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Date : 20120222

Dossier : IMM‑4635‑11

Référence : 2012 CF 233

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 février 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

ZOLTAN ISTVAN MOLNAR

KRISZTINA KORONCZAYNE MOLNAR

ROBERT KAROLY KORONCZAY

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé de leur reconnaître la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou celle de personnes à protéger selon la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Pour les motifs qui suivent, leur demande est rejetée.

 

Contexte

[2]               Zoltan Molnar et sa sœur, Krisztina Molnar, sont tous les deux des adultes roms hongrois. Ils fondent leurs demandes d’asile sur celle de leur mère, Veronika Kalocsai, qui était la demanderesse principale devant la Commission. Mme Kalocsai craignait son ex‑mari et les conséquences du fait qu’elle est d’origine ethnique rome. Robert Karoly Koronczay est le fils mineur de Krisztina; il fonde sa demande sur celle de sa mère.

 

[3]               La Commission a examiné séparément la demande d’asile de Mme Kalocsai et celle des autres demandeurs. Elle a conclu que Mme Kalocsai avait fait preuve de toute la diligence voulue pour chercher à obtenir la protection de l’État contre son ex‑mari. La Commission a cité divers extraits de la preuve documentaire et a conclu qu’il existe « une possibilité sérieuse que [Mme Kalocsai] soit persécutée par son ancien époux si elle retourne en Hongrie ». La Commission a souligné que cette conclusion était fondée non seulement sur les allégations de violence conjugale, mais également sur le fait que l’auteur de ces violences militait au sein d’un groupe néonazi. La protection de l’État existait, mais Mme Kalocsai ne pouvait raisonnablement s’en prévaloir. Par conséquent, sa demande d’asile a été acceptée.

 

[4]               La demande d’asile de Zoltan n’a pas été acceptée. La Commission a fait observer qu’il n’avait pas soumis d’exposé circonstancié dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) et qu’il n’avait pas témoigné à l’audience. Le témoignage de sa mère indiquait que, même avait subi de la discrimination à cause du comportement violent de son père, Zoltan n’avait jamais été maltraité par son père. Son père le giflait parfois, mais que ce n’était rien de sérieux. La Commission a conclu qu’à la différence de sa mère, Zoltan n’avait jamais eu besoin de soins médicaux et qu’il ne s’était jamais plaint à la police. En résumé, « rien dans la preuve n’amène la Commission à conclure que ce fils a subi un traitement qui équivaut à de la persécution ». De plus, la Commission ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant de penser que l’État n’était pas en mesure de protéger Zoltan.

 

[5]               La demande d’asile de Krisztina a été rejetée en même temps que celle de son fils. Krisztina n’a pas témoigné, mais elle a soumis dans son FRP un exposé circonstancié qui était distinct de celui qu’avait présenté sa mère. La Commission a fait observer que, suivant le témoignage de sa mère, Krisztina n’avait pas été maltraitée par son père. En fait, la Commission a constaté qu’elle s’était mariée et qu’elle était allée vivre ailleurs. S’agissant des allégations suivant lesquelles elle avait été victime de discrimination du fait de sa scolarité et de son travail et en raison de la façon dont son mari l’avait traitée, la Commission a estimé que les droits fondamentaux de la personne de Krisztina n’avaient pas été bafoués au point d’équivaloir à de la persécution. Même si le FRP indiquait que le fils de Krisztina avait déjà été empoigné par des néonazis, il n’y avait aucun élément de preuve en ce sens. Comme dans le cas de Zoltan, la Commission a estimé que Krisztina pouvait se prévaloir de la protection de l’État.

 

Questions en litige

[6]               Les questions soulevées par la présente demande sont les suivantes :

1.         La Commission a‑t‑elle mal interprété les éléments de preuve dont elle disposait et a‑t‑elle tiré une conclusion déraisonnable au sujet de la crainte de persécution de Zoltan?

2.         La Commission a‑t‑elle mal interprété les éléments de preuve dont elle disposait et a‑t‑elle tiré une conclusion déraisonnable en ce qui concerne la crainte de persécution de Krisztina?

