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Date: 20120214


Dossier : T-101-11

Référence : 2012 CF 212

Ottawa (Ontario), le 14 février 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

RICHARD FORGET

 

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Depuis 1978, Richard Forget purge une peine à perpétuité pour meurtre au deuxième degré, vol avec menaces de violence, introduction par effraction, fraude, supposition intentionnelle de personne, et recel. En novembre 2010, alors qu’il est incarcéré à l’établissement Ste-Anne-des-Plaines (ESAP), un pénitencier fédéral à sécurité minimale situé au Québec, il est mis en isolement préventif afin de ne pas nuire au déroulement d’une enquête en cours sur le trafic de tabac dans l’établissement ESAP.

 

[2]               Suite à cette enquête, monsieur Forget est identifié comme étant la tête dirigeante de cet important réseau de trafic de tabac dans l’établissement. À cet effet, ainsi que pour la sécurité interne du pénitencier, le Service correctionnel du Canada (SCC) décide de hausser la cote de sécurité de monsieur Forget de minimale à moyenne et de le transférer de l’ESAP à l’établissement Leclerc, pénitencier à sécurité moyenne.   

 

[3]               La décision est prise par la directrice de l’ESAP. Insatisfait de cette décision, monsieur Forget aurait pu présenter un grief directement au sous-commissaire régional, tel que prévu à la procédure de règlement des griefs établie en vertu de l’article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Plutôt, il choisit de déposer une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 81 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

 

[4]               L’article 81 prévoit :

(1) Lorsque le délinquant décide de prendre un recours judiciaire concernant sa plainte ou son grief, en plus de présenter une plainte ou un grief selon la procédure prévue dans le présent règlement, l'examen de la plainte ou du grief conformément au présent règlement est suspendu jusqu'à ce qu'une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu s'en désiste.

 

(2) Lorsque l'examen de la plainte ou au grief est suspendu conformément au paragraphe (1), la personne chargée de cet examen doit en informer le délinquant par écrit.

(1) Where an offender decides to pursue a legal remedy for the offender's complaint or grievance in addition to the complaint and grievance procedure referred to in these Regulations, the review of the complaint or grievance pursuant to these Regulations shall be deferred until a decision on the alternate remedy is rendered or the offender decides to abandon the alternate remedy.

 

 

(2) Where the review of a complaint or grievance is deferred pursuant to subsection (1), the person who is reviewing the complaint or grievance shall give the offender written notice of the decision to defer the review.

 

[5]               Essentiellement, monsieur Forget prétend qu’il n’a pas été suffisamment informé des allégations formulées à son égard, et qu’on ne lui a pas donné une chance équitable d’y répondre. S’il en est ainsi, cela constitue bel et bien un déni des principes de justice naturelle et la Cour se doit d’intervenir. Monsieur Forget prétend également que le SCC a omis de motiver en quoi sa décision de transfèrement non sollicité est la mesure la moins restrictive, conformément aux principes de fonctionnement énoncés à l’article 4 de la Loi.

 

[6]               Le ministre, pour sa part, fait d’abord valoir que, compte tenu de contexte carcéral très particulier, les renseignements fournis à monsieur Forget sont suffisants. Il soutient que ce dernier a reçu tous les documents préparés en vue de son transfèrement et ce, dans le respect des délais prévus par la Loi et le Règlement. De plus, le ministre est d’avis que la décision de la directrice est suffisamment motivée et tient compte des évaluations et recommandations relatives à la situation de monsieur Forget. Enfin, il prétend que la décision est raisonnable et qu’il y a eu une pondération adéquate des facteurs pertinents, notamment l’adaptation au milieu carcéral, le risque d’évasion, et la sécurité au public.

 

[7]               Le 10 janvier 2012, soit un jour avant la date d’audience de la demande de contrôle judiciaire, le ministre dépose des représentations supplémentaires selon lesquelles la Cour ne devrait pas se saisir de la demande car monsieur Forget n’a pas épuisé tous les recours possibles selon le processus administratif. Il s’appuie sur les récents arrêts Rose c Canada (Procureur général), 2011 CF 1495, [2011] ACF No 1821 (QL) et Marleau c Canada (Procureur général), 2011 CF 1149, [2011] ACF No 1417 (QL).

 

[8]               Ainsi, au début de l’audience, je me suis informé auprès de monsieur Forget pour savoir s’il était prêt à procéder. Son avocat s’est objecté aux représentations supplémentaires du ministre, vu qu’elles ont été déposées si peu de temps avant la date de l’audience. Par conséquent, j’ai reporté l’audience au 31 janvier 2012 et permis aux parties de déposer des mémoires supplémentaires portant sur le point soulevé par le ministre.

