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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date: 20120222


Dossier : IMM-3606-11

Référence : 2012 CF 243

Ottawa (Ontario), le 22 février 2012

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

 

GIBRAN ALI OLVERA CORREA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la Loi) d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (le Tribunal) rendue le 9 mai 2011. Le Tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié, ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi et a donc rejeté sa demande d’asile.

I.                    Le contexte

A.   Le contexte factuel

[2]               Gibran Ali Olvera Correa (le demandeur) est un citoyen du Mexique. Alors qu’il résidait à Querétaro, il quitta en 2008 pour aller travailler pour son grand-père à Coatzcoalcos Veracruz. Son grand-père avait une compagnie de construction et possédait plusieurs terrains. Le demandeur devait retracer, ainsi qu’administrer ces terrains et propriétés. Ce faisant, il aurait constaté que quelqu’un d’autre était inscrit comme propriétaire d’un de ces terrains. Conséquemment, en juin 2008, le demandeur a déposé une action en justice contre cette personne.

 

[3]               Suite au dépôt de cette action, le demandeur allègue que lui et sa famille auraient été menacés. En juillet 2008, le demandeur aurait reçu un appel du cartel Los Zetas exigeant 500,000 pesos en échange de leur protection. Le demandeur refuse, disant qu’il n’avait pas une telle somme d’argent. Le cartel Los Zetas lui aurait donc dit qu’il devrait se cacher. Le demandeur croit que ces menaces sont liées aux terrains et au travail qu’il effectuait pour son grand-père. Néanmoins, il a continué à travailler mais a changé sa routine dans le but de se protéger.

 

[4]               Le 25 juillet 2008, le demandeur allègue avoir été enlevé par des hommes en voitures. Ces derniers l’ont emprisonné dans un garage, l’ont frappé à multiples reprises et l’ont séquestré pendant cinq (5) jours sans manger. Le 30 juillet 2008, le demandeur a été libéré : sa famille aurait payé une rançon de 300,000 pesos. Par la suite, le demandeur a cessé de sortir et a cessé de travailler pour son grand-père en décembre 2008.

 

[5]               En mars 2009, le demandeur aurait eu un appel, lui demandant de fixer la valeur qu’il accordait à sa propre vie. En raison de cet appel, le demandeur quitte le Mexique et arrive au Canada le 11 avril 2009. Il formule une demande d’asile selon les articles 96 et 97 de la Loi. Sa demande d’asile a été entendue par le Tribunal le 11 mars 2011.

 

B.   La décision contestée

[6]               Bien que le Tribunal ait trouvé le demandeur crédible, il rejette la demande d’asile : le demandeur n’a pas recherché la protection du Mexique. Le demandeur a témoigné qu’il aurait été inutile de rechercher la protection de la police mexicaine, la police municipale étant corrompue. Le Tribunal a toutefois noté que le demandeur avait demandé à la police de passer souvent devant la maison afin qu’il se sente en sécurité, ce que la police faisait. Bien que le Tribunal reconnaisse que la corruption policière existe, la preuve documentaire indique que le Mexique fait des efforts pour corriger ce problème et constituer un corps de police plus professionnel.

 

[7]               De plus, le Tribunal conclut que la possibilité de refuge intérieur existait, le demandeur pouvant se réinstaller à Querétaro, endroit avec lequel il était familier. Le demandeur avait reconnu pouvoir se réinstaller ailleurs avec sa famille, mais que certaines régions, tel que la ville de Mexico, étaient trop dangereuses. Par contre, pour le Tribunal, cette situation n’empêche pas le demandeur de se réinstaller à Querétaro ou ailleurs au Mexique.

 

[8]               Le Tribunal souligne que le demandeur semble avoir beaucoup souffert en raison de son enlèvement et qu’il craint de se faire enlever à nouveau par des groupes criminels. Les activités criminelles de Los Zetas sont documentées dans le cartable du Mexique, la preuve documentaire démontre le caractère généralisé de leurs crimes. Cependant, la preuve documentaire indique que le Mexique lutte contre cette criminalité et les cartels de drogue. Sur la base de cette preuve, le Tribunal conclut que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve, n’ayant pas recherché la protection de l’État et ayant des possibilités de refuge intérieur.

 

[9]               Le 25 mai 2011, le demandeur formule la présente demande de contrôle judiciaire.

 

II.                 La question en litige

[10]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève la question suivante :

Est-ce que le Tribunal a erré en concluant que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur?

