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Date : 20120222


Dossier : IMM-4225-11

Référence : 2012 CF 250

[traduction française certifiée, non révisée]

Toronto (Ontario), le 22 février 2012

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

JOZSEF HERCEGI

 (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE HERCEGI, JOZSEF)

JOZSEFNE HERCEGI

JOZSEF BALOGH

ROLAND BALOGH

PIROSKA SZTOJKA

SZABOLCS FEKETE

ANIKO CSORE

MATE SZABOLICS FEKETE

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle le commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté, le 16 mai 2011, la demande d’asile des demandeurs. J’annulerai cette décision et exigerai qu’un nouveau commissaire statue à nouveau sur l’affaire. À l’audience, j’ai exposé aux avocats une partie des motifs de ma décision qui ne nécessitent pas d’analyse dans les présents motifs. Je motiverai toutefois d’autres aspects de ma décision.

 

[2]               La Commission a statué sur les demandes de deux familles : la famille Hercegi et la famille Fekete, dont les membres de l’une et l’autre sont des Roms de la Hongrie. Les deux familles ont fui la Hongrie, sont arrivées au Canada et ont demandé l’asile. Il existe un lien de parenté entre certains membres des deux familles et c’est pourquoi la Commission a instruit les demandes ensemble au cours des mêmes audiences. C’est là que réside l’un des problèmes. Selon la transcription des audiences, il y a eu un certain nombre de distractions, le commissaire a eu de la difficulté à suivre la présentation de la preuve et, à certains moments, le traducteur était dépassé. Les motifs du commissaire font écho à la confusion qui existait dans son esprit quant à la preuve. À la lumière de ce que j’ai lu dans la transcription, cela est en partie pardonnable; il en est cependant résulté un certain nombre de conclusions déraisonnables, surtout celles ayant trait à la crédibilité. Une grande partie de ces conclusions ont été examinées à l’audience qui s’est déroulée devant moi, et il n’est pas nécessaire de les répéter en l’espèce.

 

[3]               Je mentionnerai l’insistance du commissaire à exiger toujours plus de documents pour étayer certains des éléments de preuve présentés par les demandeurs. Ces derniers prétendent qu’ils ont été battus à plusieurs reprises par des skinheads. Des photographies montrent d’importantes ecchymoses sur le corps de certains des demandeurs. Des cicatrices sont visibles, et on voit qu’il manque des dents à certaines personnes. Deux bébés sont décédés — l’un dans le ventre de sa mère après que celle‑ci eut reçu plusieurs coups et l’autre dans une bousculade durant une attaque. Les certificats de décès ont été mis en preuve. Les demandeurs ont déclaré qu’ils s’étaient plaints aux autorités policières et que la police avait refusé de faire enquête ou même de documenter les plaintes. Il est prouvé que la police hongroise refuse de documenter les plaintes déposées par des Roms. L’insistance du commissaire pour obtenir toujours des documents supplémentaires était déraisonnable.

 

[4]               La question de la protection de l’État a été analysée de façon totalement insatisfaisante par le commissaire. À en juger par la structure des motifs, il semble que cette question n’a été examinée que dans le cas de la famille Hercegi et non dans le cas de la famille Fekete; il y a cependant des passages, ailleurs dans la décision, qui pourraient très bien porter sur cette question pour la famille Fekete. Je reproduis ci‑après les paragraphes 56 à 60 des motifs du commissaire qui contiennent ses conclusions, vraisemblablement relativement aux deux familles :

 

[56]      Les demandeurs d’asile se sont plaints de l’inaction de la police, mais ils n’ont pris aucune mesure pour faire connaître leur insatisfaction aux autorités compétentes à un niveau supérieur. Ils se sont contentés d’aller à un poste de police et, dans certains cas, ils n’y sont pas allés du tout parce qu’ils croyaient que la police ne mènerait pas d’enquête juste et impartiale.

 

[57]      Comme il a été dit précédemment, l’important est de déterminer si, aujourd’hui, une protection est offerte aux citoyens. Le comité indépendant des plaintes contre la police (Independant Police Complaints Board – ICPB), mis sur pied par l’Assemblée nationale en 2008, est chargé de faire enquête sur les cas de violation et d’omission de la part de la police à l’égard des droits fondamentaux. Cette entité, constituée de cinq membres, est indépendante des autorités policières. Le bureau du commissaire parlementaire, un ombudsman qui relève directement du Parlement, a le mandat d’aider les citoyens hongrois qui estiment que leurs droits constitutionnels sont menacés par un organisme étatique22.

