Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 Date: 20120208


Dossier : IMM-3692-11

Référence : 2012 CF 178

Ottawa (Ontario), le 8 février 2012

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

HOCINE FENEK

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de révision judiciaire présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR], qui conteste la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR], rendue le 4 avril 2011, voulant que monsieur Hocine Fenek (M. Fenek) n’ait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs suivants, la demande de révision judiciaire est rejetée.

 

II.        Les faits

 

[3]               M. Fenek est citoyen et originaire d’Algérie.

 

[4]               Avant son arrivée au Canada, M. Fenek opérait un restaurant dans la région d’Alger, à 110 kilomètres de sa résidence sise à Beni-Douala, dans les montagnes de Kabylie, à Tizi-Ouzou.

 

[5]               Le 3 janvier 2008, M. Fenek revient de son travail. C’est alors que des hommes armés lui barrent la route et le forcent à descendre de son véhicule. Ils fouillent son camion, s’emparent de ses papiers d’identification personnelle et d’une somme de 30 000 DA.

 

[6]               Ces hommes l’interrogent sur sa situation professionnelle et réussissent à obtenir son numéro de téléphone. Ils exigent aussi que M. Fenek leur verse la somme de 10 000 DA aux deux semaines.

 

[7]               M. Fenek s’acquitte et verse les sommes demandées pendant une période de deux mois.

 

[8]               En mars 2008, les hommes convoquent M. Fenek à une rencontre au café « le 1er novembre » pour lui confier une mission. Il décide alors de résilier sa ligne téléphonique et s’enfuit chez son frère qui opère également un restaurant mais au centre-ville d’Alger.

 

[9]               M. Fenek quitte l’Algérie à destination du Canada sur invitation de sa sœur. Il arrive au Canada le 2 mai 2008 et dépose une demande d’asile le 6 octobre 2008. Dans son formulaire de renseignements personnels [FRP] complété le 4 décembre 2008, M. Fenek allègue avoir fait l’objet de menaces de mort pour refus d’obtempérer aux demandes d’un groupe terroriste.

 

[10]           La CISR conclut que, bien que M. Fenek ait présenté une demande d’asile crédible, il n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni la qualité de personne à protéger.

 

[11]           La décision de la CISR précise qu’aucun élément de preuve n’a été déposé par M. Fenek afin d’établir que l’article 96 s’applique en l’instance. On y indique aussi que M. Fenek n’encourt pas un risque personnalisé et que « dans l’ensemble de son témoignage, le demandeur n’a pas réussi selon la prépondérance des probabilités à convaincre le tribunal d’un risque futur nécessaire à l’application de l’article 97(1)b) de la LIPR » (voir la décision de la CISR au para 25).

 

III.       La législation

 

[12]           L’article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR se lisent comme suit :

 

Définition de « réfugié »

Convention refugee

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

 A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

Person in need of protection

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

IV.       La question en litige et la norme de contrôle applicable

 

A.        La question en litige

 

[13]           Cette demande de révision judiciaire soulève la question suivante :

 

·                     La CISR erre-t-elle en qualifiant le risque auquel M. Fenek est exposé en Algérie de généralisé et en concluant qu’il ne serait pas assujetti à un risque inhabituel advenant son retour dans son pays d’origine?

 

B.        La norme de contrôle applicable

 

[14]           Cette demande de révision judiciaire s’apprécie selon la norme de la décision raisonnable car « la question de l’exclusion en raison de risques généralisés de violence suivant l’alinéa 97(1)b) de la LIPR [constitue] une question d’application de la loi aux faits particuliers d’une affaire » (voir Rodriguez Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1029, para 24 [Perez], et Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 31 [Prophète]).

 

[15]           La décision de la CISR doit donc faire partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

 

 

 

 

 

 

 

V.        La position des parties

 

A.        La position du demandeur

 

[16]           M. Fenek rappelle que la CISR conclut que le risque auquel il fut exposé en Algérie en est un qu’elle qualifie de généralisé visant l’ensemble d’un groupe de la population algérienne, en l’occurrence les commerçants.

