mme Pound a toutefois reconnu dans son contre‑interrogatoire que le Canada n’a pas encore [traduction] « entamé de consultations formelles avec la BDSK et la BDNB ». D’ailleurs, le Canada concède qu’il n’a encore entamé aucune discussion directe avec la BDSK et la BDNB pour répondre à leurs préoccupations. Cette absence de consultation ressort également de la lettre ministérielle à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire dans laquelle le ministre assure à la BDSK et la BDNB la tenue de consultations dans le futur, mais seulement après qu’une entente de principe sera signée avec la PNADK.

 

[202]       Le Canada affirme par ailleurs qu’il a en tout temps témoigné de son intention de répondre aux préoccupations de la BDSK et de la BDNB en procédant à des consultations sérieuses après la signature d’une entente de principe avec la PNADK, se déchargeant ainsi de son obligation de consulter avant la signature de l’entente de principe.

 

[203]       Je suis d’accord avec le Canada pour dire qu’il a agi de façon raisonnable et appropriée en encourageant la PNADK, la BDSK et la BDNB à tenter de résoudre entre elles leurs revendications opposées et en facilitant ces discussions. D’ailleurs le fait d’encourager les Premières Nations concernées à régler par consensus leurs revendications sur les territoires qui se chevauchent est respectueux des Premières Nations en question. Toutefois, le fait d’encourager les négociations sur les chevauchements ne saurait, à mon avis, remplacer les consultations directes que le Canada doit mener avec les Premières Nations visées.

 

[204]       Divers niveaux de consultation devront avoir lieu aux différentes étapes du processus (Cook, ci‑dessus, au paragraphe 197). L’honneur de la Couronne commande que celle‑ci entame des discussions directement avec la BDSK et la BDNB avant de conclure une entente de principe avec la PNADK compte tenu des circonstances particulières de la présente espèce, y compris la solidité des revendications autochtones des demanderesses et des droits issus de traités reconnus, des mesures que le Canada se propose de prendre et des répercussions éventuelles qu’elles risquent d’avoir sur les revendications et les droits de la BDSK et de la BDNB, des décisions déjà prises relativement aux revendications de la PNADK et des déclarations faites par le Canada au sujet du moment où il entend mener des consultations auprès de la BDSK et de la BDNB.

 

Dispositif

[205]       Pour les motifs qui ont été exposés, je suis convaincue que la décision du ministre de retarder ses consultations avec la BDSK et la BDNB tant qu’une entente de principe n’aura pas été conclue avec la PNADK n’était pas raisonnable et que le processus qui a été suivi était incompatible avec l’honneur de la Couronne (Mikisew, ci‑dessus, au paragraphe 59).

 

[206]       Bien qu’il soit vrai que des consultations plus approfondies devront être menées après la conclusion d’une entente de principe avec la PNADK, le Canada a l’obligation de consulter la BDSK et la BDNB à cette étape‑ci du processus en entamant immédiatement des discussions de fond directement avec elles au sujet des atteintes éventuelles à leurs droits ancestraux et à leurs droits issus de traités en ce qui concerne des terres revendiquées par la PNADK faisant l’objet d’autres revendications.

 

Réparation

[207]       Bien que le gouvernement des T.N.‑O. et la PNADK aient été désignés comme défendeurs dans la présente demande, la décision à l’examen en l’espèce est la décision du 25 octobre 2010 par laquelle le ministre des Affaires indiennes et du Nord du Canada a reporté les consultations avec la BDSK et la BDNB jusqu’à la date à laquelle une entente de principe serait conclue entre le Canada et la PNADK. En conséquence, la réparation que la Cour accordera visera uniquement le Canada, ce qui est compatible avec la réparation sollicitée par la BDSK et la BDNB dans leur avis de demande.

 

[208]       Pour les motifs qui ont été exposés, la Cour déclare que le Canada a manqué à son obligation de consulter la BDSK et la BDNB, de sorte que la décision du 25 octobre 2010 du ministre de reporter à plus tard ses consultations avec la BDSK et la BDNB est annulée.

 

[209]       Le Canada a, envers la BDSK et la BDNB, l’obligation légale et constitutionnelle de les consulter adéquatement, sans délai, au sujet des aspects de la revendication territoriale de la PNADK qui porteraient atteinte ou qui seraient susceptibles de porter atteinte aux droits ancestraux et aux droits issus de traités revendiqués par la BDSK et par la BDNB, y compris la détermination des terres et des ressources faisant partie de la région désignée ou des terres désignées visées par la revendication territoriale de la PNADK, l’utilisation des terres et des ressources en question et la réglementation ou la gestion desdites terres et ressources.