 

[58]      Il est notoire que certains organismes qualifient de quasi‑échec les efforts déployés par le gouvernement hongrois pour combattre la corruption23, mais le directeur régional de Transparency International, Miklos Marschall, aurait déclaré que le cadre institutionnel anti-corruption de la Hongrie était « approprié ».

 

[59]      La preuve indique que les demandeurs d’asile n’ont rien fait pour tenter de faire connaître leur insatisfaction à l’égard des mesures prises par la police, que ce soit auprès du gouvernement ou d’autorités supérieures dans la hiérarchie policière.

 

[60]      Je suis d’accord avec les observations du conseil selon lesquelles la protection de l’État n’est pas parfaite et qu’il y a place à beaucoup d’amélioration, mais je conclus que la protection de l’État est adéquate et que rien ne laisse croire à un effondrement complet de l’appareil étatique. J’estime que le fait que la police n’a pas fait enquête, en l’absence d’un moyen d’identifier les auteurs des crimes, ne signifie pas pour autant que la protection de l’État était inadéquate.

 

[5]               La question de la protection de l’État n’est pas analysée de manière appropriée dans les motifs du commissaire. Les motifs n’indiquent pas si le commissaire a tenu compte des mesures mises en place par la Hongrie pour offrir actuellement une protection de l’État suffisante à ses citoyens, ni s’il a procédé à l’examen en question, quelles sont ces mesures. Ce n’est pas suffisant de dire que des mesures sont prises en vue d’offrir un jour une protection suffisante de l’État. C’est la protection concrète, actuellement offerte qui compte. La preuve établit de façon accablante en l’espèce que la Hongrie est actuellement incapable d’offrir une protection suffisante à ses citoyens Roms. Je reprends les propos que j’ai tenus dans l’arrêt Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1176, aux paragraphes 8 à 11 :

 

8        Une autre erreur de droit a trait à la nature de la protection de l’État qui doit être prise en compte. En l’espèce, le commissaire a conclu que le Mexique « fait de sérieux efforts » pour résoudre le problème. Ce n’est pas là le critère. Ce qui doit être pris en compte est l’efficacité réelle de la protection. Je reprends mes propos énoncés dans Villa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 1229, au paragraphe 14 :

 

14. L’avocat des demandeurs s’est vu accorder la possibilité de présenter des arguments supplémentaires concernant la PRI et il les a présentés par écrit. Il a ainsi mentionné de nombreux rapports tels que ceux publiés par les Nations Unies et les États-Unis ainsi que des décisions de la Cour, notamment Diaz de Leon c. Canada (MCI),  2007 CF 1307, paragraphe 28; Peralta Raza c. Canada (MCI), 2007 CF 1265, paragraphe 10; Davila c. Canada (MCI) 2006 CF 1475, paragraphe 25. Ces décisions ainsi que d’autres décisions de la Cour soulignent que le Mexique est une démocratie émergente, et non une démocratie accomplie, et qu’on doit tenir compte de la situation réelle et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place.

 

9      Quant au caractère raisonnable des conclusions, la preuve établit de façon accablante en l’espèce que le Mexique n’offre pas une protection adéquate. La preuve révèle que les organismes d’État qui, selon le commissaire, pourraient offrir une protection, font preuve d’incompétence et d’inefficacité, et sont corrompus.

 

10     Quant au rapport de la professeure Hellman, qui est bien loin de contenir des « déclarations générales » étayées par « peu de données empiriques » comme le laissait entendre le commissaire au paragraphe 21 des [sic] ses motifs, celui‑ci est soigneusement rédigé et est étayé par des renvois à un grand nombre de sources faisant autorité. Le juge Russell, de la Cour, dans sa décision Villicana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1205, aux paragraphes 70 à 78, a examiné ce rapport, et a conclu qu’il faisait « autorité » et que la conclusion était « alarmante ».

 

11     La décision en cause en l’espèce mérite le type de commentaires formulés par le juge Beaudry dans sa conclusion relative à la protection de l’État au Mexique formulée dans Bautista c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 126, aux paragraphes 10 et 11.

 

10. Selon moi, la Commission a commis une erreur à deux égards en arrivant à sa conclusion. D’abord, elle a apprécié la preuve concernant les critiques de l’efficacité de la loi au regard de la preuve concernant les mesures prises pour traiter les problèmes de violence conjugale. Cela ne suffit pas à justifier une conclusion d’existence de la protection de l’État; on doit tenir compte de la situation réelle et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place (A.T.V. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1229, 75 Imm. L.R. (3d) 215, au paragraphe 14).