 

[17]           M. Fenek soutient que la CISR commet une erreur de fait et de droit puisqu’elle le considère comme appartenant au groupe des commerçants d’Algérie alors qu’il prétend être la victime de terroristes.

 

[18]           Il souligne de plus que l’analyse de la CISR ne fait aucune mention de la menace personnelle et spécifique dirigée contre lui, soit son implication forcée dans des activités terroristes. M. Fenek prétend que ce risque n’a rien à voir avec son métier de commerçant.

 

[19]           Selon M. Fenek, la conclusion de la CISR voulant qu’il appartienne à un sous-groupe de la population algérienne exposé à un risque généralisé n’est pas appuyée par les éléments de preuve au dossier. M. Fenek allègue que le raisonnement de madame la juge Bédard, au paragraphe 12 de la décision Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 622, s’applique en l’instance alors qu’elle écrit :

[12] En l'espèce, le risque invoqué par le demandeur est clairement lié à sa crainte de représailles dans un contexte où il refuse de joindre un gang de rue. Or, la preuve au dossier ne traite aucunement du recrutement forcé pratiqué par les gangs de rue auprès des jeunes. Dans le contexte où le risque invoqué par le demandeur est clairement lié à sa crainte de représailles dans une situation de refus de joindre un gang de rue, la Commission ne pouvait, en l'absence de preuve, conclure que le risque encouru par le demandeur était généralisé. La preuve documentaire traitant du nombre de jeunes qui sont membres de gangs de rues et des facteurs les poussant à adhérer à un gang n'était pas pertinente pour appuyer une conclusion de risque généralisé lié au recrutement forcé ou aux craintes de représailles en cas de refus d'adhérer.

 

[20]           Il soutient que les faits du présent dossier se distinguent de ceux que l’on retrouve dans l’affaire Perez et l’arrêt Prophète précités et Arias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1029, où les conclusions de la CISR, quant à l’existence d’un risque généralisé, s’appuient sur des éléments de preuve concrets.

 

[21]           M. Fenek fait également valoir sa condition psychiatrique (voir pièces P-3 et P-4 aux pages 97 à 116 du dossier de la CISR). Il soutient que ses difficultés découlent des évènements vécus en Algérie.

 

[22]           La CISR conclut  que M. Fenek n’a pas réussi à établir, selon la balance des probabilités, qu’il serait exposé à un risque de persécution advenant son retour en Algérie. La CISR fonde sa conclusion en écrivant que « le demandeur a témoigné que depuis son départ aucun membre de sa famille n’avait subi les assauts [des terroristes] [...] et que de surcroît, son commerce avait été loué à un autre individu dont il n’avait aucune nouvelle » (voir la décision de la CISR au para 21).

 

[23]           Toutefois, M. Fenek soutient que l’absence de nouvelles concernant la location de son ancien local confirme que la menace qu’il encourait en Algérie n’était pas une menace généralisée.

 

[24]           De plus, il prétend que la CISR omet de tenir compte du fait qu’un de ses frères a dû vendre son propre restaurant pour fuir les terroristes. M. Fenek réfère la Cour à la page 39 de la transcription de l’audience. Il y affirme « mon frère jumeau qui est parti au Sahara, on pense qu’il est en danger. Il est parti au sud pour ça ».

 

[25]           M. Fenek allègue également que la CISR ne tient pas compte de l’assassinat d’un individu connu par la famille Fenek aux mains d’un groupe de terroristes. M. Fenek affirme que le danger est bien réel et que la CISR ne peut ignorer que les terroristes en question puissent s’informer auprès de son entourage pour le retrouver advenant son retour en Algérie.

 

[26]           Finalement, M. Fenek prétend qu’il pourrait possiblement subir des représailles aux mains des autorités algériennes puisque les sommes versées pourraient vraisemblablement servir à des activités terroristes.

 

B.        La position du défendeur

 

[27]           Le défendeur prend acte du fait que M. Fenek n’attaque pas la conclusion de la décision de la CISR sur l’application de l’article 96 de la LIPR. Cette conclusion s’avère raisonnable (voir la décision Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262 au para 26).

