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Date : 20120222

Dossier : IMM‑4680‑11

Référence : 2012 CF 238

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 22 février 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

UZMA HANIF QURESHI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Celle‑ci a rejeté l’appel interjeté d’une mesure d’exclusion prise par la Section de l’immigration (la SI) contre la demanderesse au motif qu’elle était visée par l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

Contexte

[3]               Il est difficile de savoir exactement en quoi consistent les faits dans la présente affaire. La SAI a formulé les observations suivantes au sujet du témoignage de la demanderesse :

J’estime que le fait que l’appelante ait changé sa version des faits chaque fois qu’elle était en présence d’un agent d’immigration ou d’un tribunal est révélateur du fait qu’elle dissimule des faits, et je ne suis pas prêt à accepter que sa nouvelle version, communiquée pendant l’audience, soit vraie. Selon moi, l’appelante continue de mentir et à fournir de fausses déclarations pour arriver à ses fins, et, par conséquent, je ne crois pas à sa version des faits 

 

 

[4]               Les faits suivants semblent peu contestés. La demanderesse est une ressortissante pakistanaise âgée de 30 ans. Elle a épousé son cousin germain, M. Qureshi, au Pakistan, le 21 septembre 2003. M. Qureshi, qui est un résident permanent canadien, a présenté une demande de parrainage de son épouse. La demande a été accueillie et Mme Qureshi est entrée au Canada le 17 septembre 2004.

 

[5]               Par lettre datée du 31 juillet 2005, M. Qureshi a écrit à Immigration Canada pour expliquer que leur mariage n’était pas authentique :

[traduction]

Mme Uzma Luqman Qureshi a été admise au Canada par des moyens frauduleux. Son mariage n’a jamais été consommé. Mon oncle, M. Younas Qureshi, l’héberge chez lui depuis qu’elle est arrivée au Canada le 17 septembre 2004. Tous mes documents de parrainage se trouvent en la possession de mon oncle, M. Younas Qureshi […] Elle refuse de me voir ou même de me parler au téléphone. Elle s’est essentiellement servie de moi pour obtenir son admission au Canada et, depuis qu’elle est arrivée, elle a pour projet d’épouser le neveu de mon oncle, Sohail Qureshi, qui habite présentement au Pakistan.

 

 

[6]               La demanderesse et son répondant canadien ont divorcé en Ontario le 3 mars 2006.

 

[7]               La demanderesse a ensuite épousé Amir Najam à Toronto le 5 mars 2006. Ils ont maintenant une fille, qui est née le 21 septembre 2009.

 

[8]               Aucune explication n’a été offerte pour expliquer pourquoi Immigration Canada a attendu près de deux ans avant de donner suite à cette allégation de fraude. Toutefois, le 14 mars 2007, Immigration Canada a envoyé à la demanderesse un avis de convocation dont l’objet était [traduction] « Votre statut au Canada – fausses déclarations ». L’entrevue a eu lieu le 2 avril 2007. La demanderesse aurait alors déclaré à l’agent d’immigration, sur le présumé conseil de son oncle, que M. Qureshi l’avait maltraitée et l’avait giflée parce qu’elle ne voulait pas le laisser regarder des films pornographiques. À l’audience devant la SAI, la demanderesse a admis que ces affirmations étaient une pure invention et qu’elles étaient totalement fausses. Il ressort du rapport de l’agent que la demanderesse a été mise au courant du détail des affirmations faites par son ex‑mari, notamment de son projet de mariage avec Sohail Qureshi. Elle a expliqué à l’agent que son oncle voulait qu’elle épouse Sohail, qu’elle avait refusé de le faire et qu’elle s’était par conséquent brouillée avec son oncle.

 

[9]               Le 11 avril 2007, la demanderesse a réclamé par lettre une copie de la plainte portée contre elle par M. Qureshi. On lui a expliqué que l’affaire faisait l’objet d’un examen et qu’elle ne pourrait consulter les documents que si l’affaire était déférée pour enquête.

 

[10]           Dans l’intervalle, l’agent qui était chargé d’examiner le dossier a envoyé à M. Qureshi une note dans laquelle il demandait de plus amples renseignements. M. Qureshi a, par lettre datée du 24 avril 2007, expliqué à l’agent : [traduction] « À son arrivée à l’aéroport, [la demanderesse] ne m’a pas adressé la parole et elle s’est plutôt rendue directement chez son oncle, Younis Qureshi ». M. Qureshi a également expliqué que la demanderesse avait demandé le divorce sans lui en parler. La demanderesse a obtenu le divorce pour cause de cruauté, ce qui, là encore, était un mensonge, ainsi que la demanderesse l’a elle‑même reconnu.