 

11. Deuxièmement, bien que la Commission tienne compte de la preuve contradictoire, elle ne dit pas vraiment pourquoi elle estime que cette preuve n’est pas pertinente (Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2009] 1 F.C.R. 237, au paragraphe 28). La Commission ne dit pas comment cette preuve a été appréciée au regard de celle de la demanderesse selon laquelle elle a demandé l’aide du ministère public mais que celui-ci a refusé pour diverses raisons. De plus, plusieurs des documents invoqués par la Commission contiennent des parties qui nous amèneraient à tirer une conclusion différente et ils ne sont pas vraiment pris en compte.

 

[6]               J’ajoute à cela ce que le juge Mosley a écrit récemment dans l’arrêt E. Y. M. V. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364, aux paragraphes 14 à 16 :

 

14     En l’espèce, la Commission semble avoir adopté une norme moins stricte en ce qui a trait au caractère suffisant de la protection de l’État : à deux reprises dans ses motifs, la Commission a mentionné qu’il existait « une certaine forme » de protection de l’État au Honduras. On ne sait pas vraiment ce que la Commission a voulu dire par « une certaine forme », parce qu’elle n’a pas défini cette notion. Le défendeur soutient qu’il s’agit seulement d’une norme que la Commission a employée pour apprécier la preuve et que les motifs, dans leur ensemble, révèlent que la Commission a appliqué le bon critère. Je suis d’accord pour affirmer que la Commission a énoncé les bons principes juridiques, soit ceux établis dans les arrêts Ward et Carillo, précités. Cependant, je ne suis pas convaincu que ces principes ont été correctement appliqués en l’espèce.

 

15     La Commission était tenue de justifier, de façon transparente et intelligible, sa conclusion selon laquelle Mme Varela n’avait pas réfuté la présomption (Hazime c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 793, [2011] ACF no 996, paragraphe 17). La Commission n’a pas respecté cette norme de la raisonnabilité.

 

16     La Commission n’a fourni aucune analyse quant au caractère satisfaisant des efforts concrets déployés par le gouvernement du Honduras et par les acteurs internationaux pour améliorer la protection de l’État au Honduras. Bien que les efforts déployés par un État soient effectivement pertinents quant à l’analyse de la protection de l’État, ils ne sont ni déterminants ni suffisants (Jaroslav c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 634, [2011] ACF no 816, paragraphe 75). Les efforts doivent avoir, dans les faits, « véritablement engendré une protection adéquate de l’État » (Beharry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 111, paragraphe 9).

 

[7]               En l’espèce, le raisonnement de la Commission quant à l’existence de la protection de l’État est inadéquat et fait abstraction du point fondamental qui consiste à déterminer si la protection de l’État dont peuvent se réclamer les Roms de la Hongrie est suffisante à l’heure actuelle.

 

[8]               L’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour que celui‑ci statue de nouveau sur l’affaire. La Commission devrait examiner séparément les demandes de la famille Hercegi et de la famille Fekete. Aucune question n’est certifiée. Aucuns dépens ne seront adjugés.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT, LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est acceptée.

 

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour que celui-ci statue de nouveau sur l’affaire. Les demandes de la famille Hercegi et de la famille Fekete seront examinées séparément.

 

3.                  Aucune question n’est certifiée.

 

4.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4225-11

 

 

 

INTITULÉ :                                       JOZSEF HERCEGI (AUSSI CONNU SOUS LE NOM DE HERCEGI, JOZSEF), JOZSEFNE HERCEGI, JOZSEF BALOGH, ROLAND BALOGH, PIROSKA SZTOKJA, SZABOLCS FEKETE, ANIKO CSORE, MATE SZABOLICS FEKETE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 février 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE HUGHES

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT:                        Le 22 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Peter Ivanyi

 

POUR LES DEMANDEURS

Jozsef Hercegi (aussi connu sous le nom de Hercegi, Jozsef), Jozsefne Hercegi, Jozsef Balogh et Roland Balogh

 

Preevanda Sapru

 

POUR LES DEMANDEURS

Piroska Sztojka, Szabolcs Fekete, Aniko Csore et Mate Szabolics Fekete

 

Veronica Cham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rochon Genova LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Jozsef Hercegi (aussi connu sous le nom de Hercegi, Jozsef), Jozsefne Hercegi, Jozsef Balogh et Roland Balogh

 

Cabinet d’avocat de Preevanda Sapru

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Piroska Sztojka, Szabolcs Fekete, Aniko Csore et Mate Szabolics Fekete

 

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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