 

Analyse

            Décision relative à Zoltan

[7]               La Commission a conclu que Zoltan n’avait jamais été maltraité, qu’il n’avait jamais eu besoin de soins médicaux et qu’il n’avait jamais cherché à obtenir la protection de la police. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit d’une conclusion erronée, que la Commission a tirée sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Ils citent différents passages du FRP de Mme Kalocsai, résumés ci‑après, à l’effet contraire. Ils prétendent que la Commission aurait accepté ces affirmations. Toutefois, comme elles figurent dans sa décision sous la rubrique « Allégations », je ne puis conclure que la Commission les a tenues pour avérées. La Commission s’est contentée de reprendre les allégations que les demandeurs d’asile avaient formulées dans les exposés circonstanciés de leurs FRP.

·         En octobre 2006, la mère de Zoltan a été agressée alors qu’elle se rendait vers une station de métro : [traduction] « Zoltan a essayé de me protéger, il a été blessé, il a eu des coupures et il s’est fait battre » (dossier, page 43, paragraphe 11).

·         [traduction] « Zoltan a été admis à la salle d’urgence pour une chirurgie mineure » (dossier, page 43, paragraphe 12).

·         [traduction] « Zoltan et moi avons déménagé pour ne plus avoir à subir les appels et les visites de mon ex‑mari. Nous nous sommes adressés à la police [...] » (dossier, page 44, paragraphe 14).

·         [traduction] « Mai 2008 : Nous avons été agressés alors que je me rendais à une clinique pour recevoir des soins en compagnie de Zoltan » (dossier, page 44, paragraphe 15).

·         [traduction] « Nous avons signalé l’agression, et avons soumis à la police les rapports médicaux attestant les blessures que nous avions subies » (dossier, page 44, paragraphe 16).

·         [traduction] « Printemps 2009 : […] Notre maison était surveillée de façon constante par une ou deux personnes vêtues de noir qui nous suivaient dans tous nos déplacements » (dossier, page 44, paragraphe 18).

·         [traduction] « [Mon ex‑mari] a déclaré qu’il était de son devoir de nous tuer [...] Il a précisé qu’il n’était pas obligé de nous tuer si nous quittions le pays de notre propre chef » (dossier, page 44, paragraphe 18).

·         [traduction] « La police n’a pas ouvert d’enquête. Nous les avons suppliés, mais on nous a répondu qu’on ne voulait pas s’immiscer dans une querelle familiale » (dossier, page 44, paragraphe 18).

·         [traduction] « [Zoltan] a commencé à recevoir de nouveau des menaces au téléphone » (dossier, page 45, paragraphe 21).

 

[8]               Voici ce que la Commission déclare au sujet des persécutions dont Zoltan aurait fait l’objet. La Commission explique ce qui suit, au paragraphe 36 de ses motifs :

[36] La demande d’asile du fils de la demandeure d’asile principale est fondée sur les allégations de sa mère. Il n’a pas présenté un exposé circonstancié distinct. Il n’a pas témoigné, et le témoignage de sa mère indique que, même s’il a subi de la discrimination, il n’a jamais été maltraité par son père. En fait, comme il a été mentionné ci‑dessus, il a tenté d’aider sa mère et a habité avec cette dernière pendant la période qu’elle a décrite. Sa mère a indiqué qu’à l’occasion son père le giflait, mais que ce n’était rien de sérieux. Son fils n’a jamais eu besoin de soins médicaux et il ne s’est jamais plaint à la police. Rien dans la preuve n’amène la Commission à conclure que ce fils a subi un traitement qui équivaut à de la persécution.

 

 

[9]               D’entrée de jeu, il convient de signaler que, hormis le fait que son père le giflait parfois au visage, rien ne permettait de penser que Zoltan avait été directement maltraité par son père. Ensuite, on ne peut reprocher à la Commission d’avoir déclaré que Zoltan n’avait jamais eu besoin de soins médicaux et qu’il ne s’était jamais plaint à la police. La transcription illustre l’interaction suivante entre la Commission et la mère de Zoltan, à la page 376 du dossier certifié du tribunal :

[traduction]

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE :          Zoltan a‑t‑il déjà eu besoin de soins médicaux?