 

[11]           Le 1er mai 2007, l’agent chargé du dossier a soumis à la Section de l’immigration, en vertu de l’article 44 de la Loi, un rapport en vue de la tenue d’une enquête. Lors de l’audience de la SI, l’oncle de la demanderesse a expliqué que sa nièce n’avait jamais habité avec lui, ce qui, là encore, est faux, comme la demanderesse l’a reconnu. Le 21 janvier 2009, la SI a conclu que la demanderesse était visée par l’alinéa 40(1)a) de la Loi et une mesure d’exclusion a été prise contre elle. Cette décision a été portée en appel devant la SAI, qui a rejeté l’appel le 28 juin 2011. Il s’agit de la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

 

Questions en litige

[12]           La demanderesse a d’abord soulevé quatre questions, mais en a abandonné une à l’audience, de sorte que les questions soumises à la Cour sont les suivantes :

1.                  La SAI a‑t‑elle fait défaut d’observer un principe d’équité procédurale?

2.                  La SAI a‑t‑elle appliqué un critère préliminaire trop strict pour évaluer les raisons d’ordre humanitaire?

3.                  La SAI a‑t‑elle examiné de façon déraisonnable l’intérêt supérieur de l’enfant?

 

Analyse

            1. Équité procédurale

[13]           À la suite de son entrevue du 2 avril 2007, la demanderesse a réclamé une copie de la lettre de plainte datée du 31 juillet 2005 qui avait été envoyée par son ex‑mari. La demanderesse affirme (i) que la lettre aurait dû être portée à sa connaissance avant l’entrevue et (ii) qu’une copie de la lettre aurait dû lui être remise après l’entrevue lorsqu’elle l’a demandée par lettre datée du 11 avril 2007. La demanderesse ajoute que l’agent n’aurait pas dû adresser à son ex‑mari une lettre réclamant de plus amples renseignements sans qu’elle en prenne d’abord connaissance. Elle soutient qu’il s’agit d’un manquement à l’équité procédurale et que la SAI aurait dû exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 67(1)b) de la Loi pour conclure qu’un principe de justice naturelle n’avait pas été observé.

 

[14]           La demanderesse cite la décision Hernandez c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) (CF), 2007 CF 725, au paragraphe 43 [décision Hernandez], pour soutenir que la décision de la SAI devrait être annulée au motif qu’elle aurait dû recevoir une copie de la lettre dont il a été tenu compte pour rendre la décision prévue au paragraphe 44(1). Si elle avait pu prendre connaissance des détails de la plainte portée contre elle, la demanderesse aurait pu appeler l’attention de l’agent sur le fait que son ex‑mari était parti pour le Pakistan, où il avait épousé une autre cousine qu’il avait également abandonnée.

 

[15]           J’abonde dans le sens du défendeur lorsqu’il affirme qu’il ne s’agit pas en l’espèce du contrôle judiciaire de la décision par laquelle l’agent qui a mené l’entrevue a établi le rapport prévu au paragraphe 44(1) de la Loi à l’égard de la demanderesse. C’est à cette étape que la non‑divulgation s’est produite. L’équité procédurale commande que les renseignements importants soient communiqués avant l’enquête; il n’est pas nécessaire de communiquer le rapport avant que ne soit rendue la décision prévue au paragraphe 44(2) (décision Hernandez, précitée, au paragraphe 24). Il n’y a rien dans le dossier qui permette de penser que les lettres écrites par le mari n’ont pas été communiquées à la demanderesse avant l’enquête. La lettre que l’agent a adressée à l’ex‑mari de la demanderesse n’a jamais été divulguée, mais je ne vois pas en quoi cette demande de plus amples renseignements pourrait être pertinente pour trancher les questions soumises au tribunal.

 

[16]           J’ai déjà abordé la même question que celle qui est soulevée en l’espèce dans la décision Chand c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 548, dans laquelle j’ai écrit, au paragraphe 26 :

Deuxièmement, dans Hernandez, le juge Hughes était saisi d’une affaire dans laquelle un document contenant une recommandation qui avait été soumis au délégué du ministre n’avait pas été communiqué avant l’enquête. En l’espèce, le demandeur prétend que les documents n’avaient pas été divulgués à l’avocat avant l’examen effectué en vertu du paragraphe 44(2). Il s’agit d’un processus administratif. Selon moi, l’omission de divulguer avant l’examen effectué en vertu du paragraphe 44(2) ou le fait que la déléguée du ministre se soit fondée sur ces documents ne constitue pas une erreur de droit. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[17]           Je ne puis accepter l’argument de la demanderesse suivant lequel une lettre écrite par un tiers qui signale aux autorités de l’immigration certains renseignements est différente de la recommandation dont il était question dans l’affaire Chand. La demanderesse a été informée de vive voix des allégations de son ex‑mari et elle y a répondu. La seule chose qui n’a pas été communiquée avant l’enquête était la lettre dans laquelle elle réclamait qu’on lui communique la lettre de son ex‑mari (comme dans l’affaire Chand, elle était au courant de la teneur de cette lettre) ainsi que la lettre par laquelle l’agent réclamait de plus amples renseignements qui ne semble pas être pertinente pour l’audience. Il n’y a eu aucun déni de justice naturelle.