 

III.               Les dispositions législatives applicables

[11]           Les articles pertinents de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont les suivants:

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

Définition de « réfugié »

 

A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

Convention refugee

 

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Personne à protéger

 

(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Person in need of protection

 

(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

IV.                          La norme de contrôle

[12]           La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Avila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359 au para 23, [2006] ACF no 439 ; Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1004 au para 7, [2011] ACF no 1239, [Williams]; Pinon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 413 au para 11, [2010] ACF no 500 [Pinon]; Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 198 au para 15, [2007] ACF no 278 [Lopez]; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir].

 

[13]           En conséquence, il incombe à cette Cour de déterminer si les conclusions du Tribunal sont justifiées, transparentes et intelligibles, appartenant « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47). Comme le soulignait le juge de Montigny, « ce n’est donc que dans l’hypothèse où aucun des motifs invoqués par [le Tribunal] au soutien de sa décision ne peut résister à un examen assez poussé que le contrôle judiciaire pourra être accordé » (Lopez, ci-dessus, au para 15).

 

V.                 Analyse

[14]           Le demandeur affirme que le Tribunal a erré en concluant à une possibilité de refuge interne à Querétaro. Le demandeur allègue que le Tribunal n’a pas bien appliqué le test sur la possibilité de refuge interne établi dans Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1993] ACF no 1172, [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu], ignorant la preuve au dossier.

 

[15]           En l’espèce, la Cour ne peut se rallier aux arguments du demandeur. La preuve au dossier démontre plutôt que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve. En effet, le demandeur devait démontrer qu’il risquait d’être persécuté partout au Mexique et qu’il était donc déraisonnable pour lui de se réinstaller ailleurs dans ce pays, nommément à Querétaro où il a étudié, vécu et travaillé pendant quelques années. Bien que l’organisation Los Zetas présente un risque pour toute la population du Mexique, comme l’a souligné le Tribunal, la preuve démontre toutefois que le demandeur n’a pas établi que cette situation l’empêchait de se réinstaller à Querétaro.

 

[16]           La possibilité de refuge interne est définie comme « une situation de fait dans laquelle une personne risque d’être persécutée dans une partie d’un pays mais pas dans une autre partie du même pays » (Thirunavukkarasu, ci-dessus, au para 2). Étant donné que la possibilité de refuge dans une autre partie de ce même pays est déterminante sur le statut de réfugié, le demandeur avait le fardeau de prouver qu’il risquait sérieusement d’être persécuté partout au Mexique (Thirunavukkarasu, ci-dessus, aux paras 2 et 6; Pinon, ci-dessus, au para 23; Rasaratnam c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1991] ACF no 1256 au para 8, [1992] 1 CF 706 [Rasaratnam]) ; Vallejos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 289 au para 20, [2009] ACF no 349). Le Tribunal ayant identifié Querétaro comme possibilité de refuge interne, il revenait au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risquait néanmoins d’y être persécuté (Thirunavukkarasu, ci-dessus, au para 9). Dans Thirunavukkarasu, au para 13, le juge Linden de la Cour d’appel fédérale s’exprimait comme suit :

[13] … Il s’agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs. Autrement dit pour plus de clarté, la question à laquelle on doit répondre est celle-ci : serait-ce trop sévère de s’attendre à ce que le demandeur de statut, qui est persécuté dans une partie de son pays, déménage dans une autre partie moins hostile de son pays avant de revendiquer le statut de refugié à l’étranger?

 

[17]           Plus précisément, une preuve concrète et réelle de l’existence de telles conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité du demandeur tentant de se réinstaller était nécessaire (Pinon, ci-dessus, au para 24; Ranganathan c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) (CA), [2000] ACF no 2118 au para 15, [2001] 2 CF 164).

 

[18]           Or, la Cour observe que lorsque le Tribunal a suggéré Querétaro comme possibilité de refuge intérieur, le demandeur a indiqué que les souvenirs qu’il a vécus l’empêcheraient de vivre sur tout le territoire du Mexique (Dossier du Tribunal, p 154). 

 

[19]           La Cour conclut qu’à la lumière de la preuve, le Tribunal a tenu compte de la situation du Mexique et de la situation personnelle du demandeur (voir Williams, ci-dessus, au para 8; Pinon, ci-dessus, au para 25) et il était objectivement raisonnable pour le demandeur de se réinstaller à Querétaro. 

 

[20]           Les conclusions du Tribunal sont justifiées, transparentes et intelligibles et appartiennent     « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, para 47). L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

[21]           Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3606-11

 

INTITULÉ :                                       Gibran Ali Olvera Correa c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alain Vallières

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Catherine Brisebois

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale de Me Vallières

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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