 

DEMANDERESSE PRINCIPALE :         Non.

 

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE :          S’est‑il déjà adressé à la police?

 

DEMANDERESSE PRINCIPALE :         Non.

 

 

[10]           La Commission a préféré les témoignages aux éléments de preuve contenus dans le FRP ainsi qu’il lui était loisible de le faire. De plus, la conclusion de la Commission suivant laquelle le traitement subi par Zoltan n’équivalait pas à de la persécution était purement une question d’appréciation à l’égard de laquelle notre Cour ne saurait intervenir.

 

[11]           Lorsqu’elle a ensuite examiné la question de la protection de l’État, la Commission a estimé que la situation de la mère était différente de celle de Zoltan et elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que Zoltan pouvait compter sur la protection de l’État. Il est utile de signaler que la mère de Zoltan semble avoir toujours été la principale cible des agressions et que la police avait qualifié ses problèmes de [traduction] « querelle conjugale ». Ces éléments n’existaient pas dans le cas de Zoltan. Les seuls éléments de preuve relatifs à Zoltan qui ne se rapporteraient pas à son père ne revêtaient pas une importance suffisante pour qu’on puisse qualifier de déraisonnable la conclusion de la Commission suivant laquelle Zoltan n’avait pas été victime de persécution.

 

[12]           Je conclus par conséquent que les conclusions de la Commission suivant lesquelles le traitement subi par Zoltan n’équivalait pas à de la persécution et il pouvait compter sur la protection de l’État constituaient des conclusions raisonnables eu égard aux circonstances de l’espèce.

 

            Décision concernant Krisztina

[13]           Les demandeurs contestent la conclusion de la Commission suivant laquelle Krisztina ne risquait pas d’être persécutée. Ils affirment que le fait de se voir privée d’une formation scolaire suffisante en bas âge et d’être privée par la suite de l’accès à un travail adéquat équivaut à de la persécution. Ils soulignent qu’on a, à un certain moment, empêché le demandeur mineur d’obtenir une carte d’assurance‑maladie, ce qui a mis sa vie en danger. De plus, le gouvernement a refusé de verser une pension alimentaire à Krisztina, la privant ainsi de l’aide gouvernementale financière de base à laquelle elle avait droit. Krisztina et son ex‑mari hongrois étaient en outre victimes de discrimination de façon quotidienne du fait qu’ils étaient un « couple racial mixte ». Les demandeurs affirment que, comme la Commission n’a pas tenu compte de ces facteurs, sa décision était déraisonnable (Agalliu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1035).

 

[14]           Ils affirment également que la Commission n’a pas tenu compte de la déclaration suivante que Krisztina a faite dans son FRP : [traduction] « La famille de mon mari m’a insultée en me disant que c’était à cause de moi qu’il était mort. Ils m’ont menacée en me disant que je paierais cher sa disparition ». Au paragraphe 17, Krisztina affirme qu’elle, son fils et les membres de sa famille avec lesquels il vivait recevaient des menaces de néonazis [traduction] « une ou deux fois par semaine ».

 

[15]           Les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas mentionné le fondement de la crainte de Krisztina. Ils soutiennent que Krisztina et son fils [traduction] « ne sont pas de simples Roms qui cherchent à fuir les problèmes auxquels tous les Roms sont confrontés; leur situation est unique, ce dont le tribunal n’a tout simplement pas tenu compte [...] ». Les demandeurs soulignent ensuite divers passages de la preuve documentaire se rapportant à leur crainte objective d’être persécutés et affirment que la Commission n’a pas motivé sa conclusion à cet égard.