 

            2.  Critère plus rigoureux

[18]           La demanderesse rappelle que la SAI déclare, au paragraphe 24 de sa décision :

Cependant, ayant constaté que la mesure d’exclusion de l’appelante est valide en droit et qu’elle a fait de fausses déclarations relatives à son statut d’épouse, j’estime qu’elle ne pouvait pas immigrer au Canada dans cette catégorie et, par conséquent, je crois qu’il serait approprié d’exiger un critère plus élevé dans son cas. Il aurait donc dû y avoir des facteurs d’ordre humanitaire plus manifestes. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[19]           La demanderesse affirme qu’il s’agit d’une erreur de droit. Ou bien il y a des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, ou bien il n’y en a pas. La demanderesse soutient que si le législateur entendait imposer un fardeau différent aux personnes ayant fait de fausses déclarations, il l’aurait prévu explicitement dans la loi. La demanderesse fait par ailleurs observer que l’article 67 de la Loi a un objet réparateur en ce sens qu’il confère à la SAI le pouvoir de faire droit à l’appel lorsque, combiné aux « autres circonstances de l’affaire », l’intérêt supérieur de l’enfant commande que ce dernier soit accompagné par ses parents.

 

[20]           Je n’accepte pas l’argument que le critère que la Commission a appliqué était erroné en droit. La SAI n’a pas commis d’erreur en déclarant qu’« il serait approprié d’exiger un critère plus élevé dans son cas. Il aurait donc dû y avoir des facteurs d’ordre humanitaire plus manifestes ». L’article 67 de la Loi précise que, pour que la SAI puisse faire droit à l’appel, il doit y avoir « des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales » [non souligné dans l’original]. En l’espèce, la SAI a évalué les facteurs d’ordre humanitaire en tenant compte des autres circonstances de l’affaire, en l’occurrence, les fausses déclarations graves et répétées de la demanderesse. Il est bien établi en droit que la gravité d’une infraction peut être soupesée au regard d’autres facteurs d’ordre humanitaire (Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4, décision approuvée par la Cour suprême du Canada dans Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3).

 

[21]           Le critère qui a été appliqué à la demanderesse n’était pas différent : la Commission a simplement déclaré, à juste titre, que compte tenu des agissements de la demanderesse, lesquels militaient contre l’exercice par la SAI de son pouvoir discrétionnaire, les facteurs positifs exigés devaient être plus nombreux ou plus importants que ce qui aurait normalement été requis.

 

            3.  L’intérêt supérieur de l’enfant

[22]           La demanderesse affirme que la SAI ne s’est pas montrée réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant dans son analyse. Elle soutient que la SAI n’a accordé aucune attention à l’avenir de l’enfant, à ses études, à ses besoins spéciaux et à la durée de la séparation ou aux conséquences de celle‑ci.

 

[23]           Il ressort de l’examen de la transcription que la demanderesse n’a formulé devant la SAI aucun argument en ce qui concerne l’avenir, les études ou les besoins spéciaux de l’enfant. Ainsi que le défendeur le rappelle, il n’appartient pas à la SAI de se livrer à une analyse hypothétique de facteurs d’ordre humanitaire qui n’ont pas été invoqués par le demandeur (Khaira c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 378, au paragraphe 8).

 

[24]           En tout état de cause, comme le défendeur le souligne, la SAI a reconnu que, dans la plupart des cas, il est de l’intérêt supérieur d’un enfant que ses deux parents soient présents dans sa vie. La SAI a également reconnu que la demanderesse jouait un rôle important dans la vie de sa fille et que son renvoi du Canada causerait des difficultés certaines à cette dernière, et elle a signalé qu’il revenait à la demanderesse et à son époux de décider s’ils devaient vivre ensemble au Pakistan ou si l’enfant devait rester au Canada avec l’époux de la demanderesse. La SAI a également fait observer que l’époux et la fille de la demanderesse pourraient rendre visite à cette dernière au Pakistan. La SAI a également tenu compte du fait que l’époux actuel de la demanderesse pourrait la parrainer dans deux ans, de sorte que la séparation ne serait que temporaire.

 

[25]           N’ayant pas réussi à relever un seul élément de preuve dont la SAI n’aurait pas tenu compte ou qu’elle aurait négligé, il m’est impossible de conclure que la SAI a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[26]           Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification.

 


 

JUGEMENT

LA COUR REJETTE la présente demande et aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4680‑11

 

INTITULÉ :                                                  UZMA HANIF QURESHI c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AUTRE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 20 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 22 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ali M. Amini

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nimanthika Kaneira

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ali M. Amini

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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