 

[9]               Toutes les deux parties déposent un mémoire supplémentaire. De plus, on porte à l’attention de cette Cour deux arrêts plus récents : Reda c Canada (Procureur général), 2012 CF 79, [2012] ACF No 82 (QL) et Paul c Canada (Procureur général), 2012 CF 64, [2012] ACF No 73 (QL).

 

[10]           Lors de l’audience, le 31 janvier 2012, les parties ajoutent peu à leurs mémoires supplémentaires. Monsieur Forget soutient que je dois entendre la demande de contrôle judicaire sur le mérite. Et si j’exerce ma discrétion de ne pas entendre la demande, telle que madame le juge Bédard l’a fait dans l’arrêt Reda, susmentionné, je dois néanmoins me prononcer sur le mérite au cas où j’ai tort sur cette question.

 

[11]           J’ai entendu la demande sur le mérite, sous réserve de pouvoir exercer ma discrétion de refuser de la trancher.  

 

[12]           En effet, c’est la gravité des représentations de la part des deux parties qui me mène non seulement à refuser de trancher la demande, mais aussi à ne pas offrir mon opinion quant à sa valeur. En procédant ainsi, la prochaine étape pour monsieur Forget est de présenter un grief au sous-commissaire régional. Les décisions des tribunaux administratifs sont révisées par cette Cour. L’idée voulant que mes remarques incidentes soient révisées par un tribunal de juridiction inférieure ne me plaît nullement.

 

[13]           Il est clair que la Cour peut exercer sa discrétion de ne pas entendre une demande de contrôle judiciaire déposée directement devant elle si les autres voies de recours appropriées n’ont pas été épuisées. Madame le juge Bédard a fait un survol de la jurisprudence à cet effet dans l’arrêt Reda, susmentionné, il ne m’est donc pas nécessaire d’examiner la question de plus près. À mon avis, il suffit de dire qu’en l’espèce, il n’y a aucune circonstance exceptionnelle qui justifierait que cette Cour se saisisse, à cette étape, de la demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la directrice.

 

[14]           Ayant décidé qu’elle ne devrait pas disposer de la demande de contrôle judiciaire, madame le juge Bédard s’est néanmoins prononcée, en obiter, sur le mérite de la demande pour deux raisons. Premièrement, c’est la Cour elle-même, plutôt que le défendeur, qui avait soulevé la question quant à l’exercice de sa compétence. Deuxièmement, dans l’éventualité que la Cour d’appel fédérale infirme cet aspect de sa décision, elle aurait au moins exprimé les motifs pour lesquels elle était d’avis que la demande devait être rejetée.

 

[15]           En l’espèce, cette question est soulevée par le ministre, même s’il l’a fait tardivement. Je suis davantage préoccupé par la façon dont le sous-commissaire régional traitera de la décision de la directrice, plutôt que par la façon dont la Cour d’appel fédérale traitera de la mienne. À cet égard, je fais référence à l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 RCS 504. Bien que les faits diffèrent de ceux de la présente affaire, les remarques de la Cour suprême s’appliquent avec autant de pertinence en l’espèce. Tel qu’il est expliqué au paragraphe 56 de l’arrêt, les cours de justice peuvent bénéficier d’un dossier complet et de l’opinion des tribunaux administratifs d’appel.

 

[16]           Bien que dans l’arrêt Paul, susmentionné, monsieur le juge Scott se prononce sur le mérite d’une demande de contrôle judiciaire similaire à celle-ci, il n’y a rien dans ses motifs qui suggère que cette question particulière est débattue par les parties. On ne peut donc pas dire que cet arrêt étaye la proposition voulant que cette Cour révise automatiquement les décisions relatives à un transfèrement non sollicité.

 

[17]           Quoi qu’il en soit, je n’aurai pas été disposé à accorder la réparation demandée, soit celle d’annuler la décision. Je l’aurais plutôt renvoyée devant un autre décideur pour réexamen.

 


ORDONNANCE

 

PAR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS;

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la directrice de l’ESAP, rendue le 23 décembre 2010, soit rejetée.

2.                  Il n’y aura pas d’adjudication des dépens en l’espèce.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-101-11

 

INTITULÉ :                                       FORGET c PGC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             LE 11 ET 29 JANVIER 2012

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 14 FÉVRIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Maxime Hébert Lafontaine

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Michelle Lavergne

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maxime Hébert Lafontaine

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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