 

[16]           Je suis en désaccord avec toutes ces prétentions. Il ressort de l’examen de la décision que la Commission n’a pas négligé de tenir compte de la situation particulière de Krisztina. Voici ce qu’elle a déclaré au sujet de la persécution dont Krisztina se disait victime, aux paragraphes 11 et 37 de ses motifs :

D’après l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), la fille de la demandeure d’asile principale aurait également subi un traitement discriminatoire lorsque son fils était un nourrisson. Toutefois, la carte santé et les autres documents appropriés ont ultimement pu être obtenus.

 

[…]

 

Quant à la fille de la demandeure d’asile principale [Krisztina], elle n’a pas témoigné non plus. Cependant, en plus d’être fondées sur le FRP de sa mère, ses allégations sont également résumées ci‑dessus. D’après le témoignage de sa mère, sa fille n’a pas été maltraitée non plus. En fait, elle s’est mariée et a déménagé. Pour ce qui est de ses allégations sur le traitement discriminatoire dont cette fille a été victime alors qu’elle fréquentait l’école, son emploi et le traitement que lui réservait la famille de son ex‑époux, rien dans la preuve présentée, encore une fois, ne correspond à la négation de droits de la personne fondamentaux équivalant à de la persécution. Par ailleurs, aucune preuve n’a été produite concernant le fils, même si le FRP de sa mère indique qu’il lui est arrivé une fois d’être empoigné par des néonazis.

 

 

[17]           La menace de la famille de son défunt mari suivant laquelle elle [traduction] « paierai[t] cher sa disparition » n’équivaut pas nécessairement à une menace à sa vie et au risque de traitements ou peines cruels et inusités. La Commission n’avait aucune obligation de faire mention de cette déclaration.

 

[18]           De plus, la conclusion de la Commission suivant laquelle la preuve présentée ne permettait pas de conclure à de la persécution était purement une question d’appréciation de la preuve, et notre Cour ne peut intervenir à cet égard. Les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598).

 

            Agents de persécution et protection de l’État

[19]           Finalement, je tiens à formuler quelques observations au sujet des arguments présentés à l’audience suivant lesquels la Commission a axé sa décision uniquement sur l’ex‑mari en tant qu’agent de persécution et qu’elle n’a pas tenu compte de la situation difficile avec laquelle les Roms doivent composer en Hongrie.

 

[20]           Il ressort d’un examen de la transcription que, dans les très brèves observations qu’il a formulées à l’audience, l’avocat des demandeurs s’en est tenu aux agissements de l’ex‑mari et au caractère « familial » du conflit. Comme il n’a pas formulé d’observations importantes sur la situation des Roms en général, l’avocat est malvenu de reprocher maintenant à la Commission d’avoir agi comme lui. En tout état de cause, les éléments de preuve qui ont été soumis au sujet des risques auxquels les Roms sont exposés étaient minces, si l’on fait exception de ceux relatifs aux rapports avec l’ex‑mari et père. Les demandeurs ont eu l’occasion de témoigner devant la Commission et ont choisi de ne pas le faire. Le commissaire a indiqué clairement à l’ouverture de l’audience que les questions déterminantes étaient celles de la [traduction] « discrimination par opposition à la persécution, et la protection de l’État ». N’ayant offert leur propre témoignage sur aucune de ces deux questions et sachant que la demande d’asile de leur mère était axée sur la violence conjugale dont elle avait été victime, les demandeurs ne peuvent guère se dire étonnés du résultat.

 

[21]           Les demandeurs ont proposé la certification de la question suivante, qui a trait à l’accent que la Commission a mis sur l’ex‑mari comme agent de persécution : [traduction] « Si la Commission examine le témoignage donné relativement à un agent de persécution déterminé, le témoignage donné en réponse vise‑t‑il tous les agents de persécution? » Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il ne s’agit pas d’une question de portée générale, et ce, même si les autres conditions relatives à la certification d’une question ont été satisfaites. Je ne vais donc pas certifier de question.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande et DÉCLARE qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4635‑11

 

INTITULÉ :                                                  ZOLTAN ISTVAN MOLNAR ET AUTRES c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 20 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 22 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey L. Goldman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicole Paduraru

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey L. Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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