 

[28]           Le défendeur soutient principalement que l’analyse de la CISR, portant sur la demande de M. Fenek aux termes du 97(1) de la LIPR, est raisonnable en l’instance puisqu’elle s’appuie sur les éléments de preuve présentés par M. Fenek.

 

[29]           Selon le défendeur, la conclusion de la CISR voulant que M. Fenek n’ait pas réussi à démontrer un risque prospectif advenant son retour en Algérie est raisonnable. (voir la décision de la CISR au para 20) puisqu’elle repose entre autres sur l’affirmation du principal intéressé qui déclare « aucun membre de sa famille n’avait subi les assauts de ces individus et que de surcroît, son commerce avait été loué à un autre individu dont il n’avait aucune nouvelle » (voir la décision de la CISR au para 21).

 

[30]           Le défendeur rappelle également qu’une bonne partie des arguments de M. Fenek, soit les paragraphes 40,42, 43 et 45 du mémoire du demandeur, constituent des faits nouveaux qui n’ont pas été mis en preuve devant la CISR. Or, il est clairement établi par la jurisprudence de la Cour que dans une demande de révision judiciaire d’une décision administrative aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales LRC (1985), c F-7, la Cour ne peut considérer que les éléments présentés devant le décideur, en l’instance la CISR (voir les affaires Lalonde c Canada (Agence du Revenu), 2008 CF 183 au para 66 ; Nyoka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 568 ; Jakhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 159 au para 18 ; Lalane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 6 au para 20 ; Vong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1480 au paras 35, 36 et 38 ; Alabadleh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 716 au para 6 ; Gitxsan Treaty Society c Hospital Employees’ Union, [2000] 1 CF 135 (CAF)).

 

[31]           Le défendeur soutient, contrairement à M. Fenek, que la CISR tient compte du fait que la famille Fenek connaît quelqu’un qui a été assassiné par un groupe de terroristes mais elle conclut correctement que ce fait ne prouve en rien que le risque allégué par M. Fenek soit personnalisé.

 

[32]           Le défendeur affirme qu’il est de jurisprudence constante qu’il incombe à un revendicateur d’établir qu’il possède une crainte bien fondée; l’analyse de celle-ci devant être menée de manière prospective (voir les affaires Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593 aux paras 119-120 et 148-151 ; Llorens Farfan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 123 au para 13 ; Zeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 466 au para 31).

 

[33]           Il appert, plus précisément du libellé du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR, que le risque personnalisé constitue un élément essentiel à toute revendication fondée sur cette dispositions . La jurisprudence de cette Cour (voir l’arrêt Prophète précité aux paras 7 et 10 et la décision Innocent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1019 au paras 66-68) le confirme.

 

[34]           En l’espèce, la CISR analyse la crainte de M. Fenek selon laquelle il a refusé d’obtempérer aux demandes d’un groupe terroriste en Algérie. Le défendeur souligne que la CISR conclut qu’il s’agit d’un risque généralisé, qui n’est pas différent de celui auquel  sont exposés les commerçants ou même l’ensemble de la population algérienne. Le défendeur souligne que M. Fenek a lui-même témoigné que « tous les commerçants pouvaient être ciblés, comme l’a été l’ami de son frère, pour obtenir ce dont ces individus avaient besoin » (voir la décision de la CISR au para 23).

 

[35]           Le défendeur fait siennes les remarques de la Cour dans l’affaire Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 345. Dans cette décision, la Cour souligne, au paragraphe 39, que « [...] "[...] un risque généralisé peut être celui qui est vécu par une partie de la population d’un pays ; l’appartenance à cette catégorie n’est donc pas suffisante pour que le risque soit personnalisé" en l’espèce, le demandeur ne pouvait pas personnaliser son risque au-delà de l’appartenance au sous-groupe des jeunes hommes qui son recrutés pour faire partie d’un gang au Honduras [...] » (le défendeur cite aussi la décision Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213 aux paras 13-16 et la décision Carias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 602).

 

[36]           D’autre part, le défendeur soutient que M. Fenek a fait l’objet d’extraction seulement à cause de son statut de restaurateur.