 

[210]       Le Canada ne devra conclure aucune entente de principe avec la PNADK relativement à ses revendications territoriales non réglées tant que les consultations avec la BDSK et la BDNB dont il est fait mention au paragraphe précédent n’auront pas été menées.

 

[211]       La Cour déclare en outre qu’après la conclusion d’une entente de principe avec la PNADK, le ministre sera tenu d’engager sans délai des consultations approfondies, sérieuses et adéquates avec la BDSK et la BDNB dans l’intention de mettre au point des mesures d’accommodement concrètes pour répondre à leurs préoccupations en ce qui concerne la détermination des terres et des ressources faisant partie de la zone ou des terres désignées visées par la revendication territoriale de la PNADK et la réglementation ou la gestion des terres et des ressources en question. Ce processus devra se dérouler avec l’objectif de concilier les divergences existantes entre les parties d’une manière qui est conforme à l’honneur de la Couronne et aux principes articulés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Nation haïda et Taku River.

 

[212]       La BDSK et la BDNB ont droit à leurs dépens dans la présente demande. Je ne suis pas convaincue que les circonstances de la présente affaire justifient l’adjudication de dépens sur la base avocat‑client. Ainsi que les parties l’ont convenu, les dépens de la BDSK et de la BDNB sont fixés à 15 000 $.


JUGEMENT

 

LA COUR DÉCLARE ET ORDONNE CE QUI SUIT :

 

1.      Le Canada n’a pas respecté son obligation de consulter la BDSK et la BDNB;

 

2.      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du 25 octobre 2010 par laquelle le ministre des Affaires indiennes et du Nord du Canada a reporté les consultations avec la BDSK et la BDNB jusqu’à ce qu’une entente de principe soit conclue entre le Canada et la PNADK est annulée;

 

3.      Le Canada engage sans délai des discussions de fond directement avec la BDSK et la BDNB au sujet des éléments de la revendication territoriale de la PNADK qui porteraient atteinte ou seraient susceptibles de porter atteinte aux droits ancestraux et aux droits issus de traités de la BDSK et de la BDNB, y compris la détermination des terres et des ressources faisant partie de la zone ou des terres désignées visées par la revendication territoriale de la PNADK, l’utilisation des terres et des ressources en question et la réglementation ou la gestion desdites terres et ressources.

 

4.      Il est interdit au Canada de conclure une entente de principe avec la PNADK relativement à ses revendications territoriales non réglées tant que les consultations avec la BDSK et la BDNB dont il est fait mention au paragraphe 3 de la présente ordonnance n’auront pas été menées.

 

5.      Après avoir conclu une entente de principe avec la PNADK, le Canada engage sans délai des consultations approfondies, sérieuses et adéquates avec la BDSK et la BDNB dans l’intention de mettre au point des mesures d’accommodement concrètes pour répondre à leurs préoccupations en ce qui concerne la détermination des terres et des ressources faisant partie de la zone ou des terres désignées visées par la revendication territoriale de la PNADK et la réglementation ou la gestion des terres et des ressources en question. Ce processus devra se dérouler avec l’objectif de concilier les divergences existantes entre les parties d’une manière qui est conforme à l’honneur de la Couronne et aux principes articulés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Nation haïda et Taku River.

 

6.      La BDSK et la BDNB ont droit aux dépens de la présente demande, lesquels sont fixés à 15 000 $.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1946‑10

 

 

INTITULÉ :                                                  BANDE DES DÉNÉS DE SAMBAA K’E ET AUTRE c.
JOHN DUNCAN ET AUTRES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 22 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 10 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

John R. Lojek

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Andrew Fox

Donna Keats

 

POUR LE DÉFENDEUR

(LE MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN)

 

Karen Lajoie

POUR LE DÉFENDEUR

(LE GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD‑OUEST)

 

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN R. LOJEK

Avocat

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

(LE MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN)

 

GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD‑OUEST

Ministère de la Justice

 

POUR LE DÉFENDEUR

(LE GOUVERNEMENT DES TERRITOIRES DU NORD‑OUEST)

 

 

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