 

[37]           Subsidiairement, le défendeur soutient que la menace terroriste généralisée sévit toujours en Algérie. Ainsi, même si M. Fenek est ciblé, il s’agit toujours d’un risque généralisé auquel toute la population algérienne doit fait face.

 

[38]           Quant aux allégations de M. Fenek voulant qu’il souffre de problèmes psychologiques, la CISR en tient compte, mais conclut correctement que cet élément de preuve n’influe pas sur le résultat de la décision.

VI.       L’analyse

 

·                     La CISR erre-t-elle en qualifiant le risque auquel M. Fenek est exposé en Algérie de généralisé et en concluant qu’il ne serait pas assujetti à un risque inhabituel advenant son retour dans son pays d’origine?

 

[39]           La Cour constate la justesse de l’analyse de la CISR aux termes de l’article 96 de la LIPR, et prend acte du fait que M. Fenek ne la conteste pas.

 

[40]           Il est clairement établi lorsque l’on applique le paragraphe 97(1)b)(i) « pour décider si un demandeur d'asile a qualité de personne à protéger au sens cet article de la Loi, il faut procéder à un examen personnalisé en se fondant sur les éléments de preuves présentés par le demandeur d'asile "dans le contexte des risques actuels ou prospectifs" auxquels [il] serait exposé (Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CAF 99, au para 15)» (voir l’arrêt Prophète précité au para 7).

 

[41]           Par ailleurs, dans Vickram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 457 au para 16, « [qu’après] avoir conclu que la crainte de M. Vickram n’avait aucun lien avec la Convention et qu’il ne courait pas de risque plus élevé d’être la victime d’activités criminelles que le reste de la population en général, la Commission n’avait pas besoin de décider si l’État pouvait néanmoins le protéger ». Ainsi, la Cour doit uniquement déterminer si la CISR a bien appliqué le paragraphe 97(1) de la LIPR tel qu’édicté dans l’arrêt Prophète et raisonnablement conclu que M. Fenek n’est pas personnellement à risque d’être persécuté par lesdits terroristes en Algérie.

 

[42]           Au paragraphe 23 de sa décision, la CISR écrit :

Le fait que le demandeur ait été personnellement ciblé par cette demande de rançon ne signifie pas nécessairement que le risque auquel le demandeur est exposé soit personnel ou différent de celui des autres citoyens d’Algérie, au sens de 97(1) de la LIPR. Cela ne signifie pas que cette menace n’en soit pas une à laquelle sont généralement exposés d’autres commerçants ou ex-commerçants comme lui » (voir la décision de la CISR au para 23).

 

[43]           La CISR s’appuie sur la décision Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331 [Prophète (première instance)], confirmée par la Cour d’appel fédérale. Dans cette affaire, madame la juge Tremblay-Lamer cite les propos de madame la juge Snider dans la décision Osorio c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1459 au para 26, qui précise « ...je ne vois rien dans le sous-alinéa 97(1)b)(ii) qui oblige la Commission à interpréter le mot "généralement" comme s’appliquant à tous les citoyens. Le mot "généralement" est communément utilisé dans le sens de "courant" ou "répandu" ». Elle écrit aussi que « le législateur a choisi d’utiliser le mot "généralement" dans le sous-alinéa 97(1)b)(ii), laissant à la Commission le soin de décider si un groupe en particulier correspond à la définition » (voir le para 19 de la décision Prophète (première instance)).

 

[44]           Ainsi, la CISR conclut correctement, à notre avis, que M. Fenek est ciblé par les terroristes en sa qualité de restaurateur, donc appartenant à la classe des commerçants d’Algérie. Il ne peut donc pas se prévaloir du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. M. Fenek encourt un risque généralisé qui s’étend à tous les commerçants de l’Algérie.

 

[45]           La CISR estime également que M. Fenek n’a pas réussi à établir de risque futur, selon la prépondérance des probabilités, advenant son retour en Algérie. Elle écrit : 

[21] Le demandeur a témoigné que depuis son départ aucun membre de sa famille n’avait subi les assauts de ces individus et que de surcroît, son commerce avait été loué à un autre individu dont il n’avait aucune nouvelle.

 

[22] [La CISR] était désireux de savoir pourquoi ces individus le rechercheraient toujours advenant un retour dans son pays. Le demandeur a témoigné que c’était en raison du fait qu’il était davantage ciblé ayant refusé de collaborer (voir la décision de la CISR aux paras 21 et 22).

 

[46]           Une lecture attentive de la décision ainsi que des notes sténographiques prises à l’audience du 10 mars 2011, nous amène à conclure que la décision de la CISR voulant que M. Fenek faisait partie du sous-groupe des commerçants d’Algérie et qu’il ne serait pas exposé personnellement à un risque de torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités, s’il retournait dans son pays d’origine, est raisonnable et fait partie des issues possibles. La CISR se fonde, entre autres, sur le fait que « le demandeur a lui-même mentionné que tous les commerçants pouvaient être ciblés, comme l’a été l’ami de son frère, pour obtenir ce dont les [terroristes] avaient besoin » (voir la décision de la CISR au para 23).

 

[47]           La Cour rejette la position de M. Fenek selon laquelle, il « est important de différencier le cas en l’espèce de cas où des bandits et criminels se présentent à des commerces ou abordent des commerçants en exigeant de ces derniers des sommes de leur part en considération de leur statut spécifique de commerçants » (voir le mémoire supplémentaire du demandeur au para 31). Les circonstances qui ont amené les actes d’extorsion diffèrent mais elles proviennent tout de même du fait que M. Fenek appartient à la classe des commerçants. Ainsi, le caractère systémique des actes d’extorsion envers M. Fenek démontre qu’il n’a pas été menacé de façon aléatoire.

 

[48]           Même si le frère jumeau de M. Fenek connaissait un commerçant qui avait été assassiné par des terroristes, ce fait ne justifie pas que tous les commerçants d’Algérie sont à risque.

 

[49]           Dans l’affaire Guiffaro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, le juge en chef Crampton établit clairement l’approche actuelle de la Cour concernant les demandes aux termes du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR. Le juge Crampton écrit :

[33] Compte tenu de la fréquence avec laquelle les arguments avancés en l'espèce continuent d'être présentés quant à l'application de l'article 97, j'estime qu'il est nécessaire de souligner qu'il est désormais bien établi en droit que les demandes d'asile fondées sur le fait que le demandeur d'asile a été ciblé ou est susceptible de l'être à l'avenir ne répondront pas aux exigences du sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR lorsque (i) le demandeur d'asile a été ciblé ou est susceptible d'être ciblé dans son pays d'origine en raison de son appartenance à un sous-groupe de personnes rentrées de l'étranger ou considérées comme nanties pour d'autres raisons et que (ii) ce sous-groupe est suffisamment important pour que ce risque puisse raisonnablement être qualifié de répandu ou de courant dans ce pays. À mon sens, un sous-groupe formé de milliers de personnes serait suffisamment important pour que le risque auquel ces personnes sont exposées soit considéré comme répandu ou courant dans leur pays d'origine, et donc, comme "général" au sens du sous-alinéa 97(1)b)(ii), et ce, même si ce sous-groupe ne représente qu'un faible pourcentage de la population de ce pays (voir le paragraphe 33 de la décision Guiffaro).

 

[50]           En l’instance, les éléments de  preuve devant la CISR démontrent, sans conteste, que M. Fenek fait partie des commerçants d’Algérie. Ce qui justifie pleinement la conclusion de la CISR.

 

VII.     Conclusion

 

[51]           La décision de la CISR concernant la question du risque généralisé de M. Fenek en Algérie est raisonnable en l’instance. La demande de révision judiciaire est donc rejetée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  La demande de révision judiciaire est rejetée; et

 

2.                  Il n’y a pas de question d’intérêt général à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3692-11

 

INTITULÉ :                                     HOCINE FENEK

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :             9 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                     8 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Mélanie Calisto Azevedo

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Yaël Levy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Mélanie Calisto Azevedo

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.